On veut croire aux révoltes des dieux, et de Satan quand il se fait passer pour l'un d'eux.
J'avais attendu là. Fantôme. Toute la nuit.
J'avais fui la fête folle et furieuse.
Et j'avais fini par m'endormir.
Quand je me suis réveillé. Il faisait noir. Noir et froid. Et j'avais peur. Vraiment trop. Une peur qui me tue. Comme la petite mort. Une peur qui écrase mon cœur. Sous un amas de gravats laissé à l'abandon. Là. Juste là. Oui. Un mur vient de s'effondrer. Une roche. Une falaise. Ils viennent. Ils viennent pour m'ensevelir. Me fouailler. À tout jamais. Comme si je n'avais jamais été là. Comme si je n'avais jamais existé. Comme si je n'avais été que de passage. Comme si en réalité je n'étais plus rien. Rien d'autre qu'un spectre grandissant. Un spectre gavé d'ambroisie. Un spectre embastillé dans le monde des mortels. Oublié des dieux depuis l'éternel. Et des puissants. Un spectre vivant. Qui subit le même sort que son frère mort. Son frère qu'il a tué. Son jumeau. Son siamois. Son sang.
Mais qui a-t-il de réel ?
Qui a-t-il de faux ?
Quand un monde enchanteur nous berce d'illusions allègres. Un jeu maudit. Qui ne vaut pas même une chandelle. L'effet pervers d'une vie absolutiste. La démence qui s'empiffre goulûment dans mes veines.
Je reste médusé. Blotti dans l'obscurité taciturne. Qui fait désormais partie intégrante de mon âme corrompue. Je les avais vus à la télé. Pendant la moisson. J'avais pleuré. Je m'étais arraché les tripes. À me demander. Seriner. Et si tout ça était vain. Si je m'infligeais un pensum insupportable. Un châtiment barbare. Pour rien. Ma cause. Redorer mon image. Une cause oiseuse. Qui ne saura au mieux que me plonger au plus profond. Dans les méandres de la folie surhumaine. Dans un dédale sans retour.
Eurydice. Une mignonnette au teint de carrare. À la chevelure d'ange. Oui. Un ange déchu. Andro. Sa peau d'ébène. Son regard perdu dans le lointain. Ravalant les sanglots de l'acmé qui se dessine à son horizon. Qui se dresse comme un roc. Un aigle. L'aigle de Panem.
Deux gosses égarés.
Deux gosses oubliés.
Deux gosses condamnés.
Oui. Ma mère m'avait prévenu. Ici. Beaucoup d'appelés. Mais peu de vainqueurs. Tel est le jeu. Et on ne tergiverse jamais avec les règles. Car en amont de cet échiquier. Nous ne sommes tous que des pions. Et même le roi peut s'écrouler. Sinon nuire à jamais.
Échec et mat.Et puis, une annonce. Le train était arrivé au Capitole. Ils allaient débarquer. Alors. Je me suis évadé de ce fauteuil. Négligé. À peine éclairé des luminescences de l'écran. De l'étendard flottant de Panem. Et je suis parti me réfugier. Sauver le peu d'être qu'il me reste. Le côté sain du Bloom que je suis. Qui n'a par enchantement pas encore été contaminé. Par cette peste qui me ronge incessamment.
Enfin. Au bout de deux heures. Je décide de sortir. Sortir de l'abysse des enfers. Me délivrer du feu ardent qui m'asphyxie de son opaque fumée. J'ouvre la porte de la chambre. Discret. Clandestin. Presque timide. Mais c'est ma place ici. Pour une fois je dois être quelque part. Et ne pas traîner. Dans les bas-fonds d'une capitale enfiévrante. Qui ne dort jamais. J'avance. Dans un couloir sombre. Bordée de placards. Je me souviens. C'est là que je me suis caché. La première fois que j'ai pris le train. Pour le Sept. Là où j'étais resté. Lové. Pour ne pas avoir à affronter ces démons vicieux qui m'embaument. Pour ne pas avoir à affronter Ethan. Un vainqueur. Un meurtrier. J'arrive au bout de l'allée. J'hésite encore. J'ai une mine effroyable. Un corps tressaillant. Voilé simplement d'une couverture qui s'enroule tout autour de moi. Serpentant ma dépouille nue, grêle et fade. Quand la porte disparaît. Je me retrouve dans le wagon restaurant. L'hôtesse est là. Mes narines frémissent sous son parfum oriental. Que je hume d'ici. Je suis fait comme un rat. Je l'abats du regard. Me cantonne à mon mutisme d'or. Et puis. J'abaisse mes prunelles ténébreuses. Je longe le mur. En le caressant du bout de mes doigts grelottants. Je viens prendre un verre. Prendre un verre. Rien qu'un verre. Après. Je pourrai repartir. Replonger. Dans l'antre de la névrose. Sans ne croiser personne. Sinon peut-être Ethan. Ça ne m'aurait pas vraiment dérangé. Il est devenu un maître d'arme pour moi.
Non. Je ne suis pas prêt à affronter d'autres spectres.
Deux autres âmes vivantes et pourtant trépassées. Depuis que leur nom est sorti de cette boule de verre. Depuis que leur nom a franchi les lèvres de l'hôtesse. Pour prouver la véracité du moment.
Échec et mat.HRP.