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Il fallait que ça sorte. » Elle était restée assise là des heures. La Moisson était finie depuis longtemps maintenant. C'était terminé, Sagitta et Aloysius devaient déjà être dans le train. Dolce avait réussi à se calmer, son pouls était à nouveau normal. Et elle s'en voulait de ne pas avoir adressé à Sagitta des mots plus tendres, réconfortants. Elle l'avait quittée en lui faisant des reproches, alors qu'il y avait 23 chances sur 24 que Sagitta ne revienne pas, que ces paroles soient les dernières qu'elle lui ait glissées. Elle s'en voulait. Elle s'en voulait de ne pas s'être portée volontaire à temps, comme elle était censée le faire. Elle se rappelait la promesse qu'elle avait faite à Jessie. Celle de veiller sur sa sœur. Elle n'avait pas pu la protéger. Si il avait été en vie, elle était certaine qu'il lui aurait fait payer sa trahison. Mais il est mort. Elle ne serait même pas étonnée de le voir revenir pour régler ses comptes... Au point où elle en était, on pouvait s'attendre à tout. Elle se hissa avec difficulté sur ses deux jambes et sortit de la cabine. L'odeur désagréable de ses vomissements régnait dans les toilettes. Elle avança jusqu'à la glace et fixa son reflet. Elle essuya les restes de larmes et arrangea son expression. En sortant de cette pièce, elle serait à nouveau la Dolce que tout le monde connaissait. Une expression défiante sur le visage, des traits durs, menaçants. La tête haute. Voilà, c'était ça. Elle remit ses cheveux en place, arrangea la position de son t-shirt pour cacher les bleus, et elle sortit.
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Les journées s'étaient suivies depuis la Moisson, depuis le départ de Sagitta. Dolce évitait la plupart des gens, surtout ceux qu'elle avait l'habitude de fréquenter. Elle n'avait pas envie de voir ses amis, elle n'avait envie de rien. Pas même de sortir du district pour aller faire des conneries. Elle restait chez elle à tourner en rond, à se remémorer ce qu'elle aurait mieux fait d'oublier. A s'imaginer comment les choses seraient si elle s'était avancée vers l'estrade avant Sagitta. Elle était stupide de penser à ça, ça frôlait sérieusement le masochisme. Elle restait seule toute la journée, pendant que ses parents travaillaient, obsédée par ses erreurs. Quelques mois plus tôt encore, elle était si confiante, si sûre d'elle, convaincue que tout ce qu'elle faisait était bien, que c'était le mieux. Qu'elle était supérieure et plus forte, que peu importe les conneries, elle s'en sortait. Toujours. Et elle se retrouvait à cyniquement approuver ces pensées, en ajoutant à la suite qu'elle avait cependant un don pour condamner ses proches. La fille dont on avait prédit une mort proche... C'était celle qui finirait par enterrer tous ceux qu'elle aimait.
Elle s'était assise devant sa télé, seule, pour regarder la retransmission du défilé des tributs. Elle aurait pu coller des post-it sur le front de chacun d'entre eux. Pétasse, pétasse, pétasse, canon, sex-symbol, pétasse, pétasse, choucroute, débile, pétasse, mini-pénis, pétasse, choucroute, canon,... Deux d'entre eux, elle se disait qu'ils n'iraient pas loin. Trop de cheveux... Il y avait certaines filles dans le tas -pas de districts favorisés- qui avaient des airs de gagnantes. Il y avait Sagitta, qui semblait forte -et elle l'était- et conquérante. A ses côtés, Aloysius, qui avait plutôt l'air d'un chiot égaré, mais qui tentait de le cacher. Il y avait la rousse super chaude du 09 et son débile que Dolce trouvait assez fascinant. Il y avait le mec du 02, Titus, que Dolce aurait bien invité chez elle un soir ou plusieurs, s'il n'avait pas été destiné à crever. La vie est injuste. Espérons qu'il fasse un petit bout de chemin, puis qu'il se fasse bouffer pour laisser la place à Chase sur le podium. Il y avait la rousse du 01 aussi... Dolce aurait pu l'embrocher celle-là. Il y avait tous ces tributs qui semblaient gentils, mais qui ne sortaient pas vraiment du lot, et auxquels Dolce ne donnait pas longtemps. Puis il y a le district 11. La fille, elle aurait pu être l'une des favorites de Dolce si Sagitta n'avait pas été parmi les tributs. Elle avait un air de gagnante. Mais aussi un air de garce, ce qui équilibrait et donnait à Dolce l'envie d'enfoncer son poing dans l'écran. Quant à l'autre. Le garçon, Ezea. Particulièrement sexy. Un blond, avec un air de Porcinet, lorsqu'il est de profil. Lui aussi, Dolce l'aurait accueilli avec plaisir. Elle aurait aussi accueilli autre chose qui le concernait... Avec grand plaisir. Ils se seraient bien amusés, tous les trois, Dolce, Titus et Ezea.
Elle chassa ces quelques pensées perverses bien que réjouissantes de son esprit. Sagitta, c'était elle qui devait gagner. Sans vraiment réfléchir, elle avait sorti un calepin et noté ce qu'il y avait à noter sur les tributs, en particuliers ceux dont il fallait se méfier. Sagitta était intelligente, elle allait avoir un raisonnement semblable. Se méfier de tous, surtout de ses alliés. Ne pas trop se fier aux notes. Ce n'est pas parce que les Carrières n'ont pas obtenu les meilleures qu'ils ne sont pas les plus dangereux.
Puis le jour du lancement arrive. La retransmission ne viendra pas avant le soir, ce qui signifie que Dolce devra attendre pour savoir qui reste en vie, et qui meurt. La Corne. Et si Chase mourait à la corne ? Non, il y a assez d'imbéciles dans cette éditions pour remplir les cercueils de la Corne d'Abondance. Et si Sagitta était déjà morte ? C'était horrible. Dolce avait l'impression de se retrouver un an plus tôt, lorsque Jessie était parti pour le Capitol. Sauf que cette fois, elle se sentait responsable. Jessie... Parfois elle repensait à lui. Souvent même. Il avait tout de même été un ami, un très bon ami. Et pour une personne comme Dolce, le mot ami signifiait beaucoup. Il lui manquait. Lui et ses parties intimes. C'était triste d'avoir à dire adieu à de si belles choses... Mais Jessie en lui-même lui manquait. C'était stupide parce qu'elle n'était pas du genre à s'attacher de trop aux personnes, et elle avait surmonté sa mort facilement et rapidement. Mais il lui manquait. Parfois, elle se disait qu'elle pourrait aller sonner à sa porte pour l'emmerder avant de se souvenir qu'il n'était plus là. Quelle belle idiote elle faisait parfois.
La journée passa plus vite que ce qu'elle aurait pensé. Dolce avait occupé sa journée à réparer ce qu'il y avait à réparer dans la maison, à fouiller le grenier à le recherche de conneries, à manger. Rien de bien passionnant pour une fille comme elle... Il devait être 17h lorsqu'elle s'installa sur le canapé et alluma une cigarette en fixant le plafond. Ses parents avaient prévu de passer la nuit à la boutique, s'imaginant que le fait qu'ils aient un inventaire à faire et qu'ils finissent tard soit une excuse, étant donné qu'ils ne voudraient pas faire de bruit en plein milieu de la nuit, alors que Dolce dormirait sagement comme une gamine de 12 ans. Dolce allait profiter de cette nuit, pour s'occuper à sa manière. Elle aurait pu aller voir Elliam, ou se trouver un de ses "amis" habituels... Comme ce mec, Hugo, qui était toujours partant lorsqu'il s'agissait de se mettre à poil. Et il avait de quoi satisfaire... Dolce se sentait très fière de sa capacité à rendre utile n'importe quel imbécile avec quelques capacités. Mais bon, le fait était qu'elle n'avait envie de voir personne. La seule personne qu'elle aurait voulu voir... C'était Sagitta. Pas dans un contexte sexuel bien sûr -quoi que cela aurait pu être envisageable, et très intéressant- mais la savoir dans le district 04 lui aurait remonté le moral. Elle n'était couchée là, sur le dos, à imaginer des étoiles au plafond, que depuis une dizaine de minutes lorsqu'on toqua à la porte. La sonnette était malheureusement hors d'usage, déglinguée et complètement sortie de son boitier par une Dolce énervée qui rentrait d'une escapade quelques semaines plus tôt. Personne n'avait encore pris le temps de la réparer. Les coups sur le bois de la porte sont forts, nombreux. Une drôle de pensée traverse alors l'esprit de Dolce. C'est étrange, ça la fait même sourire. C'est un truc de Chase ça. Il n'y avait que Jessie qui frappait aussi fort, une quinzaine de fois sans s'arrêter, au lieu d'utiliser cette pauvre sonnette. Puis, lorsqu'il ne fut plus là, ce fut Sagitta qui prit le relai, qui prit le rôle de la personne venue pour défoncer votre porte. Mais c'était stupide. Jessie était mort, Sagitta était dans l'arène. Quant à Papa Chase, il n'en avait rien à foutre de Dolce. Elle eut un rire nerveux en se dirigeant vers la porte, s'apprêtant déjà à gueuler sur celui ou celle qui la dérangeait. Elle posa la main sur la poignée et ouvrit la porte violemment, à tel point qu'on se demande comment le pauvre panneau de bois tient-il encore dans ses gonds.