Partir. Ou rester. C'était la question dans tous les esprits au district treize actuellement, celle que chaque habitant des souterrains, chaque réfugié, avait pris le temps de se poser sans que pour autant la réponse ne soit limpide ou immédiate. Pour Raven elle l'était. Il resterait au district treize, contre vents et marées. C'était un crève-coeur pour lui de raisonner ainsi parce qu'il se souvenait encore avec limpidité de l'époque - pas si lointaine - où la révolte s'était amorcée et où il avait rejoint le district sept en songeant qu'un jour, peut-être, il pourrait y construire une famille. Ce district sept où avait naquit sa mère, mais aussi Miléna, ce district sept où l'enfant qu'elle portait alors pourrait grandir. Mais la donne avait changé, les circonstances aussi, et cet extérieur qu'il aurait tellement voulu pouvoir montrer à sa fille un jour, désormais il souhaitait l'en protéger à tout prix.
Après les annonces successives décidées par l'état-major et destinées à donner un semblant de cadre à la débâcle actuelle, il avait été demandé à chacun de retourner vaquer à ses occupations, celles-là même qui les occupaient avant que l'exécution de la Présidente Coin n'ait l'effet d'une bombe. Le père de Raven avait eu le bon sens de ne pas questionner son fils à propos de Julian, sans doute parce qu'il savait que le soldat faisait tout ce qui était en son pouvoir actuellement pour tenter de sortir le dernier membre de leur famille de cette situation, et pour cela Raven lui en était reconnaissant. Après avoir échangé quelques mots avec lui et déposé Megara à la crèche, le soldat avait d'ailleurs directement repris le chemin de la zone de commandement, croisant Reed juste assez longtemps pour l'informer d'une réunion avec le reste de l'unité en début de soirée en le chargeant de faire passer le mot aux autres. Et seulement après avoir passé la porte de son bureau et refermé derrière lui s'était-il autorisé à relâcher la bride, dos rond et main que l'on passait fébrilement son visage tant par fatigue que par lassitude. Tout cela pourtant il ne se l'était autorisé que quelques secondes seulement, avant de reprendre ses esprits et de ravaler tout ce qui serait suceptible de nuire à son efficacité et sa productivité.
Sur son bureau s'étalaient en grand les plans de tout le maillage souterrain du Capitole, des plans maintes et maintes fois modifiés au gré des expéditions de reconnaissances du district treize sur place et des témoignages de ceux qui avaient pu s'y rendre, fussent-ils rebelles, prisonniers, voir les deux à la fois. La mission de sauvetage de Clay par exemple, bien qu'elle ait valu à Raven plusieurs semaines d'interdiction de terrain, avait permis de mettre en lumière la possibilité par les souterrains de relier les cellules des prisonniers au quartier hospitalier. À toutes ces informations précédemment récoltées Raven avait rajouté des dizaines de notes, de post-it, de punaises, les bleues indiquant les points d'accès stratégiques et les rouges les zones où Julian était le plus suceptible d'être retenu. C'était sans espoir, auraient dit certains, et Raven lui-même aurait argué dans ce sens s'il ne s'était pas agi de son cousin. Mais il s'agissait
justement de son cousin, sans compter qu'il s'agissait également du visage de la rébellion dans le reste de Panem. Un symbole, un leader dont Raven ne doutait pas qu'au treize comme ailleurs il trouverait d'autres gens prêts à sacrifier leur vie pour tenter d'épargner celle de Julian.
Tout à sa concentration il avait laissé passer quelques heures avant que des coups frappés à sa porte ne lui fassent relever la tête et daigner accorder un peu d'importance à ce qui se passait autour de lui.
« Entrez. » avait-il alors lancé suffisamment fort pour être entendu, sans prendre la peine de tenter de camoufler ce qu'il était en train de faire. Que ce soit avec approbation ou non aucun soldat du treize n'ignorait les liens familiaux qui le liait à Julian ni l'éventualité que Raven puisse vouloir tenter quelque chose. Et Coin n'était plus là pour le lui interdire, désormais.
« Major. » Dans l'encablure de la porte Alessia Wickham. Qui malgré les derniers événements n'avait rien perdu de sa superbe, semble-t-il, ni du regard accusateur ou réprobateur, selon les cas, qu'elle avait l'habitude de lui adresser.
« Que me vaut ce plaisir ? » Bien que d'apparence impassible, la formulation de sa phrase laissait poindre le brin de provocation dont il faisait toujours état avec elle. Provocation aussi que de la désigner par son grade uniquement dans le simple but de lui rappeler que peu importe ce qu'elle s'apprêtait à dire, il restait le plus gradé des deux. Même aujourd'hui, alors que tout au district treize semblait menacer de s'effondrer. Surtout aujourdhui.