Apple-Blue & ?

Et encore une dispute! Je ne savais même pas pourquoi cela m'étonnait encore. Mes frères méritaient tous la palme des plus gros crétins que la Terre n'ait jamais porté - et pourtant, on en trouve facilement à tous les coins de rue, mais eux, c'était à se demander s'ils n'avaient pas suivi une formation pour cela. Elles étaient devenues de plus en plus fréquentes après la moisson, allez savoir pourquoi ! Je ne dis pas que l'on aurait du vivre heureux et en parfaite harmonie après que deux de nos proches aient été envoyés dans ces jeux stupides - mais se monter tous les uns contre les autres au sein d'une même famille, je ne comprends pas à quoi cela peut bien servir. Mon père m'accuse souvent d'être beaucoup trop optimiste en utilisant ce vieux dicton à présent, mais dans mon cas, oui, "l'union fait la force". C'est bien parce que les membres principaux de ma famille n'ont jamais été touchés de près ou de loin par les Jeux que j'ai su en tirer cette force de combattante, cette carapace de fille qui n'a peur de rien et qui est prête à se battre jusqu'au bout. A peine cette moisson terminée, la question de la prochaine était dans la bouche de pas mal de monde au District, et ma famille n’avait bien sûr pas dérogé à la règle – l’atmosphère était électrique. Ma mère elle, préférait ne pas prendre parti et souffrir en silence de sa propre erreur d’avoir fait autant d’enfants, pour en avoir le plus possible auprès d’elle. Elle s’était trop tard rendue compte que c’est en agissant ainsi qu’au contraire, elle avait multiplié le nombre de chances de voir l’un d’entre eux, ou même plusieurs, se faire tuer durant ses jeux barbares. Si je m’étais toujours autant entrainée d’une manière aussi assidue, c’est parce que depuis toute petite, cette même phrase revenait en moi, à chaque passage du Capitole : «Si on appelle quelqu’un de ta famille, c’est toi qui te présentera. C’est toi qui seras volontaire. Et tu feras tout ce que tu peux pour les rendre fiers.» Et rien ni personne ne pourra me la sortir de l’esprit. Personne ne fera de mal à ma famille. Je ne pense pas que deux membres d’une même famille puissent être appelés, n’est-ce pas… ? N’est-ce pas ? Ce n’est pas comme si l’on ne devait compter que sur le sadisme du Capitole lors de chaque moisson, le hasard a son rôle à jouer lui aussi. Quoi que, les voir tricher ne m’étonnerait pas le moins du monde, mais rien n’a jamais été prouvé jusqu’alors. Bref. Cette dispute, c’était justement à cause de Green, le frère qui arrivait pile poil au beau milieu des enfants Whitelaw. Il avait hérité de mon entêtement et de la bêtise de notre mère, alors imaginez plutôt les débats musclés à la maison lorsqu’il assurait, totalement confiant que «celui qui devrait protéger la famille n’était pas une femme, mais un homme, un vrai». Bien sûr, et est-ce que les mots ‘majorité’ et ‘misogyne’ ont déjà effleuré son esprit, ou bien est-ce deux mots totalement exclus de son esprit désespérément fermé ?

Me rappeler sans cesse que je ressemblais à ma grande-tante autrefois morte durant les Jeux avait influencé mon comportement, et je ne le niais pas. Devant la mauvaise ambiance qui semblait ne pas vouloir quitter les murs de notre petite demeure, je sortis rapidement, histoire de m’aérer l’esprit. Mais je ne trainais pas des pieds et n’avais même pas pris la peine de claquer la porte pour prouver à tout le monde que j’étais parti sous la colère, car je savais encore prendre mes décisions la tête haute, dans la dignité, et sans être obligée de remuer le couteau dans la plaie en montrant par des démonstrations exagérées ce que je pouvais bien ressentir. Puis si je l’avais fait, tout aurait empiré une fois rentrée, de toute façon. Et il valait mieux que tout le monde se calme à sa façon, même si cela impliquait que c’est moi qui devais sortir de la maison. Paradoxalement, plus il y avait de conflits, plus je parvenais à les gérer au mieux. Marchant, perdue dans mes pensées mais pas totalement ailleurs pour autant, je me rendis lentement mais sûrement jusqu’aux grands lacs du District. Je savais que le calme de l’eau apaiserait, loin des entrainements, des flèches ou des combats. Je supportais de moins en moins cette situation, tant j’avais l’impression que tout nous était dicté : ce qu’on devait faire, où et comment, pourquoi, ou même, ce qui nous était interdit de ressentir. Nous n’étions plus que des vulgaires pantins ; et nous, nous devions nous devions nous réjouir parce que nous habitions dans un District ‘pas trop mal’…Tu parles, jusqu’à quand encore ? Je ne compte plus le nombre de fois où j’avais pensé rejoindre le 12, mais j’ai toujours vite abandonné cette idée : avec qui ? Comment ? Ils ne semblaient pas vraiment plus fiables que le capitole, j’avais l’impression qu’on était tous faits comme des souris maintenant, puis, provoquer le Capitole pour que les massacres soient encore plus grands en réponse, non merci. Poussant un long soupir, je m’allongeais dans l’herbe courte et fixais le ciel avant de fermer lentement les yeux, bercée par le bruit du courant de l’eau, le ventre noué.