Je tremble et mes muscles me font mal. J’ai fini par arrêter de courir, estimant m’être suffisamment éloignée de la Corne d’Abondance pour pouvoir me le permettre. Mais au fond, je n’en suis même pas certaine. Pour ce que j’en sais, j’ai très bien pu tourner en rond et être, sans le vouloir, revenue sur mes pas à un moment donné et me retrouve pas si éloignée que ça du lieu où les premières gouttes de sang ont été versées…
J’essaye de lutter contre mon propre esprit qui tente de me renvoyer les images que je n’ai pas voulues voir au moment des faits. Je peux maintenant identifier qui est tombé. Je me souviens du nombre de coups de canon… Mais si j’ai vu les victimes, j’ai également aperçu quelques assassins… Je ne sais pas si j’ai le droit de les appeler comme ça. Ils n’ont fait que se défendre après tout. Qui sait, peut-être que dans le feu de l’action, par réflexe, j’aurai pu les imiter en fin de compte… Je ne peux pas les juger. En tout cas, je sais que je ne devrai pas…
Mais alors qui est responsable de ce qui vient de se passer ? Le Capitole ? Ca voudrait dire que Delysia est responsable, mais j’ai beaucoup de mal à lui en vouloir. Elle a toujours été très gentille avec moi, et les autres aussi. Alors à qui en vouloir exactement ?
Je ne dois pas penser à tout ça, je dois me focaliser sur ma propre survie. Mes chances sont maigres. Je n’ai toujours pas trouvé d’eau pour remplir la gourde vide que j’ai toujours en main et ça va devenir un problème rapidement avec cette chaleur humide et étouffante. J’ai l’impression que l’air est palpable. J’ai du mal à respirer… Et j’ai soif. C’est frustrant parce que l’air est si humide, si chaud, que j’ai presque l’impression que je pourrai le boire… Ma tête commence déjà à me paraître lourde, douloureuse…
Le briquet se trouve dans mon autre main et me donne l’impression d’être brûlant. Je sais que c’est faux, mais je de plus en plus de mal à le garder dans ma main. Je me suis trouvée à deux doigts de le laisser tomber quelques fois, mais j’ai tenu bon. Je ne sais toujours pas s’il me servira, mais je ne peux pas m’en débarrasser. J’ai commencé à l’imaginer comme un objet salvateur. S’ils l’ont proposé, c’est qu’il pourra être utile et à ce stade, j’ai besoin de toute l’aide possible, non ?

Il me faut un moment interminable pour m’arrêter enfin de marcher et enfin me décider à évaluer ma situation et agir en conséquence. Je m’épuise inutilement. Je devrai grimper à un arbre et chercher à repérer un point d’eau. Je suis agile, je vies pratiquement dans les arbres au ditrict 11. C’est l’endroit où je me sentirai certainement le mieux… Il me faudra cependant abandonner mes précieux objets pour avoir les mains libres, puisque je n’ai nulle part où les fourrer sur moi.
Je commence à pleurer, sans trop savoir pourquoi. Il faut que je me reprenne. Si je commence à renifler, sangloter, je vais me faire repérer.
Il me faut un trou. Un endroit où me cacher en attendant que je me sois ressaisie. L’idéal serait un tronc d’arbre creux ou quelque chose comme ça. La construction d’un abri ne devrait pas être trop compliquée dans ce décor pourtant hostile. Je me suis révélée assez douée pour ça au cours de l’atelier survie… Un abri indétectable : voilà ce qu’il me faut. le temps de me reprendre.

Après quelques secondes de dangereuse immobilité, je me remets donc en route,  à la recherche du lieu idéal. Je suis encore en train de marcher et d’observer scrupuleusement ce qui m’entour, lorsque j’entends tout à coup une voix dans mon dos.
« Zeena. »
Mon sang ne fait qu’un tour et je m’arrête dans un sursaut. Je suis fichue.
Je n’ose pas me retourner dans un premier temps, espérant que, tant que je ne verrai pas mon adversaire, tant que je ne lui ferai pas face : il (enfin elle en l’occurrence) ne me fera aucun mal. C’est une idée aussi stupide que dangereuse.
Devant mon manque de réaction, la fille appelle à nouveau mon prénom. Est-ce que c’est mon imagination ou bien elle s’est rapprochée depuis la première fois ? Les yeux encore écarquillés, les oreilles bourdonnantes et le cœur battant à mille à l’heure, je prends sur moi de faire volte-face.
Je pense à Papa, Maman et mes frères. J’essaye de visualiser leurs visages, souriants. J’essaye de repenser à un moment heureux. J’espère que Virani a tort et qu’un endroit comme celui dont m’a parlé mon père existe bel et bien. Je veux les retrouver.

Il s’agit de Brooke. La fille du 8. Je déglutis péniblement. Nous ne sommes pas amies. Je n’ai pas réussi à vraiment me faire des amis pendant mon séjour à la capitale de Panem. Mais est-ce que ça fait forcément d’elle mon ennemie ? Peut-être que oui, peut-être que non. Je n’ai aucun moyen de le savoir.
Tremblante, assaillie par une bouffée désagréable de chaleur qui me donne envie de me débarrasser de mes vêtements inutiles sur le champ, je fais face à la rousse, et certainement à ma mort.
Et tout ce que je trouve à dire c’est.
« Ne me fait pas de mal…s’il te plait… »
Je suis certainement le tribut le plus pathétique de ces jeux. J’aurai dû mourir au cours du bain de sang. C’est ce que beaucoup de gens vont se dire en m’entendant prononcer ces mots stupides qui ne me serviront même pas. Si elle a décidé de m’éliminer, elle ne changera pas subitement d’avis aprce que je le lui demande…  

Elle ne dit rien pendant quelques interminables secondes pendant lesquelles je peux sentir mon corps vibrer d’appréhension, mes joues s’échauffer. Ma vue se brouille, à cause des larmes bien sûr, mais également parce que la chaleur commence à agir sur mon corps fébrile. J’ai soif et j’ai brûlé pas mal de calories dans ma course effrénée pour fuir la corne. Je ne sais pas combien de temps encore mes jambes vont pouvoir me tenir.
Mais finalement, Brooke met fin à mon supplice en me répondant d’un air plutôt détaché. Je ne sais pas si elle essaie de se donner une constance ou si elle me trouve vraiment stupide. Sûrement un peu des deux. Encore que c’était vraiment, vraiment stupide de lui demander de m’épargner de cette façon là. Si elle avait été Leevy…
Il aurait rit à s’en écorcher la gorge, voilà ce qu’il aurait fait.
Oui, je crois bien que c’est ce qu’il aurait fait… Avant de me planter une arme quelque part. Et quand il me tombera dessus, si ce moment arrive : je crois bien qu’il prendra tout son temps…

Je ne devrai pas éprouver du soulagement à l’entendre dire qu’elle préfère en tuer un autre que moi, mais c’est pourtant ce que j’éprouve. Peut-être que je ne devrai pas la croire sur parole non plus, mais à ce stade, j’ai tout de même envie de le faire. J’ai besoin de le faire. Si ça ne tenait qu’à moi, je me précipiterai vers elle pour trouver refuge entre ses bras parsemés de tâches de rousseur. Je la supplierai de m’aider, de me sortir de là. Je perdrai toute dignité et toute chance d’avoir des sponsors ou d’être capable de revenir chez moi la tête haute.
Alors je me contente de continuer à la fixer et d’essuyer une larme sur ma joue avec le dos de ma main, étroitement refermée sur mon briquet inutile. Elle me donne la désagréable sensation d’être brûlante. Tout me paraît brûlant, étouffant, ici.
Je déteste cet endroit. Je voudrai rentrer à la maison. Mais je dois arrêter de raisonner de cette manière. Je ne rentrerai pas chez moi. Je pensais m’être faite à cette idée mais apparemment, ce n’est pas le cas. J’ai envie de vivre. Malheureusement.

« Tu as un plan ? »
Je me mordille nerveusement la lèvre. J’en ai un, évidemment, mais est-ce que je dois lui en faire part ? Elle pourrait peut-être m’aider… D’un autre côté, elle n’aurait aucun avantage à le faire. Tout comme elle n’en avait aucun à m’épargner, ce qu’elle fait quand même.
Bon et puis ce n’est pas tout à fait un plan, c’est juste une idée, un objectif. Un objectif que je ne sais pas du tout comment réaliser.
« Je cherchais un bon point d’observation… Pour trouver une source d’eau » finis-je par répondre d’un ton peu assuré, s’apparentant encore à un couinement apeuré.
Je soulève un peu ma gourde, pour lui faire comprendre que je cherche à la remplir. C’est une très mauvaise idée… S’il lui en faut une, elle pourrait tout à fait changer d’avis et décider que finalement, je fais une première victime idéale.

Mais à présent, je crois que je serai en mesure de me remettre à courir si je perçois des signes menaçant de sa part. Je crois…
 
« Et...et toi ? »

Elle doit me prendre pour une idiote si elle me conseille de grimper à un arbre pour avoir une vue d’ensemble… Mais je n’ai pas le temps de me froisser parce que l’information qu’elle me donne ensuite pourrait m’être très précieuse. Des singes. Des singes appartenant à l’Arène et donc susceptibles d’être des armes mortelles placées sur notre route. J’ai vu des images de ces animaux pendant que je fréquentais l’atelier des connaissances. On les dit intelligents, agiles et il en existe de différentes espèces et surtout, de différents gabarits. A quoi ressemblent ceux que Brooke a aperçus là-haut ? Ils sont certainement énormes et menaçants. J’ai entendu des déplacements dans les arbres pendant ma course, mais je n’ai pas osé trop m’attarder à observer de quoi il pouvait s’agir…et je ne suis toujours pas certaine de vouloir observer ces primates de plus près.  
Mais il va bien falloir que je mette mon plan à exécution et donc que je prenne ce risque. Si Brooke s’en est bien sortie à cet exercice : pourquoi pas moi ?  J’ai échappé au bain de sang, il n’y a pas de raison que je me fasse tuer maintenant par des singes, si ?
Evidemment que si.

Mes yeux s’étant orientés instinctivement vers la cime des arbres nous entourant, je les rabaisse en direction de la rousse lorsqu’elle évoque une alliance. Je déglutis péniblement et me mord l’intérieur de la bouche pour contenir mon émotion.
Je ne sais pas si elle l’a fait exprès, si elle a tenté de me faire passer un message ou si ça a été involontaire, mais je viens de comprendre à la manière dont elle a tourné sa phrase que la tribut du huit ne compte pas s’allier avec moi. Je ne peux pas lui en vouloir, pourtant je me sens un peu blessée. Je sais ce que je vaux, quelle image je renvoie aux autres : celle d’un boulet, d’un poids bientôt littéralement mort sans doute. Mais j’avais espéré… J’avais espéré qu’on me laisserait tout de même une chance de prouver que je ne suis pas totalement inutile.  
Je ne vais pas supplier Brooke. Si elle ne veut pas de moi à ses côtés (dans ses pattes), alors tant pis. Je devrai déjà être reconnaissante qu’elle ne m’ait pas tuée et qu’elle m’ait en prime distribué quelques conseils avisés je suppose.
Oui, je vais devoir me contenter de ça pour l’instant…

J’hoche donc la tête, essayant toujours de lui dissimuler ma déception. Elle ne mérite pas que j’essaie de l’apitoyer la pauvre. Elle ne a assez fait et ne me doit rien. Moi je lui doit cependant ma vie certainement.
« D’accord » je finis par répondre, pendant qu’elle observe les alentours, cherchant peut-être déjà une voie praticable à emprunter, ou guettant les dangers qui pourraient nous guetter pendant que nous échangeons quelques mots. Elle est assurément plus douée que moi en matière de survie. « Bonne chance… » ajouté-je en cherchant à croiser son regard, avant de lui adresser un discret sourire reconnaissant.
Je ne veux pas la remercier plus ouvertement que cela, de peur de la mettre mal à l’aise ou, pire : de lui faire regretter son geste. Certaines personnes n’aiment pas qu’on leur montre qu’elles se sont montrées faibles… Et beaucoup jugeront sont attitude comme celle d’une faible, parce que je le suis moi-même. Beaucoup penseront certainement derrière leur écran qu’elle aurait mieux fait de m’abattre froidement.