Kash Aden Zola

❝ Wellcome to your life, there's no turning back. ❞

about games and relative.

➺ POUR QUI/QUOI POURRAIS-TU MOURIR ?

Je pourrais mourir pour défendre ceux qui en ont besoin ou en me battant pour ce qui est juste. En d'autres mots, je pourrais mourir pour la rébellion. J'ai fait preuve de lâcheté au cours de mon existence mais aujourd'hui, je sais que le jour où je vais les rejoindre, le jour où je vais pouvoir me battre à leurs côtés, je vais être prêt à donner ma vie pour eux et pour cette cause qui est juste. Si je suis prêt à mourir pour mes frères ? Là, c'est plus difficile. Je dois vous avouer que je serais prêt à donner ma vie pour Niamh mais j'ignore si je serais capable de faire la même chose pour Sören. Il fait preuve bien souvent de trop de cruauté pour que j'aie envie de prendre sa défense. Bien sûr, nous sommes liés par le sang mais parfois, cela ne suffit pas. Niamh est différent et parce qu'il est différent je serais prêt à donner ma vie pour lui. Malheureusement, si je continue sur la voie que j'ai choisie, je sais que je risque un jour de devoir choisir même entre Niamh et les rebelles et ce jour-là, sur qui mon choix se portera ? Aujourd'hui, je n'ai pas la réponse.

➺ AS-TU DES PROCHES QUI ONT PARTICIPÉ AUX JEUX ?

Mon petit frère, Key, a participé au 71ièmes jeux et il n'est pas sorti vivant de l'arène. Je l'ai vu mourir à l'écran, comme d'autres avant moi et après moi ont vu mourir leurs proches en direct à la télévision. Encore aujourd'hui, même si cela fait déjà sept ans qu'il est mort, les images me hantent et elle me hanteront probablement durant toute mon existence. Si j'avais déjà de la sympathie pour la cause rebelle (ce qui m'avait valu des coups et réprimandes alors j'avais vite fait de taire mes opinions), après la mort de Key, j'ai plus que jamais ouvert mon cœur à cette cause parce qu'il n'y a que les rebelles qui pourront un jour faire cesser ces atrocités. Mon esprit et mon cœur sont définitivement fermés à toutes les aberrations que peuvent servir le Capitole. Je garde cependant tout cela pour moi : j'ai appris à me taire et je suis doué pour ça.

➺ APPRÉCIES-TU LE VISIONNAGE DES JEUX ?

Je n'ai jamais aimé regarder les jeux et je n'aimerai jamais cela. Je les regarde parce qu'il le faut, parce que je n'ai pas le choix mais j'ai les jeux en horreur. Je n'éprouve aucun plaisir à regarder des enfants et adolescents s’entre tuer jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un. En fait, je ne parviens même pas à comprendre ceux qui éprouvent du plaisir en regardant les jeux. C'est de la cruauté, de la barbarie et je pense sincèrement qu'il faut manquer d'humanité pour apprécier un tel spectacle. Que ceux du Capitole regardent est une chose, ils ont grandi loin des districts, ils ont été élevés d'une certaine façon si bien qu'ils pensent que tout ceci est normal mais les habitants des districts... Même si certains d'entre nous vivent mieux que d'autres, comment peut-on se délecter de voir nos frères mourir de cette façon ? Oui, pour moi, les habitants des districts sont des frères et des sœurs. Enfin,  pas tous : là encore, ceux qui sont élevés pour devenir des carrières et prennent du plaisir à tuer au point de se porter volontaire pour les jeux ne sont pas mes frères ni mes sœurs même si finalement eux non plus n'ont pas vraiment le choix : ils sont comme on les élève. Alors, en fait, encore une fois, tout vient du Capitole : encore et toujours oui.

QUE PENSES-TU DE LA RÉVOLTE ÉCHOUÉE ET DES REBELLES ?

Vous l'avez déjà compris, je soutiens les rebelles et n'aspire qu'à les rejoindre. La révolte échouée ? Ce n'est que partie remise. Le Capitole a frappé un grand coup mais je veux croire qu'on peut y arriver, je veux croire qu'on peut vaincre et renverser le système de ce pays, un système qui n'aurait jamais dû exister. Beaucoup de rebelles ont été exécutés durant la purge et leurs rangs ont donc diminués mais je suis persuadé qu'ils vont se relever et frapper de nouveau. J'espère simplement les avoir trouvés à ce moment-là et être à leurs côtés pour me battre pour ce que je juge juste. Ils se battront jusqu'au bout et moi aussi : ce n'est pas fini tant que ça n'est pas fini.

➺ QUE PENSES-TU DES VAINQUEURS DES JEUX ?

Ma mère a gagné les jeux et il pourrait m'être difficile d'être objectif à ce sujet puisqu'elle ne s'est jamais occupée de moi, ni de Key, et que Sören et Niamh ont été obligés de jouer les parents de substitution mais je parviens à voir que les vainqueurs ne sont finalement que les pions du système. Ni plus, ni moins. Ils se sont battus pour rester en vie, ils ont réussi mais ils ont laissé une partie d'eux dans l'arène. Dans un sens, ils sont des victimes eux aussi. Enfin, certains moins que d'autres, j'en conviens. Quant à ma mère... C'est terrible à dire mais je ne ressens rien pour elle en dehors d'une certaine pitié pour avoir été et être toujours la marionnette du Capitole. Elle ne m'inspire rien d'autre puisqu'elle n'est jamais que ma génitrice et pas une mère comme elle aurait dû l'être.

➺ COMMENT QUALIFIERAIS-TU TA VIE DANS TON DISTRICT ? EN ES-TU SATISFAIT ?

Je n'ai pas à me plaindre. Je fais un métier que j'aime, j'ai un toit solide au-dessus de ma tête, j'ai de quoi me nourrir bref, je ne manque de rien et j'ai beaucoup de chance. Je pourrais sincèrement continuer à fermer les yeux et me contenter de ça. Je pourrais poursuivre mon chemin, aller travailler tous les jours, aider les gens qui en ont besoin, apporter un peu de soleil et de chaleur à ceux qui sont trop oppressés par l'ombre du Capitole pour voir ne serait-ce qu'un peu de lumière. Je pourrais continuer ainsi longtemps oui parce que, dans un sens, j'ai tout (ou presque) pour être heureux. Je ne peux cependant pas être heureux en sachant que d'autres n'ont pas la même chance que moi. J'aurais pu naître dans un autre district, j'aurais pu avoir une vie totalement différente et si je savoure ma vie justement parce que certains n'ont pas eu de chance, je refuse de m'en contenter plus longtemps.

➺ QUEL EST TON OPINION SUR LES PACIFICATEURS, LEUR ROLE, LEUR COMPORTEMENT ?

Je les maudis, je les exècre. C'est terrible à dire étant donné que mes deux grands-frères sont des pacificateurs mais liens du sang ou pas, mon opinion sur les pacificateurs ne changera jamais. Pour moi, ils ne sont jamais que la main tranchante du Capitole, ceux qui se salissent les mains puisque le Capitole n'ose pas le faire. Ils sont cruels, sans pitié, et à mon sens, ils ont perdu leur humanité. Ils sont aussi terriblement aveuglés par les lumières du Capitole et j'aimerais croire qu'il suffirait d'éteindre les lumières pour qu'ils reviennent à eux et réalisent qu'ils ne sont que des pantins, que des pions eux aussi dont le Capitole se fiche éperdument mais ne sont-ils pas tous déjà perdus ?... Je pense qu'il est trop tard oui même si une petite voix dans ma tête me murmure tout bas qu'il y a encore de l'espoir, en particulier pour mes frères. En particulier pour Niamh.

➺ CROIS-TU AU BONHEUR ?

J'y crois oui. Je pense qu'il est possible de finir par être véritablement mais je crois surtout que le véritable bonheur ne peut exister que si on est libre, que si la tyrannie cesse d'exister. Alors, aujourd'hui, je pense qu'il est impossible d'être véritablement heureux, impossible de savourer pleinement sa vie avec les personnes que l'on peut aimer mais un jour prochain, peut-être plus proche qu'on ne le croit, quand les monstres auront disparus, quand la terreur sera révolue, quand les jeux n'existeront plus alors oui, à ce moment-là, il sera possible d'être heureux. Parvenez-vous à imaginer comme il doit être merveilleux de mettre un enfant au monde tout en sachant qu'il n'aura aucun risque d'être moissonné ? Moi j'aime l'imaginer. J'aime croire que ce bonheur est possible et qu'il existera. On vous dira que je suis trop naïf ou trop idéaliste sans doute : tant pis.

➺ SERAIS-TU CAPABLE DE TUER POUR PARVENIR A TES FINS ?

On peut nous entraîner à nous battre, à tirer mais on n'est jamais préparé ni entraîné à tuer, à retirer la vie. C'est ce que je crois. On sait si on peut le faire que lorsqu'on le fait. Quand j'étais éligible aux jeux, c'était cela qui me faisait le plus peur : tuer. J'ignorais si j'allais en être capable. Aujourd'hui cependant, j'en viens à me reposer cette question, j'en viens à y réfléchir de nouveau et je pense que pour défendre ce qui est juste, je serais capable de tuer. Je n'ai jamais eu à le faire, certes, mais je crois oui que pour aller au bout de mes idéaux, pour ceux qui méritent d'être défendus, je serais capable de tuer. Ce serait cependant une nécessité et non pas un plaisir. Lorsqu'on a du sang sur les mains, quel qu'il puisse être, on l'a pour toujours mais aujourd'hui, je parviens à croire que je serai capable de vivre avec.

JE VIENS D'UN MILIEU favorisé, AINSI, POUR MOI, LA NOURRITURE ne manque pas. DU COUP, MON NOM AVAIT jusqu'à 28 CHANCES/RISQUES D'ÊTRE TIRE AU SORT.  J'EXERCE LE MÉTIER DE pêcheur ET POUR TOUT VOUS DIRE, J'aime ce métier. JE SUIS DANS LE 4ÈME DISTRICT. AYANT 24 ans JE ne peux plus PARTICIPER AUX HUNGER GAMES ET mes entrailles se nouent comme toujours à l'idée de la prochaine moisson. ENFIN, J'ATTESTE QU'EN CRÉANT CE PERSONNAGE, J'ACCEPTE DE LE LIVRER À LA BARBARIE DES JEUX S'IL EST TIRÉ AU SORT.

tell us your story.

DISTRICT 4 - 3 juillet 2306

« Alors, quel garçon aura l'immense honneur de représenter le District 4 lors de cette 71ième édition des Hunger Games ? »

La main de la femme qui porte une tenue si colorée qu'elle m'en donnerait presque le tournis fouille dans la boule. Ses doigts frôlent les morceaux de papier.

« C'est excitant ! » lâche-t-elle en gloussant presque et mes entrailles se nouent davantage encore tandis que je serre la mâchoire.

Excitant ? Parce que son nom n'est pas inscrit sur vingt-huit morceaux de papier, sinon, elle trouverait ça bien moins excitant. C'est la dernière année, ma dernière année. Après cette moisson, j'aurai dix-huit ans et c'en sera terminé : plus aucune chance de participer aux jeux, plus jamais je n'aurai cette crainte d'être conduit à une mort certaine car oui, si je participe aux jeux, je n'en reviendrai pas vivant. J'ai beau m'être entraîné, j'ai beau avoir certaines capacités, je ne survivrai pas dans l'arène : je le sais parfaitement et parce que je le sais, je crains que mon nom ne soit tiré au sort. Je ne veux pas mourir. J'ai peur de mourir. Les doigts de la femme se referme autour d'un morceau de papier et elle le soulève. Mon cœur se met à cogner contre mes côtes. Elle déplie le papier et ma respiration se fait plus difficile. Elle prend une inspiration et la tête me tourne.

« Key Zola ! »

Mon cœur manque un battement : quel nom vient-elle de prononcer ? Plus un mouvement. Plus un bruit. On entendrait une mouche voler.

« Key Zola ! » répète-t-elle et mon cœur s'emballe davantage alors que je me tourne vers la rangée des garçons âgés de treize ans. Elle vient de prononcer le prénom de mon petit frère. Impossible. C'est impossible. Son prénom n'est inscrit que trois fois alors que le mien... Non, elle a dû se tromper, elle a dû vouloir dire Kash Zola, ça doit être mon tour, mon heure... C'est... Key. Pas moi. Les larmes me montent aux yeux et je sens un goût amer dans ma gorge alors que mon petit frère fait un pas de côté pour gagner l'allée vide qui mène jusqu'à l'estrade. Son visage m'apparaît sur les écrans géants : il est impassible bien que très pâle. Comment fait-il ? Comment fait-il pour rester aussi neutre alors qu'il s'avance vers l'estrade ? Et qu'est-ce que je fais moi ? Pourquoi je reste là, sans bouger, alors que je devrais lever la main, bousculer les garçons qui se trouvent à côté de moi et hurler que je me porte volontaire à la place de Key ? Personne ne le fera si je ne le fais pas car contrairement à Sören et Niamh, le père de Key n'a pas ordonné à d'autres de prendre sa place tout comme mon père n'a ordonné à personne d'autre de prendre ma place si je venais à être tiré au sort pour la bonne et simple raison que ni Key ni moi ne savons qui sont nos pères respectifs. Si je ne dis rien, personne ne va prendre sa place. Si je ne bouge pas, c'est Key qui va se retrouver dans l'arène alors qu'il n'a que treize ans alors pourquoi je ne bouge pas ? Parce que je suis mort de peur et parce que je ne suis qu'un lâche.

***

Je sers fort Key dans mes bras et je sens ses mains crispées dans mon dos.

« Je suis désolé Key... » je lui murmure la voix tremblante tandis que mon étreinte autour de lui se ressert. « J'ai pas réussi... J'ai pas pu... »
« Hey, faut pas parler comme ça. » me dit-il tout bas. « C'est ma chance de leur montrer ce que je suis capable de faire... » ajoute-t-il d'une voix qui est trop tremblante à mon goût.

Je ne dis rien, je pleure en silence. C'est peut-être la dernière fois que je le sers dans mes bras. Je me recule et nos regards se croisent pour ne plus se quitter. Voilà qu'il m'adresse un sourire auquel je réponds malgré mes larmes.

« Puis faut que t'arrêtes de pleurer on dirait une fille. » qu'il me lance en me donnant un coup de coude.

Il n'a que treize ans. Treize ans. Je n'ai pas pris sa place. Comment je pourrais arrêter de pleurer ?

« Au moins je vais voir le Capitole en vrai. »

Il m'a souvent dit qu'il aurait aimé voir le Capitole de ses propres yeux parce que ça doit être tellement grand et tellement beau... Finalement, ce sont les derniers mots que j'entends venant de lui puisqu'on vient nous séparer. J'aperçois son sourire une dernière fois avant que la porte ne se referme. Je me dégage de la poigne du pacificateur d'un geste brusque avant de quitter les lieux. J'ai peur. J'ai raison d'avoir peur.

DISTRICT 4 / 11 juillet 2306

« Il ne faut pas qu'il aille chercher le sac. Il faut qu'il se mette à courir tout de suite pour trouver un abri. » je dis tout bas alors que je suis assis sur ma chaise en train de regarder sur le grand écran les images de l'arène qui nous parviennent en direct. Les tributs viennent toujours juste d'apparaître face à la corne d'abondance.

« Ne dis pas de bêtises, il doit récupérer le sac sinon il ne risque pas de s'en sortir. »

Je jette un regard en biais à ma mère enfin, à celle qui est censée me servir de mère. Il est rare que je me retrouve dans la même pièce mais là, pour le lancement des jeux, elle a montré sa tête et du coup je dois partager ce moment avec elle bien que j'aurais préféré être seul. Je n'aime pas sa façon de regarder l'écran comme s'il s'agissait de quelque chose de tout à fait banal et je n'aime pas non plus le ton qu'elle vient d'employer. Elle agit comme si son fils ne se trouvait pas parmi les tributs. Je ne devrais même pas en être surpris. Je ne réponds rien et reporte mon attention sur l'écran au moment où les tributs se mettent à courir et quand je vois Key foncer vers la corne d'abondance je me crispe sur ma chaise. Bon, il a fait ce choix dangereux, tant pis, c'est fait : il faut juste qu'il soit rapide.

« Allez, tu peux y arriver... » je murmure pour moi-même en crispant mes mains sur mes genoux alors que mon cœur s'est emballé.

C'est la folie. Ils tombent les uns après les autres, les coups de canon retentissent. J'observe, je ne vois plus Key : où est-il ? Là, il vient de se saisir d'un sac. Je suis tendu comme un arc sur ma chaise : il a réussi.

« NON ! » je hurle en bondissant de ma chaise, la renversant au passage, au moment où je vois la fille du District 4 surgir de nulle part et lancer un couteau dans le dos de Key.

Je vois le choc mêlé à la douleur se peindre sur le visage de mon petit frère à l'écran avant que le coup de canon ne retentisse et qu'il ne s'écroule au sol. Quelque chose se brise en moi tandis que les larmes me montent aux yeux. J'ai l'impression que le sol cède sous mes pieds et j'ignore franchement comment je suis capable de tenir debout. Il est mort. Key est mort.

« Eh bien, il n'avait vraiment pas les épaules pour ça. »

Mon regard se détourne de l'écran pour se poser sur ma mère. Elle n'a pas osé... Elle n'a pas osé dire ça... Elle tourne son regard vers moi et semble surprise de me voir debout, en larmes, les poings serrés, la mâchoire crispée : je suis prêt à lui sauter à la gorge en fait là. Elle hausse les épaules.

« Quoi ? Il n'était pas taillé pour ça et toi non plus d'ailleurs mais tu as eu plus de chance que lui. »
« Tu... »

Ma voix tremble.

« Voyons qui sort son épingle du jeu. » ajoute-t-elle avant de se détourner de moi pour reporter son attention sur l'écran.

Je la regarde, écœuré, toujours à deux doigts de bondir sur elle et lui faire payer ce qu'elle vient de dire. Il faut que je parte. Il faut que je quitte cette maison sinon je vais tuer ma propre mère : là, en cet instant, j'en suis capable. Alors je me détourne et quitte la maison en courant. Je fonce, je cours le plus rapidement possible pour m'éloigner de la maison, pour m'éloigner d'elle, pour m'éloigner de tout ça. Je sais où je vais : à notre cabane en bord de mer, à Misha, Dana et moi. La cabane où on a commencé à stocker du matériel pour pouvoir faire notre propre commerce quand on aura terminé de réparer le petit chalutier qu'on a réussi à se payer en bossant comme des fous. C'est le seul endroit où je veux être, le seul endroit où je peux être. Quand j'y arrive, c'est d'abord sur quelques planches en bois que je passe mes nerfs en hurlant puis, finalement, je viens cogner les murs en bois avec mes mains. Je cogne, je crie, je pleure. Je n'arrête que quand mes mains sont en sang et je me laisse tomber au sol avant de courber le dos : je n'ai pas que mon sang sur les mains, j'ai aussi le sang de Key. J'ignore combien de temps je reste là assis au sol, les mains en sang posées sur mes genoux à pleurer. Au bout d'un moment, j'entends la porte s'ouvrir, des pas, puis je sens qu'on s'installe au sol à côté de moi. Je n'ouvre cependant pas les yeux : je n'ai pas besoin de les voir pour savoir que Misha et Dana sont là. Je sens la main de Dana entourer ma taille avant qu'elle ne pose sa tête contre mon épaule. Le bras plus fort de Misha entoure mes épaules et c'est contre ma tête qu'il vient poser sa tête. Ils ne disent rien, moi non plus : je sais qu'ils savent. On reste là, tous les trois. Ce moment terrible, je ne pourrais pas le supporter sans mes deux meilleurs amis.

DISTRICT 4 / 24 avril 2312

Je presse le pas : il ne faut pas que je sois en retard. C'est la deuxième sessions d'exécution de la purge et à chaque fois, il faut qu'on soit présent à l'heure pour assister au discours du maire et du chef des pacificateurs. Ce n'est pas le moment d'éveiller les moindres soupçons en se permettant d'arriver en retard. J'ai beau ne pas faire partie de la rébellion, c'est une cause que je chéris et que je soutiens et le simple fait de penser cela, si ça venait à se savoir, cela me vaudrait d'être exécuté également. Si je devais cependant être démasqué et si je devais en mourir, je l'accepterais : aujourd'hui, j'en serais capable même si ça n'a pas été le cas jusqu'à présent. Il subsistait en moi une peur de mourir, une certaine lâcheté si bien que j'ai beau avoir pensé depuis longtemps que les rebelles étaient dans le vrai, je n'ai jamais rien fait pour rejoindre la rébellion mais ça va changer. Je vais changer. Quand je vois la silhouette de Dana devant sa maison puis que j'aperçois son visage livide avec les yeux gonflés d'avoir beaucoup pleuré, cela ne fait que confirmer mon désir de véritablement prendre part à la révolte : je suis resté caché trop longtemps. Lorsque j'arrive à sa hauteur je la sers fort dans mes bras et elle me rend mon étreinte. Nous restons ainsi quelques instants sans bouger ni rien dire puis je me recule pour la regarder. Je ne lui demande pas comment elle va : je ne vais pas bien et si moi je ne vais pas bien, pour elle c'est encore pire car si Misha est mon meilleur ami, il est son grand-frère.

« Il faut se mettre en route. »
« Attends... » me dit-elle la voix tremblante. « Est-ce que tu savais ?... » finit-elle par me demander.

Oh. Oui, il vaut mieux attendre si elle veut qu'on ait cette conversation. Je secoue négativement la tête.

« Non. » je lui réponds sincèrement. « Et toi ? »

Je sais que non mais je lui demande malgré tout. Elle secoue négativement la tête.

« Je n'arrive pas à y croire... »
« Je sais... »

Cela m'a surpris également. Je ne pensais pas que Misha faisait partie de la rébellion.

« Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça... » termine-t-elle par dire.

Mes entrailles se nouent. Moi je...

« Moi oui. » je lui dis dans un souffle.

Elle plonge son regard larmoyant dans le mien, reste un instant silencieuse.

« Je sais, à cause de Key... »

Je hoche la tête.

« Mais justement, toi... J'aurais compris... On m'aurait dit que tu faisais partie de la rébellion je n'aurais pas été surprise mais Misha... Il n'avait aucune raison de se rallier à eux... »
« Il a fait ce que d'autres n'ont pas eu le courage de faire... » je lui dis en lui coupant presque la parole. « Il a fait ce que je n'ai pas eu le courage de faire. » je corrige. « Certains rebelles n'ont pas perdu de proches à cause du Capitole mais il se battent pour ceux qui ont perdu des êtres chers et heureusement parce que sinon, ils seraient bien moins nombreux. »
« Tu ne devrais pas parler comme ça... » me dit-elle la voix tremblante.
« Je te parle à toi, ici. »

Elle se mord la lèvre inférieure.

« Il m'a abandonnée.. » souffle-t-elle.

Je prends son visage entre mes mains et pose mon front contre le sien.

« Non. Il a fait ce qui était juste. Il ne faut pas lui en vouloir. Il t'aime et c'est parce qu'il t'aime qu'il a pris les armes. Pour que le futur soit meilleur... Il est très courageux. Bien plus que moi...»

Ma voix se meurt sur les derniers mots : ma lâcheté ne m'a jamais autant dégoûté qu'aujourd'hui.

« Je préférerais que tu n'essayes pas d'être aussi courageux que lui s'il te plaît... » murmure-t-elle.

Je ne réponds rien car si je lui dis ce qu'elle a envie d'entendre, ce ne sera que mensonge et si je lui dis ce qu'elle n'a pas envie d'entendre, elle sera en danger. Finalement, on doit presser le pas pour être à l'heure mais on y arrive. On reste en retrait, c'est mieux : je ne tiens pas à ce que Dana soit aux premières loges pour voir son frère mourir. On le voit quand même mais au moins, on n'est pas au premier rang.

« Tes frères sont là ?... » me demande-t-elle à voix basse.
« Non, ils participent aux exécutions dans un autre district. »

Et rien que d'y penser j'en ai la nausée. On écoute les discours respectifs du maire et du chef des pacificateurs. Leurs mots glissent sur moi et mon regard se fixe sur Misha. Quand je parviens à capter son regard, je dois faire un effort monstrueux pour ne pas pleurer : aujourd'hui, je dois me montrer fort pour Dana. J'ignore ce qu'il voit dans mon regard mais je le vois hocher presque imperceptiblement la tête ou alors est-ce le fruit de mon imagination ? Je ne le saurai jamais. La voix du chef des pacificateur s'élève.

« Présentez armes ! »

La main de Dana se crispe sur la mienne.

« En joue ! »
« Ne regarde pas... » je lui intime.

Elle vient enfouir sa tête contre mon torse.

« Feu ! »

Alors que les épaules de Dana sursautent aux coups de feu, je ne bouge pas : je regarde Misha mourir sans détourner le regard. Je regarde la réalité en face. Il est temps.

DISTRICT 4 / 03 avril 2313

Je termine d'enrouler les filets de pêche. Je le fais doucement, correctement, c'est essentiel pour qu'ils restent en bon état puisque c'est notre gagne pain à Dana et moi. Ce n'est plus que nous deux depuis la mort de Misha. Dana qui ne s'occupait que du nettoyage, du tri et de la découpe des poissons et autres crustacés travaillent sur le petit chalutier avec moi à présent. En fait, on fait tout à deux : on pêche ensemble, on nettoie les poissons ensemble, on les découpe ensemble, on les vend ensemble. C'est un vrai travail d'équipe et Dana a fait de gros efforts pour être efficace sur le chalutier et franchement, elle est impressionnante : je ne pensais pas que ce petit bout de femme pouvait avoir autant de force physique et mentale. Elle arrive à gérer la mort de Misha mieux que je n'ai jamais géré la mort de Key. Je sais qu'il lui arrive de craquer puisqu'elle se confie à moi tout comme je me confie à elle mais elle est forte et elle est un véritable pilier de mon existence. Je ne l'ai jamais formulé de cette façon mais elle sait qu'elle est importante. A quel point, ça, c'est une autre histoire. Elle ne devrait plus tarder à arriver, c'est rare qu'elle ne soit pas à l'heure mais aujourd'hui, elle traîne. Cela ne me dérange pas plus que ça parce que je sais qu'aujourd'hui je vais être ailleurs comme je le suis toujours lorsqu'on est le 03 avril. Cette année c'est encore plus difficile parce que...

« Salut. »

Je relève mon regard vers Dana qui vient de grimper sur le bateau.

« Salut. »

Je lui adresse un petit sourire et je risque de ne pas être capable de plus aujourd'hui. On se met rapidement en route puis au travail. Il y a des jours où la pêche est bonne voire même très bonne, d'autres où elle l'est beaucoup moins et rapidement, je me rends compte qu'aujourd'hui est un jour sans comme d'un fait exprès. Je termine par m'asseoir sur une caisse et je regarde l'océan. J'entends les pas de Dana qui vient jusqu'à moi. Elle s'arrête à ma hauteur et je relève mon regard vers elle.

« J'ai quelque chose pour toi. » me dit-elle.

Je remarque qu'elle a caché ses mains dans son dos et fronce les sourcils : je ne comprends pas.

« Enfin, ce n'est pas vraiment pour toi... »

Là, je suis encore plus perdu et elle le voit bien. Alors, elle termine par me dévoiler ce qu'elle a dans les mains : une petite couronne de fleurs. J'observe la couronne de fleurs sans comprendre et relève un regard vraiment paumé vers elle.

« Je me suis trompée ? »
« Euh... »
« Ce n'est pas l'anniversaire de Key aujourd'hui ? »

Elle me cloue sur place si bien que je reste un instant sans bouger avant de hocher la tête : ma bouche est tout à coup très sèche.

« Il aurait dû avoir vingt ans aujourd'hui, c'est ça ? »

Je hoche de nouveau la tête.

« Tu... » je bredouille, chamboulé. « Tu as fait ça toi-même ? »
« Oui. Je ne suis pas très douée pour ce genre de choses mais bon... »
« Elle est parfaite. » je dis en tendant les mains vers la couronne de fleurs pour la récupérer.

Bien sûr, un expert vous dirait qu'il y a tout un tas de défauts mais moi je la trouve magnifique. Les larmes me montent aux yeux.

« Je me suis dit que ce serait bien de lui donner cette couronne de fleurs et... De lui dire au revoir. » me dit-elle en prenant place sur une caisse en face de moi.

J'observe la couronne un instant en silence.

« Je l'ai sauvé tu sais... Key... Chaque nuit, depuis sa mort... Chaque nuit, dans mes rêves, je suis assez courageux pour faire ce pas de côté et lever la main pour me porter volontaire et aller dans l'arène à sa place. Chaque nuit je lui sauve la vie en prenant sa place. Et je me réveille... Et il n'est plus là... »

Je n'ajoute rien parce que je l'ai gorge trop nouée pour continuer à parler. Cette culpabilité, je n'ai jamais réussi à m'en débarrasser. Je n'y arriverai probablement jamais. Je sens les mains de Dana se poser sur mes joues et elle me force à relever mon visage et mon regard vers elle : je m'exécute.

« Kash, il faut que tu arrêtes avec ça. Ce n'est pas de ta faute... »
« Si... J'aurais dû me porter volontaire... J'aurai toujours son sang sur mes mains... »
« Non. Ce n'est pas toi le responsable, c'est le Capitole qui a fait ça. »

Les mots me manquent l'espace d'un instant car je n'en reviens pas de l'entendre me dire une chose pareille.

« C'est toi qui dit ça ?... » je lui dis finalement dans un souffle et elle hausse les épaules.
« Je te le dis à toi, ici. » me répond-elle et ses mots font écho aux mots que je lui ai dits le jour de l'exécution de Misha. « C'est le Capitole et les jeux qui ont tué Key, pas toi. Il faut que tu cesses de te détruire de cette façon. Tu le fais depuis trop longtemps. »

Je sais qu'elle a raison. Je sais aussi que la seule façon pour que j'arrive à cesser de me détruire est de réussir à rejoindre les rebelles pour m'allier véritablement à eux et faire ce qui est juste, faire ce que j'aurais dû faire depuis longtemps déjà : assumer. Dana m'adresse un doux sourire et je me sens aussitôt coupable parce que je sais que même si elle pense ce qu'elle vient de me dire, elle ne veut pas que je parle de rébellion, elle ne veut pas que je m'en approche parce qu'elle ne veut pas que je termine comme Misha. Est-ce qu'elle est égoïste ou est-ce moi qui suis égoïste ?

« Allez, viens. » me dit-elle.

Je prends sa main et me relève. On s'approche de la poupe du bateau et, après avoir regardé la couronne encore quelques secondes, je la jette à l'eau.

« Joyeux anniversaire Key. » je murmure tout bas.

Je le laisse partir.

Tandis que la couronne s'éloigne de nous, je sens les doigts de Dana se presser contre les miens. Je tourne mon visage vers elle et nous sommes proches, très proches, si proches que pendant un instant, je songe à me pencher vers elle et à l'embrasser. Je ne fais d'ailleurs pas qu'y songer : j'esquisse le geste mais au moment où je la vois tendre le cou vers moi, je me recule finalement légèrement. On se regarde un instant et je viens déposer un doux baiser sur son front avant de me détourner d'elle et d'aller m'intéresser de près aux filets qui sont bien trop vides aujourd'hui. J'entends Dana s'éloigner et je soupire : il ne faut pas. Je sais ce que je ressens pour elle et visiblement elle ressent la même chose pour moi mais on ne peut pas. Je ne peux pas, pas avec les intentions qui sont les miennes, pas avec le futur dangereux qui va se dessiner pour moi quand j'aurai rejoint les rangs de la rébellion.

Malheureusement, j'ai toujours eu tendance à faire l'inverse de ce que j'aurais dû faire...

Spoiler:

Je dirais même plus...: