Assis comme un bourrin sur ce fauteuil de cuir. Un doux fauteuil de cuir aux accoudoirs tout aussi durs que la pierre de la table, permettant un appuie du coude pour ne pas glisser, ne pas glisser en tenant fermement un verre de whisky dans les mains ; deux glaçons, tournant avec l’énergie mécanique d’un poignet en mouvement, boire et boire encore, re-boire et avaler une gorgée de nouveau, claquer des dents et fermer les lèvres, les ouvrant de nouveau en invitant un petit bruit par l’humidité de ces dernières.

Nash « Tu devrais goûter ! »

Verre levé à la santé de cette femme aussi belle que schizophrène. A ta santé, Gargaria, tueuse de tous et de personne ! Tous car c’est vraiment tous. Personne car il ne restait plus personne au final, après ton passage. Du sable à la poussière.
Elle ferme la porte derrière elle, venant de l’avant du train, ou du milieu, rien à foutre, il faut juste retenir qu’elle arrive sur cet avant-dernier wagon restaurant où je ne fais que ce que je peux faire dans cette position délicate : l’inviter à boire. Ma façon de me préparer aux Hunger Games ? Etre assis, pieds sur la table, chaussés d’objets noirs cirés, à votre santé, futurs morts !
Futurs morts ou presque.

Nash « Bizarrement, ils ont leur chance. T’aurais vu la tête des autres tributs, j’ai ris très fort. »

Je prends la télécommande de mon autre main, j’éteins le téléviseur holographique, jetant l’objet plus loin sur un autre fauteuil. J’y connais quoi ? Rien, pas grand-chose, je fais juste attention chaque année à regarder les jeux. Cette année les tributs sont aussi charismatiques que baraqués. Et ils n’ont pas une gueule à faire du sport. Même une pichenette sur un cure-dent aurait plus de chance de ne pas casser l’objet. L’erreur du Capitol n’est même plus de faire ces jeux. C’est de choisir des enfants inexpérimentés. Frêles, petits, apeurés, acteurs, chialeurs, on en a de toutes sortes, mais aucun qui a de la gueule. Sauf deux. Voire trois, allez, soyons sympa. L’un de ces tributs, j’imagine que Gargaria vient d’aller se présenter à elle. Gargaria qui se présente à son tribut. Et demain Snow proclame la République ! Cette schizophrène, lors de mes jeux, c’est à peine si elle m’a regardé dans les yeux – de toute façon encore heureux à l’époque elle m’aurait sûrement fait peur.
Si elle a fait ça, c’est qu’il y a une raison, une simple et petite raison. J’espère. Elle ne connait pas les tributs. Pas comme moi. Dans un sens, ne pas les connaître permet de ne pas être exaspéré au fait de ne pas avoir fait son boulot correctement ou jusqu’au bout. Dans l’autre sens, on ne peut pas vouloir en faire trop si on n’est pas intéressé par eux. Le problème avec Ambre ? Entre le fait qu’elle soit aussi chiante qu’un vendeur de lait qui arrive après le petit-déjeuner, celui où elle veut attirer l’attention le plus possible – j’ai encore l’histoire du bal en tête, je m’en suis pris plein la gueule par les dirigeants du Capitol c’était pas beau à voir – et son je-m’en-foutisme pour tout ce qui bouge dans ce monde, cette gamine a le don inimaginable de pas faire long feu au niveau des sponsors. De son côté, Isaac, le mec canon qui doit changer de conquête tous les soirs, ce sera sûrement le stupide gamin qui va penser que cet histoire de sponsor et de bien se faire voir à la télévision c’est qu’une bêtise pur – je critique mais j’ai bien fais la même chose…

Je descends mes pieds de la table, me penche vers celle-ci, me sers de nouveau un verre, prenant soin de servir la femme qui vient d’arriver, deux glaçons à chaque boisson, les deux objets qui s’entrechoquent sur la table pour signer une nouvelle traite, et un simple sourire moqueur.

Nash « Alors ? Elle t’a plu ou ton invisibilité sera maîtresse pendant ces jeux ? »

Bordel. De. Merde. Demi-tour ma belle, tu ne rentres pas dans tes quartiers; il y a un pacificateur à l'entrée. Tu retournes rapidement sur tes pas, empruntant un couloir adjacent. Comme quoi, ils sont décidés à ne pas te laisser reproduire l'épisode de l'an dernier. Et oui ma belle, ta cage dorée perd en surface; au prochain faux pas, c'est toi qu'on effacera. Tu ne seras qu'un nom de plus à rayer sur la longue liste de Snow. A croire qu'il ne sait pas que toi aussi, tu as une liste, et qu'elle est déjà bien remplie.
Où aller. On se passera d'Ambre, et de l'autre, vas savoir son nom. Isaac, c'est Isaac. On se passera des tributs, tu auras déjà à les voir bien trop souvent à ton goût. Aurelia doit être en train de dormir, de rêver d'une nouvelle paire de chaussures en forme de tronc d'arbres. « Pour montrer l'esprit du District Sept ! » qu'elle dirait. Parce que pour elle, notre District a un esprit de tronc d'arbre. C'est noté. Au fond c'est mieux comme ça, qu'elle dorme, parce que tu aurais finis par trouver une hache ou un fusil quelque part pour la faire taire, définitivement. Ce qui serait regrettable, évidemment, cette cruche manquerait à tout le monde. Tout le monde dans son immeuble. A son palier. Son chat peut-être. Elle a déjà dit avoir un chat, tout rose. Horrible. Reste donc Ethan, mais il est à éviter aussi au vu de la situation. Il est à éviter en règle générale mais maintenant plus que d'habitude.
C'est le deuxième wagon que tu traverses; le premier comprenant l'ensemble des pacificateurs à bord et le second étant celui réservés aux tributs, que tu as traversé sans lever les yeux du sol. Autrement dit, le prochain wagon devait être le wagon restaurant.Sauvée.
Il y a trois petites fenêtres dans le sas qui relie le wagon que tu quittes et celui que tu gagnes. Tu t'arrêtes un moment sur celle de droite. Il est près de minuit, ce qui veut dire que vous devez approximativement vous trouver à la frontière entre les Districts Sept et Dix. Et tu sais que tu ne te trompes pas, car treize ans de voyages, ça induit rarement en erreur. On ne voit quasiment rien dehors, seules les lumières de la lune et du train illuminent plus ou moins les champs et le bétail. Panem est beau, quand tu ne peux rien voir de près. Ta tête se balance des deux côtés, légèrement en arrière. Arrête de rêver. La fenêtre du milieu est ancrée dans la porte; elle montre l'intérieur du wagon. Tu t'apprêtes à l'ouvrir quand tu vois Ethan. Sauvée, mon cul oui. Tu n'y échapperas pas indéfiniment, ma belle, autant y aller.
« Tu devrais goûter ! » Tu refermes la porte. Sans prendre la peine de répondre, tes jambes te guident jusqu'au fauteuil le plus proche, face à ton cadet de  mentoring. Tu te retrouves un verre en main, et il t'énerverait presque en portant ce toast, mais tu t'efforces de rester calme. « Bizarrement, ils ont leur chance. T’aurais vu la tête des autres tributs, j’ai ris très fort. » Tu bois. « Je sais pas. J'ai vu que les carrières, et puis ça m'a gavée. » Encore. Il est exaspérant. Tu avais réussi à l'oublier, depuis le temps, mais une telle attitude nonchalante, on s'en souvient vite. C'est impossible que ce gosse soit encore en vie. Y'a donc personne pour se résigner à lui en foutre une ? « Alors ? Elle t’a plu ou ton invisibilité sera maîtresse pendant ces jeux ? »
Un profond sentiment de dégoût jaillit en toi, et se diffuse partout dans tes veines comme un poison ardent. Il ne comprend donc pas. Il ne comprendra jamais, ma belle.
« Et le tien ? Il te plaît ou tu comptes redonner ta place de mentor à Kate, qui a perdue sa propre fille l'année dernière, devant ses yeux, alors qu'elle essayait de la sauver à ta place, comme tu l'as fais ces dernières années ? » tu craches en arborant le même sourire moqueur.
Tu te lèves, et pars à l'autre bout du wagon. En théorie, quand tu es passée avant d'aller parler à Ambre, il restait des gâteaux. Les tables n'ont pas été vidées depuis, cool. Tu attrapes deux muffins; un au chocolat, et l'autre aux noix. Quand tu retournes t'affaler dans ton fauteuil, tu lances celui aux noix sur Ethan. « Tiens. Tu mérites pas celui au chocolat, stupide gosse. » d'un ton se voulant méprisant. Tu poses le tiens sur la table en face, le temps de sortir les quelques pilules multicolores écrasées dans la poche de ton jean. « Ferme-la. »  tu ordonnes avant qu'il n'ouvre la bouche. Trois sur la langue, qui glissent dans ta gorge grâce à une dose de whisky, et la tension descend déjà.
« Tu me dégoûtes, tu sais. Je comprend pas comment t'arrives encore à être à l'aise avec ça. Des fois je me demande si t'aurais pas mieux fait de mourir. » Puis tu lâches un petit rire, de ces rires fatigués et las. « Je suis tellement jalouse. »

Gargaria « Et le tien ? Il te plaît ou tu comptes redonner ta place de mentor à Kate, qui a perdue sa propre fille l'année dernière, devant ses yeux, alors qu'elle essayait de la sauver à ta place, comme tu l'as fait ces dernières années ? »

La pulsion des artères se gonfle et l’énervement prend instantanément. Cette femme a le don pour ce genre de choses. Elle agresse violemment la patience de l’être devant elle, une agression digne de la faucheuse. Faucheuse qui n’est attendue que maintenant pour trancher le cou de cette petite garce. Au fond de lui, cet homme, assis sur son fauteuil, il l’aime bien, cette petite garce. Quand elle a osée lui envoyer son bout de pain miséreux dans l’arène, La Barbare, elle n’a pourtant fait que signer un petit papier – ou deux. Mais pourtant, qui dit que tout se serait déroulé pareillement, si ce parachute n’avait pas été lancé ? Il ne l’a pas mangé – comment avoir faim dans cette arène ? Il l’a empoisonné et relancé. Ce n’était pas un signe de cruauté qu’il avait envoyé à sa possible sauveuse maladroite. Quand il l’a vu débarquée le jour de la moisson, sur l’estrade, quand il a entendu son nom et qu’il a dû se positionner non loin d’elle, en riant, il a senti une femme qui se positionnait seule, sur ses jambes, solitaire. Il a sentie une femme brisée. Elle ne lui adressait pas la parole. Il ne lui adressait pas la parole. Une mutualité qui lui allait étrangement. La Barbare, il ne l’a connue que trop bien pendant les préparatifs des jeux. Il avait piqué un putain de disque dans les archives de l’hôtel pour visionner la cruauté de cette petite garce. Quand il a vu le corps frêle et terrorisé de celle-ci positionné au milieu de tous, agitant sa hache comme elle l’entendait, il n’a entendu qu’un cri : « Tuez-moi. Qu’on en finisse. ». Finalement, cet homme, il lui doit peut-être la vie. Mais la colère ne s’estompe pas, bien au contraire. La force sur son verre à Whisky s’exalte. Ses doigts s’écrasent.

Gargaria « Tu me dégoûtes, tu sais. Je comprends pas comment t'arrives encore à être à l'aise avec ça. Des fois je me demande si t'aurais pas mieux fait de mourir. »

Le verre explose parmi la peau. Et la force mécanique des muscles et des os ne se termine pas. La peau se ferme, recouvrant des bouts de verres. Le poids frappe sur la table dangereusement – un des glaçons qui se posait à l’intérieur il y a quelques minutes vole en éclat sur la gagnante. La paume se relâche finalement, faisant gésir les bouts de verre sur la table de noire, accompagnés du sang de cet homme. Une pulsion humaine dans ses poumons, un air qui part trop vite, une respiration dense et incontrôlée. Mais finalement il se calme, tête baissée. Il ne la regarde plus ; il n’ose plus car il a bien trop peur. Il a bien trop peur que quelqu’un le voit sous son véritable jour, ce jour qu’il n’a montré que l’arc à la main, tuant tout ce qui bougeait du haut d’un arbre, sans alliance aucune, sans attente ni aide, sans rien. Ce jour qu’il, secrètement, aimerait revêtir seulement une fois, repartir dans l’arène, ou en forêt, mais seulement seul, pour chasser un animal, pour voir comment ça fait de s’y remettre un peu.
Le sang des plaies et la tête baissée, le corps reste comme ça une bonne minute entière.

Nash « Khloé. Je pense que je ne t’ai jamais remerciée pour ce pain, ce petit pain qui ne sentait pas la rose. Mais n’empêche tu restes qu’une sale garce. »

Les mots qui fusent. L’homme n’a pas voulu dire ça – j’en suis certain. Pourquoi ? Parce que ces mots qui ont fusés, ce sont les miens. Je suis bien trop têtu pour admettre le fait que je n’ai aucune rancœur envers elle. En fait, si, j’en ai. Beaucoup, énormément, autant qu’il le faut pour ne pas vouloir la croiser tous les jours dans ce village de grandes maisons dans lequel nous vivons tous les deux ; mais pas assez pour lui en vouloir autant.

Nash « Ma première année de mentor je n’ai rien pu faire. Je n’avais pas l’expérience et pourtant ça n’a pas suffi à servir d’excuse à ma conscience. Pendant cinq ans j’ai regardé les jeux depuis chez moi. Pendant cinq ans je ne sortais pas de cette maison. Pour rien. On me demandait de venir au Capitol : je restais chez moi. On m’invitait au mariage de l’autre prostituée de la rue principale de la capitale : je restais chez moi. Et quand Wash me demandait de sortir de chez moi en frappant à la porte : je faisais le mort, comme s’il n’y avait personne à la maison. Alors imagine-moi quand tous les ans il fallait retrouver les anciens vainqueurs. J’étais le tableau noir, celui qui ne se montrait jamais. Tu me jalouses ? Tu me jalouses parce que je suis devenu un asocial incompétent !? »

Une pause.

Nash « J’ai tué plus que toi. J’ai disparu de la circulation. Quand je vais au Capitol on me propose de me prostituer je-ne-sais-pourquoi. Et là, alors que je sors de chez moi pour devenir mentor de ces jeux… Tu crois que je vais être accueilli comment ? Les premiers médias vont sûrement me sauter dessus parce que le grand vainqueur des soixante-douzième Hunger Games, celui que personne n’a vu dans l’arène et qui est sorti vivant grâce à un dernier coup de maître qui aurait pu mettre fin à ses jours s’il ne marchait pas et risquer de créer les premiers Hunger Games sans vainqueur, ce même type… Il sera accueilli comment, Gargaria ? Comme un héros ? Comme un salaud ? Comme celui qu’on voudra couler par la pression des caméras. »

Comme un gros con surtout.

Le sursaut est immédiat quand la glace entre en collision avec ton épiderme. Mais la douleur est si infime comparée à toutes celles que tu as l'habitude de ressentir, que tu n'y prêtes pas attention plus d'une seconde. Les mots blessent peut-être, mais les tiens enragent. C'est la raison pour laquelle tu es une personne si peu bavarde en temps normal. Oui mais rien n'est normal ici ma belle.
Tes yeux verts sont braqués, verrouillés, sur les minuscules points de liquide rouge qui filent de la main d'Ethan aux débris de verre sur la table. Le sang, tu connais, ma belle. Ce sang qui t'obsède, qui te brûle, qui t'étouffe, qui te parcourt. Sa vue te répugne, et son contact t'affole. Si bien que tu manques de broyer l'accoudoir en remarquant une goutte de sang sur le tissu de ton jean. Inspire ma belle, tu devrais avoir l'habitude.
« Khloé. Je pense que je ne t’ai jamais remerciée pour ce pain, ce petit pain qui ne sentait pas la rose. Mais n’empêche tu restes qu’une sale garce. Ma première année de mentor je n’ai rien pu faire. Je n’avais pas l’expérience et pourtant ça n’a pas suffi à servir d’excuse à ma conscience. Pendant cinq ans j’ai regardé les jeux depuis chez moi. Pendant cinq ans je ne sortais pas de cette maison. Pour rien. On me demandait de venir au Capitol : je restais chez moi. On m’invitait au mariage de l’autre prostituée de la rue principale de la capitale : je restais chez moi. Et quand Wash me demandait de sortir de chez moi en frappant à la porte : je faisais le mort, comme s’il n’y avait personne à la maison. Alors imagine-moi quand tous les ans il fallait retrouver les anciens vainqueurs. J’étais le tableau noir, celui qui ne se montrait jamais. Tu me jalouses ? Tu me jalouses parce que je suis devenu un asocial incompétent !? J’ai tué plus que toi. J’ai disparu de la circulation. Quand je vais au Capitol on me propose de me prostituer je-ne-sais-pourquoi. Et là, alors que je sors de chez moi pour devenir mentor de ces jeux… Tu crois que je vais être accueilli comment ? Les premiers médias vont sûrement me sauter dessus parce que le grand vainqueur des soixante-douzième Hunger Games, celui que personne n’a vu dans l’arène et qui est sorti vivant grâce à un dernier coup de maître qui aurait pu mettre fin à ses jours s’il ne marchait pas et risquer de créer les premiers Hunger Games sans vainqueur, ce même type… Il sera accueilli comment, Gargaria ? Comme un héros ? Comme un salaud ? Comme celui qu’on voudra couler par la pression des caméras.» qu'il dit, l'autre. C'est à croire qu'il ne voit rien. Pas de malaise, pas de malêtre. Le sang t'obsède. Tu ne l'as pas quitté des yeux une seule seconde, mais tes oreilles, elles, n'ont pas ratées une miette de ses paroles. En exerçant une pression sur l'accoudoir, tu trouves de quoi stabiliser ta voix, et toujours sans lever les yeux, tu ouvres lentement la bouches pour parler tout aussi mollement. « Parce que tu crois qu'on devrait tous te plaindre de ne pas avoir au l'expérience suffisante pour ramener quelqu'un dès ta première année ? Mais réveille-toi : c'est pareil pour chacun de nous. Dans toutes l'histoire des Hunger Games, c'est arrivé que deux fois. Et c'était il y a très longtemps, dans des Districts de carrières. Et que crois-tu que je donnerai pour avoir été à ta place ? Pour ne jamais avoir à sortir de chez moi, pour, au début, pouvoir refuser aussi facilement les invitations du Capitole ? Et je crois que oui, j'aurai préféré être une asociale incompétente que tout le monde a oublié, plutôt qu'un monstre de foire dont tout le monde s'écarte du chemin dans la rue. Parfois quand j'y pense, je sais même pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose qu'on m'aie jamais demandé de jouer la tepu. D'un côté, je suis tranquille. Mais d'un autre ça montre bien à quel point je fais flipper tout le monde. Sauf que ce qu'ils ont tendance à oublier c'est que c'est eux qui m'ont rendue comme ça. »
Ça te sidère, hein ma belle ? De voir qu'il ose qu'il ose se tourner comme en victime quand tu sais qu'il y en a des dizaines qui sont plus à plaindre. Vas-y, fais-le, dis-lui ce qu'il a manqué, toutes ces années. Raconte-lui quelques histoires drôles pour lui faire rentrer dans le crâne que le martyr ici, c'est pas lui. Tes mots enragent, Khloé. Deviens tes mots.
Tu te lèves rapidement, pars au fond du wagon décrocher la trousse de secours du mur. Il y en a toujours dans les wagons restaurant, tu as appris pourquoi quand on t'a raconté qu'une année un tribut avait poignardé son hôte dans le pied. En revenant sur tes pas tu t’efforces de passer outre ta phobie du sang, et t'assieds en croisant les jambes en face de l'ennemi. La pression exercée sur sa main devrait suffire à lui faire comprendre que tu ne lâcheras pas avant d'avoir terminé. C'est en retirant les bouts de verre de sa paume que tu continues ton discours.  « Si tu veux savoir qui sont les plus à plaindre, j'hésite pas une seconde me mettre dans le lot. Je sais pas si t'as entendu parler de mon... petit pétage de câble de l'an dernier. Bref j'ai dû rester à l'hôpital un moment. On peut aussi parler de Julian, les Jeux l'ont pas épargnés lui non plus. Je sais même s'il est encore en vie. Je doute même que quiconque le sait. Richard "le mangeur d'enfants", il a une réputation de mon niveau, si on veut. Et Tywin. Il fait le beau, mais je vois bien que y'a un truc mort dans ses yeux parfois. J'ai aussi entendu dire que la gosse du 11 -je sais plus son nom, celle qui a remporté l'Expiation- commencerait à tourner de l’œil. Prudence, elle a perdu son frère jumeau pendant ses Jeux, l'année dernière. Alors tu vois, je pense qu'il y a pire que toi en matière de victime, non ? » Si tu voulais jouer les méchantes, t'as loupé ton coup ma belle. Ton ton était bien trop attendri pour intimider qui que se soit. Au mieux il attisera de la compassion, ou de la pitié.
La compresse en place sur la paume du faux-ennemi, tu jettes les débris de verre avant de retourner t'asseoir. A terre, là où est ta place. « Si t'en as tant que ça marre de moi, je te rassure, tu ne me verras plus pour très longtemps. » 

Elle me fait de la peine Gargaria. Gargaria c’est ce bout de femme qui a été brisée dans les jeux autant que moi. Quand elle parle j’ai envie de lui dire que ce qui m’a anéanti n’est pas forcément de ne pas avoir pu ramener Dave, l’ami d’Ambre, lors de ma première année en tant que mentor. Ce qui m’a détruit c’est de voir la fureur que je faisais au Capitole. Comment les femmes s’arrachaient chaque échange de mes regards. Comment les foules levaient les bras à chacun de mes passages à la télévision. Ce qui m’a anéanti c’est de voir l’attitude à l’intérieur du Capitole en fait. Mais ça je n’ai pas envie de lui dire à Gargaria. Parce que Gargaria c’est la femme qui est détruite par ça tous les jours. Elle me dit qu’à chaque fois qu’elle traverse la rue on la regarde comme un monstre de foire. Moi je suis sûr qu’une personne se souviendra de moi et qu’elle criera mon nom et mon statut. A partir de ce moment on se souviendra d’Ethan le vainqueur des 72th Hunger Games. A partir de ce moment moi je serai comme Gargaria : la bête de foire du district sept.


Ses mots sous aussi perçant que les verres qu’elle me retire de ma paume. Ses mots font une liste des personnes qui seraient plus à plaindre que moi. J’entends le nom de Julian. Un nom sympathique qui me rappelle quelque chose mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus et ce n’est pas pour autant que je l’arrête dans son discours, faisant mine une compréhension totale – ou un paumé. Richard par contre, ça me dit rien, passons. Le nom de Tywin me percute les oreilles. Lui, il me dit un truc. J’avais regardé ses jeux. La gosse du onze c’est Alexiane aucun doute là-dessus. Cette jeune enfant qui a été détruite de l’intérieur et on l’a senti jusqu’au district sept lorsque le fil qui connecte son cerveau a un esprit apaisé a éclaté au milieu de l’arène. Je donnerai cher pour savoir ce qu’elle est devenue. Dire qu’à deux ans près j’aurai pu être à sa place au milieu de ces nouvelles règles des jeux, de ces nouveaux cadavres.
Prudence j’ai pas trop suivi le délire l’année dernière. Je me souviens avoir passé quasiment tous les jeux dans la forêt. C’est d’ailleurs un de ces jours de jeux que j’ai croisé Ambre, à moitié dingue. C’est aussi durant ce même jour que j’ai posé le pied dehors depuis plusieurs  mois. D’ailleurs ce que j’en pense c’est simplement que le monde a épargnée la vie d’une gamine qui a gagné par chance et rien d’autre. Mais qu’est-ce que j’en dis moi…


Gargaria elle a sans doute raison. Je ne suis pas le plus à plaindre. Mais je n’ai jamais dit ça. J’ai simplement avancé le fait qu’on pourrait se plaindre de on sort. Au final j’aurai dû accepter les invitations du Capitole et pas les refuser. Si j’avais fait ça je serai peut-être célèbre et tiré d’affaire. Peut-être que je ne serai pas devenu fou et peut-être qu’on me mettrait sur le dos des morts dont je n’aurai rien à foutre aujourd’hui. Et sans doute même que je n’aurai pas connu les tributs de cette année comme je les connais aujourd’hui et qu’ils ne seraient que deux possibles futurs morts à compter de nouveau sur ma liste et rien d’autre.


J’ai envie de m’excuser mais je ne le ferai pas. Après tout, je ne sais pas pourquoi je le ferai, c’est inutile. Alors je tente l’humour accompagné d’un petit rire qui en fait signe. Si un jour je m’étais dit que je serai là, dans un wagon en direction pour le Capitole, avec ma seconde sauveuse, son petit ami, et ma première sauveuse que j’ai longtemps détesté, je ne me serai pas cru une seule seconde. Le destin joue de beaux tours.

Nash « T’étais déjà pas douée en mentor il y a six ans. »

Je me lève et vers le buffet et ramasse deux gâteaux semblables de différentes couleurs. Je commence à prendre goût à la qualité du Capitole. Je trouve ça à la fois horrible et à la fois une bonne nouvelle si l’adaptation me prend facilement. Je jette le plus foncé sous le nez de mon ancien mentor avec un sourire alors qu’elle se trouve encore à terre où elle ne mérite pas d’être.

Nash « Je mérite pas celui au chocolat. »

Du coup je m’écrase à côté d’elle, le cul à terre, et je bouffe mon muffin en oubliant le papier – il tombera sans doute tout seul. Je cherche une ou deux secondes les idées qui arriveront bientôt dans ma tête. Il nous faut une stratégie pour les jeux.

Nash « T’es brisée Khloée. Je suis brisé moi aussi. On est ce duo de vainqueurs attardés qui donnons au district sept la réputation qu’il a aujourd’hui. Et si cette année on essayait de se reconstruire ? Tu sais ce qu’on dit : jamais deux sans trois. Dans ce wagon, on a une jeune fille qui maîtrise la hache comme le bûcheron le plus viril au monde et le garçon qu’elle aime. Donnons au Capitole ce qu’il veut : le troisième. Construisons ce troisième attardé qui sortira de l’arène sans la personne qui aurait pu faire son couple. Soyons un trio. Le trio du district sept. »

Mes paroles sont tellement buvables que j’y crois moi-même. Je nous donne de quoi survivre à ces jeux.

Je sais. Tu le sais, que tu es une meilleure mentore qu'il y a six ans. Sept ans. Dix ans. Treize ans. Un an. Tu le sais et pourtant tu ne fais rien pour le montrer pour la simple et bonne raison que, non pas que tu n'en as rien à faire, mais parce qu'au contraire tu t'en soucies trop. Avant, tu comprenais pas pourquoi ils mouraient tous. Tu captais pas pourquoi t'étais pas fichue des tous les sauver, parce que pour toi, il suffisait que d'aller signer quelques papier et faire du gringue à un ou deux gros tas de maquillage dans la salle des parieurs. T'as essayé, vraiment, pendant quelques années. Au bout de trois ans t'as baissé les bras, sans pour autant arrêter de réfléchir. La question était simple, vraiment, tellement simple qu'elle cachait la réponse encore plus évidente. Ils mouraient parce que tu l'avais décidé. Tu avais gagné. Grâce à Julian. Et lui n'était plus là. La suite logique pour toi qui ne l'est pas pour tout le monde, était que toi aussi, tu avais le droit de disparaître. Inconsciemment tu ne pouvais pas les voir gagner. Au fond, y'a rien à y gagner, si c'est pour finir comme toi. Ou comme Ethan, qui est le parfait exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Il a gagné, et ça a détruit sa vie, comme il vient de le dire. C'est donc sans aucun regret, sans aucune empathie, que tu décides que tu ne sauveras plus personne. La réalité la voilà : Tu as voulu les sauver;  et ça t'a détruite, tu l'as sauvé lui; et il est irréparable.  Si jusqu'ici tout le monde y comprit toi s'accordaient à dire que tu étais un genre de mentor je-m'en-foutiste comme on en trouve partout, il y avait toujours pourtant une part de toi qui espérait voir ces gosse sortir de cette arène autrement qu'entre les griffes d'un hovercraft-ramasse-cadraves. Toutes ces pensées te parcourent à vive allure, si bien que tu as l'impression que ton cœur s'amuse à se prendre pour un moteur de montagnes russes (oui Khloé tu sais ce que sont des montagnes russes, les vieux livres sont instruisant). Ce sont pourtant les quelques secondes les plus déterminantes concernant ton mode de vie à venir, et dans le meilleur des cas, ta santé mentale. Si la situation au stade actuelle pouvait permettre une trêve, ou même carrément une paix, avec Ethan, il est on ne peut plus clair que ce qui va suivre risque de faire dégénérer les choses. Mais tu as toujours été égoïste et à cet instant, c'est lui ou toi.
Alors quand il termine de déblatérer sur son fantasme de plan à trois, mentorement parlant, au moment où tu termines le quart de ton muffin au chocolat que toi tu mérites, tu te lèves. Allant chercher un nouveau verre au fond du wagon, le remplissant de whisky et de glaçons sous son œil impatient, avant de te laisser retomber au sol. Vous avez visiblement décidé que les fauteuils étaient trop bien pour vous. Ou l'inverse, le tout dépendant du point de vue de chacun. Après l'avoir vidé plus rapidement que feu-Jackson-Blutch est mort durant les 76th, tu déclares en étant dépourvue de toute expression : « Non. » et avant qu'il ne puisse rétorquer quoi que ce soit (malgré que tu ne sois pas sûre qu'il s'apprêtait à rétorquer quoi que ce soit), tu lèves la main qui supportes ton verre vide en le pointant du doigt comme tu le ferais pour dire à un enfant de se calmer. « Que ce soit la donzelle ou son damoiseau, je participerai plus à ça. Démerde-toi.  » Puis tu mords à nouveau dans la chair non-organique du muffin en espérant, intérieurement que la situation ne dégénère pas, autant pour toi que pour lui. Car même s'ils ne se trouvent pas dans le wagon, les pacificateurs vous observent probablement, pour ne pas dire à coup sûr, depuis la cabine réservée à cet usage. Et nul doute qu'en cas de pépin il n'hésiteront pas à se servir de tranquillisants pour calmer tes pulsions de violence extrême. Tu te surprends pourtant à espérer, très bas, que la tension éclate, afin de pouvoir déchaîner ta rage comme tu en as si besoin. Mais la tension, elle n'existe que dans ta tête, Khloé. Tu n'hésites pas avant de renchérir : « Mais je te préviens. C'est en pensant comme toi que je suis devenue comme moi. »

Les jambes croisées et les coudes sur les genoux en écoutant le discours de la folle est le seul moment profitable qu’il existe dans ce wagon. Lorsqu’elle finit de parler je ne suis pas sûr à ce dont je dois m’attendre, si elle a réellement terminé ou si une suite se prépare. C’est un blanc qui se dresse au milieu de nous deux, au milieu de cette salle. La joue de mon côté droit réussit pourtant à se lever pour plisser mon œil et le sourcil accompagne aussitôt. Mon bras se lève et seul l’index se découd du reste de mes doigts pour tenir en suspend à quelques centimètres de mes lèvres dont la bouche reste ouvert d’incompréhension. On arrive à entendre des bruits cassés qui sortent des cordes vocales, des bruits cassés qui pourtant ne donneraient rien même si on leur en donnait l’occasion.
Et je décompresse mes muscles d’un coup lorsque ma bouche se ferme et expire, lorsque mes yeux se closent mes épaules se baissent. Mes émotions sont mitigées. Dans un premier temps il y a le désir de me jeter sur elle et de lui coller mes phalanges dans la joue. Du duo de fous du district sept nous serons un duo de sociopathes en violence. Mon deuxième désir est de lever le ton tout en lui collant un revers de ma paume contre la tempe pour lui faire goûter le sol. Mon troisième désir et de me lever et de sortir de ce wagon. Parce que ce que vient de dire Gargaria Khloé est sans doute la seule phrase qui me fera le plus peiner cette femme. Je ne la déteste même plus. Elle a coulée trop profondément pour la haïr. En ce moment j’ai pitié de Gargaria Khloé Miller.


C’est ce troisième désir que mon esprit choisi que mon esprit contrôle mon corps pour m’appuyer premièrement sur mon genou et me lever sur un appui à la terre. Ce sont les deux premiers désirs qui sont rapidement refoulés. Rapidement car j’en viens à avoir pitié de cette femme et que la pitié ne m’exerce pas la violence. La violence je l’ai vécue dans l’arène et elle n’a pas encore ressurgit. Elle l’a fait une fois ou deux et sortir dans les bois illégalement avec mon arme et des couteaux à suffit à l’interrompre en déchirant deux ou  trois animaux que j’ai fini par manger car la chaire était pourtant pas si mauvaise que ça.
Je continue à chasser pour détruire cette violence qui pourrait me prendre envers les gens comme cette femme. Mais finalement je n’en reçois pas le besoin. Car elle a réussi à prendre la place de cet animal que j’aurai chassé pour manger. Elle a été la proie de ma pitié.


Je me lève.
Elle est toujours assise et je la regarde de haut. Cette vision me pousse des pulsions. J’ai envie de la frapper quand je la vois faible en bas comme ça. Mais le menton décalé et la tête penchée avec un regard désolant, sans doute non-accusateur, un rictus sur le côté droit pour exprimer ma peine.

Nash « Je ne finirai pas comme toi. Parce que hier j’étais comme toi avant de devenir ce que je suis maintenant. Et tu sais pourquoi je ne retomberai pas ? Parce que je n’ai encore sauvé personne. Et que cette personne n’a pas encore pu me dire combien elle était ravie d’avoir pu fouler le sol de son district après être sortie de l’arène. Cette personne ne m’a pas encore dit combien elle m’était reconnaissante d’être en vie. Gargaria, cette personne tu la eue. Et t’as pas eu le putain de culot de remonter à la surface. Je deviendrai comme toi aujourd’hui lorsque cette personne me dira en face qu’elle n’aurait jamais voulue être sauvée. Parce que tu sais quoi Gargaria ? Si j’étais mort je n’aurai jamais pu connaître la souffrance que j’ai ressentie en tant que vainqueur. Et c’est cette souffrance qui me fait m’accrocher aujourd’hui. Tu m’as peut-être envoyé qu’un putain de pain de merde. Tu t’es peut-être battue pour moi parce que tu t’ennuyais ou je ne sais quoi – j’aimerai que tu me dises ce que tu as pensé de moi le jour où tu m’as vu en tribut. Mais j’en suis sorti vivant. »

Le ton accusateur et la main sur la poignée de porte du wagon, je dis la dernière phrase avec  le ton relevé, une gueulante. Un pacificateur essaye d’ouvrir la porte mais je la maintiens avec force, lui envoyant un regard forcé et noir par le hublot. Il pousse ses iris vers le fond et regarde la scène. Ne voyant aucune bataille, il desserre la main qu’il a sur la poignée. Je viens de prendre un pacificateur de haut et je n’en ai aucune rancune, aucune honte.
Une dernière phrase. Et pourtant, après celle-ci, je ne bougerai pas. J’attendrai une dizaine de seconde pour l’enfoncer encore plus dans son trou. Ou pour voir si elle décide d’ouvrir la bouche encore une dernière fois en ma présence. La bouche quelque peu ouverte et la tête baissée qui se balance, j’offre mes derniers mots.

Nash « Je pensais vraiment qu’en te disant la vérité j’aurai pu réveiller la grande Gargaria. Mais apparemment même le survivant miraculeux n’a pas eu assez de cette vérité. C’est parce que tu es un mensonge. »

Il se lève et tu l'écoutes parce que tu as appris à laisser les gens parler avant de répondre, et ce peu importe le contenu du discours. Peu importe qu'il s'agisse d'un discours de ce cher président Snow vantant une énième fois les pseudos mérites du Capitole et la sagesse que l'on peut trouver au fait de punir sa population réclamant la liberté en l'obligeant à regarder ses enfants mourir dans l'arène. Peu importe qu'il s'agisse du manuel d'utilisation du sèche-cheveux d'Aurelia. Des conseils de Katelia. Des nouvelles de Tywin. Des cris d'Eden. Des questions absurdes de Caesar. Oui j'adore être ici. Oui je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour moi. Bien sûr que je suis ravie de revenir l'année prochaine. Peu importe qu'il s'agisse d'Ethan crachant sa haine, comprenant tout de travers, laissant passer une occasion de se taire. Comme toi. Si tu n'étais pas assommée par les médicaments, tu pleurais. Le genre de pleures qui feraient perdre ses moyens à un pacificateur endurci, si bien qu'il ne saurait plus quoi faire ni où se mettre, étant presque tenté de t'offrir son aide et ses excuses. Mais tu ne le feras pas, et tu te contentes d'oublier la douleur vive dans ta gorge, attendant patiemment la fin du monologue. Ou plutôt la fin de l'accusation. Khloé je suis mieux que toi. Khloé tu es trop faible. Khloé réveille-toi.
Il voudrait savoir ce que tu pensais de lui au moment de sa montée sur l'estrade, lors de son défilé, pendant le bain de sang, et durant les jours qui suivirent. C'est vrai Khloé, que pensais-tu ? Après plusieurs années d'ignorance totale, tu ne peux pas avoir simplement un beau jour décidé de descendre jusqu'à la salle des parieurs avec la ferme intention de dégoter un pauvre morceau de pain pour un tribut que tu avais déjà condamné. Mais tu peux chercher autant que tu veux, tu n'es pas prête de trouver la réponse.  « Je pensais vraiment qu’en te disant la vérité j’aurai pu réveiller la grande Gargaria. Mais apparemment même le survivant miraculeux n’a pas eu assez de cette vérité. C’est parce que tu es un mensonge. » Khloé tu es un mensonge. Khloé tu peux être grande. Khloé réveille-toi. Le silence qui suit est beaucoup trop long pour toi, bien qu'il ne dure que quelques secondes. Quand tu jettes un œil au pacificateur dans le sas, il semble prêt à bondir à tout moment malgré le regard menaçant d'Ethan.
Il n'y a pas d'amour pour toi. Pas d'espoir auquel te raccrocher. Ses paroles sont dures, brutes et blessantes, t'enterrant encore plus profondément dans la terre, te rapprochant doucement de la mort et de la boîte en bois maudite. Enterrée vivante. Tu pourrais presque sentir l'air te manquer, avec l'atroce douleur des poumons qui rétrécissent pour consommer moins d'oxygène. Le souffle qui commence à se saccader lourdement, d'abord très vite, puis ralentissant au rythme où le manque d'oxygène monte au cerveau. La fatigue qui se fait sentir alors qu'il y quelques secondes à peine tu étais pleine de vie à frapper sur la porte du cercueil pour espérer en sortir à temps.  La fatigue qui n'en est pas vraiment, car c'est la fin qui approche, t'endormant pour mieux t'enlever. Continuant pourtant de lutter, avec la respiration quasiment inexistante, les yeux qui se ferment par leur propre volonté, la cage thoracique se soulevant à peine. Revoyant les images les plus morbides, le souvenir de la peur irrationnelle ressentie à chaque fois que ta hache fendait la chair d'un enfant pioché lors des soixante-cinquième Jeux de la faim, le stress maladif qui te faisait tourner la tête durant le compte à rebours, qui à manqué de te faire tomber de ta passerelle de lancement, District Neuf qui hurle à la mort en tenant son ventre pour y retenir ses entrailles, ton réveil affolée à l’hôpital. Les rares souvenirs d'avant ; l'anniversaire de Katelia, l'élection du maire Këssler, la fermeture de l'auberge après la fête du mariage du boucher, ta première dent de lait, les bonnes et les mauvaises notes, les sacs de blé portés sur le dos de la maison jusqu'au garde-manger et toutes les éditions des Jeux regardées en te pensant intouchable et immunisée. Puis viens l'après, désignant le début de la fin, où petit à petit tu t'es décomposée. Le regard des gens, les pressions de Snow, l'image de soi, les souvenirs revenant petit à petit, les tributs morts, le miraculé ingrat, les disputes, les crises de panique, les hallucinations (tu te souviens du loup, Khloé?), l'insistance d'Atlas, la mort d'Atlas, la mort d'Athos, la mort d'Eden, l'éloignement de Katelia, l'internement, le lavage de cerveau, la reprise de conscience et pour finir, la furie.
La furie a finalement reprit le dessus sur les calmants, et quand tu reprends tes esprits, tu es debout, le bras tendu vers Ethan, qui s'est décalé sur la droite, l'air surprit, les bras en bouclier. Le bruit de la poignée de porte qui s'affole de haut en bas fait glisser ton regard jusque là ébahit et perdu comme un cerf qui aperçoit le canon d'un fusil. Au sol, et coincés sur le mur juste à côté de la porte, des débris de verre exhibent leur plus beau tranchant au milieu d'une flaque de liquide brun. Ce n'est qu'à ce moment que tu remarques la disparition de ton verre à whisky et du vase vide qui étaient posés sur la table il y à peine une trentaine de secondes.
Ton bras retombe, et toi avec. Les genoux qui heurtent le parquet, les mains s'agrippant au visage, tu abandonnes toute dignité et fonds en larmes, exaspérée d'être ce que tu es. Au même moment la poignée cesse de faire du bruit, et tu te dis vaguement que a) le pacificateur est parti chercher de l'aide, que b) il a simplement abandonné ou que c) Ethan lui a refait son regard menaçant. Au bout de quelques malheureuses secondes tes genoux commencent à signaler leur douleur, alors tu te laisses glisser sur les fesses jusque dans un coin, bafouillant que tu es désolée, vraiment désolée, sans réellement savoir de quoi. Avant d'exiger la paix.

J’ai l’impression que c’est la fierté qui m’envahie. La fierté d’avoir réussi à boucler le bec de la grande Gargaria pendant plusieurs secondes, la fierté d’avoir pris un pacificateur hautainement sans en subir les conséquences immédiates ; la fierté d’être le maître de ce silence tueur dans le wagon amenant un couple trucider et être trucidé. Cette fois-ci j’ai cette impression d’avoir vaincu d’avoir appuyé le dernier mot jusqu’au fond, d’avoir cassée la pierre avec une pioche, d’avoir enlevés les débris avec une pelle. J’ai l’impression d’avoir carrément déniché le cercueil dans lequel je ferai signe à Gargaria de se jeter avec un mouvement d’œil délicat.
Mais finalement cette moquerie se dérobe quand le verre et le vase se fracassent contre la porte du wagon, quand mon pou s’accélère sur quatre secondes ni plus ni moins. Et surtout quand mon regard se décale sans doute terrifié ou impressionné vers la dingue. Il finit par percer ses iris avec une lance aussi pointue qu’elle veut faire croire d’elle-même. Jouer la lame contre la lame sans bouclier, le wagon du septième est mesure à des tensions cette année. Et ça n’a jamais été le cas avec la mère d’Eden, j’en suis totalement sûr.

Au final cet air supérieur me perfore l’estomac quand elle tombe à terre. J’ai officiellement gagné alors qu’elle fond en larmes. Intérieurement j’en ris affreusement. Vingt secondes à jubiler au fond de moi-même alors qu’elle se vautre sur l’arrière pour s’excuser. Une paix. Une douce et pleurante paix. J’ai envie de secouer la tête mais je ne fais qu’une chose : me donner le droit de quitter le wagon et retourner dans ma chambre. Aujourd’hui Gargaria a pleuré devant l’homme qu’elle doit sûrement le plus détester après le Président Snow, celui qui l’a rendue folle – si on ne compte pas la cinquantaine de pacificateurs et les psychologues.
Je me jette sur mon lit comme un malpropre et me retourne sur le dos sans avoir retiré mes bottes. Un genou levé, une jambe posée sur l’autre et les bras sous la nuque j’exerce la pression de mes pupilles contre le plafond et réfléchis. Et je retire les deux bouts de verres qui sont rentrés dans ma joue.
Le sourire se perd en repensant à la scène.
Putain Nash. T’es qu’un monstre.

Aucune idée du temps qu’il me faut pour réfléchir et pour essayer de comprendre. Je me donne environ cinq minutes couché ici. C’est peut-être moins. Le coup d’avoir gagné contre le mensonge vivant est faux. Je me rends compte que la fierté qui me bouffait tout à l’heure était une vraie connerie. Je me mords les lèvres et mes sourcils passent en arc. Je n’arrive définitivement pas à croire ce que j’ai fait. Et sans doute encore moins ce que je vais faire…
Gargaria Khloé n’a jamais été ce monstre qui voulait la mort de ses tributs. Gargaria Khloé a été celle qui s’est fait bouffer par le système. Elle a été détruite en partant de zéro et elle a gardée assez de sa conscience et de sa capacité à réfléchir pour comprendre qu’il y avait des chances que le système qui l’a détruite puisse reproduire sa bienséance chez le tribut qu’elle pourrait sauver un jour. Au final les gagnants n’ayant pas été brusqués à ce point par le système n’existent que peu.
Gargaria c’est cet égoïsme-même qui désir ne pas partager sa douleur. Gargaria c’est cette femme qui pense que la mort est encore plus paisible que ce qui lui arrive. Et je me rends compte que j’ai été qu’un beau salaud pour lui jeter en pleine gueule que c’était faux.

Je ne reviens pas sur mes mots. Je pense toujours que la mort est quelque chose de bien pire. Mais on ne peut pas lui en vouloir qu’à elle. Parce que la femme qui est encore assise les mains cachant son visage ici devant moi, celle qui est sûrement là depuis les cinq minutes que j’ai passées dans ma chambre, celle qui pleure, elle est carrément brisée. Brisée au point de le montrer à la personne qui ouvre la fissure de verre qu’elle est.

Je ne fais que m’avancer et j’ai pitié de moi. Je n’ai pas croisé les pacificateurs en venant. Tout porte à croire que voir une folle pleurer revient à dire une période de vacances pour eux. Un petit con s’est sûrement dit qu’elle retournait en psychiatrie. Mais moi je m’assois à côté d’elle et ose agripper son bras et plaquer la tête blonde sur mon épaule, enrouler mes bras autour du corps d’une désignée folle, sachant qu’elle pourrait se jeter sur moi à tout moment.
Mais c’est la compassion qui prime. Une compassion déséquilibrée, d’une voix cassée qui décrit que je ne sais pas trop ce que je fais en ce moment-même. Et sûrement que je le fais mal.
Je n’arrive pas à dire que je m’excuse. Et je la sers encore plus contre moi. Je n’arrive pas à accepter cette paix qu’elle désire. Donc j’enfouie son menton contre le creux de mon épaule. Je n’arrive pas à m’exprimer. Alors que je suis conscient que je suis d’accord avec tout ça. Le parfum de ses cheveux ne me fait dire qu’une chose. J’accepte ses excuses, j’offre les miennes, je veux une paix silencieuse ; en une seule proposition pour son bien.

Nash « Cette année c’est moi qui m’en occupe… »

Mais je n’en reste pas contraire à tes principes.