GROUPE C, PHASE 3 - JOUR 3 (~11h)
79TH HUNGER GAMES

Je n'en ai pas pour longtemps.

Andro s'était éloigné et avait laissé Eurydie avec Ivory. Même si ce dernier avait quelques provisions dans son sac, il était hors de question de se servir, surtout qu'il était de la responsabilité d'Andro de subvenir aux besoins d'Eurydice, même si celle-ci avait beaucoup aidé avec ses plantes. Il avait marché, sa hache dans la main, même si sa poigne était bien moins assurée qu'avant. Il avait tué Luther et même s'il avait aidé Ivory, cela ne changeait rien : il avait pris une vie. Lui qui s'était juré de ne pas tuer lors des Jeux, de rester intègre, lui-même... Il s'était leurré.

Le vent s'était levé et des petites gouttes de pluie commençaient à tomber. Sur la défensive avec la pluie, il s'aperçut que celle-ci ne brûlait pas. Tant mieux. Il soupira de soulagement tout en continuant sa marche. Il ne devait pas oublier d'où il venait au risque de se perdre et de ne plus retrouver les autres. Ses yeux allaient et venaient devant puis derrière lui. Il ne voulait pas risquer de tomber sur quelqu'un. Ses pas le menèrent jusque dans une clairière. Il ouvrit en grand la bouche en découvrant l'endroit : il n'était pas encore venu dans ce coin-là et il était trop beau pour être vrai. Un petit coin de paradis dans un véritable cauchemar. Il cligna des yeux et s'autorisa un petit sourire. L'arène n'avait plus rien de glauque. Il avait l'impression de ne plus y être, d'être loin de toutes ces tueries. Il ferma un instant les yeux pour savourer le vent et le paysage même si des oiseaux dans le ciel ne lui inspirait rien de bon. Il avança à travers les fleurs et son nez le picota : ses yeux et sa gorge brûlaient. Il resserra ses doigts autour de sa hache et toussa fort, plusieurs fois de suite. Non, le cauchemar ne s'était pas arrêté. Quelque chose clochait ici. Il ne devait pas rester là. Il tenta de rebrousser chemin mais il était trop tard ; il se cogna dans quelque chose et sa vue se brouilla avant qu'il ne trébuche en arrière.

Sa tête tournait, il se sentit terriblement mal. Il devait s'en aller d'ici, vite.

Ses membres étaient engourdis et il n'arrivait pas à se relever. Il restait assis, là, sur ses fesses, les lèvres entrouvertes. Ses yeux piquaient toujours. Sa gorge piquait toujours. Mais il n'y pouvait rien. Il était là, impassible. Tout tournait autour de lui. Il cligna une fois, lentement, des yeux. Tout paraissait loin, si loin... Il crut, l'espace d'un instant, entendre un cri. Un cri de rage, un cri animal, un cri désespéré. Il crut aussi entendre les oiseaux piailler. Tout était si loin désormais. Andro cligna à nouveau des yeux et, sans plus aucune force pour lutter, il se laissa retomber sur le sol. Le ciel était bleu, d'un bleu superbe, un bleu qu'il n'avait jamais vu auparavant. Ce serait un bel endroit pour mourir, pensait-il. Il ne se sentait pas mourir, pourtant. Il se sentait amorphe, pris d'une flemme que son corps ne pouvait contester. Le bleu se brouilla et devint flou, comme une aquarelle aux couleurs délavées. Le ciel peut vraiment faire ça ? Les juges font ça ? Pourquoi je pense à ça, moi ?

A nouveau, un cri retentit dans la forêt et cette fois, il se redressa d'un coup, alerte. Ses yeux grands ouverts, il observait alentour sans pouvoir déterminer l'origine de ce cri. Et puis, Eurydice surgit de la forêt en courant. Elle hurlait et se débattait, le corps couvert de sang. Des milliers de rats la poursuivaient et finirent par se jeter sur elle. Elle se faisaient dévorer vivante :

" - EURYDICE ! ".

Le tribut du D7 hurla à plein poumon. Ses jambes restaient clouées au sol, impossible de lui venir en aide. Ivory se tenait à côté de lui, les bras croisés sur le torse et un sourcil relevé :

" - Je crois bien qu'elle est morte. ".

Le blond ne semblait pas plus attristé que cela. Andro croisa son regard, horrifié. Comment pouvait-il rester aussi stoïque ?! Il avait envie de le frapper. Il avait envie de le tuer. La mort d'Eurydice ne devrait laisser personne aussi indifférent. Elle l'avait aidé à se remettre de ses blessures et lui, il réagissait comme ça ? Sans transition, aucune, les mains d'Andro se retrouvèrent sur le cou du tribut du D1. Il pouvait entendre sa gorge se broyer sous la pression :

" - Elle est morte ! Elle est morte et c'est ta faute ! ".

" - Ah non, mec, c'est la tienne. ".

Ivory avait disparu. Le garçon fixa la paume de ses mains pleines de sang. Qu'était-il en train de se passer ? Qu'était-il en train de lui arriver ? Déboussolé et perdu, il pivota vivement, cherchant d'où venait cette voix :

" - Boyle ? ".

Son meilleur ami était là. C'était impossible. Il n'avait pas été Moissonné, il n'était pas dans l'arène. Il n'y avait aucune raison qu'il soit là :

" - Mais c'est... ".

" - C'est quand que tu crèves ? ".

Andro tremblait et quand il tourna la tête pour regarder vers la forêt, il se rendit compte qu'il était encore allongé dans le champ de fleurs. Il ne pouvait toujours pas bouger et des oiseaux s'approchaient dangereusement. Qu'est-ce qu'il s'passe ?! J'peux pas bouger ! Il serra les dents et ordonna à son corps de se relever. Allez ! Allez ! Vite !

" - Si tu bouges pas, tu vas mourir. Mais c'est pas grave ; on t'attend. ".

Il eut un mouvement de recul de la tête en voyant J.J et Luther lui sourire. Ils étaient couverts de sang.

Lève-toi ! Mais merde, lève-toi !

Son corps était toujours engourdi. Il n'arrivait toujours pas à se lever. Les yeux rivés au ciel, il observait les oiseaux qui tombaient à pic sur lui. Sur elle ? Entre ses lèvres s'échappa un soupir et lorsqu'il tourna la tête, comme un cortège mortuaire, il y avait du monde autour de lui. Du monde, des gens qu'ils avaient connu, qu'il connaissait. La liste était longue : son père, sa mère, ses amis, son District, les tributs, son mentor, les morts et les vivants... Il y avait même des personnes qu'il avait cru voir à la télé lorsqu'il était au Capitole. Sa bouche s'ouvrit de plus en plus. Il hallucinait. Il n'y avait pas d'autre réponse. Comme si soudain il lui était poussé des ailes, il se leva et regarda tour à tour chaque personne, chaque hallucination. Il tendit la main et effleura le visage de l'un d'eux. Cela semblait si réel... Il avait même l'impression de sentir sa peau chaude sous ses doigts. C'était cruel, bien plus cruel qu'une armée de rats enragés ou qu'une pluie d'acide.

Les oiseaux fondaient sur lui mais il n'arrivait pas à détacher son regard de tous ces visages. Les becs piquaient et pinçaient avant de finalement se poser. Le cortège s'écarta et tous pointèrent du doigt quelqu'un. Quelqu'un était là, dans le champ, avec lui. Hallucination ou réalité ? Il ne pouvait dire. Mais elle avait le visage de la tribut du 4. Il n'était pas sûr...

" - Gray ? ".

Ses sourcils se froncèrent. Il ne savait plus... Tous tendirent les mains vers lui et il recula d'un pas, apeuré sans pour autant prendre ses jambes à son cou. Il voulait partir, pourtant. Partir loin de ce champs mais quelque chose l'en empêchait. C'est bien, ici. Ils sont tous là, avec moi et plus personne ne meurt. Mais si je meurs... S'il mourrait l'hallucination prendrait fin. Et il rejoindrait les morts. Il rejoindrait sa mère, J.J, Luther et tous les autres qui sont morts dans cette foutue arène. La vision de la fille qui avait sauté sur son socle lui revint en mémoire. C'était peut-être la meilleure solution, au final. Non... Eurydice, elle a besoin de moi. J'ai pas le droit d'abandonner maintenant. Ses poings se serrèrent et il releva la tête. Il devait s'en aller d'ici.

Andro ne savait pas vraiment combien de temps s'était écoulé depuis le moment qu'il était arrivé ici. Il ne savait pas non plus combien de temps il lui fallut pour enfin se décider à bouger. Un pas puis un autre et encore un autre. Il hurla :

" - MARCHE ! MARCHE, MERDE ! ".

C'était dur. Son corps avait du mal à l'écouter et comme pour l'obliger à rester coincé ici, le cortège s'écroula à terre et se tint à ses chevilles pour ralentir sa course. Il avait l'impression qu'on lui lacérait la peau. Ce n'était peut-être pas tant une impression ; les oiseaux s'amusaient à piquer ses jambes. Chaque pas devenait une véritable plaie mais il se devait d'avancer. Il n'était pas prêt d'abandonner :

" - MAIS AVANCE ! AVANCE ! ".

Le monde venait de s'arrêter de tourner. Il cligna des yeux et les images disparurent. D'un coup de pied, il balaya les oiseaux qui reprirent leur envol au-dessus du champ. L'espace d'un instant, il s'était retrouvé face à la fille du D4. Il en était certain maintenant ; c'était bien elle. Pas sûr qu'elle l'ait reconnu, par contre. Il avait vu l'incompréhension dans son regard. Andro ne comprenait pas vraiment non plus. Tout avait été si flou puis si distinct puis à nouveau flou... Elle avait pris son envol, comme le reste des oiseaux et était partie. Sans attaquer. Il ne l'avait pas fait non plus. Il n'en avait pas l'intention. Ses yeux fixèrent la fille qui fila rapidement. Tout cela... Ce n'était qu'une hallucination, alors ? Rien de plus ? Mais les morts, ce sang, tout était bien réel. Ceux qui étaient morts, ceux qui allaient l'être... Ce n'était qu'une question de temps.

Les fleurs menaçaient à nouveau de répandre leurs spores. Le garçon se baissa et ramassa son arme au sol. Il avait cru l'avoir gardé en main tout ce temps mais, apparemment, ça aussi ça avait été une illusion. Il serra le manche et se mit à courir dans la direction opposée de la jeune fille pour retrouver Eurydice. Il lui dirait de ne jamais aller dans cet zone de l'arène. Jamais. Il ne voulait pas que la petite blonde expérimente le même genre de trip que lui, que la fille du District 4. Les hurlements, les visions, la douleur... Cependant, il ne lui dirait rien sur ce qu'il avait vu. Il ne s'en sentait pas capable. Il ne voulait pas qu'elle porte avec lui le fardeau de ses hallucinations. Il pinça les lèvres et tourna brièvement la tête derrière lui pour regarder le champ. Ça aurait été quand même un bel endroit pour mourir.