S’il s’arrêtait, il mourrait.

La mort lui courrait après. Sombre et rapide, ondulant son corps duveteux. Elle était à quelques mètres. Levi ne la voyait pas. Mais il la sentait. Il avait l’impression de sentir son haleine tiède s’écraser dans son dos. Il entendait ses pas étouffés. C’était comme si ses sens étaient décuplés. Il voyait la mort de partout. Elle était derrière lui. Elle voulait l’emporter.


S’il s’arrêtait, son coup de canon retentirait dans toute l’arène.

Ellyn l’entendrait. Sage regarderait sa mort avec déception, peut-être. Jaime s’en moquerait sûrement. Sa mère ne s’en remettrait jamais. Les autres tributs se réjouiraient de savoir qu’un autre est tombé à leur place, en cette soirée sombre. Certains auraient un instant de panique avant de découvrir que leur ami ou allié est encore en vie.


Les larmes lui montaient aux yeux. Etait-ce à cause de l’effort ? Ou de la peur ? Les deux. Sa gorge le brûlait. Ses muscles étaient douloureux, et lui donnaient l’impression que chaque pas était le dernier. Son souffle s’était réduits à un halètement douloureux, et les battements de son cœur étaient rapides et violent, résonnant dans tout son corps. C’était bien la seule preuve qu’il avait qu’il était encore en vie. Sinon, il se serait mis à douter, c’était certain.

Il manqua de trébucher sur une branche luisant dans la nuit. Dérouté, il perdit de la vitesse. Elle se rapprochait. Il grimaça, ravalant ses larmes glacées. Il ne devait pas abandonner maintenant. S’il mourrait, il fallait que cela soit le plus loin possible d’Ellyn et Callum. Autant que sa mort serve à quelque chose. Autant que sa mort serve à épargner les quelques personnes qui méritaient de sortir vivant de cette foutue arène. Il voulait mourir en héro. Ou quelque chose s’en approchant.

Il continua sa course dans la forêt illuminée par la végétation, les insectes et les petits animaux. Les dérangeant tous dans leur repos. Si Levi s’était émerveillé de cette particularité de l’arène la première nuit, il la maudissait à présent profondément. Il la détestait de le rendre si vulnérable dans cette forêt lumineuse. Il ne pouvait pas se cacher.

Soudain, il entendit des voix. Il crut halluciner. Mais plus il courrait, plus il se rapprochait… Une voix de garçon, principalement. Mais il devait bien parler à quelqu’un… Levi fronça les sourcils, et se dirigea instinctivement vers la voix. Il y chercherait de l’aide ou… Ou un moyen de se débarrasser de la mort en changeant sa proie... En lui en apportant de nouvelles.


De toute façon, c’était la seule chose qu’il pouvait faire. Il allait certainement mourir. Que ce soit à cause du léopard sombre et avide de chair fraîche, ou des tributs qui allaient le tuer à leur manière.

Il tentait le tout pour le tout.


Et rapidement, il émergea d’à travers la végétation, si brutalement qu’il manqua de s’écrouler par terre. Il venait d’arriver au milieu d’une dispute. Il ouvrit les yeux en grand, paniqué, et observa tour à tour les individus. Un garçon et une fille. Bien bâtis, et en forme. La fille, qu’il identifiait comme la tribut du Quatre, pointa vers lui un couteau, le faisant reculer d’un pas. Elle n’avait pas l’air menaçante, mais plutôt sur ses gardes. Qui ne l’était pas, dans cette arène ? Il déglutit, ne sachant pas vraiment quoi répondre à sa question.


« Je… », Commença-t-il, la voix tremblante.

Il n’eut pas le temps d’en dire plus.

Un rugissement retentit derrière lui. Proche. Ils n’avaient que quelques secondes devant eux avant de voir la mort arriver, prête à les cueillir.

« Une mutation… Une sorte de félin sombre, je sais pas… », Il marqua une pause, le temps de prendre une grande inspiration. « Elle arrive. », Conclu-t-il alors avec gravité.

Son problème était à présent le leur, à eux aussi.

Levi les avait délibérément entraînés avec lui dans sa galère.

S’il n’était pas aussi épuisé et paniqué, il aurait peut-être eu le temps de culpabiliser. Peut-être.

Son périple jusqu'à sa co-tribut ne fut pas de tout repos. Il ne savait pas exactement où elle se trouvait et devait donc fouiller toute la forêt en espérant tomber à un moment ou un autre sur elle. Mais ce n'était pas le plus embêtant. Il avait pour habitude dans son district de se balader la nuit, en forêt comme ailleurs, n'étant pas un grand dormeur. Le véritable problème était qu'il devait voyager de nuit, qu'il avait les mains encombrés par le matériel qu'il avait récupéré tantôt à la corne et que la fatigue commençait à se manifester. Il ne ressentait même plus les douleurs que lui procurait sa blessure à la jambe. C'était surtout l'escalade de la falaise en début de journée qui était la cause de cet épuisement.

Le jeune homme du quatre perdait peu à peu espoir de retrouver son amie ce soir. Cela devait faire deux heures qu'il gambadait en pleine forêt, et il ne se pensait pas capable de continuer plus longtemps. Il s'arrêta alors et s'assit prêt d'un arbre où il appuya son dos. Il devait se reposer, même dix minutes, c'était suffisant. Car il devait la retrouver. De toute façon, il lui serait incapable de dormir. Il trouvait le lieu bien trop dangereux et il s'inquiétait beaucoup trop pour Avril. Il priait pour ne pas entendre de coup de canon, ni voir son visage au milieu des autres morts. Vingt minutes s'écoula. Il regardait régulièrement autour de lui, mais il n'y avait rien d'autre que des oiseaux et autres bestioles inoffensives. Il s'accorda encore dix minutes de répit.

Vingt minutes de plus s'écoulèrent. Il se releva dans un soupir. Il devait bouger, il n'avait pas le choix. Mais cette petite – ou plutôt grande – pause lui avait fait du bien. Il reprit ses affaires en mains et repartit au hasard. Thunder avançait prudemment. Et un bruit proche l'alerta. Il cru entendre des voix. Était-ce Avril ? Si c'était le cas, elle n'était pas seule. L’adolescent se rapprocha sans faire de bruit, accroupit. Mais il lui était difficile de dissocier quoi que ce soit, surtout qu'il n'y avait plus aucune agitatrice. Il avait alors deux solutions : s'éloigner ou prendre le risque d'attaquer. Il accrocha sa gourde vide à sa ceinture pour prendre son épée, optant pour la deuxième solution. Il y avait de grande chance que sa co-tribut se trouve ici.

Thunder s'élança, épée en avant. Il tomba face à un animal mort. Un léopard, sans doute. Il regarda autour de lui. « Avril ! » Elle était en mauvaise état. « Tu peux te lever ? » dit-il en s'approchant d'elle. Il ne remarqua même pas la présence de Levi. « La mutation... » Elle fixait ses mains ensanglantée. Elle ne devait pas être habituée à une telle vision. « C'est moi qui l'ait tuée regardes »  Il ne répondit rien. Avril hallucinait complètement. Thunder jeta à ses pieds la trousse de secours qu'il avait dans les mains en lui souriant. « J'ai bien fais de récupérer ça à la corne. Tu en auras plus besoin que moi. ». Il se tourna vers Levi, perplexe. « District cinq. ». Son nom lui était inconnu. C'était une façon de le saluer. Il savait qu'il n'avait rien à craindre de lui. Levi semblait  plutôt apeuré par ce qui l'entourait ou ce qui venait de se produire. Il devait sûrement être là par hasard. « Que s'est-il passé ici exactement ? ». La réponse n'allait pas lui plaire. « Isaac m'a blessé. » Résuma-t-elle. Thunder serra le point. Cette alliance n'apportait que des problèmes. « Il est partit par là et... Il est blessé, il n'a pas dû aller bien loin. » Il soupira et regarda Levi en fronçant les sourcils, agrippant son épée. « Si je retrouve Avril morte à mon retour, je te traquerais et te tuerais. » Thunder ne voulait pas l'effrayer, juste le prévenir.

Sa loyauté finira par le tuer, peut-être même ce soir. Mais en traquant Isaac, il s'assurait une certaine sécurité. Car s'il les avaient poursuivit, ce n'était sûrement pas pour un câlin derrière un buisson. Face à un véritable carrière, le garçon du quatre n'avait aucune chance en temps normal, il devait donc en profiter tant qu'il était blessé. Il s'aventura de nouveau dans la forêt dans l'espoir de retrouver sont soit disant « allié ». L'adrénaline lui faisait oublier ses douleurs ainsi que la fatigue, courant à travers les feuillages qui lui fouettaient le visage. Il retrouva sa proie en peu de temps. « Où pensais-tu aller comme ça ? » dit-il froidement en s'avançant vers le tribut sept. Il répondit par un simple rire. Tenir debout lui semblait difficile. « Le garde du corps est arrivé » dit-il faiblement en riant et en s'approchant de Thunder. Ce dernier ne put s’empercher de lui coller son poing en plein visage, ce qui le fit basculer en arrière. Il admira cependant le courage du tribut malgré son état déplorable. Nombreux sont ceux qui aurait fuit dans ce cas. Mais Isaac préférait jouer la carte de l'intimidation. Malheureusement, il en fallait beaucoup plus pour impressionner ou effrayer le jeune du quatre. Il se rapprocha du sept qui essayait de se relever avec difficulté, pointant son épée en sa direction. « Tu ne pourras pas protéger cette gamine éternellement. Si ce n'est pas moi, ce sera un autre qui la tuera. Peut-être même toi. » Thunder sourit. « Ce qui est certain, c'est que tu ne seras plus là pour le voir. ».

Toujours rester concentré sur sa cible. Ce que Thunder ne fit qu'à moitié, car Isaac lui lança aussitôt  un caillou – ou quelque chose ressemblant – au visage, faisant reculer son attaquant et lui laissant le temps de se relever. Numéro quatre fronça les sourcils et numéro sept s'élança sur lui, poing serré. Mais il était trop lent. Quatre posa sa main sur l'épaule de sept, transperçant son corps – plus précisément son cœur – avec son épée. Seul un soupir sortit de la bouche de la victime. « Adieu. » dit Thunder en retirant son épée, laissant Isaac s'écrouler au sol. Un coup de canon retentit. Il pouvait désormais compter deux victimes à son compteur. Et pas une once de culpabilité ou de mal-être. Il regarda quelques secondes Isaac avant de tourner le dos pour retourné, serein, vers sa co-tribut. A son retour, Levi était partit. Avril le regarda, inquiète. « Problème réglé. » dit-il froidement avant de s'asseoir à ses côtés pour l'aider à se soigner.

On dit que les jeux change tous ceux qui y participe. Soit ils entre dans la folie, soit dans le dénie, ou encore dans la noirceur. Thunder s'approchait peu à peu de la troisième catégorie.

Tout se passa très vite. Trop vite, peut-être.

Lorsque la bête arriva en furie, Levi s’écarta et trébucha contre un tronc d’arbre, pétrifié. La revoir, si agressive et rapide, était encore plus terrifiant que de l’entendre derrière soi. Son corps entier se figea à cause de la peur, et ses yeux grands ouverts regardèrent la scène. Il n’était plus que spectateur. La bête avait changé de proie. Son idée avait marché, et il sentait la culpabilité s’immiscer entre lui et sa peur, amère. S’il n’était pas arrivé ici, aucun de ces deux adolescents n’auraient eu affaire à cette mutation affreuse, à la gueule béante et prête à s’enfoncer dans la chair de l’un d’eux.

Levi n’avait pas d’autre choix que de regarder. Il ne pouvait pas bouger, et de toutes manières, il ne voulait pas prendre le risque d’intervenir : il ne tiendrait jamais face à la bête, et ne pourrait jamais y survivre. Ainsi, il vit tout. Il vit la bête sauter sur les deux autres protagonistes de la scène. Il vit le garçon du Sept pousser la fille du Quatre contre un arbre, la déviant ainsi de la trajectoire de l’animal, qui se jeta donc sur lui, et s’enchaîna une lutte sauvage entre le garçon et l’animal. Il ne savait même pas si ce geste avait été volontaire de sa part ou non. Levi ne savait même pas s’ils étaient censés être alliés, amis, ou s’il était intervenu juste avant un combat à mort entre tributs. Il n’était plus vraiment le moment d’y penser, puisque de toutes manières, le seul qui était en danger à présent, c’était le tribut du Sept.

Pour être parfaitement honnête, la lutte semblait être d’égal à égal. Si l’animal avait les griffes et les dents, l’adolescent avait la force et la détermination.

Et aucun des deux ne remarqua Avril se relever de sa première chute, contrairement à Levi. Elle planta son arme dans le pelage de l’animal, qui s’attaqua à elle, lui assénant une morsure. Mais elle eut finalement le dessus, achevant l’animal d’un ultime coup dans le cœur.


Cela sembla sortir Levi de sa paralysie. Il se releva en tremblant, fiévreux et nauséeux. Il avait l’impression de brûler de l’intérieur, le cœur battant à toute vitesse. Il avait envie de vomir, en regardant la carcasse mutilée de la bête qui lui courrait encore après quelques minutes auparavant. Il avait envie de vomir en voyant que l’acharnement des deux autres tributs n’étaient pas terminé, vu qu’ils s’en prenaient l’un à l’autre à présent. Cela allait mal se terminer, Levi le savait. Il fit un pas sur le côté, hésitant à partir. Mais il fut coupé par une nouvelle intervention. Quelqu’un s’approchait… Et émergea de derrière les arbres, comme la bête l’avait fait quelques minutes auparavant.

« Merde… », Marmonna Levi d’une voix à peine audible. Il n’avait pas besoin de cela, il n’avait pas besoin d’un troisième tribut. Il en avait assez vu pour aujourd’hui. Il hésita à partir pendant qu’il en était encore temps, pesant le pour et le contre. Ses jambes tremblaient encore trop pour pouvoir s'enfuir assez vite... Et puis, les deux ne semblaient pas vouloir s’en prendre à lui, pas tout de suite du moins… Il regarda l’échange entre les tributs du Quatre, n’écoutant qu’à peine ce qu’ils pouvaient bien se raconter. Il s’en moquait bien, et son esprit était encore un peu embrumé, perturbé par les évènements qui venaient de se produire sous ses yeux.

« Si je retrouve Avril morte à mon retour, je te traquerais et te tuerais. » Levi releva les yeux, sortant de ses pensées. C’était à lui qu’on s’adressait, cette fois. Il regarda le tribut un bref instant, pris de court. Puis il réagit, comprenant à retardement ce qu'on venait de lui dire. Il savait que l’insolence n’était pas la meilleure chose à faire en cette situation, mais il ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel et de laisser échapper un rictus sarcastique que Thunder ne remarqua même pas, disparaissant de nouveau dans les feuillages.


« Comme si j’étais capable de faire quelque chose comme ça. », Marmonna-t-il en portant son regard sur la jeune fille, blessée. Il se baissa vers elle, observant ses plaies un instant, avant d’ouvrir la trousse de secours que le tribut du Quatre avait jeté là, pour elle. L’idée de prendre cette dernière et fuir avec le plus vite possible était tentante. Mais il la refoula au plus profond de son esprit, ne voulant pas aggraver sa situation. Si elle était blessée, c’était déjà en grande partie de sa faute. Certes, pas seulement de la sienne, mais quand même. Alors il se contenta de fouiller dans son contenu avec un soupir, à la recherche d’un désinfectant ou autre. En temps normal, il n’aurait jamais aidé un tribut autre que ceux qu’il considérait comme des alliés, mais il se sentait obligé de le faire dans le cas présent. Il passa doucement un coton imbibé d’antiseptique sur la morsure. « Désolé, ça risque de piquer. Mais c'est toujours mieux que de crever bêtement à cause d’une infection. Dieu sait ce que la salive de ce truc peut… » Il s’arrêta net dans ses paroles, coupé par un bruit familier.


Le coup de canon retentit. Proche. Levi se raidit, et lâcha son coton. Peut-être qu’il aurait dû écouter ce que les autres avaient à se dire, finalement. Il se releva, comme un pantin. Il adressa un regard hésitant à Avril. Même blessée, elle pouvait quand même être capable de s’attaquer à lui, et si son co-tribut arrivait pour l’aider, Levi était foutu. Il fallait qu’il parte. Rester avec des tueurs, quelle que soit la situation, n’était jamais une bonne idée.


« Isaac… », Commença-t-il d’un ton hésitant, n’étant même pas sûr que c’était bien le prénom du tribut du Sept. « Je l’ai vu te pousser. C’était pour te protéger de la bête. C’était toi la proie de la mutation… », Conclut-il avec un peu plus de conviction, mimant une moue offusquée et presque attristée. Réel mensonge ou pas, Levi ne le saurait jamais, et s’en moquait bien. La confusion se dessina sur le visage d’Avril, comme il l’avait espéré. Il profita de ce moment de flottement pour prendre par surprise l’adolescente en faisant ce qu’il savait faire le mieux… Fuir, à toutes vitesses. Il n’y avait que cela qui l’avait permis de survivre jusqu’alors dans cette fichue arène…