J'ai un jour demandé au vieux puits ce qu'était la mort. Pendant les jeux à la télé, ce mot est partout, sur les lèvres de chaque habitant du District. Je ne comprenais pas ce que c'était. Il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas. Le vieux puits m'a alors demandé de lui chanter une chanson triste. « Pourquoi une chanson triste? » lui ai-je répondu « Je n'aime pas beaucoup les chansons tristes. Est-ce que c'est parce que la mort est triste que tu me demandes cela? » Il n'a rien dit et s'est mis à pleurer. Pendant cinq jours, les habitants du District ont pu boire à leur soif. Et moi, je ne savais toujours pas ce qu'était la mort. C'est Nurh qui me l'a finalement dit. « Pour beaucoup la mort est une chose triste » m'a-t-il dit « C'est parce qu'ils ne savent pas. Ils ne savent pas que la mort peut être une chose merveilleuse. Lorsque l'on meurt, on ne s'éteint pas pour toujours. Lorsque l'on meurt, cette chrysalide, que nous appelons communément « corps », dans laquelle nous sommes enfermés, se brise. Et lorsqu'elle se brise, nous devenons des êtres libres pour toujours. C'est une belle chose d'être libre. Tu vois Loveela, mourir n'est pas quelque chose de triste. »
Nurh m'a dit que je rencontrerais la mort un jour. Et que ce jour, la mort m'emportera en brisant ma chrysalide. Que celle-ci se briserait certainement au moment où je m'y attendrais le moins.
« Comment vois-tu ta mort petite fleur? »  Ma chrysalide, mon corps, se brisera en un milliard de morceaux. Des papillons blancs tourneront autour de celui-ci. Pas des mouches. Pas des papillons noirs. Des blancs. Libre, j'observerais les morceaux de ma chrysalide se faire emporter par ces papillons blancs.

Le vieux monsieur près du puits m'a crié dessus. Très fort. Il m'a dit que je n’étais qu'une petite écervelée qui ne comprenait rien. Que c'était répugnant de ma part d'aimer les jeux. Qu'il n'y avait rien de bon dans les jeux, que ce n'était qu'une mise en œuvre immonde pour nous faire peur et divertir de prétentieux capitoliens. Moi je n'arrive pas à ne pas aimer les jeux. Lorsque la moisson arrive, il y a toujours une boule dans mon ventre qui semble prête à exploser. Je trouve ça très drôle. Les jeux sont aussi la seule occasion que j'ai d'admirer les jolies couleurs du Capitole. Et puis, à la télé, ils sourient tous les capitoliens. Ça change beaucoup des expressions maussades des habitants de mon District. J'aime beaucoup regarder leurs sourires.
« Nurh, pourquoi est-ce que le monsieur du puits n'aime pas les jeux? » Nurh m'a répondu que c'était à cause de cette mauvaise interprétation qu'ils avaient de la mort. Il m'a dit que l'acte de tuer était pour eux un acte épouvantable. Ils ne comprennent pas que tuer est un acte de faveur. Il m'a murmuré: « Le bourreau offre à sa victime la liberté. N'est-ce pas le plus beau des cadeaux? »
J'ai essayé d'expliquer ça au vieux monsieur mais il m'a dit que j'étais sotte de croire à une chose pareille.


Au district douze, ils disent tous qu'ils n'aiment pas la manière dont ils vivent. Que ce n'est pas une façon de vivre. Que ce n'est pas une vie. À force de dire ça, plus aucun ne rit. Ils pleurent et la mort, qui a pitié de ceux qui pleurent, brise leur chrysalide pour qu'ils rient à nouveau. Je ne comprends pas pourquoi ils pleurent. Ils devraient être heureux pourtant. Moi je suis heureuse. J'aime bien ce District, c'est ici que les gens que j'aime habitent. Et il y a le vieux puits aussi au District douze. Et le vieux monsieur. Ça sent mauvais au District douze, je trouve que cela lui donne un côté chaleureux. On a faim au District douze mais cela nous permet d'apprécier un simple bout de pain. J’aime beaucoup ce District, je lui suis reconnaissante de m’avoir accueillie.

« Il semblerait que tu sois la seule à y croire, petite fleur. La seule à croire au bonheur. Il n'y a que toi qui semble ne pas connaître ce qu'est le malheur. Pourtant, il n'y a que ça ici. Je me demande bien où tu as pu trouver ton bonheur. Je t'envie tellement petite fleur. »
Il avait l'air triste quand il m'a dit ça, le monsieur du puits. Il était triste de ne pas avoir trouvé le bonheur. Moi je l'ai trouvé facilement, il n'était pas très bien caché. Comment a-t-il pu passer à côté de sa cachette, le vieux monsieur? J'ai voulu le lui montrer où se trouvait le bonheur mais lorsque je lui ai pris la main, il n'a pas voulu bouger. Il m'a dit que cela ne servait à rien. Qu'une telle chose n'existe pas et qu'il n'y avait aucune raison de chercher quelque chose d'inexistant.
Dis Nurh, est-ce que c'est pour ça qu'il n'y en a pas beaucoup qui ont trouvé le bonheur? Parce qu'ils pensent que ça n'existe pas le bonheur? Mais s'ils ne cherchent pas, ils ne le trouveront jamais.


Je serais prête à tuer. Juste tuer. Pour arriver à mes fins ou simplement comme ça. J'aimerais pouvoir rendre des gens heureux et j'aimerais pouvoir donner la liberté à certains d'entre eux. Voir leur sourire lorsqu'ils embrasseront cette liberté. En les tuant, je la leur donnerais cette liberté. Parfois la mort à besoin d'un peu d'aide pour briser la chrysalide de certains. Et moi je peux l'aider en les tuant. C'est Nurh qui me l'a dit. Tuer n'est pas un acte barbare, c'est une preuve de grande générosité.