Échec. Cuisant, douloureux, irréversible. Ses belles paroles, son sourire éclatant et la voix qu'il tentait de faire douce, rien n'y avait fait ... son charme n'opérait plus. A moins que ce soit la situation, qui était sans espoir. Personne au Capitole, de la vieille accrochée à ses bijoux et à son Gin, au playboy bouffi d'argent et d'orgueil, n'avait souhaité débourser le moindre centime pour sponsoriser Pearl. La si douce, si jeune, si petite Pearl, benjamine de ces soixante dix-neuvième Hunger Games et chair à canon dont on s'étonnait pourtant qu'elle soit encore là, fragile mais debout, après quatre journées d'arène. Était-ce de la pitié, ou simplement une volonté de ne garder pour la fin que cette môme sans défense et sans avenir, cible facile pour une victoire sans triomphe ? Quatre jours d'arène. Quatre jours que Gwendal n'avait pas mis les pieds en dehors de sa suite, pas avalé quoi que ce soit de plus nourrissant que les fruits qui semblaient se régénérer à l'infinie dans la corbeille à côté du canapé (œuvre de muettes et muets que le brun ne voyait même pas). Quatre jours à ne dormir que d'un oeil, quatre jours à boire comme un trou, quatre jours à ne pas quitter des yeux cet écran sur lequel se jouait la vie des pions sélectionnés cette année par leur nouvelle Présidente.
Quatre jours. C'était à ce moment-là que les choses avaient basculé, pour lui. La quatrième nuit, c'était celle choisie par Sora pour passer à l'acte, rassembler son courage, sa peur, et tout ce qu'elle avait d'adrénaline au fond des tripes pour brandir le petit poignard que Gwendal lui avait confié, et choisir de séparer leurs destins. Machinalement, et tandis que l'apparition de Pearl à l'écran lui faisait retenir son souffle, le vainqueur avait passé le bout de ses doigts contre sa joue balafrée, la pulpe de son majeur glissant contre les bords irréguliers de cette cicatrice qu'il avait toujours refusé de faire retirer.
« C'est la fin ... » Il murmurait. A qui ? Personne. Ou bien à tous ces fantômes qu'il traînait avec lui depuis douze ans, ceux dont il ne se souvenait parfois plus le visage mais dont le poids pesait toujours sur ses épaules. Il n'avait pas suffisamment bu aujourd'hui, ou pas encore, sinon la silhouette frêle de Sora se serait lovée dans un coin du canapé pour l'observer. Elle faisait cela de temps en temps, parfois elle parlait, et Gwendal avait beau se répéter qu'elle n'était pas vraiment là, que sa tête n'était que le théâtre d'hallucinations alcoolisées ... il répondait, souvent. Sur l'écran le temps, les images, les silhouettes défilaient à tout allure. Soudain c'était Pearl, le grand blond du un, le boucher du quatre. C'était la lame tranchante, l'eau, la détresse ...
« C'est la fin. » D'une vague la scène avait été balayée, le petit corps de Pearl secoué dans tous les sens par ce déchainement aquatique. Dans une fascination presque maladive Gwen avait observé les cris étouffés par l'eau, sa petite poitrine tentant de réclamer l'oxygène qu'elle n'obtiendrait plus, ses yeux rouler dans leurs orbites et puis ... et puis plus rien. L'instant suspendu, une seconde, ou peut-être cent, et le coup de canon.
{...}Quatrième nuit. Peu importe qui vivait et qui mourrait, désormais, le visage angélique de Pearl était venu illuminer le ciel factice de l'arène et Gwendal avait poussé un cri d'animal blessé, un hurlement plus qu'un cri, d'ailleurs. Il avait abandonné son fauteuil et s'était laissé glisser contre la fenêtre, dos au vide et la bouteille - vide - de whisky quittant sa main pour rouler sur le parquet. Il sanglotait sans vraie retenue, fatigue, désespoir, sidération, Gwendal n'était jamais sobre, mais aujourd'hui faisait partie des grandes démonstrations de son alcoolisme.
« Tu es venue me dire "je te l'avais bien dit" ? » Malgré son regard vitreux et les longues secondes qui lui avaient été nécessaires pour s'en apercevoir, Gwen avait fini par remarquer la silhouette - et la chevelure - de Prudence dans un coin de la pièce
« Prends un ticket, Moïra ne devrait pas tarder à venir rôder comme un vautour autour de ma carcasse, elle aussi. » Se tortillant, se penchant et se cramponnant, le brun avait tenté de se remettre debout et réprimé un haut-le-coeur tandis qu'il se rattrapait au dossier du fauteuil pour ne pas tomber.
« Qu'est-ce que tu veux ? » Soudainement plus las, tandis qu'il se laissait lourdement tombé sur le canapé, il avait relevé un regard humide vers Prudence et questionné encore, la voix brisée
« Qu'est-ce que je vais dire à ses parents ... ? » Gwendal n'était plus mentor. La rouquine avait pris sa place, et le brun n'était là qu'en tant que luxueux spectateur, mais pourtant c'était lui que Karim et Anna avaient supplié ... Les Whything avaient toujous été bienveillants avec lui, et aujourd'hui ils devaient pleurer leur unique enfant parce que Gwendal avait espéré, promis, et échoué.