Les premiers rayons de soleil filtrent à travers les stores de ma fenêtre, et je les sens chatoyer contre ma peau. Silence. Tout le monde dort encore, et je profite de ce moment d’immense solitude pour faire le vide dans mon esprit. Je me lève du lit, et enfile mes vêtements du dimanche. Non pour aller à l’église prier cet homme n’existant pas, mais pour aller chasser avec Anémone. Mes vieux souliers en cuirs, et le blouson qui appartenait à ma mère lorsqu’elle était jeune. Il tient bien chaud pour les jours de grand froid. Et l’hiver commence petit à petit à se faire sentir. J’appréhende cette saison… La neige, blanche, comme un nuage géant qui recouvre tout à même le sol. Je ne me lasse jamais de la regarder. Mais, il y autre que ces beaux côtés. Le froid, le gel, détruit les vivres. Il n’y a plus de culture, plus de chasse. Les animaux hibernent. Plus de nourriture. On meurt de faim dans les districts les plus pauvres. Mais… non. Non. Je refuse d’encore devoir me soumettre à tout cela, à voir ma famille avoir le ventre creux et seulement un bout de pain pour le rassasier. Je ne veux plus vivre ça. Je ne sais pas comment, mais je refuse. J’irai plus travailler, j’allongerai mes heures, je ferai plus de collets dans les bois, je vendrai même mon corps si je le devais. Je… prendrai d’autres tessarae.
La ville dort. Chose normale puisque nous sommes dimanche. Les gens préfèrent faire la grasse matinée leur seul jour de repos. Mais moi, je n’ai pas le temps pour ça. Un pâté de maison, un deuxième, et un troisième. Nemo vit à quelques ghettos de chez moi, avec son père et sa sœur. Ils sont trois, mais deux rapportent de l’argent. À ma maison, il n’y a que moi. Maman est devenue malade depuis la mort de papa, elle ne bouge plus de son lit. Les autres élèves pensent qu’elle est barge. Et, je suis un peu de leur avis. Même si je n’aime pas ce mot. Pablo est trop jeune pour travailler, 6 ans, et Anna aussi, 4. Ils vont encore à l’école.
Je gratte à la porte de Nemo, mais personne ne répond. Étrange. Elle doit déjà être dans les bois, j’imagine. Je me mets donc en route, et arrive quelques minutes plus tard au grillage. Un regard en arrière, à ma droite, à ma gauche, personne. Parfait ! L’électricité de celui-ci ne fonctionne plus depuis bien longtemps, et nous y avons trouvé un trou. Il faut s’aplatir au sol, relever une partie des barbelés, et hop, le tour est joué ! De plus, je ne suis pas ‘grosse’, bien au contraire, ce qui rend les choses d’autant plus faciles. Arrivée de l’autre côté de la ville, celui de l’inconnu, je me mets à courir pour ne plus être dans le champ de vue de qui que ce soit.
***
Le Dixième District ne fait plus partie du paysage. Les milliers d’odeurs des bois emplissent mes poumons, enfin de l’air frais ! Anémone ne doit pas être bien loin. Je marche cette fois-ci, mon souffle étant revenu à la normale. Le grand chêne. Elle n’y est pas.
Nemo ? Personne pour répondre.
Où ce qu’elle a bien pu passer… Je m’inquiète pour elle, mais, peut-être que ce n’est rien. Qu’elle m’a juste oubliée, et a prévu autre chose. Possible ? Non. Elle ne m’a jamais posé de lapin comme ça. En parlant de lapin, j’en ai attrapé un beau.
Regardez-moi ça… J’attrape la pauvre bête qui s’est prise dans mon piège, un sourire emprunt de fierté collé aux lèvres. Comme quoi, je sais aussi me débrouiller seule. Nemo sait peut-être tirer, tandis que moi comme un pied, mais je sais tendre des collets et me repérer. Tant pis pour elle, j’irai récupérer nos prises. On ne va pas les laisser là, ou d’autres animaux viendront nous les voler.
Mes pas me conduisent plus loin encore, plus que je ne le devrais. Ici, je n’étais venue. J’ai même dépassé le lac, qui était mon dernier point de repère. Ne pas oublier le chemin, surtout, ne pas oublier le chemin. Au risque de se perdre dans les bois… et de se faire manger par les monstres. Quoi ? Vous n’y croyez pas ? Il y a vraiment des monstres. Ils ne sont peut-être pas comme dans les comptes et légendes, mais ils existent. Sous forme animale ou humaine, qui se nourrissent de votre peur. Papa me racontait souvent des histoires quand nous nous promenions ici. Il me parlait du bien et du mal, de ces histoires écrites pour faire rêver. De la réalité qui n’est la plupart du temps, pas belle. Il me parlait comme à une adulte, ne me mentait pas comme le font tous les autres grands. J’avais totale confiance en lui, et il m’apprenait ce qu’était la vie. Tellement cruelle quand elle le veut, mais splendide dans son éphémère entièreté.
STOP. Ne bouge plus… J’entends du bruit. Il y a une ombre, difforme, je ne saurais dire si elle appartient à un ours, un loup, ou même un homme. Soudainement, une branche craque sous mon poids. Erreur de débutant, merde. Je m’abaisse rapidement pour rester à couvert, cachée derrière le tronc de cet arbre. Il ne m’a pas vue, du moins je l’espère.
Je l’entends s’éloigner. Ouf. Une main contre ma poitrine, je reprends ma respiration. J’inspire profondément.
Je suis en sécurité, rien ne peut plus m’arriver. Mes peurs ont disparues. Qu’était donc cette chose? Une bête? …Un homme ? Ne pensons pas à ça. L’histoire est terminée.