❝ I'm awake, I'm alive. ❞

Les pieds pendant dans le vide, le jeune homme ne pût s'empêcher d'esquisser un sourire en coin quand il entendit une nouvelle vague s'écraser sur les rochers juste en-dessous de lui. Le vent s'engouffra une nouvelle fois dans son manteau qu'il avait laissé ouvert et malgré le froid, Slyker ne semblait ne pas en souffrir. Peut-être était-ce grâce à l'alcool qui coulait dans ses veines qu'il paraissait si réchauffé ou bien peut-être était-ce à l'idée que demain était le grand jour. Son grand jour. Demain il allait se portait volontaire pour la moisson, demain il partirait pour le Capitole pour peut-être ne jamais revenir. Il secoua la tête, déterminé. Bien sûr que si il reviendrait. Il s'était entraîné depuis son plus jeune âge pour ça, il était plus fort que tous les autres gamins de son âge, plus rapide, plus intelligent. Enfin, c'était ce qu'il aimait penser bien sûr. Avalant une autre gorgée directement au goulot de sa bouteille, le jeune homme prit une longue inspiration et l'odeur chargée d'iode le frappa alors qu'une autre vague s'échouait en bas de la falaise. Depuis dix-huit ans il avait été bercé par le bruit de la mer venant s'abattre sur ces pics qu'il connaissait par cœur et pourtant il semblait les redécouvrir ce soir, d'un œil neuf et avide de connaître la suite. Passant sa langue sur ses lèvres, il ne s'étonna même pas de sentir le goût du sel exploser dans sa bouche.

Il aimait cet endroit plus que tout au monde. C'était sa maison, son enfance qu'il retrouvait sur ces plages et pourtant demain il n'hésiterait pas une seule seconde pour se porter volontaire et partir loin de ces rivages. Il n'allait pas partir longtemps se disait-il mais il ne savait pas vraiment s'il allait supporter d'être enfermé trop longtemps dans un endroit étroit. Il espérait aussi qu'il y aurait un point d'eau pas trop loin. Car plus que tout autre chose, le jeune homme aimait cette sensation de liberté que lui procurait la mer. Elle était presque sa deuxième famille et, bien que piètre pêcheur, il était un nageur hors pair. Une dernière gorgée et la bouteille roula un peu plus loin, vide. Il se releva péniblement et leva les bras en croix comme un défi aux éléments naturels pour le faire tomber du haut de son perchoir. « Qu'est-ce que tu fous Whishart ? » Le jeune homme sursauta et sentit sous son pied se décrocher un pan de roche qui menaça de l'emporter. Le cœur au bord des lèvres, le blondinet recula de quelques pas, beaucoup plus prudent soudainement et se retourna vers la voix qui l'avait interpellé. « J'profite de ma dernière soirée d'homme libre Ollie. » répondit-il simplement, un sourire mystérieux aux lèvres. Puis sans prévenir, il s'approcha de la jeune femme qui venait d'apparaître au clair de lune et l'embrassa.

Il ne s'était jamais sentit aussi vivant que la veille du jour de sa mort.

« Laisse Wes, il est mort celui-là. » Le dénommé Wes posa un regard triste sur le cadavre du gamin qui traînait à ses pieds. On l'avait prévenu que la mission n'allait pas être simple, qu'il verrait des choses horribles et qu'il serait amené à ne pas en prendre compte, mais c'était dur. Alors que tout le monde se pressait autour de lui, qu'on courait dans tous les sens et que des ordres étaient hurlés de toute part, l'adolescent restait figé devant le corps du blondinet. Dans ce chaos sans nom, il était le seul à porter trop peu d'attention à la personne qu'il aurait pût devenir, à tout ce qu'il aurait pût accomplir s'il ne s'était pas porté volontaire pour ces jeux de l'enfer. Remontant sa sacoche de premier soins sur son épaule, Wes reprit ses esprits, le sort du blondinet était peut-être scellé mais il y en avait d'autre qui avait besoin de son aide. Alors qu'il passait à côté du corps du jeune homme présumé mort, une main s'accrocha à sa cheville et il lui fallut quelques secondes pour comprendre que c'était l'inconnu aux tripes éparpillées qui venait de lui saisir la jambe. Panique. « J'ai besoin d'une équipe de secours, maintenant ! Celui-là est pas mort ! »

❝ The arena, this is our death cage ❞

Une semaine. Cela faisait seulement une semaine qu'il la connaissait et pourtant il avait l'impression de n'avoir passé qu'une journée avec elle. Tout s'était bousculé dans sa tête, tout avait été trop vite. Maintenant, il était enfermé dans une petite salle blanche et stérile, le cœur battant d'un mélange d'excitation et de peur et le pied battant la mesure contre le pied de la table sur lequel il était assis. Le bruit caractéristique d'une porte qui coulisse attira son attention et il sauta de son perchoir pour se retourner dans la foulée. Presque sans surprise il la vit dans l'encadrement de la porte et ils restèrent un certain moment à se dévisager avant qu'elle ne fasse un pas en avant, timide, et qu'il avale le reste de la distance. Il avait une envie violente de la prendre dans ses bras et de lui dire que tout irait bien, qu'il reviendrait, il voulait lui promettre de gagner pour elle mais il n'avait pas le droit de lui imposer ce genre de faux-espoirs. Elle n'était pas comme les autres filles avec lesquelles il flirtait tous les jours et il n'avait pas envie de la blesser en lui promettant des choses qu'il savait dur à tenir. Homme d'honneur, il ne voulait ni trahir sa parole, ni lui briser le cœur si par malheur il ne revenait pas. Sans trop s'en rendre compte, il passa une main dans ses cheveux violets et entoura son doigt à une mèche argentée qui traînait là. Elle rougit un peu et esquissa un sourire avant de lui présenter sa veste pour qu'il l'enfile.

« Cinq minutes. » La voix robotique résonna un moment dans la petite salle et ils arrêtèrent de respirer en même temps, se rendant enfin compte que c'était pour bientôt. Impulsif comme à son habitude, le jeune homme se pencha vers le visage de la belle et déposa un baiser bref mais brûlant, sur le coin de ses lèvres. Pas vraiment sur la bouche, pas vraiment sur la joue et surtout absolument pas innocent. Il lui balança un de ses sourires dont il avait l'habitude et lui caressa la joue avant de se diriger sans plus de cérémonie vers le tube en plastique qui allait l'emmener dans quelques secondes maintenant au centre de l'action, au cœur de l'arène, au milieu du carnage. « On se revoit à mon retour. » La porte en verre se referma et le silence lui tomba dessus d'un seul coup alors qu'elle bougeait les lèvres pour formuler quelque chose qu'il ne comprit jamais. La plaque sur laquelle il se tenait se mit à bouger puis il s'éleva, laissant son palpitant tomber dans ses talons et il arrêta de respirer pendant un moment. Plus il s'approchait de la sortie, plus il entendait le compte à rebours vibrer au fond de ses tripes et il se mit à claquer des dents. Trop d'émotions le traversait pour qu'il comprenne ce qui se passait en lui et dès qu'il fut en mesure de voir la corne d'abondance, un sourire dément étira ses lèvres. « Trois, deux, un. » Un coup de canon et c'était partit.

Il ne savait pas pourquoi il s'entendait à venir le voir chaque jour. Cela faisait bientôt un an qu'il était coincé dans ce lit d'hôpital, relié à des tas de machines qui bipaient toutes les unes après les autres, et les médecins ne prenaient même plus le temps de venir vérifier ses signes vitaux à la longue. Il fallait les comprendre, ils étaient en infériorité numérique et devaient faire des sacrifices de temps en temps et le blondinet n'était pas une urgence médicale pour l'instant. Wes prit le dossier médical où était grossièrement écrit John Doe, et parcouru les lignes qui montrait une stabilité parfaite mais aucun signe d'amélioration. Un soupir franchit les lèvres du jeune homme et reposa le tout avant de venir se rassoir près du chevet du malade. Il ne connaissait même pas son vrai prénom mais avait l'impression d'entretenir un lien particulier avec cet inconnu au visage si serein. Il lui avait sauvé la vie après tout, c'était la première fois qu'il avait exercé son métier sur le terrain et il avait fait une différence dans la vie de quelqu'un. Un bip inhabituel attira son attention et il se précipita sur la machine la plus proche, sans y croire ses yeux. Et pourtant la seconde d'après, il remua la main, faiblement certes mais il l'avait bougé. « Infirmières ! On a un revenant par ici ! »

❝ You'll find me climbing to heaven. ❞

« Comment vous sentez-vous ? » Comme un mec qui s'est fait éviscérer avant de plonger dans un coma d'un an. La remarque manqua de franchir les lèvres du jeune homme mais tout ce dont il fut capable alors que le médecin l'aveuglait avec sa mini lampe torche pour étudier ses pupilles, fut de souffler un simple « Bien. » Oui, il allait bien. Il était vivant. Amoché mais bel et bien en vie. « Tant mieux. Je peux donc vous posez d'autres questions ? » N'était-ce pas là une autre question ? Il leva les yeux au ciel et hocha simplement la tête pour faire comprendre au mec à blouse blanche qu'il pouvait. Il se saisit alors d'un carnet et d'un stylo puis commença l'interrogatoire. « Nom et prénom ? » Première interrogation, première colle. Le blondinet resta un moment la bouche ouverte sans qu'un seul son ne sorte tandis que son cerveau tentait de répondre à ce simple problème. « Slyker... Whishart. » finit-il par articuler comme si c'était là, la pire colle au monde. L'homme prit le temps de noter avant de reprendre « District de naissance ? » Sly ferma les yeux un moment, un mal de crâne pointant lentement sur ses tempes alors qu'il cherchait encore la réponse à cette question.

Il ne savait pas, n'était plus capable de se souvenir de ces choses pourtant si simple. Il ne savait plus son âge, le district d'où il venait, s'il avait de la famille qui le pleurait ou bien une petite-amie, une fiancée même ? En revanche il était tout à fait capable d'énumérer tout les points vitaux d'un être humain lambda, savait comment armer une arbalète en moins de dix secondes et était capable de nommer tous les nœuds faisable avec une corde. Pourtant quand on lui demandait de se rappeller de son enfance, il en était incapable. Alors commençait à se crisper dans son lit, il sentit une main se poser sur son épaule pour le calmer et comme un réflexe, il tordit le poignet de la personne avant même de s'en rendre compte. Un cri déchira la chambre et il lâcha immédiatement la main du médecin qui essayait simplement de l'aider. « Je suis désolé. » fut tout ce qu'il réussi à articuler tandis que le docteur sortait en jurant de la chambre. Avec cette soudaine agitation, Slyker n'avait même pas vu le jeune homme qui s'était approché de son lit et sursauta légèrement quand il lui adressa la parole après un long moment de silence. « Les pertes de mémoire sont courantes après un coma. Mais elle devrait revenir avec le temps. » Il lui adressa un sourire compatissant et sans plus de cérémonie sortit lui aussi de la chambre, laissant le tribu à ses pensées.

Il n'était plus rien. Il avait beau être vivant, à l'intérieur il se sentait comme mort. Coquille vide qui déambulait à présent dans les couloirs du treize, effrayant les gamins et se sentant chaque jour, de plus en plus inutile.