79th HUNGER GAMES, JOUR 03
FORÊT (NORD-EST, PUITS - G7), 03h ~ JOSHUA & EURYDICE

La deuxième nuit s'annonçait longue, beaucoup plus longue que la première. Eurydice n'arrivait même pas à songer au fait qu'elle aurait pu ne pas vivre suffisamment longtemps pour la vivre, pourtant, bien trop obnubilée par le fait qu'elle allait la passer seule. Elle n'avait pas retrouvé Andro. Mais peut-être n'avait-il aucune envie qu'elle le retrouve ? Ou bien il était perdu lui aussi ... mais non, Andro était trop intelligent pour cela, il ne se serait pas perdu. Peut-être était-il blessé, peut-être était-il ... mort ? Tremblante, de peur bien plus que de froid tant l'air était toujours moite, elle avait attendu le récapitulatif des morts du jour ; Souvent elle levait la tête vers le ciel plus noir qu'une bouteille d'encre, ce faux ciel sans la moindre étoile. Et puis la musique enfin, et pour commencer le visage qu'elle tentait par tous les moyens d'oublier. « Tom ... » Il s'appelait Tom. Le garçon qui avait tenté de l'étrangler, celui qui avait resserré ses doigts fins autour de son cou et à cause duquel elle venait d'y passer à nouveau ses doigts en réprimant un frisson horrifié, il s'appelait Tom. Et il était mort par sa faute. District cinq, la rouquine était morte elle aussi, et le district six sans plus aucun représentant ... Et le garçon du huit, maintenant. Portant sa main contre sa bouche Eurydice avait laissé un bruit étranglé quitter sa bouche. Pas de district sept, pas d'Andro, Andro était vivant.

Il fallait qu'elle le retrouve. Elle s'excuserait, elle supplierait, elle pleurerait s'il le fallait, mais il finirait bien par comprendre qu'elle n'avait pas fait exprès, qu'elle ne voulait pas se perdre, qu'elle ne recommencerait plus. Qu'elle ne désobéirait plus. Mais jamais elle ne le retrouverait dans une obscurité pareille ... elle ne voyait même pas où elle allait, et les écorchures sur ses genoux le prouvaient bien. Elle devrait attendre le matin, et prier sans doute pour que personne ne la trouve avant cela. Elle avait eu de la chance, avec Tom, probablement trop de chance pour que cela se reproduise une seconde fois. Elle avait soif, aussi. Les quelques champignons qu'elle avait avalé avaient attisé la douleur dans sa gorge et elle ne savait pas comment s'en débarrasser autrement qu'en buvant. Et surtout elle n'avait pas croisé le moindre point d'eau depuis la veille.

Elle avait froid, maintenant, et grattait les arbres à tâtons dans l'espoir de trouver un abri, un tronc creux, un rocher derrière lequel s'abriter en priant que cela suffise à la protéger. Elle craignait de croiser d'autres corbeaux qui infligeraient à son bras droit le même traitement qu'à son bras gauche, qui commençait à la démanger bien qu'elle ait l'impression d'entendre d'ici Callie lui interdire de le faire. Si ses cheveux étaient moins clairs sans doute la répérerait-on moins facilement dans l'environnement forestier, elle avait bien vu comme ceux d'Ivory semblaient briller dans la pénombre, le matin précédent ... Mais, par coquetterie sans doute, elle n'avait pas encore pu se résoudre à salir sa chevelure pour la recouvrir de terre ou de boue, et alors qu'elle désespérait la voilà qui avait trébuché sur un tronc d'arbre couché en plein sentier. Il n'était pas creux, mais entre ce tronc là et celui qui se tenait toujours fièrement debout à côté elle avait de quoi se recroqueviller et tenter de se faire oublier, au moins jusqu'à l'aube. Elle l'espérait.

Les genoux repliés contre sa poitrine pour tenter de se réchauffer un peu, pensant avec envie à la couverture de survie qu'elle avait laissé à Andro, elle n'avait pas été capable de trouver le sommeil, ni même suffisamment d'apaisement pour que la boule coincée au fond de sa gorge ne diminue. Elle repensait à Tom. Elle se demandait si Andro voudrait toujours d'elle s'il apprenait que le garçon du trois était mort par sa faute, parce qu'elle avait refusé de l'aider et qu'elle l'avait poussé, laissé en pâture à leurs clones et leurs mains ensanglantées. Elle l'entendait encore, elle avait l'impression de l'écouter gémir à nouveau et sa tête s'était secouée d'un seul coup, la réveillant d'un assoupissement qu'elle n'avait pas vu venir. Avait-elle rêvé ? Retenant sa respiration avec angoisse, plaquant une main sur sa bouche pour tenter de conserver le silence le plus total, elle avait attendu ... une seconde, puis deux, puis cinq, huit, douze. Et un nouveau gémissement étouffé. Eurydice avait hésité un instant ; Le dernier tribut qu'elle avait croisé avait tenté de l'étrangler. Mais très vite elle s'était remise à penser à Andro, au fait que c'était peut-être lui, qu'il était peut-être blessé et là, tout prêt.

Dépliant ses longues jambes avec précaution, mordant jusqu'au sang sa lèvre inférieure lorsque la plaie de son bras gauche était allée cogner contre l'écorce derrière elle, elle s'était remise debout. Elle avait avancé à tâtons, un pas après l'autre, tentant de toujours conserver un arbre auquel s'appuyer jusqu'à ce que son pied ne vienne à nouveau buter sur quelque chose. Ou plutôt sur quelqu'un. Instinctivement elle avait fermé les yeux de toute ses forces, comme attendant le coup fatal dont elle n'avait pas le réflexe de se défendre, mais rien n'était venu. Rien ne l'avait frappée. Au lieu de cela elle avait entendu une voix et questionné avec curiosité et appréhension « Joshua-Garrett ? » Obnubilée par cette nouvelle présence Eurydice n'avait pas prêté attention au puits qui se dressait devant eux, et s'était agenouillée à la hauteur du tribut, presque soulagée de retrouver un visage familier. « Oh, mais tu saignes ... » En souhaitant lui attraper le bras Eurydice avait en effet senti ses doigts glisser contre le liquide poisseux qui barbouillait la manche du tribut.

EURYDICE & JOSHUA
VOLUME VI, CHAPITRE 03 (JEUX, JOUR 03, 03H00 ~ PUITS

« La limite de l’arène ne doit pas être très loin. Je vais continuer vers le nord et voir jusqu’où on peut aller, histoire de ne pas être bloqué si un jour on doit prendre la fuite. On se retrouve ici demain ! » La fatigue commence à prendre. Joshua titube de plus en plus, envahi par le sommeil, la soif. Bientôt, la faim le prendra aussi. Il n’a toujours pas trouvé la limite de l’arène. Comment sera-t-elle ? Un mur de béton, de pierre, d’acier ? Une protection électrique ? Des pacificateurs armés, menaçant d’un fusil pour faire demi-tour ? Et peut-être qu’il n’y a pas de fin. Peut-être que nous ne sommes pas dans un bâtiment. Peut-être sommes-nous en pleine nature, derrière les limites interdites du pays. Plus nous approcherons, plus le Capitole nous enverras de mutations pour nous arrêter. Les « peut-être » passant dans la tête de Joshua deviennent trop nombreux, trop risqués.

Ses jambes ne répondent quasiment plus. Il s’écrase au sol et pose son dos contre une fabrication de pierre – un puits – sans avoir la force de regarder ce qu’il en est.

Son bras lui fait mal. Il ouvre la trousse de secours, dérange tout ce qu’il peut y avoir à déranger dedans. Et il la ferme, finalement, dans un soupir, se disant que ce peu de chose devrait être gardé pour plus tard, pour quelque chose de bien plus grave. L’humidité est présente. La cautérisation empêche l’infection. La cicatrisation complète elle ne se fera pas par miracle. Il regarde la couche intérieure de peau désormais refermée par les flammes. Un rictus sur son cou, laissant apparaître les os et cartilages lorsqu’il touche de la pointe de ses doigts le liquide poisseux et visqueux qui tente d’être la future couche de peau cicatrisante. Sa tête se baisse. « Non. » qu’il dit fermement. Un mot adressé à Elyas, au grand cas où l’alcoolisme de ce dernier serait absent pour certaines minutes, là, en ce moment, où il regarderait la caméra, pile maintenant, sans être avec une femme, ni personne, ni une bouteille, ni un verre plein – voire vide – et qu’il se déciderait possiblement à envoyer quelque chose de ridiculement petit et inutile.

La faim commence à le prendre. La soif se fait sentir. Mais Joshua n’en tient pas compte. Car ce qui l’assomme avant tout, c’est le sommeil. Et se laissant absorber par les bras d’Orphée, il est dans l’ignorance du danger d’être adossé, endormi, à la principale zone potable de l’arène, se laissant emporter même avant que les images des défunts tributs s’activent alors qu’elles prônent désormais dans le ciel sous le physique naïf du garçon.

Quelques heures passent. Un pied le frappe, une voix lui parle, mais rien. « Oh, mais tu saignes ... » Le corps du tribut se met à jouer des coudes lorsque les doux doigts de la blonde caressent sa peau, surpris, réveillé en sursaut. Son cœur bat vite de peur, sa voix tremble, il est pris d’une honte effroyable en ouvrant les yeux. Si ce n’avait pas été elle, il serait mort, là, maintenant. « Eurydice… » Joshua reprend son souffle, posant sa tête contre la pierre du puits, fatigué par le brusque réveil dont il a été acteur.

Joshua et Eurydice sont désormais assis à terre. « On a été attaqué par une mutation avec Ev, alors qu’on avait trouvé le cadavre de Theo, le tribut du huit. Un alligator. » Il se relève. « On l’a tué. » Le silence est pesant. « La mutation, hein. » Il a eu peur un instant qu’Eurydice s’éloigne, certaine qu’il ne faut pas tuer, même dans une arène des Hunger Games. « Ça passera. » Mais sa surprise n’est que plus grande lorsqu’il remarque le puits. Il se précipite. « Du coup on a découpé la chose et on a pris de la viande à brûler ! Il m’en reste si tu as faim. » Il attrape la corde et tente de hisser le sceau. Un bruit à réveiller le tribut du huit se fait percevoir dans la forêt. « Merde » ajoute-t-il doucement. Il empoigne sa machette et détruit le mécanisme en coupant la corde, oubliant la poulie et levant le sceau d’eau à la force des bras, s’appuyant du pied sur la paroi pour soulever l’élixir de jouvence.

Le sceau est là, par terre. Joshua est plein de joie, trépigne, et plonge sa gourde à l’intérieur pour la remplir. Il boit, et boit encore. Il la remplit encore, et tend l’objet à Eurydice. « Tiens ! »

79th HUNGER GAMES, JOUR 03
FORÊT (NORD-EST, PUITS - G7), 03h ~ JOSHUA & EURYDICE

La blonde commençait à se dire qu'elle ne reverrait peut-être jamais Andro. Elle n'était pas dupe, elle savait que sa note ne voulait rien dire et qu'au fond elle serait bien incapable de se défendre contre un tribut véritablement décidé à l'éliminer. Tom ne comptait pas, on pouvait voir dans ses yeux la répulsion face à son propre acte tandis que ses doigts se resserraient autour du coup de la jeune fille, c'était une attaque d'opportunité bien plus que de volonté. Elle avait survécu à cette deuxième journée par pur hasard, par chance, mais la chance tournait toujours et elle doutait de parvenir à réitérer l'exploit une seconde fois. Pourtant elle n'arrivait pas à admettre que le lendemain soir son visage pourrait apparaitre sur le ciel factice de l'arène ; Tout cela était tellement irréel. Est-ce qu'il n'y avait qu'au moment de pousser son dernier souffle que l'on reprenait pied avec la réalité ? Le sommeil dans lequel elle avait glissé malgré elle ne l'avait pas aidé à trouver de réponse à cette question, et seule la respiration plaintive d'une personne qui n'était pas elle avait finalement réussie à lui faire reprendre pied. Là-bas, à quelques mètres, il y avait quelqu'un. Elle n'était pas seule, elle n'était pas sauve.

Son instinct pourtant l'avait persuadée de bouger, de remettre ses jambes en marche malgré ses genoux endoloris, malgré l'air qui brûlait sa trachée dès qu'elle en avalait une bouffée. Elle n'avait reconnu Joshua qu'avec peine, l'avait nommé comme pour dissiper ses doutes, et seulement ensuite remarqué le sang qui souillait sa combinaison et lui avait arraché un mouvement apeuré tandis que la blonde tentait de s’enquérir de ses blessures. « Eurydice … » Elle avait acquiescé, un signe de tête imperceptible, d'autant plus dans la nuit que la lune factice éclairait à peine. Machinalement, elle avait laissé glisser ses doigts sur le front du jeune homme tout en l'écoutant raconter d'une voix fatiguée « On a été attaqué par une mutation avec Ev, alors qu’on avait trouvé le cadavre de Theo, le tribut du huit. Un alligator. On l’a tué. » Ses doigts s'étaient raidis contre la peau ensanglantée de Joshua, et son souffle s'était coupé une seconde ou deux. « La mutation, hein. » Elle s'était apaisée à nouveau. Avec la conscience pourtant que son comportement et ses convictions n'avaient plus leur place dans leur environnement actuel. Mais s'en débarrasser, les jeter au feu, c'était bien plus facile à dire qu'à faire, comme on dit. « Le garçon du trois est mort à cause de moi … » avait-elle finalement expulsé dans un souffle, honteuse. Elle ne l'avait pas tué de ses propres mains, bien sur, mais au fond elle se sentait responsable et c'était bien la même chose, à ses yeux.

Elle avait gardé le silence un instant, réfléchissant à la manière dont elle pourrait aider Joshua. Il semblait avoir l'esprit plus vif que ses capacités physiques, et d'un ton un peu incertain elle avait fait remarquer « Tu ne devrais pas t'agiter autant … » Mais il ne semblait pas l'avoir entendue, ou bien il avait préféré l'ignorer, marmonnant un vague « Ça passera. » avant que son esprit ne soit happé par le puit se dressant derrière eux. Eurydice ne l'avait même pas remarqué, et s'était contentée de suivre avec curiosité et inquiétude lorsque Joshua s'était levé pour s'y rendre. « Du coup on a découpé la chose et on a pris de la viande à brûler ! Il m’en reste si tu as faim. » Est-ce qu'il était bien question de l'alligator ? Est-ce que c'était lui, que Joshua comptait manger ? « Je ne sais pas si … tu penses qu'on a le droit … ? » On leur avait bien dit de faire attention, de ne pas manger n'importe quoi qu risque de s'empoisonner ... et puis, est-ce que les concepteurs des jeux seraient contents si les tributs mangeaient leurs animaux ? Prêtant peu d'attention à Joshua tant elle se questionnait, elle avait relevé les yeux lorsqu'il avait repris la parole « Tiens. » Joshua lui avait tendu une gourde en métal, la même qu'Andro avait ramassé à la corne deux jours plus tôt, et trop heureuse de pouvoir soulager un peu les brûlures de sa gorge Eurydice avait bu sans retenue, jusqu'à perdre son souffle. « Merci … » Passant son avant-bras sur ses lèvres, elle avait posé ses doigts fins sur le bord du seau « Il faut nettoyer ça, sinon tu vas avoir la fièvre, c'est comme les bûcherons qui se blessent au district sept. » Elle en avait déjà vu, des hommes grands et costauds mourir d'une infection. Depuis que Clay n'était plus au district, il n'y avait plus personne d'aussi compétant que lui pour les soigner. « Et après on mettra ça dessus. » Elle avait arraché deux pissenlits sur le bord sur puits « Callie dit que ça aide à, heu, cicatriser. » Trempant ses mains dans l'eau du seau, elle avait tenté d'en recueillir un peu et l'avait fait couler contre son épaule, laissant ses doigts glisser autour de la plaie sans oser y toucher. « Tu as perdu Ev' … ? » avait-elle enfin demandé timidement « Moi j'ai perdu Andro. Je crois qu'il est parti parce que je me suis éloignée alors qu'il m'avait dit de ne pas le faire. Il doit être fâché que j'ai désobéi. » Elle était penaude, mais elle ne l'en blâmait pas.