Décidément... on n'y voyait plus rien avec ce temps. Et quand je dis rien, je vous parle d'un rideau de pluie tellement dense qu'il vous barrait la vue à deux mètres, sans compter sur l'obscurité ambiante qui rendait la visibilité encore plus exécrable. Après avoir marché dans de pareilles conditions pendant une dizaine de minutes, je ne supportais plus du tout mes vêtements crasseux qui me collaient à la peau et, autant dire ce qui est, je comptais les enlever une fois après avoir trouvé un endroit sécurisé dans la zone. Quelque chose me disait que je n'étais pas dans le lieu le plus propice à la détente en raison de la proximité de la corne d'abondance, mais il était inutile d'essayer de progresser à cette heure-ci : je ne m’appelais pas Yorell, donc je ne voyais pas si bien que ça dans le noir, contrairement à lui.

Soupir. Je m'arrêtais finalement au niveau d'un plateau herbeux entouré d'arbres et de buissons épais, tout en réfléchissant à ce qu'il y avait de mieux à faire. Arrêter ou poursuivre ? Non, c'était une mauvaise idée de continuer à l'aveuglette, il valait mieux s'installer pour dormir et nous verrons bien demain. Je m'inquiétais du peu de tributs décédés jusqu'à présent, en comparaison des autres années, alors pas question de prendre, en plus de ça, des risques inutiles. Je n'avais pas l'intention de mourir tout de suite.

Après m'être retournée prudemment, je m'approchais des bois tout en commençant à faire glisser mon sac sur mon épaule avec l'intention d'en sortir le matériel que j'avais rassemblé pour créer quelques pièges et ainsi sécuriser un minimum la zone durant la nuit. Sait-on jamais, j'aurais peut-être de la ch...

ou pas, en fait

D'un commun accord, nous avions décidé de nous séparer, de chercher de quoi boire ou manger et de nous retrouver plus tard. Je n'aimais pas trop cette idée, mais c'était comme ça. Et si je voulais que Ellyn survive, c'était la seule option qu'il y avait. Elle avait été si gentille, personne n'avait été comme ça avec moi. J'étais triste de ne pas avoir osé lui parler, ce jour-là, durant l'entrainement. C'était au parcours d'obstacle que je l'avais vue. J'aurais dû y aller, lui parler. J'étais certain qu'elle aurait été toute aussi gentille. Qu'elle ne m'aurait pas pris de haut. Qu'elle aurait daigné m'adresser la parole. J'étais triste aussi pour Sky. Elle ne m'avait jamais vraiment parlé, sauf lorsque cela avait été nécessaire et elle m'avait évité. Je lui avais trouvé beaucoup de charisme, plus qu'Ellyn peut-être, mais moins avenante. C'était plus intimidant de l'approcher, elle. Mais cela n'avait plus vraiment d'importance. Je ne reverrai certainement jamais Sky, pas plus que je ne reverrai Ellyn. Je me doutais que le voyage allait bientôt s'arrêter pour moi. Je levais les yeux vers ce ciel artificiel, m’enfonçant davantage dans cette jungle, priant une quelconque divinité d'offrir la possibilité aux bonnes personnes d'aller le plus loin dans les Jeux.

Même si je marchais prudemment, sans faire le moindre bruit, le simple fait d'avoir lever les yeux au ciel me firent tituber et je glissais sur une branche d'arbre, m'écroulant et roulant sur le sol en couinant. Puis, sans que je ne pus m'accrocher à quoi que ce soit, le sol devint boue, puis eau ; je venais de trouver un point d'eau. Ne sachant pas nager, je commençais à me débattre dans l'eau au mieux, buvant parfois la tasse jusqu'à me rendre compte que j'avais pied. Mon cœur battait à tout rompre. Au moins, j'avais trouvé de l'eau... Et Sky. J'écarquillais les yeux en la voyant. J'étais certain qu'elle me tuerait. Je ne bougeais pas, complètement terrifié.

La pluie venait de s’interrompre brusquement d’une manière un peu trop précipitée pour être confondue avec autre chose : c’était l’œuvre des juges, Ambre n’avait aucun doute là-dessus. Elle n’avait aucune idée du pourquoi ou du comment, mais elle était séparée de Kylian et de tous ses repères par la même occasion. Le brouillard ne se dissipait toujours pas et pour la jeune fille, cela ne pouvait signifier qu’un seul message. Ce qu’elle trouvera au bout du chemin sera quant à lui bien visible. C’est donc armée d’une très mauvaise intuition qu’elle continua sa route au hasard dans la jungle, écrasant au passage tout ce qui se trouvait là. Elle commençait à regretter d’avoir laissé la moitié des provisions à ses alliés, même si elle tiendrait aisément deux jours avec ce qui restait dans son sac. Elle en remonta les sangles sans baisser sa garde.  Maintenant qu’elle était seule et sans plus aucune distraction, ses pensées vagabondèrent à nouveau du côté d’Isaac. Sa main se fit poigne de fer sur le couteau, plantant ses ongles dans la chair. Elle avait besoin d’une douleur physique pour lutter contre la bataille qui se déroulait dans sa tête ; d’une douleur qui puisse contrebalancer ce qu’elle éprouvait à présent. Mais il n’y aurait pas de douleur capable d’égaler la sienne. Le trou béant ne cessait de s’agrandir dans sa poitrine, son cœur n’étant plus que tissus morts. Les morceaux ne se recolleraient plus jamais. Elle allait mourir le cœur abimé, mais au moins elle allait mourir.

Quelque chose s’était éteint en elle cette nuit-là, et la volonté de se battre en faisait partie. Cependant une autre flamme s’était progressivement allumée et n’avait cessé de grandir jusqu’à la dévorer de l’intérieur. Elle ignorait comment, mais elle tuerait Thunder de ses mains s’il le fallait. Lui, et tous ceux se mettant en travers de son chemin pour l’en empêcher. Il avait délibérément choisi son destin, l’avait marqué par la vengeance. Pour une fois, elle suivait entièrement ses idées. Le brouillard commença à se dissiper. Ambre fut tentée d’appeler Kylian mais elle ignorait s’il la cherchait. Et surtout, elle ignorait si elle était véritablement seule ou non. Elle savait juste qu’elle allait devoir se débrouiller sans aucune aide pour passer la nuit. Le ciel s’assombrit à nouveau, laissant prévoir une nouvelle vague de pluie. Freaks se mit à chercher le moindre indice, affolant ce qui restait de son cœur. Il allait se passer quelque chose. Puis, « quelque chose » apparut : une forme indistincte, humaine et à moins de vingt mètres. Il était trop tard pour faire demi-tour, surtout que la silhouette s’était figée. Se pouvait-il que ce soit Kylian ? La petite voix dans sa tête lui jura que non. Il n’y avait qu’un moyen d’en être sûr. « Ambre Galeoni, district 7. Qui est là ? Annoncez-vous ! » La moiteur tropicale et la peur associée donnaient une toute nouvelle saveur à la sueur qui perlait le long de son front, elle en était certaine. Une autre voix tenta de s’immiscer dans son crâne, lui rappelant que cela ne finirait pas forcément mal. Mais ça, c’était exclu.

Je venais d'attraper un bout de liane dans mon sac lorsqu'un bruit sourd attira mon attention en direction de l'eau, un peu plus bas. Par réflexe, ma première réaction fut de bondir en arrière pour m'éloigner de l'endroit d'où provenait le son et il n'en fallut pas plus pour que mon coeur commence à palpiter à tout va dans ma poitrine. Lorsqu'on se retrouvait seul au milieu de ce terrain miné, le moindre truc suspect devenait une menace à nos yeux et même si je ne le laissais pas forcément toujours voir sur mon visage, je n'étais absolument pas une exception à la règle qui voulait qu'on flippe a mort en entendant ne serait-ce qu'une feuille d'arbre craquer un peu plus loin.

Une fois stabilisée sur mes jambes, j'attrapais l'un de mes couteaux et fis un petit pas en avant pour tenter de voir qui se trouvait en contrebas, m'arrêtant néanmoins rapidement lorsqu'une silhouette familière entra dans mon champs de vision. Il ne s'agissait « que » de Callum, soit l'autre tribut du douze. En l’apercevant, une légère surprise se peignit sur mon visage. Il était encore en vie, malgré son handicap ? Je ne m'étais jamais rapprochée de l'adolescent depuis que nous avions mis les pieds dans le train pour le Capitole, puis-ce que je ne le faisais avec personne depuis aussi loin que je m'en souvienne, mais cela ne m'avait pas empêchée de me poser des questions à son sujet... voir même d'être désolée pour lui. Un soupir de soulagement m'échappa alors, forcément ; il n'était pas une menace à mes yeux et quelque part, le simple fait qu'il provienne du même lieu que moi lui accordait un bonus de considération par rapport aux autres participants. Presque aussitôt, la pression redescendit alors en moi et je me redressais un peu en passant une main dans mes cheveux détrempés. Il fallait vraiment que Yorell se dépêche... et j'espérais que rien de grave ne lui était arrivé durant son absence.

Après une légère hésitation, je décidais finalement de lever une main pour saluer Callum, après avoir rangé mon arme, mais mon geste fut avorté par une voix inconnue qui me raidit aussitôt et me poussa à tourner la tête en direction du cri. « Ambre Galeoni, district 7. Qui est là ? Annoncez-vous ! » District sept... aucune idée de la gueule qu'avait la nana de là-bas, mais je n'aimais pas tellement la façon dont elle venait de parler et quelque chose me disait que si je restais plantée là, ça allait mal se passer. Pour moi, mais également pour mon cadet qui était encore hors du champ de vision de la nouvelle venue. « ... »

Je fronçais les sourcils, puis déglutis en reculant vers un arbre. Qu'est-ce qui me disait que cette fille était seule ? Je n'avais pas envie de prendre le risque de m'annoncer si cela était juste un moyen pour l'équipe adverse de me distraire et en fait, une dizaine de scénarios prirent vie dans mon imaginaire presque aussitôt que mon dos toucha le tronc derrière moi. Peut-être qu'il y avait un carrière pas loin, peut-être d'autres tributs qui s'étaient alliés les uns-aux-autres pour faire une traque, ou alors peut-être qu'Ambre n'avait personne d'autre en sa compagnie, tout bêtement. Parier sur ça était malheureusement trop risqué. Une sueur froide me parcourut le dos dans la confusion et je portais à nouveau ma main à la poignée d'une de mes lames pour la saisir, en attendant le bon moment pour agir. Avec l'effet de surprise, ça me donnait un avantage, non... ? Argh... je ne sais plus... tout s'embrouillait au fil des secondes. Ma seule certitude était que je n'avais pas l'intention de faire confiance à qui que ce soit ici bas. Attaquer me semblait être le choix le plus judicieux, nous parlerons peut-être après, lorsqu'elle serait à terre.

En voyant la silhouette s’avancer lentement vers elle, le cœur d’Ambre se mit à battre frénétiquement. Il cognait avec toute l’intensité dont il était capable, comme pour lui rappeler qu’il serait grand temps qu’elle bouge. Qu’elle fasse fonctionner ce qui lui restait de neurones afin d’élaborer un nouveau plan. Mais elle n’avait pas le temps d’échafauder une théorie. Ce n’était pas Kylian ; son allié aurait répondu à l’appel. Ce silence ne signifiait rien de bon. Il signifiait seulement qu’à contrario d’elle, l’autre avait quelque chose en tête. Ambre était fatiguée de fuir pour tenter de sauver sa peau. Surtout quand sa peau ne lui avait pas permis de sauver celui qu’elle aimait. Qu’on en finisse. Elle eut un maigre sourire en priant pour que le sort lui soit favorable.

Elle se sentit mieux en se déchargeant du poids de son sac à dos et ses yeux étaient toujours rivés sur l’inconnu quand elle se contenta de le pousser du pied, droit sous une plante grasse. Afin de montrer qu’elle ne souhaitait pas d’une confrontation, elle prit le risque de ranger son couteau dans le pan de son pantalon, le laissant tout de même à portée de main. Ne voulant partager le contenu de son sac avec personne d’autre qu’elle-même, elle s’avança. Lentement. Trop lentement. L’attente lui paraissait interminable et les secondes semblaient durer des heures tandis qu’elle avançait toujours, se forçant à adopter un rythme non agressif. Elle était effrayée de ne pas connaître l’identité du tribut qui se tenait devant elle. Effrayée de ne pas savoir ce qui l’attendait. Effrayée de ne pas être en mesure de venger Isaac comme elle le devrait. Or, elle devait essayer. Elle devait le faire pour elle mais aussi pour Laurel, qui s’était sacrifiée toutes ces années pour son petit bonheur personnel. Oui, elle lui devait bien ça. La jeune fille pensait qu’elle ne serait jamais en mesure de rembourser sa dette. Plus maintenant. Et puis, si ce n’était pas elle, qui d’autre s’en chargerait ? Personne. Elle inspira une grande bouffée d’air afin de dénouer la crampe qui lui servait à présent d’estomac. Au fur et à mesure du parcours cependant, elle distinguait mieux la silhouette qui lui faisait face. Grande, longiligne. Cela n’allait pas être facile, mais qu’est-ce qui l’était de nos jours ? Maintenant qu’elle n’était plus qu’à une dizaine de mètres, elle sut mettre un numéro sur ce visage. Ambre se souvenait très bien de son visage : en général, le district douze était le premier à succomber. « Tu n’es pas avec ton petit copain ? » lança-t-elle au hasard, plus par soucis de gain de temps que d’efficacité. Par-là, elle imaginait sans doute une alliance entre le petit garçon et elle, même si le gosse ne lui aurait été d’aucune utilité. Tout compte fait, il n'était pas étonnant qu’elle ait préféré ne pas s’en encombrer. Freaks tenta de faire paraître sa posture plus impressionnante qu’elle ne l’était et son ton était quant à lui plus railleur qu’elle ne l’aurait voulu. Mais peu importe, après tout : la bouffée de colère qui l’envahissait en imaginant qu’un gamin manchot était toujours vivant alors qu’Isaac non suffit à la faire tenir sur ses jambes. C’était profondément injuste, et l’injustice était un mot qui ne faisait pas parti du vocabulaire d’Ambre. Plus maintenant.