79th HUNGER GAMES, JOUR 02
FORÊT (NORD-EST, VOIE FERRÉE - F6), 14h ~ LAONA & EURYDICE & TOM

Et si c'était Andro qui l'avait abandonnée, et non pas elle qui avait abandonné Andro ? Si elle ne s'était pas perdue mais avait simplement retrouvé leur lieu de campement vide de lui, sans le reconnaître ? Peut-être qu'il l'avait laissée exprès, pour la punir de s'être éloignée sans son autorisation, et parce qu'Eurydice avait simplement cherché à se rendre utile elle avait maintenant un horrible sentiment d'injustice. Elle avait erré pendant toute la matinée, osant à peine appeler Andro de temps à autres de peur d'attirer d'autres tributs que lui, et angoissée à l'idée d'être devenue une cible facile maintenant que la carrure imposante du brun n'était plus là pour la protéger. A force de déambuler elle avait fini par tomber sur un puits, se réjouissant tout d'abord à l'idée de pouvoir remplir la gourde avant de se rappeler que c'était la gourde d'Andro, et qu'il était parti avec ... La couverture de survie aussi, d'ailleurs, et ainsi la blonde venait de perdre l'un des deux seuls biens qu'elle avait péniblement réussi à se procurer dans sa fuite près de la corne d'abondance. Laissant tomber à terre les champignons qu'elle avait ramassé à l'aube et qu'elle tenait jusque là dans le bas de son tee-shirt, elle s'était mise à sangloter en silence, persuadée qu'Andro la détestait maintenant, et qu'elle serait bientôt tuée par le premier tribut qui passerait par là. Peut-être que même Pearl tenterait sa chance, tant tout le monde donnait Eurydice comme inoffensive et incapable.

Un coup de canon avait retenti en début de matinée, et si Eurydice se refusait à envisager qu'il puisse s'agir d'Andro - tant il faisait pour elle figure de tribut invincible - elle angoissait en songeant à l'identité du tribut concerné. Ivory, Joshua ? Il y avait tant de tributs dont elle ne voulait pas voir le visage s'afficher dans le ciel factice de l'arène à la nuit tombée, comme si malgré tout ses efforts elle continuait d'oublier que ce serait un jour elle ou eux, de toute façon. Séchant ses larmes bien que le hoquet continue parfois de secouer sa cage thoracique, elle avait fini par se remettre en route, le puits ne lui était d'aucune utilité sans gourde. Il lui faudrait bien finir par trouver de l'eau pourtant, elle se raccrochait aux conseils d'Ethan, en y ajoutant la mise en garde d'Andro de ne pas tenter de boire l'eau que l'humidité ambiante faisait glisser sur la végétation ; Dieu sait ce que cette eau contenait. Rebroussant son chemin elle avait donc décidé de regagner la voie ferrée, avec l'espoir un peu naïf qu'au bout des rails elle trouverait peut-être quelque chose d'intéressant ou de merveilleux. Peut-être qu'elle retrouverait Andro. Nouveau coup de canon. Combien étaient-ils désormais, quinze, seize ? Et comment pouvait-il y avoir autant de morts alors qu'elle n'entendait rien ? Ni cris, ni chahut, rien qui ne laisse penser au combat acharné pour survivre ... L'arène était-elle si grande que cela ?

Le brouillard rendait difficile le fait de se repérer au soleil pour savoir quel moment de la journée avait lieu. À ce qui semblait être la mi-journée pourtant, Eurydice s'était appuyée contre un arbre pour reposer ses jambes un instant, et tenter de reprendre son souffle. L'air était moit, et les bronches de la jeune fille se chargeaient d'une humidité rendant sa respiration plus haletante, moins naturelle. Elle ne souffrait pas encore de la faim, en revanche, son appétit de moineau et l'habitude de n'avoir parfois pas grand-chose dans son assiette au district sept l'aidant. Elle avait toujours les galettes de riz d'Andro dans son blouson, mais elle savait qu'elle n'oserait pas y toucher ... c'était celles d'Andro, pas les siennes, il avait pris des risques pour les ramasser et Eurydice n'avait pas le droit de les lui voler, même s'il l'avait abandonnée. Craquement sinistre, et en levant la tête au-dessus d'elle la blonde avait vu une paire d'yeux rouges la fixer d'un air mauvais. Reculant, tremblante, elle pensait s'en tirer à bon compte lorsque l'animal - un corbeau à la taille imposante - avait laissé échapper un croassement strident. Portant ses mains à ses oreilles, Eurydice avait finalement caché son visage derrière ses bras lorsque l'animal avait fondu vers elle, toutes griffes dehors « Non ! Vas-t'en, laisse-moi tranquille ! Laisse-moi tranquille, tu me fais mal ! » Les avant-bras couvrts de griffures, la blonde avait fui à toute allure sans même regarder devant elle, trébuchant sur une racine, se relevant, et ne s'arrêtant finalement qu'au bord de la voie ferrée, et alors que le corbeau lui avait fait demi-tour plusieurs minutes avant cela.

Elle pensait s'en tirer à bon compte, lorsque la silhouette d'un tribut dont elle avait oublié le prénom s'était dressée devant elle. Il n'était ni très grand, ni très épais ; Peut-être même était-il un poil plus jeune qu'Eurydice. Mais au regard qu'il lui avait lancé en revanche, elle avait vite compris que battre des cils et verser des larmes de crocodiles ne rendrait pas le jeune homme doux comme un agneau.

79th HUNGER GAMES, JOUR 02
FORÊT (NORD-EST, VOIE FERRÉE - F6), 14h ~ LAONA & EURYDICE & TOM

Le tribut la fixait d'un regard qui ne la rendait pas sereine, d'un regard qui avait laissé la chair de poule s'insinuer sous les manches de sa combinaison ... un regard carnassier. C'était ça, il la regardait de la même manière que ce corbeau qui l'avait attaquée quelques instants plus tôt et déchiré le tissu de son avant bras-droit avec ses serres aiguisées, écorchant sa chair de porcelaine au passage. Elle ne se rappelait plus du prénom du garçon, elle ne se rappelait même plus de son district ... Elle ne se rappelait pas non plus de sa note aux entrainements, de ses capacités au parcours d'obstacles, elle ne se souvenait de rien. De rien du tout, et elle comprenait maintenant qu'Ethan avait raison de lui dire qu'elle devrait être plus attentive. « Tu ... tu ne devrais pas rester là. Il y a des oiseaux là-bas et ils ... ils vont peut-être revenir, pour nous attaquer ... » Elle avait fait un pas en arrière, puis deux, le garçon profitant de ce mouvement de recul pour avancer plus vite qu'elle ne reculait et réduire l'écart qui les séparait. Toujours silencieux, toujours cet air mauvais ... Toujours cette manière insidieuse de lui faire comprendre qu'il était le chasseur, et qu'elle était la proie. Ses pieds fins avaient butté contre la voie ferrée, ses longues jambes avaient cédé par manque d'équilibre et elle s'était retrouvée là, les coudes enfoncés dans la boue et Tom penché au-dessus d'elle, maître de la situation.

Une seconde, une seconde d'inattention et la balance avait penché d'un côté plus que de l'autre. Le souffle d'Eurydice s'était coupé lorsque le genou du garçon s'était enfoncé dans son ventre, et elle avait ouvert de grands yeux horrifiés lorsque ses doigts agiles s'étaient resserrés autour de son cou dégagé, facile d'atteinte. Ses doigts avaient agrippé l'herbe et les mots qu'elle avait tenté de murmuré n'avaient pas passé la barrière de ses lèvres ; Elle suffoquait, sentait la chaleur lui monter à la tête, et les battements de son cœur cogner contre sa poitrine. Elle allait mourir. Elle avait désobéi à Andro, elle s'était éloignée et elle allait mourir. Elle l'avait bien cherché. C'était de sa faute, au fond. « Putain ... » Une seconde d'inattention, une seule. Une seconde et cette fois-ci c'était Eurydice qui l'avait saisie, envoyant son genou cogner contre l'entrejambe du garçon, non sans oser songer qu'Ivory aurait été fier d'elle, à cet instant. Ses mains et ses pieds frottant contre la terre et l'herbe avec désorganisation, la blonde avait profité de la douleur du tribut pour se dégager de lui, sans même prendre conscience des larmes silencieuses qui roulaient sur ses joues. « C'est quoi ce bordel, putain ?! » Obnubilée par la tentative d'étranglement dont elle venait d'être à la fois victime et témoin, Eurydice n'avait pas compris tout de suite que ces mots et ce ton angoissé n'avaient rien à voir avec elle ... Évidemment, que cela n'avait rien à voir avec elle.

Elle avait eu un moment d'absence. Deux ou trois secondes, tout au plus, juste le temps nécessaire à l'oxygène pour regagner sa tête, et le tribut qui avait tenté de l'étrangler était maintenant debout, de l'autre côté de la voie ferrée. Elle s'était relevée, difficilement, ses jambes flageolant et la soutenant à peine, et le tribut était à genou à côté d'elle, une main plaquée furieusement sur son entrejambe. Il était debout. Il était à genoux. Il n'était pas seul. Ils étaient deux. « Je rêve ... » Elle avait murmuré, l'air brûlant sa trachée tandis qu'elle reprenait sa respiration. « Je rêve, je rêve, je rêve ! » Elle avait plaqué ses mains sur ses oreilles, comme pour tenter de se couper de ce cauchemar, comme se soustraire à ce qui n'avait aucun sens. « On n'a pas besoin de Pearl, pas vrai ? Un poids mort, c'est qu'un poids mort, c'est mieux si on ne s'en mêle pas ... » La voix de celui qui était debout était nasillarde, un poil plus aiguë que celle de celui qui se tenait toujours à genoux. Mais ça Eurydice s'en fichait bien, tout ce qui comptait cette occasion de fuir, ce dialogue en miroir qui lui permettrait de déguerpir sans demander son reste. « Andro m'a abandonnée ... » Ses yeux s'étaient écarquillés, horrifiés. « Andro m'a laissée toute seule ... Qu'est-ce que je vais faire, toute seule ? » Il y avait elle, sortant des buissons et marchant en donnant l'impression d'être sur le fil d'un équilibriste. Elle pleurait des larmes de crocodile et un sourire mauvais était finalement venu barrer son visage. « Mais je ne souris pas comme ça ... » Elle avait penché la tête sur le côté, soudainement happée par ce détail insignifiant. Mais son double n'avait pas qu'un sourire faux et une natte du mauvais côté ... Elle avait aussi du sang sur les mains. Littéralement, du sang sur les mains.

Lorsque la fausse blonde avait bondit vers elle Eurydice avait poussé un couinement aigu, son instinct défaillant la faisant bondir vers celui qui avait tenté de l'étrangler quelques instants plus tôt « Faut les faire battre en retraite ! » Le tribut - le vrai - avait attrapé son poignet avec fermeté, sans se soucier de lui faire mal. En retraite ? Elle ne savait même pas ce que cela voulait dire, elle ne comprenait même pas ce qui se passait ... Mais lorsque les deux clones avaient avancé Eury avait agi par terreur, et repoussé le tribut vers leurs assaillants tant pour se dégager de son emprise que pour pouvoir fuir plus vite. Il avait perdu l'équilibre et elle avait fait plusieurs pas en arrière, ses jambes tremblant et de grosses larmes roulant à nouveau sur ses joues. Elle entendait la voix d'Andro dans sa tête, Andro lui disait de fuir, il lui disait de courir sans s'arrêter, comme après le bain de sang, comme lorsqu'il tenait fermement sa main dans la sienne. Elle avait imaginé les doigts du jeune homme autour des siens, son souffle tandis qu'il courrait, le son de sa voix tandis qu'il l'encourageait à courir, toujours courir. Et elle avait couru.

Elle ne s'était pas arrêtée, pas même lorsque sa gorge s'était mise à brûler, et lorsque ses genoux s'étaient écorchés contre le sol boueux et rocheux elle s'était relevée et avait couru, encore. Jusqu'au coup de canon. C'était lui, ça ne pouvait être que lui. Elle s'était échappée et lui non, elle était vivante et lui non. Et c'était de sa faute. Tout était de sa faute, il était mort par sa faute.

Elle l'avait tué. Et si elle s'était arrêtée sur le bas côté pour vomir ce que son estomac ne possédait pas, c'est parce qu'une partie d'elle en était fière. Elle l'avait tué. Elle était un vrai tribut, elle était comme tous les autres.