dark days are coming

Les premières lueurs de l'aube viennent illuminer le ciel grisâtre. La chaleur qui irradie désormais des frêles rayons du soleil levant me réveille doucement, paisiblement. Je me sens apaisée. Ça doit bien faire quelques mois que je n'ai pas connu le bonheur. Ma situation ne s'est pas nettement améliorée, je pense en m'extirpant de mes couvertures, mais au moins, j'ai accepté la mort de Jessie, et je fait à nouveau face à la vie. Depuis ce voyage vers un autre district avec Dolce, j'ai l'impression d'avoir réussi à passer au travers. Désormais, je suis de retour parmi les vivants. Et je compte bien le rester pour un bon bout.

C'est pourquoi au lieu de préparer l'habituel matériel de pêche, je file ramasser mon manteau de feutre et insérer mes pieds dans les bottes de cuir les plus confortables et souples que j'ai pu connaître. Elles appartenaient à ma mère. Je ne sais franchement pas pourquoi elle possédait des bottes dans le genre, faites pour le plein air et la randonnée, mais bon, elles me sont utiles à présent, et j'ai bien l'intention d'en profiter. J'attache mes longs cheveux bruns en une queue de cheval, puis pousse le battant de la porte, encore et toujours couverte de bibelots en tous genre.

Je crois que mon père est parti tôt ce matin aller pêcher les Rocrânes, car je remarque que son manteau n'est plus sur la paterre lorsque je m'extirpe dans l'air froid de l'aube. Et bah. Tant et aussi longtemps que ça rapporte de quoi sur la table, qu'il fasse ce qui lui tente. En même temps, ça me soulage que mon père ait retrouvé foi en quelque chose, même si tirer sur des poissons peut sembler étrange comme vocation.

Comme toujours, je me rend vers la forêt, mais dans une direction radicalement opposée, cette fois. Ça doit faire un mois que j'ai abandonné la pêche pour une activité beaucoup rentable et, je dois avouer, motivante, la chasse. Imaginez ma situation auparavant: pêcher dans une ville où tout le monde pêche. Je vous l'accorde, mon type de poisson était plutôt exotique, mais bon, les gens s'en lassaient plutôt vite quand même, surtout s'ils pouvaient manger un fruit de mer certes moins goûteux, mais complètement gratuit s'ils l'avaient pêché eux-même. Du coup, j'ai pris la décision de m'enfoncer dans cette forêt que tout le monde redoute, mais que je connais depuis mon plus jeune âge.

Mon arc est devenu une arme terrestre, et il me rapporte encore et toujours de la nourriture, et lorsque j'ai des surplus, je les revend au marché noir, et tout mon stock disparaît à une vitesse phénoménale. Il faut dire que de la viande rouge, on en voyait pas beaucoup, par ici, avant que je ne me décide.

Je me suis découvert une sorte d'affinité avec la forêt, me déplaçant très rapidement, sans bruit, avant de décocher une flèche meurtrière dans ma proie. L'agilité et l'entraînement au tir acquis lors des pêches m'ont bien aidée, mais j'ai découvert dans quoi j'excelle vraiment, et je dois avouer que j'adore ça. Et puis, j'ai remarqué que je grimpais très habilement aux arbres.

Je m'enfonce dans les bois. Bien que le District Quatre n'ai pas la forêt la plus grande de Panem, étant donné que personne ne s'y aventure, j'ai l'impression d'être dans l'endroit le plus vaste du monde. Je ramasse mon arc et mon carquois dans une toile de plastique imperméable camouflée dans un terrier abandonné, puis continue vers le fond de la vallée.

Je remarque très tôt, au sommet d'une petite falaise surplombant une clairière, un jeune homme aux yeux les plus bleus que je n'ai jamais vu. Mon cousin Aloysius se tient à notre fidèle point de rendez-vous, où nous nous rendons chaque matin depuis un mois et demi afin de commencer nos chasses qui nous font vivre. En fait, la famille d'Aloysius est très riche, mais mon cousin a insisté pour me suivre. Je n'ai pas refusé, car après tout, il a un sacré talent pour tisser toutes sortes de pièges, de filets et de noeuds. Et puis, je dois avouer que j'aime sa compagnie.

Nous avons tous les deux dû passer au travers de la même épreuve. Perdre un être cher devant nos yeux, aux Jeux. C'est pourquoi une sorte de complicité s'est créée entre nous, un peu comme si nous étions des jumeaux. Nous ne nous ressemblons que par nos cheveux et un vague air de famille, mais nos esprits semblent fusionnés, malgré nos personnalités radicalement différentes.

-Comme ça, on observe le joli lever de soleil?

Je lui adresse un sourire radieux, comme je n'ai pas esquissé depuis des lustres. On dirait que c'est seulement en sa présence, à cet endroit, que je peux enfin me détendre. J'ai l'impression que l'opression du Capitole et toutes les horreurs du monde ne sont plus que des mauvais rêves.

-Allez, descend de ton perchoir, petit oiseau. On a du gibier à étaler sur la table.

Je prend la direction des profondeurs des sous-bois tout en lui faisant un léger signe de tête. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que cette journée-ci sera productive. Le ciel est radieux, il n'y a pas école, et un air de printemps vibre dans l'air tiède.

Je regardai le ciel marbré de bleu et de blanc, recroquevillé sur moi-même pour garder un peu de chaleur.

Le lever de soleil était magnifique. Ca valait le coup de grimper ici aussi tôt. Comme tous les jours depuis un peu plus d'un mois. Je baissai la tête, reprenant mon ouvrage. J'étais en train de tisser un magnifique filet dont la corde m'avait coûté un bras - c'était un matériel haut de gamme tout droit arrivé du Capitole - pour ma cousine Sagitta. Je me sentais plus à l'abri avec elle autour de moi qu'avec n'importe qui d'autre. Nous avions connu la même horrible chose, voir une personne que l'on aime mourir pendant les Jeux. Ca nous avait rapproché. Elle a tenu ma main lorsque Bianca est morte, j'ai tenu la sienne lorsque Jessie est mort. Et depuis quelques temps, nous passions nos matinées dans les bois, à l'abri de la mer pendant un moment et des souvenirs qu'elle me rappelait. Sagitta décochait les flèches avec agilité, je m'occupais souvent d'abréger les souffrances du pauvre animal. Elle grimpait dans les arbres, je restais à terre à poser des pièges. Nous étions complémentaires. Comme Bianca et moi, avant que tout ça n'arrive. Rien que de penser à elle, je sentis ma gorge se serrer douloureusement. J'avalai ma salive difficilement, avant de jeter un coup d'oeil à ma montre. Il n'était que sept heures du matin. Dans une bonne demi-heure, Sagitta allait enfin arriver et nous pourrions alors nous enfoncer dans l'épaisse forêt verte bordant le district Quatre aussi longtemps que possible. J'achevai mon travail rapidement en nouant une dernière fois le cordage, fier du petit bijou que j'avais fait. La corde en elle-même était quasiement invisible, grâce aux propriétés incroyables du matériel. Rien ne pouvait alerter un animal sur la présence d'un tel objet - surtout pas dans cette forêt où aucun humain ne venait jamais, et donc où les animaux n'avaient jamais rencontré un homme. Il fallait vraiment tomber dessus pour la trouver. Le maillage fin permettrait à Sagitta d'attraper des petits animaux ou des oiseaux. On m'avait dit que ces derniers se vendaient plutôt bien au marché noir, en ce moment. Surtout si ils étaient abattus proprement. Ma cousine allait pouvoir profiter d'un peu plus d'argent. Je n'étais pas du genre à offrir directement des vivres aux gens. Je préférais leur donner juste un coup de pouce - offrir un filet, apprendre à faire des noeuds à des gamins, leur offrir un bout de corde. Je repliai doucement mon ouvrage et le posai à côté de moi.

Il faisait beau. Les rayons du soleil commençaient enfin à chauffer, alors j'ôtai la veste trop épaisse que j'avais pris avec moi. Je repliai les jambes contre mon torse, appréciant le paysage. Est-ce que j'aurais connu cet endroit si Bianca n'était pas morte ? Sans doute non. Je n'aurais pas été aussi proche de Sagitta, donc je n'aurais jamais fait de partie de chasse avec elle. Je n'aurais jamais escaladé la falaise juste pour pouvoir surplomber la clairière. Je n'aurais jamais eu l'occasion de voir quelqu'un utiliser un arc et des flèches. Je regardai la mer au loin. Comment pouvais-je croire une seule seconde que la mort de Bianca m'avait apporté quelque chose? Mon coeur se serra dans ma poitrine. Rien que pour penser ça, je devais être fou. Perdre Bianca ne m'avait rien apporté, rien à la hauteur de sa perte. J'appréciais ma cousine, mais si on m'avait donné la possibilité de la sacrifier pour retrouver mon amie, je l'aurais fait.

Une voix humaine m'interpella d'en dessous. Ah, Sagitta, avec son arc et son carquois.. Je fis de mon mieux pour lui renvoyer un sourire aussi radieux que le sien. « Comme ça, on observe le joli lever de soleil? » Je ris doucement, hochant la tête. De là haut, j'avais le meilleur point de vue possible. Toutes les couleurs du ciel, je pouvais les voir, je pouvais les ressentir. Bianca avait toujours dit que j'étais un artiste, et c'était vrai. Comme tous les jours, après ma matinée de chasse, j'allais me poser sur le sable pour dessiner quelque chose que j'avais vu le matin même. Sagitta décochant une flèche. Un de mes pièges se refermant sur un lapin. Et ce jour là, un lever de soleil. « Allez, descend de ton perchoir, petit oiseau. On a du gibier à étaler sur la table. » Je posai le filet sur mon épaule et attrapai mon sac lourd avant de me suspendre au rebord de la petite falaise, cherchant des appuis avec mes pieds. La hauteur ne me faisant pas spécialement peur, je descendis bien rapidement, et repérai Sagitta à travers les arbres - elle commençait déjà à s'enfoncer dans la forêt. Décidant que je lui donnerai le filet plus tard, je la suivis, vérifiant par la même occasion si des petits animaux s'étaient pris dans mes collets posés la veille. Sur les six que j'avais préparés, seulement deux avaient porté leurs fruits. Deux petits lapins. Un peu de viande pour le dîner, ou quelques pièces de plus dans ma poche. Me posant un instant sur une pierre énorme, j'entrepris de nettoyer mes prises, et les rangeai dans ma besace. Un bruit de craquement de feuilles derrière moi m'alerta. Lentement, je tournai la tête. Un chevreuil? .. Un chevreuil, ici? Alors une telle bête, Sagitta pouvait en tirer tellement d'argent ! Elle ne pouvait pas le rater, avec son arc. Il n'était qu'à une vingtaine de mètres. Ca devait être encore un jeune, peu habitué à voir une présence humaine ici, il ne devait pas se rendre compte du danger que nous pouvions représenter. Je tournai la tête lentement vers ma cousine, qui, de dos, n'avait pas vu la bête. Comment l'alerter sans faire fuir le chevreuil? Elle ne me pardonnerait pas de laisser passer une si belle occasion.

J'humidifiai mes lèvres. Il me fallait un bruit assez humain pour attirer l'attention de Sagitta et assez animal pour ne pas effrayer la bête. Alors, je sifflai ma mélodie à cinq notes doucement. Je crois que Sagitta s'est retournée peu après et qu'elle a du comprendre ce que je voulais lui indiquer. J'articulai une phrase afin qu'elle puisse lire sur mes lèvres. « Décoche une flèche rapidement. » Je savais que dès que la flèche aurait atteint le chevreuil, c'était à moi de jouer. Comme d'un commun accord, j'immobilisais toujours la prise avec mes filets. C'était mon rôle, je l'aimais bien et si ça pouvait aider Sagitta à remplir sa bourse autant que possible... Je la regardai, attendant qu'elle bande son arc et qu'elle blesse le chevreuil suffisamment pour que je puisse approcher sans risque.

Alors que je me baisse pour éviter une branche basse et que je pénètre dans les vrais profondeurs de la forêt, j'entends Aloysius sauter en bas de son perchoir. Bien qu'il ne soit pas particulièrement discret, ses pièges et son couteau me sont d'une aide précieuse lors des chasses.

Il me rejoint au petit trot, et il arrive rapidement derrière moi. Je scrute avec insistance le sol couvert de racines, à la recherche de traces d'animaux, et jette plusieurs regards vers les hauteurs pour tenter d'apercevoir un écureuil, ou encore des oiseaux. Je profite de la petite demi-heure que nous passons à chercher une proie pour ramasser les quelques plantes comestibles et médicinales que je connais; quelques sagittarias dans un étang, aussi appelées "katniss", les feuilles en pointe de lance d'une plante dont j'ai oublié le nom, mais que je m'assure dénuée de baies, cette plante étant presque mortelle lorsque ses baies sont sorties, et puis un peu de quatre-saisons. Je ramasse aussi deux bolets de taille impressionnante.

Soudain, j'entends un oiseau chanter, tout près. Ça me prend une petite seconde avant de comprendre que c'est Aloysius qui vient de siffler ses fameuses cinq notes. Je me retourne en sa direction, et je suis frappée de stupeur. Un jeune chevreuil, de ceux avec la chair aussi tendre que possible, grignote dans son coin, ne paraissant pas le moins du monde effrayé de notre présence. Je vois mon cousin esquisser une phrase avec ses lèvres. Je ne suis pas certaine de comprendre, mais j'ai assez de logique pour bander rapidement mon arc et décocher une flèche aussi mortelle que silencieuse.

L'animal pousse un dernier cri alors que la pointe lui traverse la gorge d'un bruit sourd. Je vois Aloysius se diriger en vitesse vers l'animal, avant de lui abréger les souffrances d'un coup de couteau sec. De toute façon, il n'aurait pas vécu encore bien longtemps. Mais bon, moins il y a de sang dans le corps de l'animal qui se répend, mieux il se vend. J'arrive derrière mon cousin, un sourire béat naissant sur mon visage.

-Un chevreuil, Aloysius, un chevreuil! Tu te rends compte?

Je restai émerveillé par le chevreuil devant nous. Une belle prise. Facilement plus de vingt kilos de chair fraîche, tendre à souhait, sans parler de la peau que Sagitta pourrait vendre au marché noir. Le cuir était un produit de luxe, même pour notre district favorisé. Je reportai mon attention sur ma cousine, qui bandait son arc silencieusement. J'aurais aimé savoir tirer avec un tel engin. Je me sentirais vraiment plus en sécurité si j'avais la capacité de me défendre avec une vraie arme - les pièges ne comptant pas comme un réel moyen de tuer, à mon humble avis. Je savais jouer avec un couteau, mais rien de très concret. Je n'eus pas le temps de revenir à la réalité qu'un bruit sourd me parvint et me fit tourner la tête. La pauvre bête était à terre, commençant à se vider de son sang. Sans attendre plus longtemps, je courus vers l'animal, l'assommai avec une pierre énorme et abrégeai ses souffrances d'un coup de couteau dans la carotide après avoir attaché ses pattes entre elles. Comme toujours, je me sentis mal. Parce que j'avais l'impression d'être à la place du tribut qui avait planté ma petite Bianca. Parce que je voyais toujours dans les yeux de ma prise ceux de Bianca. Je détournai le regard, soudainement mal à l'aise, essuyant le sang du chevreuil sur mes cuisses, et saignai la bête. Un dernier tressautement de ses muscles - un réflexe nerveux - et ma besogne était terminée. « Un chevreuil, Aloysius, un chevreuil! Tu te rends compte? » Sagitta arriva derrière moi, émerveillée par la bête. Je tâtai le pelage roux à la recherche d'une quelconque trace de maladie, sans en trouver une seule. « Il était vraiment en bonne santé... » Je jetai un coup d'oeil aux dents parfaites de notre prise. « Tu pourras en tirer un très bon prix. En plus, ta flèche n'a pas abîmé le pelage, on pourra le dépecer et revendre ça sur le marché noir. »

Je lui fis un sourire, relevant la tête, ma main caressant toujours machinalement le flanc du chevreuil. « Tu pourrais même essayer de vendre les sabots à Poppy, celle qui est à l'entrée du marché. Elle achète tout, même les coquillages fendillés que je lui ramène. » Poppy était une vieille femme imposante mais terriblement douce, qui m'achetait tout et n'importe quoi du moment que je lui disais une petite blague. Elle riait grassement, et prise de pitié envers moi, elle prenait tout ce que j'avais à lui proposer. Je jetai un nouveau regard au chevreuil, soudainement plein de remords. Si j'étais capable de tuer une pauvre bête innocente, j'étais certainement capable de tuer un tribut. Le sang que j'avais sur le main n'était pas si différent que de celui d'un humain. Je réprimai un haut le coeur, reprenant rapidement une contenance, et essuyai à nouveau mes mains contre mes cuisses, cherchant à faire disparaître les dernières traces rougeâtres sur ma peau. « Je pensais qu'il pèserait qu'une quinzaine de kilos, mais il doit facilement faire le double. Tu devrais en garder un bon morceau pour toi. C'est de la viande de haute qualité, ça serait dommage que tu ne la goûtes pas. » Je me relevai, réfléchissant à ce que nous pouvions faire maintenant. Etions-nous censés écourter notre partie de chasse pour mettre la viande au frais, ou la revendre directement? Si nous la laissions en pleine nature, des autres animaux carnivores viendraient s'en délecter, ce n'était donc pas une très bonne solution. A la limite, je pouvais le laisser là, bien à l'abri avec un de mes filets pour le protéger. L'humidité et la fraîcheur de la forêt conserverait la chair assez longtemps pour que nous puissions continuer de nous enfoncer dans les bois sans craindre de voir notre plus belle prise depuis quelques jours en état de décomposition avancée, ou avalée toute cru par un ours, ou un autre animal de ce genre. Je sortis de ma besace un long maillage ressemblant à une toile d'araignée, et à l'aide quelques piquets restés au fond de ma sacoche, je protégeai la dépouille du chevreuil.

« Voilà. » je fis simplement. « Normalement, ça devrait tenir les autres bêtes à distance. Et puis vu que je l'ai saigné, il ne risque pas trop de sentir. » Je fis un sourire à Sagitta. « T'es vraiment douée avec ton arc. C'était vraiment propre. » Je pris une grande inspiration, l'air frais calmant mon coeur. Je m'étais rarement senti aussi mal d'abréger la vie d'un animal. Peut-être que c'était parce que cette fois il s'agissait d'un jeune? Ou peut-être parce que c'était la plus grosse prise que j'ai jamais saigné? D'habitude, nous tombions plutôt sur des petits mammifères, des oiseaux, mais jamais sur du gibier comme ça. Je n'étais même pas sûr jusqu'à tomber sur la bête que les chevreuils se baladaient par ici. J'aurais plutôt cru en voir près du district Dix, ou du Sept, mais sûrement pas dans notre région. De toute façon, là n'était pas la question. Sagitta allait avoir sa bourse pleine à craquer. C'était le principal. Je me penchai une dernière fois sur la bête pour fermer ses yeux vitreux et ternes. Un regard sur la besace de ma cousine m'indiqua qu'elle avait déjà récolté pas mal de plantes et de fruits comestibles. Je ne me risquais d'ordinaire jamais à cueillir ce genre de choses - j'avais trop peur de m'empoisonner en choisissant LA mauvaise baie. Ca devait sûrement être à cet instant précis que je compris qu'entre Sagitta et moi, elle était la plus apte à la survie, et donc à gagner les prochains Jeux. Depuis la mort de Bianca, je vivais chaque Moisson avec une boule au ventre de voir moi ou l'un des membres de ma famille partir - le dernier en date étant mon cousin Jessie, le frère de Sagitta. Mais je ne savais guère pourquoi, mais j'avais le mauvais pressentiment que cette année, c'était mon nom qui allait être tiré au sort, même si je n'avais pris aucune tesserae.

Mes connaissances en herbologie ne valaient pas un clou. J'étais incapable d'être discret, contrairement à ma cousine. Même au corps à corps, je ne pensais pas être capable de briller. Mon seul talent, c'était de poser des pièges, et ils ne marchaient pas à coup sûr. Un goût amer se répandit dans ma bouche. Au pire, si je mourrais, je ne ferais que rejoindre Terry et Bianca de l'autre côté... « C'est ma dernière année d'éligibilité pour les Jeux. » je lançai abruptement. « Si par un triste hasard c'était nos noms qui sortaient... Tu voudrais faire une alliance avec moi? »

Aloysius semble aussi ébahit que moi devant notre prise. Je n'avais vu de chevreuils qu'une fois dans ma vie, près de notre lac. Je devais avoir treize ou quatorze ans lorsqu'ils se sont pointés. J'étais trop loin pour les tirer, et je l'avais plutôt regretté. En fait, si ce n'était de cette rencontre il y a quelques années, j'aurais soupçonné l'animal d'avoir fait des centaines de kilomètres de voyage avant de se retrouver ici.

Quoi qu'il en soit, notre petit ami me rapportera gros, ainsi qu'au moins deux ou trois jours de viande assurée, en plus qu'une bourse bien remplie. Bien entendu, je retournerai chasser demain, car l'argent que mes proies me rapporte sers également à acheter des marchandises moins mirobolantes, comme des vêtements ou des clous. Mais c'est une sacré aubaine, tout de même.

Mon cousin examine minutieusement le corps candide de la bête. Elle me semble si innocente, si calme, que je ressens une pointe de culpabilité. Mais bon, de la viande, c'est de la viande, et je ne vais pas cracher sur ce qu'elle me rapportera. Et puis, après tout, si ça n'avait pas été moi qui l'avait abattue, un prédateur s'en serait chargé.

-Il était vraiment en bonne santé... souligne Aloysius après avoir inspecté les dents et la peau de l'animal. Tu pourras en tirer un très bon prix. En plus, ta flèche n'a pas abîmé le pelage, on pourra le dépecer et revendre ça sur le marché noir.

Je frétille à l'idée de tout cet argent. Ça fait longtemps, bien longtemps qu'un repas complet n'a pas été servi à notre table, et que nous avons eu tout ce dont nous avons besoin. On dirait que j'ai vu juste. La journée va rapporter gros. Et puis, un sourire aussi grand et aussi tenace ne m'a pas adoptée depuis des mois.

Je retire ma flèche par la hampe, en appuyant ma main gauche sur la tête du chevreuil tout en faisant des tours avec celle qui l'arrache afin de ne pas casser la pointe. Je nettoie rapidement le sang qui couvre le tout avec le bas de mon manteau, avant de remettre l'instrument dans mon carquois. Je remarque un air sinistre dans les yeux d'Aloysius, mais quelque chose me dit de ne pas ramener à la surface ce qu'il garde pour lui.

-Tu pourrais même essayer de vendre les sabots à Poppy, celle qui est à l'entrée du marché, continue mon cousin. Elle achète tout, même les coquillages fendillés que je lui ramène.

Poppy est une vieille femme qui tient un kiosque de fortune près du marché noir. Elle est bien sympathique, mais je n'ai jamais vraiment pris le temps de la connaître. Elle vient du Marais, je crois. Il me semble qu'elle connaissait ma mère, peut-être même avaient-elles été amies. Mais j'étais trop jeune à l'époque pour que je m'en souvienne aujourd'hui.

Un autre nuage se pose sur le regard d'Aloysius, déclanchant une sorte de malaise en moi. Quoi qu'il en soit, je fais mon possible pour ignorer ce sentiment, sachant qu'il n'apprécierait pas mon indécence si je lui pose la question. J'aurais réagis de la même façon si quelqu'un aurait eu cette indiscrétion. Au District Quatre, l'une des lois non-écrites les plus répandues est certainement "ne demande jamais ce que l'on pourrait t'offrir", ce qui se résume à peu près à "si ça lui tente de te le dire, il te le dira" dans la situation.

-Je pensais qu'il pèserait qu'une quinzaine de kilos, mais il doit facilement faire le double. Tu devrais en garder un bon morceau pour toi. C'est de la viande de haute qualité, ça serait dommage que tu ne la goûtes pas.

-Bien entendu, que j'en profiterai, dis-je en libérant un petit rire aigu. Après tout, ça fait un petit bout de temps que je n'ai pas goûté à tel festin.

Je termine cette phrase en imitant l'accent du Capitole, histoire de faire prendre un aspect comique à la phrase aux allures sombres. Aloysius tire un grand filet aux allures arachnéennes de sa besace, qu'il dépose sur notre proie en le coinçant à l'aide de piquets de bois. Rudimentaire, mais foutuement efficace.

-Voilà, s'exclame-t-il. Normalement, ça devrait tenir les autres bêtes à distance. Et puis vu que je l'ai saigné, il ne risque pas trop de sentir.

Heureusement. Je ne sais pas jusqu'à où mon envie de meurtre m'aurait poussée si jamais on m'avait piqué mon chevreuil. Je surprend alors mon cousin à me jauger de la tête aux pieds, un air, à la fois narquois et fier.

-Quoi? je lance, moqueuse.

Il me sourit. Je lui fait la même chose en retour.

-T'es vraiment douée avec ton arc. C'était vraiment propre.

-Je me débrouille, disons, ironisé-je.

Je ne sais pas pourquoi il me dit ce compliment, surtout après ce mois où il m'a vue l'utiliser en abondance, mais j'accepte le compliment. Bien que je ne me trouve pas si bonne. Je visais l'oeil, et puis ma flèche manquait un peu de puissance. Et puis j'ai vu des gens, aux Jeux, qui étaient capables de tirer de bien plus loin.

-C'est ma dernière année d'éligibilité aux Jeux.

Son visage retrouve l'aspect sinistre. C'était donc ça. La Moisson approche à grands pas, il est vrai. Un vent de malaise souffle dans l'air, m'arrachant un frisson maladroit. Je dois avouer que j'appréhende le tirage au sort de cette année. Mon frère étant mort l'année d'avant, une espèce de crainte non dissimulée s'est insinué en moi.

-Si par un triste hasard c'était nos noms qui sortaient... Tu voudrais faire une alliance avec moi?

J'éclate de rire. Je ne sais pas si c'est de la nervosité ou que la situation m'apparait ridicule, mais le résultat est le même. Je ne peux m'empêcher de songer aux de Beauregard, le frère riche de ma mère et de la vie luxueuse de mon cousin. Je ne vois pas pourquoi il serait pigé.

-Tu n'as presque aucune chance d'être pigé. Avec la famille que tu as, ça ne m'étonnerais pas que tu aies tout juste tes sept inscriptions. Je suis deux ans plus jeune, et pourtant j'en ai le triple.

Je remarque alors qu'il ne veut vraiment pas plaisanter. Moi non plus d'ailleurs. Ce n'est pas drôle du tout. En fait, c'est terriblement angoissant. Mon visage prend un aspect grave. Je fixe un point vide, dans les fougères, perdue dans mes pensées. Je repense à Jessie. Je repense à Bianca. Bianca... Je ne la connaissais pas, mais je sais tout ce qu'elle représente pour mon cousin.

-Bien entendu... Bien entendu que je m'allierais avec toi.

Soudain, une véritable peur s'installe en mon échine. La Moisson.... Je ne tiendrais pas deux secondes. Je suis petite et sous-alimentée depuis toujours. Si je suis bonne à l'arc, au corps-à-corps, je me ferais briser en mille morceaux. Les autres tributs seraient en général tous plus grands, plus forts et plus rapides que moi, sans parler des carrières, qui seront entraînés depuis des années à tuer le genre de fille que je suis.

Je ne voyais pas comment je pouvais gagner les Jeux. Je n'avais rien d'un Carrière à part le district d'origine. Fallait-il mieux que je fasse cavalier seul, ou que je rejoigne cette alliance? Ou même que j'en fasse une avec d'autre tributs ? De toute façon, je n'étais pas très bon pour aller vers les gens. Si Sagitta refusait de s'allier à moi, j'avais dans l'idée de rester seul, loin derrière elle. J'étais persuadé que j'allais mourir. Et cette idée ne me semblait pas plus dérangeante que ça. Peut-être parce que j'avais été habitué à ça depuis que j'étais petit. J'avais perdu Terry. J'avais perdu Bianca. C'était logiquement à moi d'être perdu. Je ne pouvais opposer aucune résistance face à cette éventualité - ou plutôt cette certitude. Cela n'allait qu'accélérer quelque chose que j'avais péniblement attendu pendant plus de six ans. J'avais déjà flirté avec l'idée de mourir par moi-même par deux fois, mais je n'arrivais pas à me résoudre à laisser ma mère seule avec des questions sans réponse. Si je mourrais pendant les Jeux, elle comprendrait mieux et la pilule serait un peu moins dure à avaler. Elle trouverait un bouc émissaire à mon décès et sa peine se transformerait en rage. Elle sortirait de son état passif dans lequel elle est depuis que Père ne revient plus du Capitole et qu'Eryk n'a plus un seul contact avec nous.

Oui, ma mort pouvait avoir un aspect bénéfique sur quelqu'un, j'en étais sûr. Je me mordis la lèvre machinalement, attendant la réponse Sagitta, qui devait bien évidemment être choquée par ma réponse. Elle devait se demander comment diable je pouvais penser une seule seconde que c'était mon nom qui allait sortir, le jour de la Moisson. Je n'avais aucune tesserae - je n'en avais bien évidemment pas besoin vu ma situation familiale - alors qu'elle, avec deux ans de moins que moi, en avait largement plus. De plus, il y avait tellement de potentiels volontaires, dans notre district...

Comment pouvais-je avoir l'idée même de devoir aller dans l'Arène? C'était ridicule. Pourtant, j'avais cette intime conviction que c'était mon tour de mourir. Si possible pour défendre quelqu'un. Peut-être même pour défendre Sagitta. Etre son bouclier humain. Sa victoire l'aiderait à alléger sa vie rude. Elle n'aurait plus à chasser pour se nourrir, mais juste par plaisir, elle pourrait manger à sa faim et convenablement tous les jours. Si elle gagnait. Notre district recevrait une nouvelle fois de généreuses rations de la part du Capitole, et l'euphorie d'avoir gagné atténuerait la douleur de ceux qui me connaissaient. Avec un ventre plein, on oublie plus facilement. Sagitta prit la parole. « Tu n'as presque aucune chance d'être pigé. Avec la famille que tu as, ça ne m'étonnerais pas que tu aies tout juste tes sept inscriptions. Je suis deux ans plus jeune, et pourtant j'en ai le triple. » Je baissais la tête comme un gamin pris en faute. Je m'inquiétais pour rien. Elle avait raison, et je le savais. Je jetai un regard au chevreuil, bien content d'avoir fermé ses yeux pour ne pas y voir la mort s'y refléter. D'eux même, mes bras se croisèrent sur mon torse. Je ne relevai la tête que lorsque Sagitta répondit à ma demande. « Bien entendu... Bien entendu que je m'allierais avec toi. » Je souris. Cette fois, j'aurais la chance de protéger quelqu'un à qui je tiens. Et je rejoindrai Bianca. Voyant un air grave et sombre s'installer sur le visage blême de ma cousine, je la bousculai doucement. « Merci, Chase. » Je fais mine de vérifier une dernière fois mon installation. « Mais bon, je n'aurais pas dû en parler maintenant. Ce n'est pas comme si la Moisson c'était demain non plus ! On a encore un peu de temps avant ça. » Je lui offris le sourire le plus convaincant que je pouvais faire, sentant cependant que le sujet risqué sur lequel j'avais décidé de m'aventurer avait largement contribué à plomber l'ambiance. Les Jeux étaient un sujet tabou. D'autant plus dans notre famille et notre entourage, particulièrement touché par cela. Nous avions tous les deux déjà goûté à la perte d'un être cher à cause de ce concept. Et si Sagitta ressentait la même douleur pour son frère Jessie que moi envers ma petite Bianca, elle devait être vraiment mal. Je passai une main dans mes cheveux, cherchant quelque chose à dire.

J'avais envie, je ne savais guère pourquoi, de lui parler de Bianca. Je n'en avais jamais parlé à personne. Après sa mort, je m'étais renfermé, refusant le dialogue sur ce sujet avec tout le monde. Je ne voulais pas qu'on me vole mes souvenirs. On me volait déjà chaque jour la plage où ses cendres avaient été dispersées.. Mais cette fois, je ressentais le besoin de m'exprimer à son sujet. J'avais envie de dire à quelqu'un à quel point je l'aimais. A quel point elle me manquait. De dire à quelqu'un que si on me donnait l'opportunité d'échanger ma mort contre sa vie, je le ferais sans hésiter. J'ouvrai la bouche, cherchant vainement des mots qui ne venaient pas. Je n'étais pas très bon pour parler, d'autant plus que le silence régnant entre nous deux me confortait dans l'idée que je ne devais pas en parler. Heureusement, un glapissement terrifié me fit détourner la tête. Ah. Un lapin s'était pris dans un de mes collets, à quelques mètres de là. Je rejoignis la bête, bien content d'avoir un prétexte pour échapper au silence, et défis prudemment le collet avant d'extirper le pauvre petit, blessé mortellement au cou par mon piège. J'abrégeai ses souffrances rapidement, le coeur lourd. C'était une femelle, qui devait sûrement avoir des bébés dans les environs... Je décidai de faire comme Sagitta, et de considérer nos prises comme de la viande. Uniquement de la viande. Pas la réincarnation de Bianca, encore mois celle de Terry ou de Jessie. Et ça allait tout de suite un peu mieux. Je vidai le lapin de son sang et le rangeai dans ma besace, à côté des deux autres abattus un peu plus tôt.

« Eh bah dis donc, c'est une grosse journée aujourd'hui ! J'ai déjà trois lapins. Ca va faire un excellent ragoût pour ce soir. J'irai en revendre un pour acheter des légumes. » Je m'évertuais à ne pas croiser directement le regard de Sagitta. Je ne savais pas vraiment pourquoi, mais je n'avais aucune envie de me confronter à ses yeux. Peut-être que j'avais peur d'y voir quelque chose que je n'y étais pas censé voir ? Mais quoi? Je me relevai, cherchant quelque chose d'autre à dire. « J'aimerai bien apprendre à me servir d'une vraie arme. » je lâchai abruptement. « A part mes collets, je n'ai pas grand chose d'autre. Toi, tu as ton arc, et tu dois aussi savoir viser très bien avec des couteaux. Sans mes filets, je suis capable de rien. » Mon visage prit un air grave qui ne m'allait pas réellement. « Mais bon, tant que ça me permet de chasser, c'est pas mal hein ? » Je me forçai à sourire de toutes mes dents, avant de me remettre à marcher le plus discrètement possible, à la recherche d'une potentielle nouvelle prise.

-Merci, Chase, me répond-t-il tout en me bousculant doucement, histoire d'aller vérifier ses pièges une dernière fois. Mais bon, je n'aurais pas dû en parler maintenant. Ce n'est pas comme si la Moisson c'était demain non plus! On a encore un peu de temps avant ça.

Peut-être, mais à ce moment-là, on aura d'autres choses à s'inquiéter rendus là. Les tesserae, rassurer nos familles, faire du surplus de viande au cas où... où l'impossible arriverait. Je dois avouer que je tremble à l'idée de cette Moisson. Quelque chose de sinistre plane au dessus du nombre soixante-seize, au dessus de la prochaine édition. Ce n'est pas simplement la Moisson, qui m'inquiète; on vient de passer au travers de la plus violente et la plus rapide de toutes les éditions des Jeux. Une Expiation, en plus. En la moitié du temps habituel des Hunger Games, soit tout juste une semaine, et de plus, les tributs étaient bien plus nombreux. 29 morts en sept jours alors que 23 disparaissent en plus de deux semaines depuis des dizaines d'années. Les Juges voudront en mettre plein la vue, pour éviter que les 76èmes Jeux soient ennuyeux comparés à l'an dernier.

-Tu as raison, me contenté-je de souffler, esquissant un pâle sourire.

Un coup sec suivi d'un glapissement étouffé nous averti qu'un idiot de lapin s'est déjà empalé dans le collet d'Aloysius. Non mais franchement, ce n'est pas comme si on était deux humains en grande conversation, à moins de quinze mètres du piège, mais c'est un peu ça. Mon cousin se précipite vers le piège avec une zèle presque fanatique. Je vois bien qu'il est profondément dérangé par quelque chose. Si seulement je pouvais mettre le doigt dessus! J'ai l'impression que la Moisson n'est pas la seule chose qui l'inquiète. Le coup de couteau qui tranche la gorge de l'animal confirme mes craintes, alors que le sang éclabousse le sol. En un mois, j'ai appris à reconnaître les gestes précis et agiles de mon cousin, et ce coup-ci me semble trop mou, trop... pensif. Ça me rend folle de ne pas savoir ce qui le tourmente. J'aurais aimé partager son fardeau...

-Eh bah dis donc, c'est une grosse journée aujourd'hui ! J'ai déjà trois lapins. Ca va faire un excellent ragoût pour ce soir. J'irai en revendre un pour acheter des légumes.

Bon sang, Aloysius. Je le vois bien. De la façon que tu évites prestemment mon regard, la rougeur révélatrice de tes yeux, ta veine tentative d'avoir l'air heureux... Aloysius, parle moi! Mais il ne me parle pas. J'aurais tant aimé pouvoir l'apaiser... Mais j'ai l'impression que de lui demander, lui demander ce qui le rend mal à l'aise, paraîtrait déplacé. Je ne sais que faire...

Un moment de pause...

-J'aimerai bien apprendre à me servir d'une vraie arme.

Abrupt. Brusque. Il l'a lâché comme ça. Je jette un regard par réflexe par dessus mon épaule, craignant avoir été entendue. Puis je me rappelle que nous sommes dans les bois, à des kilomètres du District Quatre. Je me détend un peu. Mais pourquoi? Pourquoi veut-il apprendre à se servir d'une arme?

-A part mes collets, je n'ai pas grand chose d'autre, ajoute-t-il, comme s'il lisait mes pensées. Toi, tu as ton arc, et tu dois aussi savoir viser très bien avec des couteaux. Sans mes filets, je suis capable de rien. Mais bon, tant que ça me permet de chasser, c'est pas mal hein ?

Son visage passe d'un air sombre et fataliste à un sourire éclatant en un instant. Sacré cousin. C'est comme si nous étions télépathes tant nous nous comprenons, et pourtant je n'arrive jamais à le cerner. J'esquisse un sourire faiblard.

-Je suis nulle au corps-à-corps, si ça peut te rassurer. Je ne tiendrais pas deux secondes à l'épée, ou tout simplement à mains nues.

Je ne sais pas quoi ajouter. Une sorte de malaise plane sur la forêt. On dirait que même les oiseaux se sont tus. Je baisse le regard. Les feuilles mortes virevoltent au gré du vent paisible, entrant parfois en collision avec des racines ou des hautes herbes. J'ai l'impression que le temps s'est arrêté. On est pas si mal, ici. Je me sens presque bien. Dans le silence complet, pour la première fois depuis des lustres, loin de tout, dans une sorte de monde parallèle.

Dommage que toute bonne chose doit avoir une fin.

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