Chaque année, c'était la même chose. Chaque année, malgré mes tributs aussi cons et faiblards que des poules en chaleur, j'arrivais à faire abstraction de tout. Parce que putain, j'étais au Capitole. Le Capitole, et ses couleurs qui défonçaient mes yeux encore plus violemment que la coke, le Capitole, où être un Vainqueur vous ouvrait toutes les portes. Le district Deux me considérait comme un rat, tapi dans sa demeure, et le Capitole me considérait comme un joyau. C'était du moins ce que je me disais. Parce qu'entre nous deux - chère conscience et moi-même - on sait très bien ce qu'il en est, non? Etre un Vainqueur aussi chtarbé que moi, ça fait peur aux gentilles petites filles. Mais franchement, je m'en foutais comme de mon premier viol, sur le coup. Parce qu'être dans cette ville me rendait extatique, parce que je me disais que peut-être quelqu'un se souviendrait qu'il fut un temps où j'étais adulé et aimé et adoré et que j'avais été le plus fort. C'était cet espoir débile d'un gamin qui me faisait oublier que Titus avait une chance sur vingt-quatre de revenir vivant et pas dans une boîte en carton. Qui me faisait oublier à quel point j'avais envie de tuer de mes propres mains l'autre connasse qui répondait au doux nom d'Hazel. Si j'avais toujours été sujet à des putains de crises de folie et de violence, je n'avais jamais ressenti autant d'animosité envers quelqu'un et Dieu savait que je haïssais la plupart des gens. Je voulais juste pouvoir prendre un couteau et le lui planter dans le ventre jusqu'à ce qu'elle se vide de son sang.

Cette image m'apaisa en même temps qu'elle me fit sortir de ma bulle, et je me rendis compte que j'étais dans ma propre chambre, dans un fauteuil moelleux mais déjà puant de l'odeur de la fumée, alors que l'instant d'avant j'étais dans le salon. J'avais un joint entre les doigts et je sentais un cachet sous ma langue. Je lançai mon mégot au sol avant de l'écraser en avalant la pilule, rejetant la tête en arrière. Je devais penser à une stratégie pour sortir Chamberlain de l'Arène en bon état. Je l'avais entraîné. Il était doué. Il n'était pas un faiblard avec une bite aussi grande d'un cure-dent. Il avait une chance de s'en sortir face aux autres tributs. Mais face à l'Arène en elle même? Je ne me rappelais pas lui avoir dispenser des cours de survie élémentaire, mais je comptais sur son bon sens pour combler cette lacune. Fatigué, je traînais mon corps sur mon lit, cherchant vainement le sommeil. Mais tout ce qui me venait à l'esprit, c'était des images plus vraies que nature du cadavre de mon tribut, le crâne défoncé, les poignets coupés, l'oeil arraché, et des images de Rheagan, qui regardait le cercueil de son cher Titus. Brr. Je fermai les yeux pendant un instant, lorsqu'on toqua à ma porte. Je ne répondis pas. On toqua une seconde fois, ce qui m'arracha un soupir. Putain, même si j'étais insomniaque, c'était pas une heure pour venir me faire chier... On entra dans ma chambre, et ce ne fut que lorsque j'entendis le son de la voix de mon interlocuteur que je daignais poser les yeux autre part que sur le plafond.

« Elle me manque Azrael. Elle me manque comme personne ne m’a jamais manqué. Et ça fait mal. » Je mis un moment à comprendre. Titus me parlait de Rheagan comme si nous étions.. des amis. J'avais failli violer sa petite copine, et il me parlait comme ça. Il m'avait défoncé les côtés et il me parlait comme ça. J'aurais pu être en colère. Ouais, j'aurais pu me relever et décider de lui foutre mon poing dans sa gueule de faiblard, mais j'arrivais pas. C'était comme si d'une certaine manière, j'étais content. Content que Titus me fasse assez confiance pour parler ainsi. Putain, ça me ressemblait pas pourtant. J'étais jamais à court de phrases acerbes, je disais jamais non à me foutre de la gueule de quelqu'un, mais pour la première fois, rien ne me venait. Rectification : rien de négatif me venait. Titus avait l'air si désespéré que c'en était touchant. Ouais, c'était exactement ça : à être aussi perdu, il me touchait. Je me mis assis au bord de mon lit, tentant de voir si j'étais comme ça juste à cause de la drogue. « Chamberlain... » je fis, la voix rocailleuse. Je passais une main sur mon front, cherchant quelque chose à dire. « Je sais. Je sais. » fut la seule chose que j'arrivai à dire. Il me fallut un nouvel instant pour prononcer d'autres mots. « Ecoute... » Je croisai le regard de Titus. Il était hors de question qu'il se laisse aller. Hors de question qu'il ruine ses chances de rentrer. « Je sais pas quoi te dire. Personne ne me manque et je ne manque à personne. Du coup, j'ai aucun conseil à te dire. J'ai rien à te dire pour que tu te calmes. » Le ton de ma voix me surprit, parce que pour une fois, je n'étais ni condescendant ni railleur. Juste... normal. Aussi normal qu'on puisse l'être après avoir fumé un joint bien corsé.

Je soupirais. « Mais... Si ça peut te calmer un moment, si tu peux t'accrocher à cette idée pour pas te faire défoncer dès la Corne et tenir le coup jusqu'au lancement des Jeux... » Je me mis en tailleur, un peu mal à l'aise. Toute cette scène.. c'était tellement différent de d'habitude. Titus, c'était un bloc de pierre incassable, inbrisable et pourtant, il venait de se fissurer juste devant moi. Et au lieu de l'achever, j'essayais de le réconforter. Comme un ami le ferait. Un ami. Je n'avais jamais eu d'amis. Est-ce que c'était ce qu'on était? « Je vais te sortir de l'Arène, d'accord ? Tu vas avoir les meilleurs sponsors. Tu arriveras à avoir des armes, tu tueras. Et tu sortiras de l'Arène. Et Rheagan sera là, à t'attendre au district Deux. Elle sera à toi. Plus jamais tu seras loin d'elle. Je te le jure sur ma propre bite. Qu'elle tombe si je mens. »