A la sonnerie de son réveil, Gia ouvrit un oeil mauvais. Ledit réveil allait finir par valser s'il ne s'arrêtait pas d'émettre cette sonnerie stridente. Heureusement, elle parvint à l'éteindre sans trop l'écraser, et grogna. La nuit avait été courte, et agitée qui plus est. La veille, elle avait été conviée à la soirée d'anniversaire que donnait le fils du créateur dont elle était l'égérie pour ses vingt-cinq ans. Magnifique soirée, du moins au début. Vers deux heures du matin, l'alcool aidant, son hôte avait commencé à essayer de l'attirer dans sa chambre, d'une manière de plus en plus pressante. Gia avait réussi à lui échapper sans provoquer d'esclandre, mais tout juste, et uniquement avec la complicité de sa cousine. Le reste de la soirée avait consisté à éviter leur hôte. Puis, vers six heures du matin, elles étaient rentrées chez Gia pour dormir un peu, avant qu'un premier réveil à huit heures ne les sorte -difficilement- de leurs lits. La jeune mannequin avait préparé ses affaires pour un reportage dans le District Un -elle devait y passer trois jours- alors que sa cousine était rentrée chez elle. A neuf heures, elle était devant la Grande Gare de Panem, retrouvant sa maquilleuse, son caméraman et son technicien du son, entourées d'une bonne vingtaine de valises contenant projecteurs, micros, caméras, bref, tout le matériel nécessaire pour un reportage en bonne et due forme. A peine montée dans le train, Gia s'était réfugiée dans son wagon pour dormir, et voilà qu'il était déjà onze heures. Elle avait exactement trente minutes pour être parfaite avant d'arriver au District Un. Elle fila dans sa salle de bain, prit la douche la plus rapide de sa vie et s'abandonna aux mains expertes d'Erinn, sa maquilleuse, qui coiffa et attacha ses longs cheveux d'un roux flamboyant avant de dissimuler habilement toute trace de fatigue sur son visage. Gia s'habilla d'un tailleur noir brodé de rayures d'argent, très sobre sans être banal, chaussa des escarpins brodés d'argent et prit à son bras un manteau mi-long d'un gris anthracite rehaussé de rangs de perles noires aux manches et sur le col. Il était temps, ils arrivaient.

Gia sortit seule de la gare. Elle avait rendez-vous à midi pile chez un restaurateur assez coté ici, qu'elle ne connaissait pas mais dont Kalixte lui avait donné l'adresse. Kalixte, la jeune Carrière du Un qui lui avait envoyé une lettre, quelques semaines auparavant. Dans cette lettre, elle lui confiait à elle, une parfaite inconnue, son envie de devenir mannequin, comme elle. Sauf qu'elle ne voulait ni l'argent ni la gloire, mais l'attention de ses parents. Gia, qui avait une mère très présente et aimante, comprenait le désir de la jeune fille, et lui avait donc répondu. C'est pour ça qu'elle s'était portée volontaire pour ce reportage dans une fabrique de sacs en cuir de veau repoussé et incrustés de pierres précieuses, alors qu'elle n'était pas en charge du Un. Le journaliste responsable de de District devait s'être noyé dans l'alcool à la soirée de l'avant-veille, il était injoignable, Gia avait donc eu l'autorisation de couvrir les cinquante ans de la fabrique. La jeune journaliste arriva devant le restaurant, avisa un bans dans la petite cour ensoleillée et décida d'y attendre Kalixte.

L'affolement et la désorientation des serveurs étaient palpables. Gia souriait intérieurement, ravie de provoquer tout ce tapage qu'on essayait tant bien que mal de lui dissimuler. Mais elle était journaliste, et elle savait voir ce que les autres ne voyaient pas, entendre ce qu'on entendait pas et espionner avec la discrétion d'un agent secret de longue date. L'air de rien, elle lissa le devant de sa jupe et envoya d'un mouvement de tête sa flamboyante crinière dans son dos. Elle adorait être le centre de l'attention, et le jeune serveur aux étonnants yeux gris qui lui avait demandé d'une voix tremblante ce qu'elle désirait manger ou boire avait rougi lorsqu'elle avait répondu avec un sourire en coin :

« Rien, merci, jeune homme. »

Evidemment, pour pousser la plaisanterie jusqu'au bout, elle avait assorti sa réponse d'un clin d'oeil, déstabilisant complètement le serveur, pour son plus grand amusement. Elle ferma les yeux un court instant et laissa son visage se gorger de soleil. Depuis quand n'avait-elle pas pris le temps de se poser, ne serait-ce que cinq petites minutes, et de ne rien faire ? Elle avait couvert les Jeux de l'intérieur -elle avait la charge de trois caméras de l'une des grottes- et de l'extérieur également, puisque dès que son secteur était désert, on l'envoyait au Quatre filmer les réactions des familles avant de la rappeler à peine quelques heures après son arrivée pour couvrir sa zone de l'Arène. Et avant, il y avait eu les défilés de printemps, où elle était tantôt mannequin, tantôt journaliste-reporter en charge de couvrir certains défilés, d'interviewer des créateurs, des mannequins, des couturiers... Et entre temps, pendant, avant, après, toutes ces soirées où elle était conviée et qui la laissaient rentrer chez elle aux premières lueurs du jour, éreintée d'avoir parlé, paradé, mangé, dansé toute la nuit. Elle passait sa journée à dormir et ne se levait le soir que pour une autre soirée festive dans un autre quartier du Capitole. Une nouvelle voix l'interrompit dans ses pensées :

« Excusez-moi, savez-vous où elle est allée ? »

Sûrement Kalixte qui la cherchait, pensa Gia. La mannequin rouvrit les yeux et darda son regard bleu sur l'arrivante qui venait vers elle. Elle était vêtue avec goût bien que sa robe, d'un joli vert clair, entre la pomme et l'émeraude, ne soit pas aussi clinquante et m'as-tu-vu que les tenues Capitoliennes que Gia avait l'habitude de porter. N'empêche qu'elle était jolie, simple, et que la journaliste aurait bien aimé pouvoir porter d'aussi jolies petites robes sans fioritures, diamants et broderies d'or, de temps en temps. La dentelle au col et aux épaules contrastait avec la ceinture noire qui soulignait la taille de guêpe de la jeune fille. Elle avait une très jolie silhouette, et une démarche agréable à regarder. Un peu d'entraînement et elle saurait marcher avec la grâce, la légèreté et l'assurance d'une véritable mannequin professionnelle.

« Bonjour Gia, je suis Kalixte. J'espère ne pas vous avoir fait attendre trop longtemps. »

La rousse lui sourit, se leva et prit la main que lui tendait la jeune fille. Elle avait les doigts fins et propres, de jolies mains en somme.

« Je suis Gia, enchantée Kalixte. Ne t'inquiète pas, je viens d'arriver. »

La journaliste appela un serveur pour demander une table, et ce fut le jeune aux yeux gris qui les installa, sans quitter le sol du regard, avant d'aller chercher les menus et de revenir en un temps record. Il disparut dans la salle, et Gia entendit quelques rires assortis de plaisanteries douteuses, mais elle n'y fit pas attention.

« Je te propose de commander, nous n'aurons qu'à discuter de ton avenir de mannequin en mangeant, j'ai un reportage à quinze heures et je ne dois surtout pas être en retard. »

Gia se doutait que le repas allait également être servi rapidement, de parce qu'elles étaient presque les seules clientes mais également parce que son statut de Capitolienne devait les mettre dans leurs petits souliers. Parfait. Au moins, elles n'auraient pas à manger du pain en attendant d'être servies -ce dont la jeune femme avait l'habitude dans les restaurants ultra-cotés du Capitole.