3 jours. C’est le temps qu’il nous fallait pour atteindre le capitole. Je n’avais plus d’ongles. En l’espace de trois heures, ils avaient totalement disparus tellement je me les étais rongés, et je n’arrivais pas vraiment à savoir si j’étais heureux d’être avec elle jusqu’au bout, ou si j’aurai préféré la savoir seule, mais vivante, saine et sauve. Silka. Je m’étais toujours dit que du moment qu’elle était prêt de moi, je n’aurai rien à craindre, et que finalement la seule menace, c’était elle. Et cette affirmation ne pouvait pas être plus vraie qu’en ce moment…. Alors que nous étions collés comme des sardines devant la télévision du train, je pouvais sentir son cœur battant contre le mien, et tout ce dont j’étais sûr, c’était que nous causerions notre perte mutuelle. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’étais heureux, aussi près d’elle, mais sa présence était… en quelque sorte rassurante. Elle était là. Elle serait là jusqu’à la fin, jusqu’à mon dernier souffle, et c’était finalement la plus belle mort dont je puisse rêver ; à ses côtés.

Nous n’étions même pas encore partis du district 9 que je pensais déjà à mourir. Quelles étaient les chances d’un gars comme moi pour s’en sortir ? Aucune, c’est vrai, mais si au moins j’essayais… un sourire forcé étira mes lèvres. Ils rediffusaient la moisson au capitole, et les commentaires qui s’échappaient du poste n’étaient pas forcément très agréables. L’hôtesse qui nous accompagnait était franchement à peindre. Elle gémissait tout le temps, riait trop fort, parlait sans cesse. Et elle nous détestait clairement. Vu notre arrivée triomphale à la moisson… il y avait de quoi. La rumeur avait été lancée depuis le moment même où je prononçais cette phrase « Toi ! Porte-toi volontaire à sa place ! » Depuis, les Capitoliens me prenaient pour un fou. J’avais déjà fait les gros titres en inquiétant la population ; « le garçon du D9 serait-il psychologiquement atteint ? » Etrangement, cette histoire amusait beaucoup Sergei et Silka, pas du tout l’hôtesse… et quand à Nolan, à vrai dire je n’en avais rien à faire. Cet imbécile blond à qui S’ka lançait des regards doux ne m’intéressait pas le moindre du monde. Je refocalisai mon attention sur la télé, mais très vite j’en fus lassé. J’avais envie de dormir, de dormir, de dormir…. Et aussi de poser des milliards de questions. Sur la table, il y avait pleins de gâteaux. Quitte à mourir, je me disais qu’il fallait que je profite avant. Je me levai donc, marchai jusqu’à la table et plongea ma main dans le pot sans faire attention aux sifflements agacés dans notre vielle chouette d’accompagnatrice. « S’ka ! ATTRAPE ! ». L’un des biscuits ronds que j’avais entre les doigts s’échappa de ma poigne et vint atterrir en plein dans la tête de ma co-tribut et meilleure amie avant qu’elle n’ait eu le temps de réagir.

Spoiler:

Tu as trois jours. Trois jours. Trois jours. J'avais l'impression que les roulements du train qui venait de s'ébranler et progressait vers le Capitole répétait ces mots en boucle, inlassablement, comme pour me rendre folle. J'aurai voulu que notre trajet mette mille fois plus longtemps, pour passer mille fois plus de temps confinée dans cette boîte de conserve rutilante qui nous menait à la morgue mais qui me semblait mille fois plus confortable que la baraque délabrée dans laquelle j'avais vécu jusqu'à maintenant. Et puis cela aurait toujours fait mille fois plus de temps passé aux côtés de Skann. Mille fois plus de temps passés à ses côtés de mon vivant, je veux dire. Ce qui incluait aussi mille fois plus de temps passé aux côtés de notre hôtesse complètement barge, ce qui était largement moins plaisant. Elle, elle ne nous aimait pas. Et dire que cela n'était pas réciproque aurait été un mensonge. Je la détestai comme je détestai cette courge qui avait pioché mon nom dans ce bocal parmi des milliers d'autres papiers de condamnation, comme je détestai les pacificateurs qui nous avaient escorté jusqu'au monstre de fer et comme je détestai toutes ces filles qui étaient saines et sauves, chez elle, parmi leur famille. Tout aurait pût être différent. A l'heure qu'il était, j'aurai pût être chez-moi. Au District 9. Dans ma maison. Mais Skann n'aurait pas été là. Quoi qu'il aurait pût advenir de cet moisson, il serait parti. Avec une autre co-tribut. Une fille que j'aurai détesté. Je détestait aussi cette co-tribut là, celle qui était à ses côtés dans le train, celle qui regardait la ré-diffusion de la moisson sur le même écran luxueux. A l'exception faite que, cette fille qui allait lui tenir compagnie jusque dans la mort, c'était moi. Et je ne savais pas encore si c'était cent fois pire, ou cent fois mieux.

Je ne voyais pas l'intérêt de nous rediffuser la moisson. Ce n'était pas comme si l'avis des gens m'intéressait. A la limite, ce qu'ils pouvaient penser de nous deux ne m'importait pas le moins du monde. Dans une poignée de jours, je serai morte. Enterrée six-pieds sous-terre dans notre cimetière communal comme si rien de ce que j'étais n'avais jamais existé. Et ce n'était pas une fois là-haut que les commentaires dénués d'intérêt des oiseaux de malheur qui logeaient au Capitole allaient changer quoi que ce soit. Personnellement, je me moquai bien qu'on me prenne pour la rouquine cinglée ou pour la dangereuse psychopathe au co-tribut dérangé. L'important, c'était ce que nous étions, et pas ce qu'ils pouvaient penser de nous. Et à mes yeux, nous étions bien plus intéressants que tout le Capitole réuni. Je réprimai un bâillement et jetai un coup d’œil à Skann qui semblait s'amuser autant que moi. Je m'enfonçai un peu plus dans le fauteuil de cuir qui était tourné vers l'écran télévisé et fermai les yeux. Je pouvais presque sentir le regard réprobateur de la harpie qui nous servait de nourrice peser sur moi. Comme si la normalité aurait voulu que j'absorbe les paroles des habitants du Capitole alors qu'eux-même ne nous voyaient pas avec plus de considération que si nous avions été des os à ronger qu'ils étaient impatient d'attaquer. Avec les dents. J'étais épuisée, comme les cernes violettes sous mes yeux pouvaient en témoigner. Je n'avais pas dormi de la nuit. Trop occupée à m’apitoyer sur mon sort et sur celui de Skann. Skann. Mon pilier. Ma bouée de sauvetage. Je n'osai même pas imaginer ce qu'il se serait passé si il avait choisi finalement de ne pas se porter volontaire. Si j'y étais allée avec de gamin blond qu'un coup de vent aurait brisé. Je préférai ne pas y penser, en égoïste que j'étais.

« S’ka ! ATTRAPE ! ». Hein ? Quoi ? J'ouvrai les yeux brusquement, juste à temps pour apercevoir le gâteau que cet abruti venait de me lancer à la figure et qui s'écra lamentablement contre mon front avant d’atterrir sur le fauteuil. Je poussai un grognement mécontent avant d'attraper le projectile en question et de le manger. Bien meilleur que ce que l'on pouvait avoir au District neuf contre une poignée de pièce, décidément. « T'as vraiment un sérieux problème Skann. Peut-être que ces journalistes du Capitole ont raison, finalement. T'es dérangé. ». Je maugréai ces quelques mots et esquissai un sourire narquois en lui jetant un des coussins qui garnissait le siège sous le regard désespéré souligné par le maquillage de notre hôtesse. Je n'avais qu'une seule envie, bien présente ; celle d'être n'importe où ailleurs.

20 ans plus tôt, il était assit à leur place, regardant le même écran de télévision - qui, à l'époque, était sensiblement plus petit que celui qu'ils avaient là - grésillant sur les habituelles images du district 13 en ruines, et sur les diverses cérémonies des moissons. Beaucoup s'étaient porté volontaires cette année, ces jeunes débordants d'arrogance et de suffisance. La concurrence n'était pas des moindres pour les deux jeunes gens qui les accompagnaient. L'hôtesse à la voix désagréable au possible et au physique plus que douteux se contentait de les observer du coin de l'oeil, s'offusquant parfois - que dis-je, souvent- des manières primitives de ses tributs. C'était sans compter Skann qui ne trouva rien de mieux à faire que de balancer des biscuit dans la tronche de la rouquine qui lui fit ravaler ses dents. Tous n'avaient pas tord; Skann était plutôt timbré dans son genre, mais surtout - et c'est bien ça qui l'alerta plus qu'autre chose - il ne semblait pas bien réaliser dans quoi il s'était embarqué. Comment pouvait-il prendre si légèrement un situation aussi critique ? Aucune idée; mais l'ambiance - jusque-là des plus tendues - se réchauffa un peu. Sergei alla même jusqu'à rire entre ses dents. A partir de maintenant, ils ne leur restait 3 jours pour s'organiser

"Skann est cinglés, on le sait tous. Alors mangez-donc, et profitez-en bien; une fois dans l'arène vous regretterez de ne pas vous être empiffré d'avantage. Après on commencera à réfléchir à ce que vous voulez faire dans l'arène." déviant ses yeux vers Nolan, il l'interrogea un instant du regard, comme pour lui souffler en silence qu'ils serait bon qu'ils voient ça entre eux. Non pas que ça le réjouisse de passer du temps avec boucle d'or, mais s'il voulaient avoir une chance d'en ramener un des deux vivants, ils devraient travailler ensembles. Comme lors de leur premier voyage dans ce même train.

"Je propose même qu'on passe le reste de la journée à se détendre un peu, et on entamera le début des festivités demain matin… t'en penses quoi Nolan ?". S'écrasant dans un gros fauteuil non loin de l'écran de télévision, il attrapa un verre pour s'intéresser ensuite aux récapitulatifs des tributs. "Y'en a qui font peur… vous en voyez qui ont des bonnes gueules dans le lot ?".