On veut croire aux révoltes des dieux, et de Satan quand il se fait passer pour l'un d'eux.
Je passe sous une grille. Là. Où la foule ovationne déjà. Tandis que les deux cadavres de chacun des districts n'ont pas encore osé sortir dehors leur joli minois. Douze district. Douze. Là. Sous le soleil de plomb de Panem. Sous la vigueur du Capitole. Sous l'absolutisme du spectre de Snow. Sous une arène euphorique. Exubérante. Une arène improvisée dans le grand cirque. Tous clament. Tous clament déjà l'acmé et l'agonie qui se réservent à chacun de ces pathétiques gosses. Douze garçons. Douze filles. Vingt-quatre enfants. Quarante-huit parents. Si peu que chacun en possède deux.
Mon corps se morfond déjà.
Mon cœur de glace se brise. Érodé par une baïonnette invisible. Sortie tout droit de l'antre diablesse de cette démence. Une démence presque trop harassante.
Je reste figé là. Oui, ils clament déjà. Et plus loin. C'est pire. Tantôt que je poursuive mon chemin. Tantôt que j'en ai le courage, à défaut d'en avoir l'envie. Tantôt que je parvienne à me retenir. De vomir une bille de terreur. Là. Sur le sol. Où j'aperçois une tâche de peinture. Vermeille.
La peinture que j'ai commandée pour Andro. Le garçon loin d'être dupe. Et qui sait déjà que la mort est la seule issue. Une fois qu'il aura effleuré l'arène. Du bout de ses pieds. Pour Eurydice, la coquette perle. Luisant de toute sa vénusté juvénile. Un cadeau. Une offrande même des dieux. Ces mêmes dieux qui dans un instant d'égarement ont laissé l'hydre du trépas s'enchaîner à elle. À sa silhouette grêle. À ses membres impuissants. À sa bouille si naïve. Elle me rappelle moi. Moi. Avant que je tue mon jumeau.
Merde. Je ne peux plus avancer. Je m'accroche aux murs de béton. Je quête un ermitage. J'ai cruellement besoin d'un ermitage. Les murs. Ces murs. Ces murs qui ne m'offrent rien. Ceux qui fondent le couloir. Éclairés simplement par ces grilles. Ces maudites grilles. Qui laissent transpirer l'allégresse folle d'une foule qui ne l'est pas moins. Et après ? C'est moi le cinglé ? Je suis peut-être le plus normal de tous. De toutes. Le plus normal des hommes.
Je bats le mur de deux coups de poings. Et je hurle. Je hurle. Je rugis. De rage. De haine. De cauchemars. De peur. D'avidité du suicide, peut-être même. Mon âme émiettée. Éparpillée dans les quatre coins du globe. Mes prunelles sombres s'éteignent. Et je broie du noir. Du noir.
Du noir.
Une fois que je suis épuisé. Je ne suis plus qu'un ver. Un ver luisant. Qui a oublié de se métamorphoser. Un ver luisant qui se laisse glisser le long du mur. Glacial et tranchant. Presque assassin. Et je pleure. Je pleure. Jusqu'à ce que mon essence n'aie plus la moindre goutte à m'expédier. Je reste là. Lové dans les bras doux de démons inénarrables. Invincibles. Chimériques.
Mais
il faut.
Il faut. Ça résume la vie.
Alors. Mes deux paumes viennent embrasser le sol sali. Et je rampe. Là. À quatre pattes. Animal primitif dans toute sa beauté. Alors qu'au même instant d'autres hurlent la supériorité de l'intelligence de notre espèce. Foutaises. Âneries. Sottises. Sinon je suis un loup. Et bien. Qu'on m'abatte sur le champ.
Je parcours quelques mètres. Je longe le mur de mes côtes. Qui frôlent la paroi inhospitalière. Avant de décider. Décider qu'enfin je dois me relever. J'ai fait l'effort de m'habiller aujourd'hui. De prendre une douche. De me coiffer. Je n'ai pas l'habitude. Et quand j'aperçois mon reflet dans une fenêtre vitrée. Je sursaute. C'est moi. C'est moi ? C'est bien moi ? Mes cartilages tremblotants glissent sur l'épiderme granuleux de mon visage. Granuleux de terreur. Je ressemble à moi. C'est étrange. Mais un autre moi. Un moi qui n'aurait connu ni folie. Ni soumission. Un autre moi. Dans ce reflet je vois mon jumeau. Et ça m'achève.
J'avance un peu plus. Fantôme. Et je m'engouffre dans l'immense salle. Les chars s'alignent. Défiants. Meurtriers. Et je reste planté au milieu du décor. Môme ébahi par la scène. Qui se défile juste sous ses yeux. Alors que je vis au Capitole. Que j'ai toujours vécu au Capitole.
C'est la peau d'ébène d'Andro que je distingue en premier. Et je devine à ses côtés une chevelure d'ange pas moins mystérieuse. La petite Eurydice. J'ai réussi à les éviter. Souvent. Dans la résidence. Mais là, je ne peux pas. Je ne peux plus. Sinon on me poussera à eux. Quoiqu'il advienne.
Je stoppe mes quelques pas automates. Et mon regard s'abat sur un autre petit. Celui du Neuf. Joshua, si j'ai bien retenu. Celui-là, je n'hésiterais pas. À venir le toucher. Le féliciter. L'encourager. Sinon lui offrir mon sourire le plus chaleureux. Celui que je ne livre jamais. Que je n'ai jamais livré. Sinon quand je suis venu dans le Neuf. Ce petit. Qui sauve mon cœur. Sauve mon corps. Sauve mon âme démembrée. Ce petit qui va mourir. À la place d'un autre. Un autre que j'aime trop. Un autre qui m'est trop indispensable pour voguer vers une odyssée sans retour.
Non.
Maxwell n'a pas été moissonné.Je ris. Fourbe. Égoïste. Heureux presque qu'un autre enfant crève. Et ça redonne un coup de fouet. À ma chair endolorie. Endolorie d'une torpeur insalubre.
J'arrive devant l'ange du Sept. La petite Eurydice. Je détourne mon crâne. Le regard vissé vers mes pompes de luxe. J'aurais tant aimé. Aimé trouver Ethan. Mais je ne le vois pas. Nul part. Comme s'il n'avait était rien. Rien d'autre que la banale réplique pixelisée. D'un vainqueur illusionniste.
— Vous allez sur le... je murmure à la Vénus juvénile qui s'ébaudit. De son cotribut. Je désigne du bout des doigts. Le char. Le char du Sept.
Et vous partez... j'achève. Dans un silence plus poignardant. Qu'une lame qui s'enfoncerait dans la chair âpre d'une dépouille dépressive. Et puis je recule. J'attends qu'ils prennent place. J'attends qu'ils partent. Pour le long voyage qui les accueillera au bout du chemin. Un aller sans retour. Simplement accompagnés de roses. De roses rouges. Rouge sang.
HRP.