DREAMS ARE FAILED.
Il n’aurait pas dû être là. Ses pas l’y avaient conduit sans qu’il ne puisse résister, guider par son esprit torturé depuis de trop nombreuses heures déjà. Depuis même plusieurs jours. Il lui avait fallu partir à la recherche de son courage, avant de finalement se décider à se lancer. Et c’était le cœur au bord des lèvres qu’il était sorti des appartements du district deux, et qu’il avait appuyé sur le bouton
12 du grand ascenseur.
Douze. Il montait au district Douze. Il n’aurait pas dû, selon toute vraisemblance. Peut-être aurait-il mieux valu pour lui qu’il reste à se morfondre dans sa chambre décidément trop grande et trop vide. Il aurait laissé cette gamine mourir dans l’arène, et pas une seule seconde il n’aurait eu de remords, ni de regrets. Il n’aurait pas eu de confirmation à ses hypothèses, et tout aurait été plus simple.
Véritablement plus simple.Mais il craquait. Il lui
fallait savoir. Il ne pouvait la regarder agir, défiler et vivre sa vie au Capitole, côtoyer ses propres tributs, sans en avoir le cœur net. Il y avait bon nombre de choses que le vainqueur ne parvenait pas à assimiler ; et la douleur de la perdre si ses conjectures s’avéraient vraies faisait partie de ces choses. Pourtant, il y allait. Il prenait son courage à deux mains, et le lâchait autant de fois. Lorsque l’ascenseur s’arrêta au dernier niveau et que les portes s’ouvrirent, il se força à faire un pas en avant, déglutissant lentement. Les mentors n’étaient pas là ; l’hôtesse non plus. Ou tout du moins, il ne les croisa pas. Les mains dans les poches, la tête rentrée dans les épaules, il fit quelques pas dans les appartements démesurés. La crainte le prit qu’elle ne soit pas là ; qu’elle soit partie s’entraîner, ou aller voir quelqu’un d’autre. Qu’elle se soit enfermée dans sa chambre, ou qu’elle ait une autre occupation. Mais il savait pour en accompagner que les tributs n’avaient pas grande permission, une fois enfermés au Capitole. Elle ne serait donc pas bien loin, de toute évidence. Du moins l’espérait-il.
Ses pensées tournaient et tournoyaient au fond de son esprit. Il ne parvenait pas à trouver un point d’ancrage, une image réconfortante ou apaisante. Depuis qu’il avait vu son visage se dessiner sur cet écran de télévision, au beau milieu du train, il n’était hanté que par
elle. Elle et ses souvenirs, sans cesse plus précis, plus clairs, plus net. Ce qui l’avait frappé au premier instant se répétait encore une fois au fond de son esprit. Elle ressemblait beaucoup trop à Cælenia pour que ce soit une coïncidence, non ?
Non ? Mais la peur lui tordait les trippes. Parfois le disait-il lui-même : parfois, une coïncidence n’était rien d’autre qu’une coïncidence. Et il n’y avait pas besoin d’en tirer des conjectures absurdes. Pourquoi Mallory aurait-elle était vivante ? Comment aurait-elle seulement
pu l’être ? C’étaient les questions à se poser. Oui. Mais c’était surtout celles qu’il ne se posait pas.
Soudain, il la vit. Ses mains sortirent doucement de ses poches. Il ne savait plus quoi en faire. Il ne savait plus quoi faire de son corps de manière générale. Son esprit était focalisé sur cette petite chose, si maigrelette et si fragile, dans les apparences tout du moins. Il déglutit lentement, passant une main sur sa nuque. Il avait chaud, tout à coup. Beaucoup trop chaud.
« … Salut. » Il ne savait pas quoi dire d’autre. C’était d’ailleurs un miracle que ce simple mot ait réussi à s’évader de la prison de stress qu’était devenue sa gorge. Il se força à déglutir à nouveau.
« Je… J’espère que j’te dérange pas. » Mais qu’est-ce que tu racontes ? Un sourire misérable et terrorisé se dessina sur ses lèvres. Il ne savait pas quoi dire, ni comment aborder un sujet si…
Délicat. C’était impossible à faire sans manquer de tact.
Et si elle le prenait pour un fou ? Ce serait une réaction logique. Comment aurait-il pu lui en vouloir, dans ce cas ? Il n’avait aucun droit de venir la voir ici. Aucun. C’était injustifié, et illégitime. Rien ne l’obligeait à balancer cette bombe à laquelle il songeait, ces affabulations tirées de maigres —
bien trop maigres — indices. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Il ne pouvait plus. C’était trop tard pour cela. Beaucoup trop tard.
La peur de la perdre n’était plus rien face à la terreur de ne pas savoir.
Mais avait-il seulement eu, un jour, aussi peur de la vérité qu’en cet instant ?