prismatosIl a les yeux qui lui font mal. En vérité, Lester plisse le regard constamment. Que ce soit devant la lumière et les ténèbres, il ne sait plus comment distinguer clairement au travers du blanc et du noir. La vérité est opaque, terriblement dure et froide à la fois.
Lorsqu'il est confronté à l'aspect immaculé de son lieu d'origine, le district un, Lester empêche les éclats des bijoux de lui brûler la rétine. Il y a des vagues de bracelets qui s'écoulent à ses pieds, des parures dorées jamais portées, des bagues abandonnées. Dans les coins, il y a les diamants aux milles facettes qui, une fois caressées par les rayons du soleil, brillent tour à tour, tantôt éblouissant, tantôt aveuglant. Lester sait que parfois, le soleil lui même joue les fourbes et les nargue sans les toucher : certaines facettes sont alors vouées à être avalées par les ténèbres.
Dans la pénombre non plus, il n'y voit alors pas plus clair. Lui-même était fait pour briller. Mais Lester n'est pas un diamant : c'est un simple prisme. Taillé pour refléter à son tour, por renvoyer la lumière brillante de la puissance de Panem, pour en disperser sa magnificence. Petit pion capitoliste, il en était transpercé. Désormais, il a réussi à déjouer les ficelles de cette monstrueuse logistique, et le faux diamant qu'il est s'en est retourné à sa caverne.

Sa caverne, son antre de paix, c'est ce qu'il fait dans le dos de tous ces diamants factices, roucoulant au soleil. Lester Pritchard se détache alors de la lumière tranchante de la politique de Panem pour se laisser lentement aspirer par le vent frais de rébellion qui vient s'infiltrer jusqu'à lui. Cette brise fait peur, elle inquiète ou donne de l'espoir, c'est selon. Dans son cas, il ne tremblera que par la pression qu'elle déleste sur ses épaules, sans vouloir pour autant s'en décharger. Il ne peut plus, en vérité : car Lester est désormais chef de l'armée de ceux qui agissent ici, dans l'ombre du soleil du district un, de ceux qui croient encore. Il dégaine alors ses dons de dirigeant et de combattant, et vite oublié la délicatesse que requière humblement la joailleirie, la jolie apparence. Il ne fut et n'est de toute manière dans l'entreprise de la famille qu'à la tête du département de commercialisation des produits. Que ce soit ici ou dans les bas fonds du sol d'un district détruit que ses pieds n'ont jamais foulé, on marmonne parfois qu'il n'est pas prêt, que ses épaules ne sont pas faites pour tout ça. Sa bonne humeur est traduite maladroitement en un manque d'expérience, sa tolérance ? pour de la naïveté. On chuchote aussi qu'on devrait le réassigner à son ancienne affectation de formateur de jeunes recrues, et de l'y laisser. Mais ce qu'ils ignorent peut-être, c'est que cet homme de trente-trois ans est avide de faire ses preuves. Ses origines de riche capitolin se retranscrivent dans son perffectionnisme, constante mise à l'épreuve de son propre lui. Pritchard va toujours plus loin, motivé par la détermination et la confiance qu'il a en ses troupes presque aveugle. Car ce n'est pas en eux qu'il doute : les seules racines d'hésitation qui subsistent s'enroulent autour de ses pieds à lui, et souvent, il dépose tout sur sa tête un rideau de nervosité teinté d'auto-dépréciation.

Laissez lui sa chance, diront d'autres. Oubliez sa provenance, croyez en ses décisions et balayez vos méfiances. Mettez de côté la prétention dont il s'habille une fois replongé dans la mécanique de Panem. Replacez dans vos esprits le véritable sourire qu'il offre à ses recrues, et riez de l'étirement de lèvres factices qu'il offre à ceux de là-haut. Lester n'oeuvre que pour le vrai, pour la justice : et au feu alors, les abus et la cruauté capitoline.