Les couloirs du capitole, la tombée de la nuit. J'ai des cernes, des cernes énormes mais grand dieu j'ai réussi à les camoufler avec un kilo de maquillage. Je grommelle, je grogne dans ma barbe. Hier a été la pire journée depuis des lustres. Notre tribut, la fille, est morte. Un coup de poignard dans le coeur, comme à chaque fois que l'un de nos tributs meurt. Lucas est toujours en course, lui. Il faut que l'on fasse tout ce qui est en notre pouvoir pour lui permettre d'arriver le plus loin possible. C'est pour ça que j'ai rendez-vous avec l'autre dévergondée que j'ai réussi à faire gagner il y a de cela des années. J'peux pas la sentir mais pitié anja, prends sur toi, c'est pour la bonne cause. Tu relèves les épaules et tu souris, tu sors tes nichons et tout ira bien. C'est ce que t'as toujours fait de toute façon.

Mes talons retentissement de manière régulière sur le sol froid des couleurs du capitole. Mes cheveux volettent au fur et à mesure de mon déhanchement et de mes pas. bientôt, j'aperçois la silhouette familière de ma co-mentor. Celle que j'ai, autrefois, fait gagner les jeux. J'aurais mieux fait de la laisser mourir celle-là qui sait? Sa tête ne me revenait tellement pas. Mais j'ai au moins une fierté, c'est d'avoir mené l'un de mes tributs jusqu'à la victoire. Pour ça je peux avoir la tête haute. Je m'approche d'elle, elle semble s'intéresser au carrelage. Je racle ma gorge, avant de me poser à coté d'elle, contemplant le paysage qui s'étend devant nous, derrière la fenêtre. - Bien dormi ? demandai-je sarcastique. Si elle me répond oui, je l'étouffe. Hier a dû être catastrophique pour elle aussi, ou alors elle n'a vraiment pas de coeur. Une mèche me fait la gueule sur mon front, je la retape élégamment derrière le lobe de mon oreille, avant d'afficher un sourire faux suivi d'un soupir. - On doit faire quelque chose, dis-je sèchement. Pour lucas, sous-entendu. Je regarde en sa direction, attends une réponse, espérant que son esprit soit pas six pieds sous terre ou dans les nuages. Je ne parle pas ouvertement de la mort de lily ann, non, j'évite. On le sait toutes les deux j'imagine. Pas besoin de mettre des mots sur cet évènement qui nous ronge sûrement déjà toutes les deux.

Lily est morte. Ça devait arriver. Ça arrive toujours. Elle n’était qu’un tribut de plus, qu’un parmi tant d’autres. Silk avait à présent déjà du mal à me souvenir de son visage. Ne persistait que l’imagine de son crâne défoncé par une pierre. Du sang qui souille la neige et qui colle à ses cheveux bruns, son agonie dans les bras d’un Lucas impuissant. Elle avait été témoin de ce spectacle des dizaines de fois. Des variations d’une même image, différents scénarios pour une même fin. Lily était morte et ils n’avaient rien pu faire. Ils ne pouvaient jamais rien faire. Et toutes les suppliques que pouvait bien minauder Anja n’y changeraient rien. Essayer de récolter des sponsors était peine perdue. Essayer, toujours essayer pour s’entendre rire au nez. Ils préféraient parier sur cette tribut du 12 ou sur Viha. Ils avaient raison. Viha qu’elle avait poussé à se porter volontaire. Cette pensée lui donna la nausée. Peut-être qu’elle se serait portée volontaire d’elle-même. Est-ce que c’est ce que tu te dis pour apaiser ta conscience ? Viha était vivante. Lily était morte, son corps détint par la Capitol jusqu’à la fin des jeux. Peut-être essayaient-ils en ce moment même de lui redonner un visage humain. Cela allait être difficile pour le garçon du 1 qui s’était fait exploser en tombant de sa plateforme. Peut-être qu’Hawkins sera soulagé de ne pas pouvoir contempler le corps de son frère. Son frère. Cas' n'avait été qu’un nom, puis un visage et une voix, une personnalité. À présent il était un cadavre. Juste un cadavre. Un corps sans vie, une poupée inanimée. Et Hawkins allait recevoir son pantin désarticulé dans une jolie boite. Et il n’aurait plus personne. « Mon frère, Cas’. Il en vaut la peine. » Plus personne à en valoir la peine pour lui non plus. Elle se demandait où il pouvait bien être à cet instant. Était-il en train de pleurer son frère ? Était-il entre deux districts, sans savoir que sa raison de se battre venait de mourir ? Ou bien était-il déjà mort. Une fraction de seconde, juste quelques secondes pour craqueler la coquille. Un sanglot silencieux après l’autre. Tout va bien se passer. « Tu vas te battre. Comme tu l'as toujours fait. Tu vas te battre. Et du mieux que tu peux. Tu vas te battre et me revenir, Preston. » Elle aurait aimé qu’il soit là. Adonis, juste pour lui dire encore une fois que tout allait bien aller, des mots vides de sens auxquels il ne croyait même plus lui-même. Des mots qu’elle aurait voulu dire à Lucas et qui n’auraient rien changés. Elle essuya ses larmes avec la manche de son blouson.

Appuyé sur la rambarde, elle contemplait les lumières du Capitol s’allumer petit à petit au fil du soleil couchant. Depuis combien de temps n’avait-elle pas dormi ? Trop longtemps. Beaucoup trop longtemps. Ses mains tremblaient lorsqu’elle porta une cigarette à ses lèvres.

Elle pouvait entendre le bruit des talons d’Anja claquer sur le sol de marbre. Elle baissa légèrement les yeux pour contempler son propre accoutrement. Certainement pas digne de miss Anja Raventhorn et ses robes dessinées par les plus grands stylistes du Capitol. Un morceau de tissu qui finirait bien par lui être enlevé par quelqu’un ce soir. Après tout Silk n’avait pas tout appris toute seule pas vraie ?

« Pas la peine de faire semblant de t’intéresser à mon bien-être Anja. »

Comme si elle en avait quelque chose à foutre. Elle tira une nouvelle fois sur sa cigarette et lança un coup d’œil à son ancienne mentor. Si Silk pouvait commençait à sentir les effets du temps sur son corps, elle n’en voyait aucune trace sur le visage d’Anja. Les miracles du Capitol certainement. Parfaite jusqu’au bout des ongles.

Faire quelque chose ? Mais quoi ? Silk savait Anja loin des réalités, mais celle-ci arrivait tout de même à l’étonner. Elle leva les yeux au ciel et envoya sa cigarette dans le vide. Pas de champ de force ici. Personne au Capitol ne se suicide en sautant d’un balcon. C’est beaucoup trop salissant, personne ne veut abimer ce merveilleux corps qu’ils ont mis des années à façonner. Des pilules et de l’alcool, du poison comme dans les romans. Même ainsi Silk en aurait été incapable.

« Tu sais aussi bien que moi que personne ne sponsorisera Lucas. »

C’était la stricte vérité. Personne ne miserait de l’argent sur un garçon qui n’avait pas tué. Personne. Et maintenant que Lily était morte, son numéro de protecteur de la veuve et de l’orphelin n’avait plus lieu d’être. Si Lucas voulait s’en sortir, il ne pouvait compter que sur lui-même.

J'étais clairement de mauvaise humeur aujourd'hui et ça ne risquait pas de changer avant quelques jours. Les images de la mort de Lily Ann repassaient en boucle dans ma tête et j'avais besoin que cela s'efface radicalement de mon esprit. Pour cela j'avais besoin de faire quelque chose. Apporter de l'aide à Lucas, par exemple, lui trouver un sponsor qui pourrait lui donner quelque chose, un petit plus, un parachute qui pourrait l'aider à aller le plus loin possible dans l'aventure. C'est dans ce but que j'avais donné rendez-vous à la tribut que j'avais fait gagné il y a de cela des années. Elle était aujourd'hui ma co-mentor, et je ne pouvais pas la blairer. C'était réciproque, il fallait croire. - Pas la peine de faire semblant de t’intéresser à mon bien-être Anja. Un petit rire sortit de ma bouche sans que je le contrôle réellement. Je lui lançai un regard noir. - Une chance pour toi que je me sois intéressée à ton bien-être lorsque c'était toi qui était dans cette arène, petite insolente. Je ne m'emportai pas non. Jamais. Mon ton était calculé, sec et froid. J'ajustai l'une de mes bagues, après avoir regardé l'horizon, à travers la fenêtre. - Tu sais aussi bien que moi que personne ne sponsorisera Lucas. Je déglutis. Elle a peut-être raison mais je refuse. Je refuse de croire cela plus de l'espace d'une seconde. Mon regard se fait à nouveau assassin et ma main agrippe son bras. Nos regards se fixent. - Peut-être que si tu mettais ton pessimisme un instant de coté, nous aurions peut-être une lueur d'espoir pour le sauver. J'avais envie de grogner, de la mordre. Quelle imbécile. Elle ne bougerait donc pas le petit doigt pour aider Lucas, parce que selon elle, personne ne trouverait qu'il en vaudrait la peine ? Qui ne tente rien n'a rien, comme on dit. Qu'est-ce que cela coûte, hein, sérieusement, d'aller démarcher des sponsors ? Quand bien même nous aurions des réponses négatives, nous aurions au moins essayé. Elle n'avait pas l'air d'entrer dans cette optique là de la chose. Et ça m'foutait en rogne, complètement. Une junkie dégonflée, voilà ce que j'avais ramené de l'arène. - Visiblement tu ne sembles pas prête à te bouger le cul pour tenter quelque chose. Si j'avais adopté ta philosophie des choses lorsque tu étais dans l'arène, tu serais sans doute morte. Alors essaie de te motiver un peu, et pense à Lucas. Sois mentor, pour une fois. Bon sang, ce qu'elle pouvait être molle parfois.

Petite insolente ? Non, mais pour qui elle se prenait cette grognasse ? Une chance ? Une chance ? Parce qu’elle s’apportait le mérite de MA victoire quand elle était restée bien confortablement assise le cul dans un fauteuil à me regarder crever ? Qu’elle aurait préféré me laisser crever. Elle aurait dû je n’aurais pas eu à supporter les mêmes conneries depuis 15 ans. « C’est sûr que c’était bien plus facile d’ouvrir les cuisses pour gagner pas vrai ? » Je ne pensais pas qu’elle oserait me toucher, et le contact de sa main sur mon bras me fige sur place. Un frisson de colère remonte le long de mon dos comme une vague glacée. J’attrape sa main avec mon bras libre en faisant bien attention d’enfoncer profondément mes ongles dans sa chair. J’ai perdu toute l’humeur joueuse que pouvait me provoquer notre petite joute verbale. La colère viscérale me retourne les entrailles. Comme ose-t-elle, me toucher ? Comment ose-t-elle me parler de cette manière ? Avec ses mains manucurées et son visage de morue du Capitol. Pour qui est-ce qu’elle se prend soudainement ? Je dégage mon bras de son emprise. Je m’approche d’elle et lui susurre tout en mimant le geste du bout du doigt : « Touche moi encore une seule fois Anja et je t’ouvre le ventre de bas en haut c’est clair ? » Je ne suis pas pessimiste, je ne fais qu’énoncer des faits qu’elle semble avoir du mal à comprendre. Personne au Capitol ne sponsorisera Lucas parce que Lucas est faible. Et personne n’aime les faibles, personne, pas au Capitol. Pas quand des gens comme Viha ou Titus tuent sans le moindre état d’âme devant les caméras. Et si Anja voyait la lueur d’espoir sortir du trou du cul des sponsors grand bien lui en fasse. Qu’elle aille se faire foutre elle et ses idées à la con. Ça n’était pas ici qu’ils allaient trouver du soutien. Son discours me foutrait bien les larmes aux yeux si je n’avais pas envie d’arracher les siens pour m’en faire un collier. Un rire sec m’échappe avant même que j’aie eu le temps de le retenir. « On va mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes Anja. Je ne te dois rien, absolument rien. Alors, arrête de te prendre pour le messie avec tes grands airs de madame. Si je suis ici, c’est uniquement grâce à moi-même. J’ai du sang sur les mains tu saisis ? Je n’ai pas fait tout ça pour m’entendre dire par une vieille nympho que je lui dois la vie. Alors ta sois disant philosophie, tu va te la carrer où je pense. » J’essaye de retrouver mon calme. Je sais qu’elle a raison. Je sais qu’il faut faire quelque chose pour Lucas, mais je sais aussi que c’est peine perdue pour trouver des sponsors au gentil Lucas. Lucas à qui j’avais dit de ne faire confiance à personne et qui ne m’a pas écoutée parce qu’il est trop gentil pour son propre bien. Lui qui est à présent fou de rage après la mort de Lily et qui pourtant partage son repas avec la jolie tribut du 10 en ce moment même. Il ne changera jamais. Et si ces qualités, sa gentillesse et son altruisme sont prêchés dans la vie réelle, elles lui seront fatales dans l’arène et les sponsors le savent. Personne ne gagne les jeux en se comportant ainsi. « Si tu penses vraiment que c’est ici qu’on va trouver des sponsors t’es encore plus conne que ce je pensais. Personne au Capitol ne sponsorisera Lucas, PERSONNE. Je pourrais sucer Snow et la moitié des sponsors que ça ne changerait rien à çà. Et si Lucas ne se bouge pas le cul pour s’en sortir tout seul, la situation restera la même jusqu’à ce qu’il crève. Mais on peut faire quelque chose, essayer. Si on s’y prend maintenant, on peut essayer d’avoir quelque chose du district d’ici le festin. Ça ne sera pas grand-chose, mais ça lui donnera peut-être envie de se battre. » Et c’est le plus important.

Je suis peut-être naïve, après tout. Oui je le suis, sûrement. Certainement même. Mais je crois, dur comme fer, qu'il y a un espoir pour Lucas. Il peut aller plus loin. Il le peut. Il suffit juste que l'on se bouge et que l'on ne prenne pas racine. Visiblement elle n'entend pas cela de cette oreille, la fumeuse. Cependant, il semble que j'ai réussi à toucher une corde sensible, c'est qu'elle s'emporte vite la petite. - C’est sûr que c’était bien plus facile d’ouvrir les cuisses pour gagner pas vrai ? Elle était facile. L'expression de mon visage demeura figée puis se transforma en un sourire hypocrite, froid, satisfait. Si seulement elle savait. La pute que j'ai été durant et avant mes Jeux n'est que le gros de l'histoire. Tout le monde pense que j'ai gagné seulement et uniquement grâce à cela. C'est faux. Mais tout le monde s'en fout. - Ne crois pas que je me suis tourné les pouces dans l'arène. Ne crois pas que tu es la seule qui ait souffert. User de ses charmes était une ruse comme une autre, cela ne m'a pas empêché d'avoir dû être une tueuse. Les images me reviennent en tête, comme chaque nuit. Je frissonne. Je la somme de se bouger le cul, en lui attrapant le bras, chose qu'elle n'apprécie guère. Elle devient violente. Intéressant. Je jubile intérieurement. Elle se croit forte, elle me sous-estime en laissant sa colère s'emparer d'elle, c'est extasiant. - Touche moi encore une seule fois Anja et je t’ouvre le ventre de bas en haut c’est clair ? Elle mime son geste, la petite fofolle. Mon rire froid et automatique se fait entendre dans le grand couloir. Elle se croit drôle ou.. intimidante peut-être? Je ne relève pas, je n'ai pas envie d'un crêpage de chignons en direct, inutile de me décoiffer pour si peu. Les apparences, vous savez. Une chose que j'ai assimilé. Elle se pensait quoi au juste? Toute-puissante, junkiegirl a raison de voir les choses en noir? Elle me pensait sans doute bisounours, mais elle ignorait bien des choses. - On va mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes Anja. Je ne te dois rien, absolument rien. Alors, arrête de te prendre pour le messie avec tes grands airs de madame. Si je suis ici, c’est uniquement grâce à moi-même. J’ai du sang sur les mains tu saisis ? Je n’ai pas fait tout ça pour m’entendre dire par une vieille nympho que je lui dois la vie. Alors ta sois disant philosophie, tu va te la carrer où je pense. Je me racle la gorge d'une petite voix que je sais qu'elle déteste. Petite garce. Si tu savais.. tu savais ce que je me suis bougé le cul pour te dégoter des sponsors. Elle ignore tout et c'est peut-être mieux comme ça. Je ne m'abaisserai jamais à lui dire qu'un jour que je me suis soucié d'elle. Elle pourra crever sans avoir entendu ces mots sortir de ma bouche. Elle ne le saura jamais et c'est bien mieux ainsi. Qu'elle pense ce qu'elle veut, je sais ce que j'ai fait et ce dont je suis plutôt fière. Elle n'est pas sortie vainqueure de cette arène seulement par ses moyens, elle se sur-estime peut-être un peu trop. La nympho pourrait lui foutre une gifle ou même quelque chose de moins féminin. Mais ce n'est pas le moment. C'est Lucas l'important. - Si tu penses vraiment que c’est ici qu’on va trouver des sponsors t’es encore plus conne que ce je pensais. Personne au Capitol ne sponsorisera Lucas, PERSONNE. Je pourrais sucer Snow et la moitié des sponsors que ça ne changerait rien à çà. Et si Lucas ne se bouge pas le cul pour s’en sortir tout seul, la situation restera la même jusqu’à ce qu’il crève. Mais on peut faire quelque chose, essayer. Si on s’y prend maintenant, on peut essayer d’avoir quelque chose du district d’ici le festin. Ça ne sera pas grand-chose, mais ça lui donnera peut-être envie de se battre. Je réfléchis une seconde, oui malgré les apparences et les quand-dira-t-on, j'ai un cerveau. L'étiquette de l'écervelée, ça sert à bien des choses croyez-moi. - Sucer Snow hein ? Une chose à laquelle je n'ai pas encore goûté. Je vois sa tête changer. C'est de l'ironie ma belle. - Je préfère cette vision des choses, tu vois quand tu veux. Un sourire hypocrite, elle ne mérite que ça, bien qu'elle pense enfin à dire quelque chose d'intéressant et d'arrêter de vouloir jouer les gros bras. - Et bien alors, qu'est-ce qu'on attend ? Qu'a-t-il besoin en priorité dans l'arène en ce moment-même qu'on pourrait lui faire parvenir au festin ? C'était plus une question rhétorique qu'autre chose à vrai dire. Je la regarde réfléchir à son tour, je me remémore les dernières images que j'ai vu de lui à l'écran. Mon esprit s'échappe deux secondes pour réajuster mon maquillage dans le reflet de la fenêtre. Je suis irrécupérable, je le sais. Ce n'est pas nouveau.

Je n’en avais rien à foutre. De ce que pouvait bien penser Anja. Je ne l’écoutais que d’une oreille sans vraiment prêter attention à ce qu’elle avait à dire. Je préférais observer le vas et viens des passants en contrebas, inconscient de mon regard sur eux. Je n’avais pas envie de l’écouter. J’aurais préférais être ailleurs. J’aurais préféré être partout plutôt qu’en sa compagnie. Ses blabla me donnaient mal à la tête, sa voix de petite fille me donnait envie de lui arracher les cordes vocales. Je levais les yeux au ciel à son ton presque moralisateur. Oh grande Anja défenderesse des causes perdues, fais moi part de ta sagesse légendaire, instruis moi de tes lumières sur la vie. J’en rêve, presque autant que de me prendre un train en pleine face.

Ce qu’il fallait à Lucas dans l’arène ? De la jugeote pour commencer, mais malheureusement ceux qui n’en sont pas dotés à la naissance ont peu de chances de l’acquérir par la suite.

« Il lui faut une arme. »

Oui, il lui fallait une arme. Quelque chose qui lui permetrais au moins de se défendre. Oh bien sûr pour quelqu’un comme Lucas une hache était totalement hors de question. Pas sûre qu’il arrive même à la soulever. Il n’était pas du genre offensif, pas le genre à prendre une épée pour couper dans chair. Il n’était pas non plus le genre à faire couler le sang. Au fond, Lucas n’était pas un tueur. Pas plus que ne l’étaient les 23 autres tributs rentrés dans l’arène avec lui. Mais il fallait qu’il le devienne. Et une fois cette ligne franchit, il n’y avait plus de retours en arrière possible. Le sang a beau partir à force de frotter, il y a des traces indélébiles que le temps lui-même ne peut pas effacer. J’observais mes mains inconsciemment, presque surprise des les trouver immaculées. La plupart des blessures ne sont pas des blessures physiques. Tant bien même que nous arrivions à faire sortir Lucas de cette arène, qu’est-ce qu’il en resterait après avoir subi ce qu’il aurait subit ? Je savais qu’Anja n’en était pas sortie indemne, et malgré nos différends je savais que c’était un lien qui nous unissait. Un lien partagé entre tous les gagnants, cette ombre dans un sourire, ce voile dans les yeux, cette sensation indescriptible lorsque l’on observe quelqu’un et qu’on sait sans vraiment savoir comment que quelque chose s’est brisé. Certains s’en sortent mieux que d’autres, d’autres passent leurs temps à réfléchir à la meilleure façon de se faire sauter le caisson. Je ne voulais pas réfléchir à quelle catégorie j’appartenais. Je me détachais de la barrière sur laquelle j’étais accoudée depuis de longues minutes et me tournait finalement vers Anja.

« Une arme, pas forcément quelque chose de létal, juste quelque chose qui lui permettrais de survivre un peu plus longtemps. Je vais contacter le district pour avoir des infos sur ce qui pourrait convenir et essayer de voir s’ils veulent envoyer quelque chose. Va faire ton numéro de charme aux sponsors si tu penses que ton pouvoir de persuasion sans limites te permettra d’obtenir quelque chose. Ne pleure pas si ça ne marche pas, tu auras essayé. On vieillit tous après tout, même toi. »

Je pris pour toi très chère Anja pour que l’arthrose ne t’empêche jamais d’ouvrir les cuisses. J’espère mourir avant qu’elle m’empêche d’ouvrir les miennes. Un sourire aussi hypocrite que possible plus tard, je m’éloignais rapidement de la fenêtre. Je n’avais qu’une hâte, que notre petite rencontre se finisse et que je puisse continuer à maudire Anja et ses descendants sur quinze générations sans actuellement avoir son visage en face du mien.

« Je te contacte dès que j’ai du nouveau. »

Puisses-tu avoir péri dans un feu d’ici là. En espérant te revoir le cinq de jamais. Je m’éloignais sans me retourner. Rester en sa compagnie une seconde de plus n’était pas bon pour nerfs et certainement pas bon pour son maquillage. Il fallait que je contacte le district, rapidement. Parce que même si Lucas ne venez pas à survivre, Anja avait raison sur une chose. Nous devions essayer. Au moins, essayer.