Sæglópur

á lífi kominn heim sæglópur
á lífi kominn heim sæglópur
Vivant, il est de retour à la maison, un marin perdu
á lífi kominn heim sæglópur
á lífi kominn heim sæglópur
clique ici pour t'ambiancer

La musique douce qui émane de l’appareil, un piano qui mesure ses sons, une voix modifiée et aigüe qui chantonne dans une ancienne langue, un autre instrument qui s’ajoute, une second voix qui prend ses aises, et sans doute une troisième sur les mélanges ; le piano monte quelques notes, et redescend pour laisser la toute première voix reprendre un solo. Je mets ma cravate en place et me laisse bercer, yeux fermés, sur les sons de la douce musique. Ma tête balance de gauche à droite. Ce n’est que comme ça que je trouve mon calme. J’oublie qu’un miroir se trouve devant moi lorsque le fond sonore monte, j’oublie que dans quelques heures je serai sujet à enchère, j’oublie toutes les horreurs quand la voix reprend cachée par le fond des instruments. J’ai les yeux fermés.
Debout je reste quelques minutes à valdinguer. Puis je serre une dernière fois mon nœud de cravate, je la glisse contre la chemise blanche qui taille à mon corps. Droit je regarde dans le miroir et sous la douce musique de tristesse je contemple mes traits du visage. Souris Nash ; tu dois sourire ce soir. Lorsque j’arriverai devant tout le monde je vais devoir lever la tête, embrasser des mains, faire semblant que je connais la personne que je croiserai, lui faire croire qu’elle est influente jusqu’au village des vainqueurs du septième district. La voix de la chanson reprend et je me visualise entrer dans la salle de fête seul.

Je tourne la tête sans tourner les flancs. Sur le pied du lit se trouve une veste de smoking noire. Il semblerait que l’équipe de préparation ait choisie quelque chose de sombre mais chic. Je ne pense pas qu’une tenue plus voyante – plus habituelle au Capitole – aurait pu s’approprier mes traits appauvris. Pas de maquillage pour ce soir. « Un vainqueur doit rester élégant au naturel, faire rappeler qu’il est chic par son statut, et naturel par le lieu d’où il vient ». C’est ce que je me répète devant le miroir, enfilant une manche, puis l’autre, attrapant les deux extrémités qui touche mon torse couvert, puis aplatissant les plis du tissu. Je me le répète une deuxième et une troisième fois, pour me mettre la phrase en tête, pour me donner du courage. La musique s’arrête, elle semble terminée. Et une fois de plus, pour ne pas entendre le silence dans la pièce, car je ne veux pas être seul avec mes simples pensées, je remets le lecteur au début et le même son redémarre. Je n’ai aucune idée du nom de la musique – je ne sais en fait pas le prononcer. Je sais juste qu’il reflète quelque chose de beau et triste.

Il me semble que le haut de mon costume soit correct. Sans pantalon, j’enfile celui qui est sur le côté, prenant soin de bien me placer à l’intérieur, de rendre droit et peu dérangeant mon sous-vêtement, de défaire les plis nouveaux avant qu’ils gardent leur forme, de vérifier si j’avais déjà mis des chaussettes pour éviter de lever une jambe assis et refaire des plis là où l’équipe de préparation aurait des envies de meurtre. Tout semble bon. Avant de clore le bouton je plonge ma chemise dedans. Je bloque la ceinture, je mets le haut de mon costume sur le pantalon et m’admire devant ce miroir à pied. La musique continue. Je l’ai repassé tellement de fois ces dernières heures – même dans le train – que je devine qu’elle va bientôt s’arrêter.
Le lecteur s’arrête.

Je passe ma main dans mes cheveux. Je n’ai rien dessus, rien me permettant de me coiffer. Et puis à quoi bon, ils ne bougeront pas. J’inspire fortement et expire. Mes pieds se faufilent dans des chaussures cirées. La grande classe. Je me souris face au miroir et même dans le silence d’une musique qui ne s’est pas redémarrée seule, je me surprends à dire « Et bien tu vois, quand tu veux, le Capitole n’est pas si mal que ça quand on y réfléchit ». C’est la phrase que me disait mon ami lorsque je lui ai dit que la nourriture à la capitale n’était pas mauvaise.
Mon ami est un psychologue de cette capitale.

L’horloge murale sonne. Il est l’heure de descendre. Je me mets de nouveau devant le miroir. « Bonjour, comment allez-vous ? » « Et bien, cela fait longtemps que je ne vous ai pas vus, comment va votre fille ? » « Oui, je sais que l’on ne m’a pas entendu pour ces palpitantes élections présidentielles. Pour tout vous dire – et je vous fais confiance à ne pas ébruiter cette triste histoire – je suis tombé très malade peu après l’annonce des participants. Des médecins de la capitale sont venus, je n’ai pas pu me lever pendant plusieurs jours. » « Oui, mon retour au Capitole devrait être définitif, trinquons à cette nouvelle ! » Je répète des phrases bateaux, prédéfinies, clichées, que l’on m’a conseillé, que je  trouve logiques, menteuses et sans doute superflues. Des phrases qu’adorent les habitants de la capitale de Panem. J’inspire encore et j’expire. Cette fois-ci je me sens prêt.

J’ouvre la porte de la chambre. Il n’y a personne. D’habitude, lorsque nous venons au Capitole, nous sommes logés par districts. Aujourd’hui les choses sont faites en grand. Il n’y a personne. Et je me rappelle que c’est pour ceci que je me suis senti obligé de mettre ces sons doux toute la matinée, toute l’après-midi, et tout ce début de soirée. D’ailleurs, je ne me souviens pas avoir éteint le lecteur lorsque j’appelle l’ascenseur. Je ne me sens pas de courir dans ces beaux vêtements, de peur de froisser quelque chose au tissu ou de rater la machine quand elle arrivera. A quoi bon, la mise en veille se fera bientôt.

La machine descend et le bruit qui affirme son arrivée retentit. Le hall de l’hôtel est calme – tout le monde doit être en train de se préparer pour la plus grande fête depuis le nouveau président Ulysses, le reste doit déjà être sur place. Je ne l’avais pas vue lorsque les portes se sont ouvertes. En fait, j’ai fait un pas, puis deux, et de nouveau un. Et enfin j’ai cru remarquer une tête blonde, plus loin. Je m’avance, intrigué. Sa belle silhouette et sa chevelure bouclée. Je la regarde et je souris. Je ne me rappelle pas la dernière fois où j’ai vu cette femme, mais il me semble que les mois et années ont pris le temps de passer. « Salut Dahlia. »

« Mais ce n'est pas tout. Que serait une belle soirée sans nos admirables vainqueurs ? Vous tous, amis de tous les districts qui ont fait et font encore la fierté de notre nation, les habitants du Capitole vous convient à ce qui sera la plus belle célébration depuis bien longtemps. Vous serez ainsi les ambassadeurs de vos districts, et participerez, avec charme et panache, à des enchères exceptionnelles qui nous permettront de mener à bien les réformes et de renouveler les différents services aux habitants des districts qui forment le cœur de notre nation. Nous vous attendons tous! »

Ahaha, j'en rigolais encore tellement ce discours était ridicule. Non mais franchement, c'était qui ce Deverell qui se la jouait sauveur du peuple ? Je n'arrivais pas à croire que certains habitants se laissaient avoir par ce genre de choses. C'était improbable et... et stupide. Ces gens ne méritaient rien. Même pas une seule seconde de notre attention. J'étais bien contente d'avoir pu me barrer du district pour rejoindre la capitale. Si seulement je pouvais y déménager, y faire ma vie et ne plus voir ces... ces pêcheurs. J'en avais des frissons dans le dos tellement toute cette population du Quatre me répugnait. Heureusement que le village des vainqueurs était agréable, et loin des autres habitants. Je pouvais ainsi me créer un petit monde bien à moi, sans parasite. Bref. Je n'allais pas me gâcher la journée en pensant à ça.

Il était temps de laisser ce fichu district derrière moi pour profiter de l'événement. Ce n'était pas tous les jours que le Capitole invitait ses vainqueurs pour une soirée spéciale. Et, oui, je devais l'avouer, j'avais hâte de participer à celle-ci. Même si je craignais quelque peu l'enchère qui me serait attribuée – à moins que je puisse la choisir – je n'allais qu'apprécier voir mes chers amis vainqueurs supporter les leurs. Mais avant ces réjouissances, il fallait me vêtir pour la soirée. « C'est une blague ?! » Une robe ?! Pas étonnant que ma styliste se soit éclipsée juste après avoir déposé la tenue. C'était juste affreux. Je l'avais pourtant prévenue que je ne voulais pas de ça. Une robe noire, à paillettes, très échancrée sur le côté. Mon Dieu. J'allais avoir l'air ridicule dans ce déguisement. C'était bon pour cette Prue ou je ne savais qui d'autre... Mais moi ? Pour le coup, je n'allais sûrement pas échapper à un maquillage outrancier et une coiffure grotesque. Quelle chance...

L'endroit était vide, morne. C'était si différent des jeux et qu'est-ce que ça me manquait ! Merci Deverell de nous avoir privés de ça ! Au lieu de terroriser deux petits agneaux, je me retrouvais à attendre dans le hall d'un hôtel, seule, vêtue comme un clown du Capitole. Ça, c'était la définition du véritable cauchemar. « Salut Dahlia. » Rectification. Ça, c'était la définition du véritable cauchemar. J'aurais du courir me cacher dans un coin pour que personne ne me voit dans cet accoutrement, et pourquoi pas feindre une douleur atroce et m'éclipser discrètement. Heureusement que ce n'était que ce cher Ethan. Enfin, cher. Disons plutôt que ce n'était pas la pire des rencontres possibles. « Ethan. Contente de voir que tu as réussi à retrouver le chemin du Capitole ! » dis-je d'un ton moqueur qui m'était habituel. Il ne fallait pas trop le perturber pour son retour tout de même ! Cela faisait bien longtemps que le vainqueur du Sept n'avait pas été aperçu dans la ville, pour des raisons inconnues. Et, en vérité, je m'en fichais, un peu. Un concurrent en moins dans le cœur de mes très chers amis Capitoliens, ce n'était pas négligeable, surtout ces temps-ci. « Je suis sûre que c'est l'idée d'une soirée passionnante en ma délicieuse compagnie qui t'a donné envie de réapparaître. Pas vrai ? » Puis je tournai sur moi-même pour montrer mon hideuse –  pardon – magnifique robe. Autant en jouer plutôt que d'affirmer publiquement que j'en avais honte. Et, soyons honnêtes, c'était aussi une façon courtoise de ne pas insinuer que son absence pouvait être due à une allégeance... douteuse.

Spoiler:

Retrouver le chemin du Capitole ; une invitation à penser à métaphores et littérales qu’était cette belle phrase. Il en va s’en dire que si je suis ici ce n’est pas pour me défiler. Je retrouvais en ce moment le pauvre chemin du vainqueur obligé entre son district et sa capitale,  où il est assigné esclave de la population. Bien que ce qui a fait décharge à ce passage, à cette « reprise de chemin », ce sont les nouvelles élections : un président frais et des idées parues changeantes, un désir de curiosité et un nécessaire d’action, une envie fatale de se rendre sur les liens de guerre silencieuse pour admirer les nouvelles du bataillons et lire les lignes de fausse presse ; le chemin du Capitole semblait en premier lieu la belle intention de s’efforcer à montrer son visage aux caméras, le visage de celui qui boit réellement les belles paroles de la présidence, tout en les crachant lorsqu’il passe le perron de son habitat.

Pourtant la chose n’est pas manifeste. Le chemin du Capitole s’était perdu dans mes quelques pensées et souvenirs nécessaires, indispensables. Je ne m’étais pas impressionné à oublier les virages du train, la peinture de la gare, le visage de l’individu s’occupant des quais, du temps de trajet, de la chose la plus matérielle à la moins intéressante.

« Effectivement, j’avais presque oublié où était la belle capitale sur une fichue carte. » Le ton d’humour et le silence lassant je me remémore les quelques souvenirs de conversations passées. Dahlia c’est celle des soixante-treizièmes, la suivante, la petite blonde vainqueur. Celle un peu sauvage, un peu trop dur, elle était belle à l’époque – elle l’est encore plus. Sans doute l’âge – physique pour elle, mental pour moi.

Je ris à ces belles paroles, aux invitations sarcastiques, un bout de sourire des plus vraies, sans aucun bruit – peut être un petit souffle – et des yeux qui se plissent faisant peser la fatigue sur mon visage. « Et bien tu serais encore plus belle dans une robe en tronc. » Je laisse échapper quelques sons de rire pour montrer qu’il s’agit d’une blague, me rappelant par la même occasion les horribles tenues que le district sept a le droit tous les ans, si répugnantes que certains tributs se sont sûrement déjà demandés s’ils pouvaient mourir avant leur présentation au Peuple au lieu de verser leur sang dans l’arène. C’est ce qu’il m’était arrivé ironiquement tout du moins. Et j’avais déchiré les manches de l’horrible tenue sur le char avant d’entrer dans le champ des caméras. « Ta robe est un peu trop ouverte. » Une remarque qui se veut blessante, pourtant vraie, un soupire fatigué et un sourcil qui se lève désobligeant mais surtout désolé. Je fais le tour de la belle blonde, regardant le tissu, ses jambes, profitant de l’analyse demandée pour jeter quelques regards osés et cachés à ses hanches. « Et puis, tu peux toujours recoudre toi-même un peu l’ouverture. On ne dira rien à ta styliste. » J’émets un silence de quelques secondes, de réflexion, refaisant un tour d’inspection. « M’enfin, ce n’est pas la robe qui fais la femme. » Ce n’est pas vrai. Quid de la belle Cendrillon sans sa robe de bal ? Elle ne serait restée qu’une gueuse dont la seule beauté était son intérieur. « Tu es resplendissante. Et, comme ça, si ta robe s’ouvre de trop et que l’on voit tes bas, ça ne pourra pas faire autant scandale que nous deux arrivant en même temps à cette soirée passionnante en ta délicieuse compagnie. Je t’avoue que ça me fera même beaucoup rire. ».

Cette soirée au Capitole était plus que bienvenue. C'était si bon de revenir dans la grande région, celle que je préférais à Panem et de loin. Même si ça ne l'était plus trop quand il s'agissait d'être sympathique avec des personnes que je détestais au plus haut point, mais bon, on ne pouvait pas tout avoir. Et apparemment, quelques minutes de tranquillité avec le lancement de la soirée faisait partie de ces choses que je ne pouvais pas avoir. « Effectivement, j’avais presque oublié où était la belle capitale sur une fichue carte. » C'était si agréable de pouvoir reprendre ce ton sarcastique en toute liberté. Je n'avais pas de si bonnes victimes dans le quatre, et mieux valait essayer d'en trouver lors des soirées mondaines du Capitole. Les habitants y étaient peu futés, mais on ne savait jamais sur qui on tombait. « Mon pauvre, c'est vraiment dommage que personne ne soit venu t'aider.  » Depuis quand est-ce que je prenais des pincettes pour lui faire comprendre le fond de ma pensée ? Tout cela alors que je pouvais simplement lui dire que personne n'était venu l'aider tout simplement parce que parce qu'il faisait maintenant partie des vainqueurs oubliés. Il fallait que je me reprenne, et vite, ou la soirée serait d'un ennui mortel.

« Et bien tu serais encore plus belle dans une robe en tronc. » Ah... les costumes si réputées du district sept. Pour une fois, j'étais bien contente de venir du quatre, je n'avais pas eu l'un de ses déguisements affreux à vous donner envie de passer l'arme à gauche avant l'arène. « Et toi encore plus dans le costume de ton défilé. Mais n'oublie pas les manches cette fois. » Je ris pour continuer notre conversation sur le ton de la blague même si j'en profitais pour me moquer de lui. Et il ne serait sûrement pas dupe. C'était toujours un plaisir de revoir les images des vainqueurs pour trouver de quoi leur rappeler de mauvais souvenirs. Méchante, moi ? Jamais. « Ta robe est un peu trop ouverte. »  Un peu ? Il était gentil. Cette robe était un cauchemar. Mais il n'était pas question que j'entre dans son jeu. Je devais continuer à donner l'impression que c'était un grand plaisir de porter une telle horreur. « Et puis, tu peux toujours recoudre toi-même un peu l’ouverture. On ne dira rien à ta styliste. » Je pouvais faire ce que je voulais avec elle de toute façon, jamais elle n'oserait me confronter pour montrer son mécontentement. « M’enfin, ce n’est pas la robe qui fais la femme. » Je le regardai et ris. Il voulait vraiment me faire croire que cette robe ne lui convenait pas alors qu'il ne cachait même pas son regard appuyé sur mes formes si bien mises en valeur ? « Je la trouve parfaite, pas besoin de la changer. Tu as  peut-être peur que je te fasse de l'ombre ? » Un homme restait un homme. Il faisait semblant de vouloir m'aider alors qu'il ne faisait que profiter de la vue, discrètement.

« Tu es resplendissante. Et, comme ça, si ta robe s’ouvre de trop et que l’on voit tes bas, ça ne pourra pas faire autant scandale que nous deux arrivant en même temps à cette soirée passionnante en ta délicieuse compagnie. Je t’avoue que ça me fera même beaucoup rire. ». Génial. Et maintenant je me retrouvais à passer plus de temps que je ne le souhaitais avec le vainqueur. Il ne me restait plus qu'à espérer qu'il ne passerait pas son temps à évoquer cette robe que j'allais envoyer au feu dès la fin de cette soirée passionnante. « Aller ensemble à la soirée ? Comme c'est charmant. » Il fallait avouer que je n'avais pas penser à cela, j'aurais mieux fait de ne pas attendre dans  ce hall. Autant que je profite de ces derniers instants de paix pour être plus sarcastique que jamais. « Si ça peut te faire... rire. » Je lui fis un clin d’œil. Puis j'eus une révélation. C'était peut-être l'occasion de faire parler de moi et d'envoyer cette chère Prue aux oubliettes. « Ne faisons pas les choses à moitié alors. » Je ne lui laissai pas une seconde pour réfléchir que mes lèvres s'étaient déjà posées sur sa joue pour laisser une trace ostensible de rouge à lèvres. « Ça sera encore mieux comme ça ! » J'allais sûrement un peu loin, mais ça ne le serait jamais trop pour mes chers capitoliens.