la moisson — réaction

Someday somebody gonna hurt you. Someday somebody gonna make you cry. Heidi Feek.

Aujourd'hui. Aujourd'hui, les tributs sont choisis. Et aujourd'hui. Aujourd'hui je vais découvrir la tête des deux gosses qui vont mourir pour le Sept. La tête des deux mômes que je vais prendre sous ma tutelle. Que je décevrai certainement. En venant au Capitole pour crever. Est-ce qu'ils pensent un seul instant à y trouver un taré ? Un styliste qui ne sait même coudre. Qui ne sait même pas esquisser quelques traits de crayons. Pas sans perdre une main. Un bras. Un styliste qui n'en est pas un.
J'avais déjà pensé à demander à d'autres stylistes. D'autres. Au Capitole. Mais ma mère me l'a uniment interdit. Et elle a descendu deux gros livres. Sur l'histoire de Panem. Sur l'histoire du monde, aussi. Dès qu'elle est repartie. Je les ai balancés dans un coin. Sans même chercher à les ouvrir. Et encore moins les feuilleter. Parce que je préfère continuer à m'enfoncer dans ma perdition. Creuser ma propre tombe. Jour après jour. Pelle après pelle. Plutôt que de chercher la moindre solution. Parce que je suis chétif. Médiocre. Que je le pense véritablement. Et que la société me le fait bien comprendre.

Je suis descendu à mon atelier. Et comme toujours. Perpétuel. Je me suis plongé dans le noir. Le noir le plus total. Le plus ténébreux. Le plus morbide. Là. Près de mon bureau. L'écran est installé sur le mur. Le fanion de Panem y flotte. Paisible. En oubliant presque qu'il va sélectionner 24 potentiels cadavres. L'aigle royal se gausse déjà des victimes qu'il fait chaque année.
Et puis. Ça commence.
Les districts. Dans l'ordre. Les six premiers. Dont je n'ai cure. Et le Sept.
Une jolie blonde. Une jolie blonde au nom d'Eurydice. Une jolie blonde qui sera bientôt morte. Oui, ma mère me l'a dit. Au Sept, aucune chance que les tributs gagnent. Ils ne sont pas des carrières. Ce qui me réjouit là-dedans. C'est qu'après les jeux, on aura plus besoin de moi pendant un an. Jusqu'aux prochains jeux. Pas de retour. Pas de victoire. Pas de tournée du vainqueur. Pas de vainqueur à vêtir pour l'éternité. J'en ai déjà bien assez d'Ethan. Ce qui me tue. M'écorche vif. C'est de m'ébaudir de la mort d'une gamine. D'une innocente. Son seul péché a sûrement été de naître dans un district. Et même pas le Un ou le Deux.
Je me redresse. Envoie valser d'un coup de bras mes papier chiffonnés. Sur le bureau. Toutes mes esquisses. Qui n'ont menées à rien. Rien. Parce que de toute façon. Je ne suis rien. Je tombe à genoux sur le sol carrelé.
Alors mon regard pleurant se lève à nouveau vers l'écran. Au moment du récapitulatif. Et je revois le visage de cette Eurydice. Je vois sa crinière flavescente. Je vois son corps. Sa silhouette. Mais rien. Rien ne me vient. Et je replonge mes prunelles humides dans les lignes du carrelage. Glaciale. Assassin. Désormais le temps est compté. Il faut que je trouve une solution. Incapable de me relever. Je rampe. Je rampe jusque ce coin. Plus sombre que tous les autres. Et mes doigts carnassiers tâtent le sol. Jusqu'à mettre la main sur ces livres. Les deux livres de ma mère. Je reste là. Stupide. À les contempler. Je pleure encore un peu. Je jappe encore un peu. Puis je sèche mes larmes urticantes. Et ouvre le premier livre. Du bout des doigts. Douteux. Douteux que ça puisse m'aider. Douteux comme quand il s'agit de mettre l'efficacité de ma psychothérapie à rude épreuve.
Mais Eurydice aura une tenue. Pour le défilé. Je me le jure. Ce sera son dernier cadeau. Avant sa mort.

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