Main dans la main avec Ash. Un rêve qui ne deviendra jamais réalité, parce qu’elle n’a pas de corps physique. Une raison assez valable, mais qui ne semblera jamais me rentrer véritablement dans la tête. Vika et moi, quand elle était encore en vie, nous ne nous séparions jamais. Nous étions toujours reliées. Je faisais partie d’elle et elle faisait partie de moi. Juste à y penser, j’ai mal au cœur. Ça me donne envie de dégobiller. Mais je me retiens, j’ai Ashtale-Carré à qui je peux tout confier. Je lui tends la main, dans le vide, les yeux fermés et m’imaginant gambader dans une prairie verdoyante. Avec des poissons volants. Je ne porte que ma robe de nuit, je ne l’ai pas enlevée en me levant. Elle me colle sur le corps, la chaleur est étouffante. Deux boucles d’oreilles en hameçon cliquetant à chacun de mes bonds. J’ouvre les yeux et le Soleil du district quatre m’aveugle. Je suis à deux pouces de foncer dans un arbre et je soupire. J’ai beau être folle et le savoir, j’ai pas envie de m’écraser la figure contre un arbre. Et là, coïncidence, ce serait un pommier et je mourrais enfouie sous les fruits. Incongru. Je souris à rien ni personne. « C’est passé proche, hein? Ash? » J’éclate de rire avant de me laisser tomber sur le derrière, dans la terre battue, salissant ma robe de nuit ivoire. C’est dans une camisole de force que tout le monde ici croit que je devrais me balader. Mais je reste quand même un moyen de divertissement.

« Tu l’as dit, mais tu vois qui est là? » qu’Ash me répond, d’un ton légèrement étonné. Non, je ne vois pas. Il n’y a personne ici, je regarde derrière moi, mais je me demande comment Ashtale-carré aurait bien pu voir derrière nous, comme elle voit la même chose que moi. « Je vois rien » Je hausse les sourcils, adossée au tronc d’arbre où j’ai failli m’écraser. Mon dos me gratte et je commence à m’agiter contre l’écorce, même si ça doit paraître assez étrange, vu de l’extérieur. « Idiote, derrière toi! » Je me retourne brusquement à son commentaire et me cogne l’arcade sourcilière contre le tronc. Thyäm. Il doit bien m’avoir remarquée, enfin, nous avoir remarquées. Parce qu’il est un des seuls qui arrive à comprendre que je ne suis pas seule dans ce corps, que je le partage avec Ash depuis que Vika m’a abandonnée. Je lui souris bizarrement, mon expression tachée par la douleur du choc contre l’arbre. « Hey, ça faisait longtemps! » Que je lance, sans vraiment y penser. Longtemps? Deux jours, oui, pour mon c’est une éternité. Et ça fait depuis le big bang que Vika m’a quittée. Je me relève trop rapidement et des centaines de petits points noirs viennent embrouiller ma vision. Je prends la main de Thyäm, que je considère véritablement comme un ami, ce qui est assez rare pour moi, et force pour le relever. Du peu de force que je possède, ça ne fonctionne pas. Je hausse les épaules. « Tant pis, il est bien capable de se relever tout seul. » que Ash marmonne. J’agrippe une branche de l’arbre « fatidique » et me hisse dessus, en position paresseux. Puis, je me mets debout et recommence pour la branche plus haute, le regard rivé sur Thyäm. J’espère qu’il va me suivre, la cime d’un arbre, c’est toujours bien pour avoir de longues conversations. Je lui adresse un clin d’œil espiègle.

Je m’assois sur la troisième branche et ballotte des pieds dans le vide, sans même une once de frousse de tomber en bas. Je ne pense pas à ce genre de choses, c’est futile pour moi. Enfin, si j’ai peur, mais je tente de ne pas y penser. De la pensée positive qu’on appelle. Après tout, il pourrait exister un monde où on vivrait dans les arbres et qu’on marcherait sur les branches comme des funambules. Je remaruqe que je ne me susi même pas demandée ce qu’il faisait là Titiäm adossé contre un arbre dans la forêt. Je m'en fiche, mais je sais que je ne devrais pas. C’est immoral et Ashtale-Carré ne manque pas de me le rappeler.

Je regarde Thyäm grimper dans l’arbre avec de grands yeux étonnés. Il est doué. Moi qui ai toujours adoré grimper aux arbres. Peut-être qu’il a été un singe dans une autre vie. J’aimerais bien être un singe moi. Il y en a parfois dans les Hunger Games. Je le sais parce que mes parents voudraient que je sois normale et que j’écoute les jeux comme tout le monde. Mais c’est tellement facile de partir en promenade dans sa tête et de ne pas faire attention à tout ce qui se passe autour de soi. C’est comme s’envoler vers un autre monde, un monde où il y aurait des hippocampes volants, ou on pourrait respirer sous l’eau. D’ailleurs j’ai déjà essayé, et ça ne fonctionne pas. Ça fait horriblement mal. Je regarde Thyäm, perché une branche plus haut que nous et qui nous regarde. Je me plonge dans ses yeux de la couleur de l’océan, profonds et dans lesquels on pourrait presque essayer de respirer. « Tu le trouves pas mignon toi? » que Ash me demande, interrogatrice. Je penche la tête sur le côté, étudiant ses traits. « Ah bah, si, il est mignon, t’as raison » Mais les gars, ils ne s’intéressent pas à moi. Tout simplement peut-être parce que je ne m’intéresse pas à eux. Vika l’aurait fait, si elle avait été encore là avec moi. Elle m’aurait lancé le défi de celle qui grimpe le plus haut. Et elle aurait gagné par qu’elle était vraiment un ouistiti dans une autre vie. D’ailleurs peut-être qu’elle connaissait Thyäm. « Tu as l’air plutôt en forme, aujourd’hui ! » Je balance toujours les pieds dans le vide, comme une enfant se faisant pousser sur une balançoire. J’ai entendu la question de Thyäm et fronce un peu les sourcils. Je ne lui réponds pas. « Ashtale appelle la Terre! » Si je pouvais lancer un regard surpris à Ashtale-Carré, je le ferais, mais c’est impossible, à moins de regarder à l’intérieur de son propre corps. Je me demande ce que je verrais si je pouvais tourner mes yeux vers l,intérieur de mon corps. Mon cerveau peut-être, ou tout simplement l’obscurité. Et si j’avais la vision d’un chat. Je pourrais peut-être voir tout un tas de neurones qui s’envoient des courants comme s’ils jouaient au ‘’choc électrique ‘’.

« Qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans la vie ? » Du nouveau? Depuis deux jours, la marée a monté quatre fois et a descendu autant. J’ai pris une douche et j’ai mangé du poisson cru que mon corps n’a pas accepté. Les brochets ont pondus des œufs. Il y a probablement un habitant qui a cassé une assiette. Je souris distraitement en pensant à tout ce qui a pu se passer en deux jours dans le District quatre. « Est-ce que tes parents t’ont déjà dit qu’il ne fallait pas marcher sur les fissures dans le trottoir parce que tu peux te transformer en crapaud. Et bah j’ai un secret à te dire, c’est pas vrai du tout. J’ai déjà essayé et je suis encore moi. » Je lui souris de toutes mes dents et me lève sur la branche pour aller le rejoindre plus haut. Je lève une main dans les airs, pour aller toucher les nuages et pour en attraper un peu. Je me demande si ça goûte la barbe à papa.

« Je serais un crapaud depuis bien longtemps, car je préfère amplement marcher sur les lignes. » Il me parle comme si j’étais une enfant. Je ne suis plus une enfant. Pas depuis que j’ai regardé ma sœur de faire poignarder en direct à la télévision. À ce moment-là quelque chose en moi s’est brisé, quelque chose qu’on ne pourra plus jamais réparer. Une chose vitale qu’on appelle cœur. Et même si on tente de le recoller, il restera des fissures permanentes. Moi aussi je marche toujours sur les lignes. C’est peut-être pour ça qu’il m’est arrivé tout plein de choses. Et à Thyäm aussi. Je connais son histoire, et c’est triste, mais j’ai du mal à le saisir. Lui, il est resté normal. Enfin, je crois, parce que je ne peux pas lire dans les pensées, si je le pouvais, je saurais comment les gens se sentent et je pourrais m’ouvrir un genre de kiosque de voyante. J’aimerais bien être une voyante, ça serait joyeux, j’aurais au moins des raisons d’être folle. Je souris à cette idée. C’est un peu farfelu, comme moi. Si je n’ai rien à faire plus tard, je pourrais peut-être décider d’être voyante et j’inventerais tout plein de trucs. Je suis bonne pour imaginer. Et je mettrais encore plus de bonheur dans la vie des gens.

Je sors de ma rêverie, toujours debout sur la branche au son des paroles de Thyäm. « Les nuages me font penser à du coton et de la laine. J’aimerais pouvoir m’y réfugier une heure ou deux, juste pour savoir si c’est doux et chaud. » Je lui souris gentiment. C’est vrai, juste pour voir, ce que ça fait d’être dans les nuages. Je suppose que c’est là qu’elle est Vika maintenant, dans les nuages. Et qu’elle me regarde. Et qu’elle est déçue de ce que je suis devenue sans elle. Cinglée. « Tu sais ce qu’on peut faire avec des nuages et des cure-dents? » qu’Ash me demande, rieuse. Je me pose la question aussi. Je n’en aucune idée. Puis un grand sourire éclaire mon visage, comme si je venais d’avoir une illumination. « Titi, tu sais ce qu’on peut faire avec des nuages et des cure-dents? Des cotons-tiges, comme ça on n’aura plus jamais les oreilles sales! » Je continue de lui sourire, avec ce regard que mes parents ne veulent plus que j’affiche. Ils disent que ça me donne l’air droguée. Je m’en fiche. Je me fiche un peu de tout en fait. Sentant un élan de témérité, je décide de continuer de grimper, toujours plus haut, le vent dans les cheveux blonds.

« Comment est Ash ? » Cette question, c’est le seul qui me la pose. Je le regarde, mais cette fois c’est moi qui suis au-dessus de lui. Personne ne comprend qu’Ash aussi est là parfois, et qu’elle a envie que quelqu’un d’autre que moi lui parle. Je suis plus qu’enchantée qu’il se préoccupe de celle qui prend maintenant la place de ma jumelle. « Ashtale, ça va comment alors? » Je sens son sourire dans ma tête, ce qui se trouve être une sensation des plus étranges. « Contente que quelqu’un fasse attention à moi » me répond-t-elle. C’est ce que je croyais. Elle cherche à avoir plus d’attention, comme si on n’en avait pas déjà assez. Mais c’est plus moi que les gens regardent, pas elle. C’est moi qui passe pour le monstre de Frank Einstein. « Elle est heureuse que tu fasses attention à elle qu’elle dit » Je me rassois sur ma branche en pensant à ce que Thyäm a dit à propos des nuages. À propos d’y aller, juste pour voir qu’est-ce que ça faisait. Je sais comment faire, pas pour s’envoler vers les nuages, parce que je m’écraserais au sol et que je me casserais les deux ailes. Juste que s’il a envie d’oublier pour un moment et juste de profiter de la vie comme elle est; belle. Je sais comment. C’est Vika qui me l’a montré quand on est encore deux gamines. « Tu veux que je te montre quelque chose? »