« On n'est pas seuls » chuchota soudain Anteynara, en s'arrêtant. Elles avaient quitté le Capitol ce soir-là, dans le but d'aider un ami -un rebelle- à sortir de son district et à prendre la route pour le 13. Elles étaient parties, en douce, sans prévenir qui que ce soit. Anteynara avait attaché ses cheveux roses et portait un anorak et une grande capuche. Elle n'était pas maquillée, avait laissé de côté ses vêtements pour un jean large et des baskets. Elle était méconnaissable. Cette nuit-là, dans la nature, il y avait elle, Domino, et Brandon, leur ami. Et pourtant elle savait qu'ils étaient suivis. Anteynara se retourna d'un coup et crut voir quelqu'un derrière un tronc d'arbre. Ce n'était rien. Et pourtant, il lui suffit de faire deux pas de plus, avant de se tourner à nouveau. Il y avait quelqu'un. Au moins deux ou trois personnes, voire plus. Et Anteynara aurait mis sa à couper sur le fait que c'était des Pacificateurs. Mais pourquoi se cachaient-ils ainsi au-lieu de simplement les arrêter ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Mais ils étaient là. Il ne s'écoula que quelques secondes avant que l'un des poursuiveurs se montre au grand jour. Anteynara avait une arme, elle avait sa main droite fermée sur ce pistolet attaché à sa ceinture. Mais elle hésita durant une fraction de seconde. Tout alla très vite. Il y eut des voix, graves, plus aiguës. Elle dégaina, mais avant de pouvoir faire quoi que ce soit, elle fut frappée au visage. Elle ne savait pas se battre, personne ne lui avait avait jamais enseigné comment combattre. Alors elle mit en pratique le peu de choses qu'elle savait. Un croche pied à son adversaire, et il tomba. Avec son pied droit, elle y alla sans hésiter et donna un coup dans le visage de l'homme à terre. En levant les yeux, elle vit que trois Pacificateurs s'en prenaient à Brandon, et Domino, elle était un peu plus loin. Il y avait trop d'hommes en blanc. Celui qui était à terre tenta de se relever, et Anteynara réussit à ramasser un caillou. Elle le frappa à la tête. Il serait inconscient pour quelques heures, et à son réveil, il ne se souviendrait que de quelques bribes. S'il avait cru reconnaître Anteynara, il mettrait ça sur le compte de l'hallucination. « Cours » finit-elle par adresser à Domino. Le seul bon point était que pour l'instant, elles n'étaient pas démasquées. Antey lança un regard vers Brandon, qui tentait de les suivre. Elle courut, sans regarder derrière elle. Dans sa tête, elle se repassa la scène. Non, elle n'avait rien fait qui puisse la trahir. Rien du tout. Anteynara-Jack Belson était toujours totalement innocente aux yeux du Capitol. Elle se sentit plus légère. Elle ralentit finalement, lorsqu'elle se rendit compte que les Pacificateurs ne les avaient pas suivis. En se tournant, elle eut un choc. Brandon n'était pas là. Où était-il ? Non, pas ça. Elle ne voulait pas y croire. S'il n'était pas là, ça signifiait qu'il avait été arrêté. « Viens, on retourne vers le district un » ordonna-t-elle à Domino, sans même lui donner l'opportunité de protester. Antey était déjà en chemin. Elle courait en sens inverse et après quelques minutes, elle était debout, en hauteur, sur une colline. De là, la vue était parfaite. On pouvait observer les grandes rues du district, et surtout, la place où, à cet instant, les gens étaient rassemblés. Anteynara suivit la scène des yeux. Il y avait des pacificateurs, partout, et un homme au centre. Elle savait qui c'était, elle l'avait reconnu. Brandon. L'un des Pacificateurs pointa son arme sur la nuque du jeune homme et le coup partit. Anteynara retint un cri, ses mains se levèrent à hauteur de son visage et se placèrent devant sa bouche. Ce n'était pas la surprise, juste le chagrin, un chagrin qui le prenait férocement. Le chagrin, et l'horreur de voir cette journée devenir un désastre. Ce Pacificateur venait de tirer une balle dans la tête de Brandon, son ami. Au fond d'elle-même Anteynara savait que c'était un risque, mais elle... Elle n'aurait jamais pensé que ça arriverait. Et elle se disait aussi que c'était mieux qu'autre chose. Parce que mille fois pire aurait pu arriver. Elle savait ce que le Capitol pouvait faire. Elle savait, et elle avait déjà vu. C'était une chance que Brandon ait fini avec une balle dans le crane, et pas en petits morceaux après des heures d'interrogatoire. Elle ne put bouger, resta là à fixer le corps sans vie sur la pierre, les mains cachant ses lèvres. Une larme roula sur sa joue. De suite, le froid vint attaquer le trait humide, brûlant sa peau. Mais Anteynara ne bougea pas, elle ne détourna pas le regard. Elle en était incapable. Tout était allé si vite... Trop vite. Un quart d'heure plus tôt, tout allait parfaitement bien. Brandon était hors de danger, et là, il était allongé sur la dalle. Son cadavre allait être emporté pour être mis on ne sait où. Peut-être remis à sa famille, mais ça, Antey en doutait grandement. Elle sentit la présence de Domino, et se souvint alors qu'elle n'était pas totalement seule. Elle se sentit soulagée pendant un instant, avant de fermer les yeux et de laisser les larmes couler. « On ferait mieux de rentrer. Ça risque de créer des soupçons, le fait qu'on ait disparu comme ça » murmura-t-elle de sa voix brisée.

[edit; désolée pour cette ban' horrible]

Anteynara avait toujours vécu dans ce qu'on pouvait appeler le bonheur. Elle n'avait pas eu à craindre la moisson, jamais elle n'avait été en contact direct avec les Jeux de la Faim. Pas comme des millions de gens. Elle n'avait pas eu à craindre pour ses proches, à crever de faim. La vie lui avait souri car elle était née au Capitol, ses parents étaient riches, sa sœur était parfaite. Tout le monde avait toujours adoré Anteynara, elle avait été gâtée par la nature dans tous les domaines, elle était bénie. Et pourtant, en cherchant un peu plus loin, on s'apercevait que tout n'était pas forcément si rose, et que les choses étaient un peu plus compliquées. Elle n'était pas idiote et superficielle. En fait, Antey était conçue pour autre chose que le Capitol. Une partie d'elle-même réagissait comme une fille de district. Elle détestait le régime actuel, et surtout la façon dont on obligeait les gens à mener leur vie. Elle haïssait tout cela, elle haïssait Snow. Sa vie n'était pas parfaite. Sa mère ne l'aimait pas, à cause des Jeux justement. Comme quoi, même lorsqu'on est né au Capitol, les Hunger Games peuvent détruire une partie de votre vie. Parce que si la mère d'Anteynara était si distante, c'était parce que les Jeux l'avaient poussée à se tenir éloignée de tout ce qui sortait de la norme, par besoin de sureté. Anteynara faisait partie de ce qu'il fallait éviter, à cause des ces problèmes mentaux, minimes, sur lesquels on avait mis l'étiquette de "troubles du déficit de l'attention".

Mais ce jour-là, une étape avait été franchie. Un cran plus haut. Parmi ses petits malheurs, rien de tel n'était encore arrivé. Jamais elle n'avait perdu d'ami, jamais aucun de ses proches, aucune de ses connaissances, n'était mort de cette façon. Si brusquement. Brutalement. D'un coup, comme ça. Et elle n'aurait jamais cru que ça puisse arriver ainsi. Pas aussi vite. Elle s'y attendait, savait que c'était à prévoir. Mais elle imaginait que ça arriverait une fois que la révolte serait officielle, quand tout serait en marche. Quand elle serait clairement devenue une rebelle et que les choses seraient devenues plus... sérieuses. Une fois qu'elle serait plus impliquée. Et pourtant, un ami à elle venait de mourir, assassiné par le gouvernement de ce pays détruit. Était-ce un signe ? Signe que bientôt, la rébellion deviendrait forte, prête à attaquer et prendre le pouvoir. A renverser Snow et détruire le malheur. Anteynara croyait en ses rêves les plus fous, et personne ne pouvait la blâmer pour ça. Pas à Panem. Parfois, les rêves, c'est tout ce qu'on a. Il faut s'accrocher à quelque chose pour ne pas couler. Seulement, sur le moment, Anteynara ne pensa pas à tout ça. Le temps s'était arrêté, et il lui fallut un long moment pour revenir à la réalité, faire la part des choses, distinguer les faits des espérances. Brandon était mort. Il n'était ni le premier, ni le dernier. Elle avait juste du mal à se faire à cette idée.

Anteynara se sentit ses pieds bouger, elle avait commencé à marcher sans s'en rendre compte, entraînée par Domino. La voix de la jeune femme lui parvint aux oreilles. Elle essayait de la consoler, ça se sentait, et Anteynara aurait voulu protester, parce qu'elle détestait ça. Mais elle n'en avait pas la force. Elle préféra ne rien dire, écouter les paroles douces de Domino, et marcher en silence à ses côtés. Elle aurait voulu lui dire qu'elle entendait par là que ses parents aussi savaient qu'elle sortait souvent, mais que ce soir-là, ça pouvait être suspect. Mais elle n'en fit rien, parce qu'au moment d'ouvrir la bouche elle se ravisa. Ce n'était que des paroles inutiles. Et de toute façon, elle n'avait pas envie de parler... Puis elles finirent par arriver à destination. Une petite maison qu'elles utilisaient lorsqu'elles revenaient d'une escapade, histoire de ne pas attirer l'attention. Anteynara ne pleurait plus, mais les évènements l'avaient secouée. Il lui faudrait quelques jours pour se remettre totalement. Pour faire abstraction des mauvaises choses et reprendre le cours de sa vie sans se sentir triste à chaque pensée. Il fallait positiver maintenant. Même si les sanglots s'étaient perdus dans la nuit, Antey se sentait trembler. Elle avait froid, se sentait malade, et tout ce qu'elle voulait, c'était dormir. Quelques secondes plus tard, elle était à l'intérieur. Elle retira ses chaussures sales et sa veste. Elle hocha la tête au conseil de Domino. Il y avait cette avox, qui s'occupait d'elles lorsqu'il le fallait. Anteynara se sentait toujours mal à l'aise en présence de l'un d'eux, mais elle ne pouvait rien y changer, et commençait à s'y habituer.

Antey croisa le regard de Domino. Elle lui adressa un petit sourire en coin, sans grande conviction. Elle ne bernait personne. Pas cette fois. La jeune femme se gratta la gorge, gênée, elle fit trois pas avec une assurance fausse. Elle s'arrêta quelques mètres plus loin, s'appuya sur une commode et ferma les yeux un instant. Elle expira, puis releva la tête. Anteynara se retrouva face à son reflet dans le miroir. Une fille avec des cheveux attachés, mais décoiffés, une lèvre fendue. Le visage mordu par les larmes. Elle s'en voulait terriblement d'être aussi faible, émotive. Mais elle ne pouvait rien y changer, et à cet instant, c'était le cadet de ses soucis. Elle sentit une brûlure à son bras et fronça les sourcils en détournant le regard du miroir. L'adrénaline et les émotions l'avaient anesthésiée jusque là. Mais elle avait une sale blessure près de l'épaule. Le fait d'avoir pris quelques coups dans le ventre lui avait valu des bleus, mais elle se sentait plutôt bien, physique. C'était passable. Ça aurait pu être pire. Elle n'était pas la seule blessée ici. Domino aussi avait servi de punching-ball. Anteynara s'en voulut alors de n'avoir pensé qu'à elle jusque là. Domino aussi avait été là, et... Antey se sentait égoïste. Elle ne s'était pas souciée une seule seconde de l'état dans lequel était Domino.

Anteynara quitta le couloir, pénétrant dans la salle à manger et ouvrant le bar d'un geste drôlement mécanique. Comme si elle y était habituée. Pourtant, elle n'était pas le genre de fille à se servir dans le bar tous les soirs. Elle sortit une bouteille de whisky, l'ouvrit, et but quelques gorgées. Elle s'essuya la bouche d'un revers de main et tendit la bouteille à Domino. Qu'est-ce qu'elle faisait ? Ça lui était venu comme ça. Le fait d'aller vers le bar. Elle avait juste suivi son instinct. Elle finit par s'assoir sur le canapé, et retira son t-shirt. Elle observa un long moment son épaule. Du sang coulait, en petite quantité, et elle resta là, à regarder, presque fascinée. Ses vêtements étaient sales, tâchés de boue, de sueur et de sang. Un mélange à l'apparence et à l'odeur peu appréciables. Elle s'empara d'un coton et de désinfectant, se leva, et se mit à nettoyer les plaies de Domino. « Dis-le, si ça pique » Puis le silence reprit sa place. De temps en temps, elle croisait le regard de Domino, puis reportait son attention sur les blessures. C'était étrange comme situation. Au bout d'un moment, elle détacha ses cheveux qui tenaient encore ensemble, sans pour autant être ordonnés. Sa crinière flamboyante tomba sur ses épaules, puis elle reprit le coton, le trempa dans le désinfectant, et continua le travail. Ses grands yeux ne purent éviter ceux de Domino, une fois de plus, alors qu'elle tentait de se concentrer, même si leurs visages étaient étrangement proches. Et elle sentait son souffle sur sa peau...