GROUPE D, PHASE 4 - JOUR 4 (~20h)
79TH HUNGER GAMES

Ce n'était pas vraiment ce qu'ils avaient prévu, à la base. En réalité, qui prévoit de se faire encercler par une bande d'ours – des mutations, bien entendu – qui ne cherchent qu'à vous déchiqueter et vous réduire en charpies ? Et dire qu'il avait naïvement cru que tout se passerait bien ? Pas un jour ne se passe sans qu'ils soient attaqués par des bêtes féroces. C'était ça, l'arène. Cela faisait quatre jours, il aurait dû s'en douter. Pourtant, lorsqu'il lui était arrivé de traverser l'arène, il ne tombait pas tout le temps sur des mutations. Soit cela avait été de la chance soit tout cela était minutieusement contrôlé. L'un comme l'autre ne l'aurait pas étonné. Hache en main, il fallait réfléchir vite. S'il avait été avec Eurydice, les choses seraient allées très vite : sans perdre une minute, ils auraient escaladé l'arbre et se seraient hissés en hauteur. Mais là, Andro n'était pas certain des capacités de Joshua. Peut-être en était-il capable, peut-être pas. Il fallait analyser la situation. Vite. Il inspira et expira lentement pour se concentrer. Ils n'avaient pas d'autre choix que de grimper sur un arbre. En espérant qu'en plus de savoir se tenir sur leurs pattes arrières, les ours ne sachent pas grimper aux arbres.

Tout devait aller très vite. Ils n'avaient plus le temps de réfléchir. Merde, ça devait juste être une simple partie de chasse... Oh merde : ils étaient les proies. Les ours chassaient. Les ours les chassaient, eux ! Andro déglutit et murmura pour ne pas trop alerter les animaux :

" - L'arbre derrière toi. Vite, il faut grimper. Pas l'choix. A trois... ".

Un. Son cœur battait la chamade. Il n'était pas sûr de réussir.

Deux. Son front dégoulinait de sueur. Il ne voulait pas finir en pièces détachées.

" - Trois ! ".

Ses pieds pivotèrent et il se retourna, se retrouvant face à un grand arbre. La course commençait. Ses pas foulèrent avec rapidité le sol et il sauta sur le tronc, tenant toujours fermement son arme dans le creux de sa main. Il se hissa avec agilité sur une branche. Mais leurs problèmes n'étaient pas terminés : d'énormes oiseaux, des oiseaux qu'il n'avait jamais vu auparavant, étaient perchés sur des branches, plus haut. Mieux valait ces oiseaux que les ours, pensa-t-il. Une fois sur sa branche, il tendit la main derrière lui :

" - Josh, attrape ma main ! ".

► ANDRO & JOSHUA
VOLUME VI, CHAPITRE 03 (JEUX, JOUR 04 20H00 ~ GRAND CHÊNE

Quatrième jour emprisonnés dans cette arène. Les réserves de nourriture commencent à manquer, que ce soit pour Joshua, Evkjaä, Andro, ou Eurydice. La viande de l’alligator avait été dévorée, et les biscuits séchés ne ferait pas durer un homme plus d’une journée, voire deux. Alors ils se sont décidés : ne prenant qu’armes à la main, et de quoi survivre une nuit, Joshua et Andro sont partis vers l’ouest. L’ouest semblait une bonne idée, au départ : Joshua l’avait quasiment complètement parcouru, que ce soit pour retourner à la corne d’abondance, traquer Evjkaä, insulter Emerald, rire de Quinn, jouer avec Ivory. Ces jours, ces passages, durant tout ça, le jeune garçon du neuvième district avait cru apercevoir des signes, des traces, des odeurs autres que végétales. Eurydice est douée pour obtenir le végétale ; Joshua l’est pour traquer la viande.

C’est ainsi que s’est divisé le groupe en deux parties : Eurydice et Evkjaä allaient chercher de quoi se soigner, Andro et Joshua allaient chercher de la viande. Aucun ne se rappelle qui a donné cette idée. Et pourtant, s’en rappeler permettrait aujourd’hui, maintenant, de l’insulter, de lui déverser sa rage, sa haine, son idiotie idiote à la figure. Car Joshua et Andro courent entre les arbres, sautent entre les racines, manquent de trébucher entre les dunes de terre plate. Parce que cette idée de groupe, elle était bonne, au début. Mais le Capitole avait décidé de s’en réjouir – s’en amuser. Le brouillard est lourd dans les poumons, l’humidité de trop dérange dans leur fuite. Une fuite à la mutation, une nouvelle fois : des ours. Sur les pâtes arrière, rappelant vaguement la démarche de l’alligator il y a deux jours.

« Josh, attrape ma main ! » En temps normal, Joshua aurait fait confiance à Andro. Mais les idées fusent à l’intérieur de son cérébral, les informations s’expulsent. Le tribut du neuvième est un tribut à l’apparence physique, fort. Pourtant, sa réaction est nette : l’ours est environ trois fois plus rapide que l’Homme à la course ; grimper semble la seule échappatoire possible ; l’ours peut grimper aux arbres ; les branches sont assez lourdes pour sauter d’arbre en arbre. « Et merde » peut-il grommeler en attrapant la paume de l’enfant du bois. Le bois, il connait ça, Andro. Joshua aussi s’est déjà retrouvé au-dessus des arbres du neuf. Mais rarement. Et difficilement. Alors il grimpe. Il grimpe en s’accrochant à son allié. Puis il le lâche pour s’agripper à l’écorce, fuyant les ours déchirant le bois, là, en bas, à coup de grandes griffes. « J’espère qu’ils n’auront pas l’idée de monter avant minuit. » Il regarde Andro. « C’est l’heure de l’annonce des morts. Le Capitole ne fera pas garder une mutation mobile active alors que l’annonce doit être entendue obligatoirement de tous les vivants. » Son esprit vif semble marquer un point. Un point là où les oiseaux aux yeux de sang ne sembleront pas être charmés toute la nuit. Quatre heures à survivre.

Son regard planté dans le sien, Andro avait vu l'hésitation de Joshua. Sur le coup, il n'avait pas réalisé et avait froncé les sourcils. Il était sérieux ? Hésiter alors que leur vie en dépendait ? C'était stupide. Une réaction stupide qui aurait pu lui coûter cher. Puis il avait attrapé sa main et avait réussi à se hisser sur une branche, pas loin du garçon du 7. Ce dernier regarda en bas, les ours qui grattaient l'écorce avec leurs pattes et leurs griffes. Le brouillard s'intensifia et les ours ne furent bientôt plus visibles, même si l'on pouvait encore entendre le bois se déchirer sous leurs coups. Essoufflé, le cœur battant contre sa poitrine, il releva les yeux vers Joshua, prêt à lui demander pourquoi il avait hésité quand il se ravisa, pinçant les lèvres. Il avait hésité et alors ? Ils se " côtoyaient " pour le moment, c'est tout. Il ne s'agissait ni plus ni moins que d'une alliance temporaire et surtout : à la fin, il n'en resterait qu'un. Trop bon, trop con. Andro n'aurait jamais pensé lâcher le garçon du D9, même si cela lui aurait permis de se rapprocher de la victoire et de mieux protéger Eurydice. Il savait qu'Eurydice ne lui aurait jamais pardonné ce coup lâche. Et il ne se serait jamais pardonné.

Le garçon acquiesça et soupira, s'essuyant le front de sa main libre, l'autre tenant fermement sa hache. La tension redescendait lentement :

" - Ouais. Espérant que ça ne fasse pas marrer le Capitole de nous envoyer leurs ours pendant l'annonce. Avec eux, on sait jamais. ".

En vérité, ce n'était pas plus les ours que ces foutus oiseaux qui le dérangeaient. Ils étaient là, à les observer dans un silence qui le fit frissonner. Ces oiseaux, s'ils étaient un peu comme ceux qu'il avait croisé dans le champ de fleur, ce n'était pas bon. S'ils attaquaient seulement, ils avaient une chance de s'en sortir mais s'ils commençaient à les pousser... Ces oiseaux, il n'en avait jamais vu mais quelque chose lui disait qu'ils adoraient la viande. Ses yeux allaient et venaient sur les oiseaux puis son co-tribut de fortune :

" - J'sais pas si on pourra attendre quatre heures. C'est trop bizarre comme situation. Ça sent le coup monté. ".

Comme s'ils savaient qu'ils allaient grimper dans cet arbre. Comme s'ils savaient déjà la suite des évènements. Quelque chose clochait dans cette situation. Andro resserra sa poigne sur sa hache en se penchant faiblement en avant, juste pour essayer d'apercevoir quelque chose dans ce brouillard. Un battement d'ailes et il sentit quelque chose dans son dos. Le poids fût tel qu'il bascula en avant. Ses yeux s'écarquillèrent et il eut le réflexe de se rattraper à la branche juste en bas :

" - Oh merde ! ".

Les oiseaux. Ils attaquaient. Ils poussaient. Et ils picoraient. Andro s'accrocha à la branche, donnant des coups de hache dans les airs pour éviter aux volatiles d'approcher :

" - Putain ils attaquent ! Ils veulent qu'on tombe ! Ah ! ".

Un bec lui arracha un bout de chair au niveau de l'avant-bras. L'oiseau le fixa de ses yeux rouges tout en mâchant la viande qu'il venait de picorer. Non, ils ne pourraient certainement pas attendre quatre heures. Si ce n'étaient pas les ours qui les dévoraient ; ce seront ces foutus oiseaux de malheur.

Un coup monté. C’est sur instant de vie – une vie qui terminera sûrement sous peu – qu’Andro eut la possibilité d’estimer qu’il n’eut jamais aussi raison que sur ce petit instant, celui-là, maintenant, ici. Oui, Andro n’a jamais eu autant raison. Et Joshua le savait. C’est pour cette raison qu’il a été hésitant, avant d’attraper la main de son coopérateur de fortune, de se hisser sur l’écorce ; maintenant il est assis à califourchon sur une lourde branche, regardant les ours en bas, les oiseaux en haut, les – sans doute existantes – caméras derrière les feuillages, cachées au hasard. Alors c’est toujours rempli de doute que Joshua empoigne sa machette et commence à donner des coups à répétition sur le bout de la branche sur laquelle il est assis. Il donne un coup, deux coups, coups sur coups. Le bout devant lui cédera à la prochaine déchirure, à la prochaine poussée. Il colle de nouveau son arme à l’attache de sa cuisse avant de fouiller dans la poche extérieure de son sac. « Vite, vite, vite, vite ! » Il se presse.

Les oiseaux regardent les deux tributs. Joshua le sent, bientôt ils attaqueront : becs lourds, ailes poisseuses et déchirées, ils piqueront, écorcheront, useront de leur phanère dans le but d’assommer, de pousser vers le vide ; un saut de l’ange attendu, sûrement seront-ils morts en tombant le crâne contre le sol, ou alors ils se casseront une jambe, voire un bras en plus, et peut-être que les plantigrades les déchiquèteront de leurs griffes usées, les mordront de leurs crocs acérés, répondant sauvagement aux énoncés brutaux de leur programmation, dans une pulsion véhémente, pleine de fougue – de fougue vers la mort, de l’effusion de sang : Andro et Joshua allaient mourir.

Ce qui sort de la poche du jeune homme, ce sont des allumettes. Il en craque une sur le côté et la pose sur l’une des feuilles devant lui. Elle s’allume, et s’éteint. « Merde. Merde ! » Il tente de nouveau. Rien. Les oiseaux attaquent. Le phanère de l’un écorche l’avant-bras de Joshua. Il plante la bête contre l’écorce avec sa lance. Un autre pique et se déchire sous la machette. L’un mort de nouveau le bras du jeune tribut. Il lui agrippe le crâne et l’explose contre la branche. Il le tient. Le tient fermement, mort, et le pose sur les feuillages. Il tente d’allumer une allumette, pendant que les bestioles s’en prennent à la peau colorée d’Andro. Une feuille prend de nouveau. Il pose sur les quelques brindilles consumées de nouveaux branchages, petits, des nouvelles feuilles, glauques, les bandes autoadhésives qu’il lui restait de la nuit. « Allez, allez ! Prends bordel, prends ! » Il allume un autre feu. Un autre. Ses doigts plongent dans la boîte d’allumettes aussi vite qu’ils le peuvent, et bientôt l’oiseau sert de combustible, le corps prend feu.

Joshua enlève sa lance de l’écorce et met le deuxième corps à brûler. Bientôt, la branche sur laquelle il se tient commence à prendre, sa cheville finit par lui annoncer que les jets de braises l’atteignent, un sifflement de douleur le prend rapidement alors qu’il saute vers un autre perchoir. Il attrape le deuxième oiseau et le met à brûler. « Andro, essaie de changer d’arbre ! »

Le feu est lent, trop lent, incapable, d’insulter le brouillard, de lui prendre tête. Joshua monte encore, et encore, et encore. Voulant atteindre la cime qui se voudra plus sèche. La montée est périlleuse. Les oiseaux attaquent. Puis un autre qui finit sous la lance propulsée du tribut. Et l’un qui se déchire sous la machette, l’autre qui se voit coupée une aile sous le couteau de la veille. Le garçon du neuf est couvert de sang, trop occupé à se demander s’il s’agissait du sien sous les nombreuses griffures reçues, ou celui des volatiles.

Trois minutes. Le cri de Joshua s’entend alors qu’il tombe entre les branches, se cogne la tempe contre l’une d’elle et s’agrippe, s’entend sa blessure à l’oblique se rouvrir. Un crac tandis qu’une partie de l’arbre tombe sous les braises et s’écrasent au sol entre les ours, que le pied de Joshua n’a pas besoin de pousser celle qui prenait feu avec difficulté sous le brouillard, que bientôt l’orographique brumeux est insulté par les lumières flamboyantes. Les flammes ne sont pas grandes mais les braises dévorent l’écorce la plus fine, faisant tomber la cime, faisant tomber les branches les moins ardues, d’autres finissant coupées à la machette, d’autres sous le point du tribut. « Change d’arbre, dépêche-toi ! » Il fallait descendre pendant que les oiseaux survivants changeaient de perchoir, que les ours fuyaient les branches tombantes, que le brouillard voisin cacherait leur présence. C’est-à-dire maintenant, pendant que Joshua s'affale de douleur sur la branche où il se trouve..

Andro fixait toujours l'oiseau qui mâchouillait sa peau, les yeux exorbités. Ils allaient vraiment mourir dans cet arbre, dévorés par ces rapaces ? Non. Impossible. Eurydice. Il serra son arme et la fit virevolter contre l'animal qui eut la gorge tranchée en un seul passage. Connard ! Et puis d'un coup, tout allait vite. Trop vite. Le garçon du District 7 ne savait plus où donner de la tête. Les oiseaux s'abattirent sur eux, comme pour se venger de la mort de leurs amis. Si Andro découpait les oiseaux avec sa hache, Joshua en faisait de même avec ses propres armes. L'odeur de cette forêt n'avait rien à voir avec celle qu'il connaissait au D7. L'écorce, la sève, les plantes, tout était obstrué par le sang et... La fumée ? Andro tourna la tête vers Joshua. Mais qu'est-ce qu'il foutait ?! Il allait les faire tuer ! Il les condamnait ! L'arbre ne mit pas longtemps avant de prendre feu. Il suivait du mieux qu'il put l'autre tribut et se hissait en haut de l'arbre :

" - Putain ! Facile à dire ! Merde, t'as déconné, mec ! ".

Grimaçant, frappant avec sa hache et grimpant jusqu'à la cime de l'arbre, il sentait les oiseaux attaquer. Les becs tranchaient sa peau comme des millions de petits couteaux et son avant bras pissait littéralement le sang. Tout son corps faisait mal et il sentait le liquide s'écouler du haut jusqu'au bas de son corps. La douleur était effroyable et il dut tenir bon, accroché en haut de l'arbre pour ne pas tomber. Mais cela ne servait pas à grand chose ; l'arbre s'effondra de lui-même et, une fois assez proche du sol, il lâcha prise pour tomber plus loin. La chute fût incontrôlée et il se ramassa sur le flanc dans un râle. Le brouillard mélangé à la fumée ne leur permettait pas une vue globale mais Andro pouvait entendre les animaux fuir les lieux. Oh le con, ça avait fonctionné.

Andro se releva le plus rapidement qu'il put et tituba, tenant toujours fermement sa hache avant de grimper à un autre arbre. Il penserait à la douleur plus tard. Pourtant, la douleur était bien là et lui arrachait un grognement à chaque fois qu'il bougeait. Dans un soupir de soulagement, il s'agrippa au tronc, une fois assis à califourchon sur une branche. Le souffle court, il observa le feu prendre un peu plus loin. Qu'ils s'en aillent, tous, vite.

Du regard, il chercha Joshua qui était dans l'arbre d'à côté. A bout de souffle, il voulait attendre pour parler, de peur de faire revenir les bêtes sauvages. Le temps passait avec lenteur. Si tout était allé très vite sur l'arbre qui était désormais en feu, l'attente sur ce nouvel arbre commençait à se faire long. Il n'avait rien pour arrêter son sang de couler : une partie de son avant-bras était à vif, les griffures et écorchures sur son corps ne se comptait plus et il n'osait même pas bouger son flanc gauche. Il avait réussi à marcher et à grimper, ce n'était pas cassé mais c'en était pas loin. Et la fatigue, la faim, la soif. La soif ? Il avait dans son sac – un peu troué désormais, certes – sa gourde à moitié remplie d'eau. Il ne devait pas gaspiller mais il voulait absolument voir l'état de son bras. Avec délicatesse, il retira son sac de son épaule et sortit avec précaution la gourde avant de verser un peu d'eau sur son bras. Il dût retenir un cri, serrant les dents, se mordant l'intérieur des joues. Il tapota avec ce qu'il restait de tissu sur sa manche, ce qui n'empêcha pas le sang de couler. Merde, merde, merde... Comment était-il sensé protéger Eurydice s'il se retrouvait dans cet état ?! Son cœur s'emballa. Il fallait penser à autre chose. Maintenant, il fallait avancer :

" - Joshua ? ".

Andro déglutit. Il avait parlé d'une toute petite voix pour être sûr de ne pas attirer quoi que ce soit comme prédateurs :

" - J'descends en premier. S'ils sont encore là, cours rejoindre les filles. Et fais attention à Eurydice. ".

Douloureusement, il remit son sac sur ses épaules et se laissa glisser le long du tronc. Le brouillard semblait se dissipait progressivement et la fumée prenait le relais. Il boita jusqu'à l'arbre de Joshua, regardant alentour. Rien. La tactique de Joshua avait payé et les animaux avaient fui :

" - J'crois que tu peux descendre maintenant. ".