Je ne savais pas où j'allais, mais je courais. Tout ce que je pouvais faire en ce moment, c'était sauver ma peau. M'éloigner des autres. Des gens que je serais probablement amené à éliminer pour me protéger et sauvegarder ma propre vie. Je portais déjà du sang de tribut sur les mains. Ce garçon du Trois, il ne le méritait pas. Non, il ne méritait pas de mourir aussi atrocement. D'un coup expert de couteau, je lui avais ôté tout contrôle de son corps. Pendant quelques secondes, le brun était devenu une âme coincée dans une enveloppe charnelle qui ne répondait plus à ses désirs. Je n'avais pas porté le coup fatal qui avait fait retentir le coup de canon. Mais je l'y avais grandement aidé. En bref, j'étais un meurtrier. Un assassin. Je m'étais sali les mains pour un autre qui me prendrait certainement la vie dans les prochaines heures, voire les prochains jours. Dans cette année où tourner en rond n'allait pas suffire pour survivre. Alors je courais, la tête remplie d'appréhension. Parce que j'avais tué avec une aisance sans nom. Je me perturbais tout seul. Et je commençais à avoir peur de ma propre ombre et de ce que j'étais réellement capable de faire.

Lorsque j'estimais être suffisamment loin de la corne d'abondance, je m'assis sur un tronc d'arbre en décomposition et légèrement mousseux. Je portai le bout de mes doigts sur cette même mousse, estimant l'humidité trop importante pour courir davantage. Je décidai donc de faire un arrêt de quelques heures grand maximum, avant de repartir en quête d'une source d'eau. Car ma bouteille se vidait au fur et à mesure que je m'accordais des pauses. Dans ma solitude, les bruits des animaux m'accompagnaient et je tentais tant bien que mal de distinguer les espèces présentes dans l'arène cette année. Beaucoup d'oiseaux et d'insectes. C'était typique d'une jungle après tout. Je levai le couteau à hauteur de mes yeux en amande. Je pouvais voir mon visage se refléter sur la lame. J'étais fatigué, avec des cernes sous les yeux à force de transpirer, courir et par manque de sommeil. Puis soudain, un craquement de branche réveilla mon instinct de survie. Je me levai vivement et me cachai derrière un tronc d'arbre. Je laissais ma tête dépasser à peine pour observer qui était non loin de ma position. J'avais du mal à distinguer son visage, mais à en juger par sa silhouette, c'était une fille. Avec des cheveux plutôt courts. Coupe garçonne. Je poussais un soupir de demi-soulagement. Sky Sanders. La tribut du Douze, et la seule personne que je portais un minimum dans mon coeur dans ces jeux de merde. Je ramenai le couteau contre mon buste, attendant silencieusement qu'elle se rapproche. Elle semblait aussi perdue que moi, et seule. Elle me ressemblait en tous points, à n'en point douter. C'était ce qui me plaisait chez elle. Nous avions tous les deux des visages froids, mais nos corps brûlaient de détermination, de fougue, de force et d'imprévisibilité. Lorsqu'elle arriva à ma hauteur, je l'attrapai par le col de sa veste et la plaquai non sans violence contre le tronc d'arbre le plus proche, portant la lame de mon couteau à sa gorge. Je l'appréciais, mais je ne savais pas si je devais lui faire encore confiance. Je devais être certain de ses intentions. Je fronçai les sourcils, la pointe de ma lame s'enfonçant dans sa peau blanche. Une goutte de sang perla ensuite sur sa gorge. « Si c'était un autre tribut, il aurait déjà eu la gorge tranchée. Tu as pu récupérer quoi à la corne ? » Je baissai mes yeux sur ses poches, desserrant légèrement mon étreinte menaçante de la jeune femme. Si nous étions amenés à nous allier, ce qui était le plan initial après tout, nous allions devoir rester unis, même dans l'adversité. Je ne savais pas si j'étais capable de ça. Je ne savais absolument pas. Mais je savais une chose: Sky Sanders était la seule personne en qui je mettais le plus d'espoir dans l'impitoyable monde des jeux de la faim.