Gladys tire un trait sur le tableau pour souligner les éléments importants de la citation. Pendant les quelques secondes où sa main est en l'air, son dos tourné à la classe et son esprit libre, elle soupire, et dans ce soupir se trouve toute la lourdeur d'un deuil qui s'ajoute à d'autres, et dont elle sait qu'elle ne se remettra jamais. Mais la buée ainsi déposée sur la surface lisse du tableau a tôt fait de disparaître, et l'image de Glamoria, pourtant toujours si vive et mordante derrière ses paupières, doit de même céder la place aux exigences de l'instant présent. Quand on est professeur, il ne faut pas dévoiler la moindre seconde de faiblesse : elle serait fatale.

Gladys se retourne tranquillement. Au troisième rang, deux élèves chuchotent d'un air enthousiaste en n'ayant pas l'air de se soucier des règles pourtant strictes de la classe. À croire qu'elle s'est vraiment relâchée ces derniers temps... Elle les fixe avec un sourire, et leur demande poliment de se taire – cette politesse de professeur où se mêlent autant de gentillesse que de menaces, et qu'elle a depuis longtemps appris à maîtriser. Ils se taisent et Gladys reporte son attention sur l'ensemble du groupe.

— Panem a le pain, Panem a l'espoir ; aux enfants de tendre le bras pour le cueillir, aux enfants de lever haut la tête pour l'insuffler.

Elle a lu la citation d'une voix claire et promène son regard sur les visages pour guetter les réactions. La plupart a l'air blasé, voire carrément endormi. Elle a l'habitude, c'est toujours ainsi en début d'année : à elle à présent de leur donner la motivation qui leur manque. Ce que n'a pas ajouté le célèbre auteur de la citation du jour, c'est l'importance du rôle des enseignants, car ce sont eux qui apprennent aux enfants à tendre le bras et à lever la tête. Sans eux la société serait encore accroupie dans la poussière en attendant la bouche ouverte qu'y tombe ce pour quoi ils rechignent pourtant à se battre.

Ce n'est cependant jamais avec prétention ni orgueil que Gladys constate sa propre importance ; mais calmement, en considérant tout ce qu'implique une telle responsabilité. C'est pourquoi elle n'a pas de temps pour le deuil, même s'il veut la rattraper, à sans arrêt lui mordre les flancs. Pour lui échapper elle court vers l'avant, vers tous ces autres élèves encore en vie qui attendent en effet qu'elle leur saisisse le poignet et les tire hors de la poussière – et elle le fait avec passion. Même quand en face d'elle il n'y a que des regards vitreux.

Après quelques instants de silence, juste assez pour capter l'attention sans que celle-ci n'ait le temps de se détourner, elle jette son dévolu sur un jeune homme qui semble réellement prêt à s'endormir.

— Eh bien, James, que t'inspire cette citation ?

James lève les yeux vers elle, avec le regard douloureux de celui qui attendait que ça passe en priant pour que ça ne tombe pas sur lui. Leçon numéro un de préparation aux Hunger Games : il y a toujours une chance que ça tombe sur toi.

— Euuh bah ça dit qu'il y a à manger à Panem... Pour sa défense il a vraiment l'air d'être en train de réfléchir. Et de l'espoir aussi. Et que les enfants doivent le cueillir et lever la tête... ?

Gladys sourit, de sa patience infinie. Il faudra le surveiller, le James : encore un artiste de la paraphrase. Lui prend ça pour de l'approbation et, soulagé, replonge le nez vers son pupitre. Les bras derrière le dos, Gladys revient lentement à sa place devant le tableau en demandant avec de la plaisanterie dans la voix :

— Quelqu'un d'autre pour poursuivre ce brillant début d'analyse ?

Quelques bras se lèvent, plus ou moins enthousiastes, et elle les détaille pour chercher qui saura mieux relancer la discussion. Un regard pétillant l'arrête, et elle choisit :

— Oui ? Agate ?