You know her since she was a girl. Now watch her become a woman.
La foule ovationne, glorifie ses deux futures dépouilles qui reviendront dans leur district à bord d'un train luxurieux. La foule t'applaudit, toi l'usurpatrice, et lui le carrière. Une suicidaire et un orgueilleux. Vous deux, sur l'estrade. Super, un super duo de choc.
L'histoire suit son cours. L'hôtesse vous relâche, les pacificateurs prennent le relais et t'enlèvent à ta terre natale pour t'isoler par la petite porte derrière l'estrade. Et tu te retrouves vite embastillée dans une pièce vide de l'hôtel de justice. Et toi t'as même pas le temps de jeter un dernier coup d'œil à la cohue. À ton cousin perdu de vue.
T'as cru être aguerrie à la solitude, et pourtant une sensation de manque inéprouvée te décime les entrailles. Une insoutenable privatisation par ta faute imposée, t'es soudainement esclave du supplice de Tantale. Et tu sais qu'on t'as déjà exterminée même avant ton entrée dans cette foutue arène malsaine et carnassière. T'es cloîtrée là. Tu fais les cent pas. Derrière la porte t'entends le timbre des voix qui discourent, qui jacassent. Et toi t'es là, plus abandonnée que jamais. Gosse répudiée, reniée ; gosse infâme, indigne. Ouais, au fond tu mérites que ça. La déréliction jusque dans le couloir de la mort. T'ignores vraiment si Gray va refaire surface, ou s'il t'as lâchement abandonnée dans cette masse humaine, là-bas devant l'estrade. T'ignores s'il s'est pas déjà évadé de la réalité ébréchante, avec une bouteille dans les reins ou en train de se tuer au boulot pour oublier que lui aussi va finir sa vie en solo désormais. Tu vous as condamnés tous les deux, et puis après ?
T'enrages d'entendre encore une seconde de plus ces saloperies de voix de l'autre côté de la cloison, à l'autre bout du bâtiment. T'as des larmes qui s'invitent dans tes orbes bleuâtres, et qui commencent à te picoter les narines. Tu t'autorises à péter les plombs, au moins une fois. Rien qu'une fois. Tu brailles de rage, de haine, un instant, tu trembles de tous tes membres. Tu supportes plus rien, rien du monde incommensurable qui t'emprisonne dans une cellule toujours plus précaire, aux barreaux toujours plus acérés. Ton poing vient s'abattre dans le mur. Et tes phalanges cèdent une à une, elles craquent. Quand tu écartes ta main tu t'aperçois qu'une crevasse s'est dessinée, aux contours de ton poing. T'es pas si faible que ça en fait. Tu colles ton dos au mur et tu te laisses glisser au sol. Tu te recroquevilles sur toi-même, sans aucun cocon autour de ton corps désarmé. Tes dents viennent mordre tes genoux nus sous ta coquette robe vermeille. Tu fermes tes deux grands yeux et tu laisses les larmes inonder ta chair d'albâtre, tes pommettes saillantes, ronger tes lèvres replètes.
— Si un jour on m'avait dit que je verrais l'insensible Siwan Joráh chialer comme un rejeton, je l'aurais pas cru. une voix railleuse. Tu tressailles, tu dégrafes tes deux perles luisantes. Il se tient plus loin, dans l'ombre d'un coin, le cul vissé sur un tabouret quelconque. T'essuies tes larmes sur le pan de tissu rubicond qui couvre ton épaule creuse, et puis tu reprends uniment ton air maussade. Celui que tu lui livres incessamment. Tu lui lances un regard bourré d'éclairs, et tu te pinces les lèvres.
Tu pensais quand même pas que t'allais te débarrasser de moi ? il sourit, faiblement, mais il est sincère. Il t'as jamais parlé comme ça auparavant. Mais comme sur scène tout à l'heure, quelque chose de nouveau se produit. Il sait que tu vas y laisser ta peau. Toi tu le sais aussi. C'est une aubaine de pouvoir avouer tout ce qu'on pense à l'autre, alors que d'autres perdent leurs gosses ou leur ascendants sans crier garde. Sans mot de fin, pour clore l'histoire.
— J'ai failli attendre. tu lui lances, rauque. Mais tu peux empêcher un sourire naissant au coin des lèvres. Tu te lèves et fais trois pas dans sa direction, sans le lâcher de tes prunelles électriques. Les adieux ça dure que cinq minutes, et ta petite crise de nerfs t'as déjà fait perdre deux bonnes minutes, facile.
T'as un truc à me dire ? tu lui demandes en sifflant. Mais ce moment, c'est le meilleur de ta vie. Ce moment, c'est celui où tu prends conscience qu'enfin t'as trouvé quelqu'un qui t'aime. Et plus que ça encore, t'as trouvé quelqu'un que tu aimes.
— À te donner, plutôt. il arque un sourcil, s'approche de toi, fourrageant le fond de la poche de son jean vétuste. Et il vient se poser juste derrière toi, si bien que tu sens son souffle voguer sur tes cheveux coupés droit au-dessus de ta nuque. Il les effleure du bout des doigts, délicat. Et il passe sa main tout autour de ton cou. Tu sens immédiatement quelque chose qui t'emprisonnes la gorge. Mais tu restes inerte. Il caresse tes cheveux une dernière fois, avant de revenir face à toi.
C'est moi qui l'ai fait pour toi, pour que t'aies un souvenir de la maison et de la famille. « De moi » il aurait pu ajouter, car ta famille c'est lui, rien que lui. Tu passes tes cartilages osseux sur ton encolure, et tu sens un collier étroit qui te sers le col.
C'est en filet de pêche du marché, je l'ai tressé là-bas pour toi. Et ça, ça explique une chose cruciale ; il savait que t'allais te porter volontaire. Tu demeures muette, tu sais pas vraiment quoi dire en fait.
Et puis comme ça, tu m'en devras un à ton retour. il sourit une fois encore, des perles larmoyantes dans les yeux. Il vient de mentir, et tu le remarques aussitôt. Tu te rues vers lui, et il te porte dans ses bras, décollant tes pieds du sol, parce qu'à côté de lui t'es minuscule. Ton visage vient se lover dans son épaule râblée, chaude et réconfortante.
— Merci. tu souffles dans le lobe de son oreille. Tes larmes s'abattent sur son épiderme, imbibent sa manche décolorée. Ça c'est ton cadeau à toi, la dernière chose que tu lui laisses en retour. Tes larmes.
Et puis, les pacificateurs déclouent la porte dans un fracas. Un t'attrape sous le bras. L'autre t'arrache à ton cousin pour t'embarquer loin. Loin de tout, loin de ta maison, loin de ce que tu aimes, loin de la vie. Tes prunelles harponnent celles de Gray tant que tu le vois. Puis au tournant tu romps le contact. Tu gesticules, tu cognes contre le torse du pacificateur qui te relâche. Alors, tu marches à côté d'eux. Vers le train. Vers le Capitole. Vers la mort. Tu sèches tes larmes. Tu renifles sauvagement et tu lèves la tête, dédaigneuse. Faut que t'aies fière allure à la gare, devant toutes les caméras. Mais ton arrogance est feinte, parce qu'au fond de toi t'es bousillée.
Seulement c'est toi qui a choisi.
Rien que toi.
Le sacrifice.
HRP.