i'm just afraid his eyes won't open anymore

Nous entrons dans le Centre d'Entraînement. Je suis encore grisée par l'émotion, la fierté, le sentiment de puissance qui m'a envahie quelques minutes plus tôt. Peut-être ai-je une chance de gagner ces jeux. J'ai des sponsors assurément maintenant. Aloysius aussi. Nous sommes devenus les Conquérants du District Quatre.

Le Centre d'Entraînement est énorme. Les murs, presque entièrement de verre, se rendent si haut que je ne peux m'empêcher de les comparer avec les falaises qui surplombent la mer déchaînée, chez nous. Nous entrons dans une sorte de petite cabine tout en verre, que Serena appelle un ascenseur. À peine entrés, des portes coulissantes se referment et j'assiste, émerveillée, à notre propulsion dans les airs. Je peux voir les gens en-bas devenir tout petits. La sensation de vertige est incroyable. Je suis tout excitée lorsque nous arrivons au quatrième étage, celui qui nous est attribué, et prévois avec hâte mon prochain tour, le lendemain, pour me rendre aux ateliers.

Je suis estomaquée en découvrant notre résidence. Je pensais que le train était luxueux? Huh! De gigantesques baies vitrées donnent sur la ville, et, sous quelques touchers bien placés, on peut zoomer sur certaines parties de la capitale et recevoir les informations utiles. Un buffet sur commande est placé près des canapés, et les chambres...!

À peine entrée que je me m'effondre sur l'énorme lit de satin doré. Il est si moelleux que je me sens m'enfoncer dans les couvertures. J'ai une vue sur la ville illuminée, et découvre une manette modifiant la vue à volonté. Je passe donc de Capitole, à forêt, à rivière, à désert... Je m'arrête sur champ de fleur avec lever de lune, ayant un peu perdu espoir de trouver la fin.

Je suis éreintée. Ma dernière nuit complète remonte à il y a trois jours. Il me faudra être en forme pour l'entrée dans l'Arène, sans quoi je ne ferai pas très long feu. Sauf que je ne m'endors pas. J'ai beau me tourner et me retourner sans arrêt, bon sang, je ne m'endors pas. La vie est étrange; lorsque je suis très fatiguée, je ne peux jamais m'endormir, même aux moments cruciaux. Heureusement que mes sommeils sont très réparateurs.

Au bout d'une heure, je n'en peux plus. Je me lève et vais m'asseoir près de la fenêtre où j'ai une vue complète sur le Capitole qui fête notre arrivée, qui fête notre perte. Je repense à Aloysius. Nous allons mourir et il me croira haineuse à son égard. Je ne le reverrai plus jamais, et pourtant, je n'ai pas encore eu l'occasion de lui dire que je suis désolée. Qu'il compte.

Je ne peux pas laisser la situation comme cela. Je ne me le pardonnerai jamais s'il mourrait en me pensant son ennemie. Peut-être dort-il, cependant. Il vaudrait mieux ne pas le réveiller. Oh et puis quoi encore. J'y vais. Je m'avance sans bruit dans le spacieux appartement, puis me rends devant la chambre de mon cousin.

J'y cogne trois coups très légers, puis, consciente qu'il ne m'a probablement pas entendue, les répète un peu plus fort. J'attends un instant. Aucune réponse. Il doit dormir. Oui, ça doit être ça. Ou sinon, il m'ignore complètement et souhaite rester enfermer jusqu'à notre entrée dans l'Arène. La porte s'ouvre, je sursaute.

- A... Aloysius? Je peux te parler?

Je crois qu'on pourrait aussi bien m'arracher les deux bras, je ne sentirais rien. J'ai toujours en tête les applaudissements, les cris de joie, le discours du président Snow dans les oreilles, lorsqu'on nous amène, Sagitta et moi, au Centre d'Entraînement. Il est énorme, spacieux et sans doute plein d'ateliers intéressants et non négligeables, mais tout ce que j'arrive à penser, c'est que si les habitants du Capitole ont aimé nos costumes, on a une chance de s'en sortir. Une bonne chance... Sûrement. J'ai intérêt à assurer lors de la démonstration, et encore plus lors de l'interview. L'interview... Ca me paraît dans longtemps, mais je sais très bien qu'ironiquement, ça va venir plus tôt que prévu. Mais cette idée ne change rien à mon état d'esprit, et je suis toujours extatique lorsque l'on nous montre notre étage - le quatrième.

Je suis estomaqué par la richesse et le luxe évidents, et sûrement encore plus par le buffet sur commande. Depuis la Moisson, j'ai le ventre noué, et je n'arrive pas à manger, mais rien que cette vision fait gronder mon ventre. On nous amène dans nos chambres respectives, et la première chose que je fais, c'est prendre une douche. Je pue la transpiration à vingt mètres.

Après m'être lavé, j'enfile un bas de pyjama et un tee-shirt un peu trop large, et m'allonge sur le lit. Même celui que j'avais, à la maison, n'est pas aussi moelleux et aussi confortables. J'ai l'impression qu'ici, au Capitole, tout est possible. Peut-être que, si je gagne... Je pourrais emmener May ici, et on vivrait tranquillement... May. Je me rends soudainement compte que malgré l'état dans lequel le Défilé m'a mis, elle me manque. Terriblement. Pourquoi n'est-elle pas venue me voir, avant de prendre le train? J'espère que rien de grave ne lui est arrivé. Sinon, je ne me pardonnerais jamais d'être parti.

Je me roule sur le côté lorsque j'entends trois coups étouffés sur ma porte. C'est bizarre, je n'ai rien commandé... Les trois coups se répètent, un peu plus fort. Je me lève, et finis par ouvrir la porte, qui donne sur Sagitta, un peu surprise. Je fronce les sourcils, et me rappelle soudainement qu'il n'y a pas que May qui me manque. Ma cousine aussi. « A... Aloysius? Je peux te parler? » Je la regarde sans réellement comprendre, et ouvre la porte un peu plus, la laissant entrer dans ma chambre. Je reviens sur le lit sans un mot, assis. Je ne vois pas pourquoi elle est là. Elle a décrété je-ne-sais-pourquoi que mon attitude un peu défaitiste mettait en péril ses chances de gagner, et elle ne m'a plus réellement parlé depuis. Pourtant, je ne ressens pas de colère envers elle. Au contraire, je la comprends. Nous sommes censés être des concurrents, il est impensable de me laisser prendre toutes ses chances de survie. Un peu mal à l'aise, je croise les bras sur la poitrine, fixant Sagitta. « Je sais que tu me détestes. » je murmure en me mettant en tailler. « J'ai bien compris que tu n'as pas compris pourquoi j'ai agis comme ça. » je grommelle, détournant le regard. Je me rappelle soudainement la proposition d'alliance que je lui ai faite, et je me dis que vu les conditions présentes, elle ne doit même plus la prendre au sérieux.

La porte s'ouvre, donnant sur le visage perplexe de mon cousin. J'aurais envie de me jeter dans ses bras et de le serrer le plus fort possible, mais je ne fais qu'esquisser un pâle sourire. Je me sens terriblement mal. Il est la seule chose qu'il me restera du monde d'avant dans l'Arène, avec mon briquet. Et je l'ai écarté comme un vulgaire moustique parce qu'il était terrorisé par les jours à venir et pas moi.

Il me laisse entrer. Un silence gêné règne dans la pièce, comme tant d'autres qui ont parsemé notre voyage jusqu'au Capitole. Je n'en reviens tout simplement pas. Que dans trois jours, nous seront peut-être morts. Que les chances que nous rentriions au District Quatre sont excessivement faibles. Et que peut-être je serai morte sans avoir eu le loisir de m'excuser auprès de l'une des personnes que j'aime le plus au monde et dont je suis assurée de la perte.

Je me retourne vers lui, et il croise les bras sur sa poitrine. Je m'assois sur son lit, effrayée à l'idée que je pourrais tomber et ne jamais me relever sous le poids du monde. Je réalise alors à quel point j'ai peur. À quel point je suis détruite. Je tente de me faire une façade, mais je n'ai pas la force de résister à tant de malheurs. Pas sans lui. Aloysius me rejoint, et il se place en tailleur.

- Je sais que tu me détestes, commence-t-il. J'ai bien compris que tu n'as pas compris pourquoi j'ai agis comme ça.

Il a raison. Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça. Je ne peux tout simplement pas comprendre. Mais je n'avais tout de même pas le droit de lui infliger un tel jugement. Nous sommes de la même famille, du même sang.

- Non, je murmure. Non, je ne te déteste pas... T'inquiète. T'es mon cousin, après tout.

Je prends un long silence pour prendre le temps de respirer profondément. Si je continuais à parler maintenant, je me mettrais à pleurer. Je n'ai pas envie de pleurer. Il faut que je sois forte pour lui. Que je lui montre que nous avons peut-être une chance. Lorsque la boule qui sévit dans ma gorge est passée, je continue:

- Je ne comprends peut-être pas pourquoi tu as agis ainsi. Mais je n'avais pas le droit de t'abandonner. Encore moins de te traiter de faible. Pa... Pardonne-moi, Alo.

Les larmes coulent toutes seules, maintenant. J'essaie de les effacer, de paraître solide, mais à chaque fois que j'en essuie une, deux autres coulent. Je me sens si petite. Si petite et si fragile. Le monde est trop grand, trop dur pour ma frêle carcasse. J'ai tellement peur. Peur de perdre encore quelqu'un. Peur de mourir. Je suis faible. Si faible...

Je veux ma cousine.

Je veux que ma cousine soit avec moi, je veux qu'elle me dise que tout va bien aller, même si je sais pertinemment que non. Je m'apprête à dire quelque chose d'autre, mais elle prend la parole. « Non. Non, je ne te déteste pas... T'inquiète. T'es mon cousin, après tout. » Je tique pendant un instant, avant de soupirer dans un sourire. Elle ne me déteste pas. C'est déjà ça de gagné. Pourtant, elle a beau dire ça, je ne me sens bizarrement pas spécialement mieux. Au contraire.

« Je ne comprends peut-être pas pourquoi tu as agis ainsi. Mais je n'avais pas le droit de t'abandonner. Encore moins de te traiter de faible. Pa... Pardonne-moi, Alo. » Et elle fond en larmes. Sagitta, d'ordinaire si forte, si solide, si solaire, pleure, et je suis incapable de réagir. Elle pleure en continu, sans s'arrêter, et je ne fais que la regarder bêtement, avant de réagir enfin. Je l'enlace doucement, la laissant se nicher dans mon cou. Nous n'avons jamais été proches physiquement parlant, mais je ne ressens aucune gêne, aucun mal à l'aise. Comme si nous nous étions enlacés des milliards de fois.

« Arrête de pleurer... Shhh... » je murmure en passant mes mains dans son dos, lentement. « Si tu dois pleurer, fais le pour de bonnes raisons. Tu ne m'as pas abandonné, d'accord? » Je soupire et la serre un peu plus fort. « Tu ne m'as jamais abandonné. Et moi, je ne t'abandonnerais jamais. Tout va bien, Sagitta. Tout va bien. »