Cela faisait longtemps que tu n'avais pas quitté le District Quatre. Trop longtemps. Tu t'étais au fil du temps laissée tomber la routine, te traînant d'une journée à une autre sans réfléchir, blâmant la terre entière pour cette vie trop coutumière. Les heures s'étaient mises à défiler un peu plus vite et tu avais vu ton existence te filer entre les doigts. Tu t'ennuyais. Tu détestais te réveiller auprès de Jérémiah chaque matin. Tu détestais devoir t'asseoir en face de ta mère à chaque repas. Tu détestais écouter leurs discutions sans y prendre part. Tu avais perdu goût à ces banalités et tu avais fuit. Tu avais fait ton sac pendant la nuit et rédigé une lettre à l'intention du garçon. Tu ne savais pas réellement où aller, tu voulais juste mettre les voiles, disparaître un instant du village des vainqueurs.

Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis ton départ. Tu marchais vite, dormais peu. Les habitudes étaient revenues au galop dès que tu avais franchit la frontière de ton district. Tu t'étais faite discrète comme d'habitude, te faire prendre ne faisait pas parti de tes possibilités.
La solitude te faisait un bien infini comme si quitter ta chambre t'avait fait renaître. Pourquoi avais-tu cessé de t’éclipser ? À cause de lui ? De ses peurs ? Parce qu'une nuit il t'avait murmuré de rester pour toujours ? Avais-tu troqué ta liberté pour son bon plaisir ? Sans doute et tu lui en voulais pour cela. Tu te sentais prisonnière, piégée par sa simple vision. Mais ici rien de tout cela ne faisait effet. Tu étais libre. Libre de hurler, libre de cogner tes poings contre les arbres et de shooter dans les cailloux. Tu te sentais mieux. Tu respirais enfin. Les températures étaient encore bonne à cette période de l'année et voyager n'était pas bien fastidieux. Tu aimais la marche et ne craignais pas les dangers. Plus. Tu pouvais crever ici, cela ne te dérangeait plus. À force de l'embrasser la vie t'avait laissé un goût amer sur les lèvres.

Tu avais dépassé le district Six depuis longtemps maintenant. Tu avançais vers l'inconnu. Probablement le district Un selon tes connaissances géographique, mais cela restait à prouver. Tu verras bien, te murmurais tu à toi même. Seul avancer comptait aujourd'hui et c'est ce que tu avais fait. Petit à petit, jours à après jours tu t'étais rapproché de la vie. Tu n'étais jamais venu ici. Le district du luxe. Le Capitole des Districts pour ainsi dire. Tu allais y faire un pause, une journée au maximum histoire de racheter de quoi survivre pour le reste de la route. Tes réserves commençaient en effet à s'amoindrirent et la soif se faisait sentir.
Accélérant le pas tu étais partie à la recherche d'un arbre en hauteur te permettant de sauter le grillage. Prendre le courant faisait partie des choses que tu avais déjà eu l'occasion de tester et pour être honnête, tu ne comptais pas recommencer. Vraiment pas.

Bingo, tu venais de trouver de quoi passer par dessus le barbelé électrifié. Veillant à ne faire aucun bruit, tu t'approchas et entrepris de grimper. Tu n'avais pas tant perdu au niveau vitesse, remarquas-tu avec surprise. Monter aux arbres n'était en effet plus de ton âge comme se plaisait à la répéter ta mère. Tant pis. Après avoir atteint une des branches sur laquelle tu te hissas, tu balanças ton sac à dos sans ménagement avant de le suivre dans sa chute. Tu heurtas le sol avec violence, blessant quelque peu tes chevilles au passage. Assise au sol, tu les massas un instant. Avec un peu de chance la douleur s'estomperait bien vite.

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Raconter la journée de Drake serait inutile, comme cette journée. Il n'y avait rien eu d'extravagant. Rien de spécial. Rien à se mettre sous la dent. Il avait rôdé dans le District toute la journée habillé de son costume, qu'il détestait, accompagné de son arme aussi. Sûrement le seul point positif de cet accoutrement. Bref, il ne pensait qu'au Capitole. Toute la journée, sa ville natale avait occupée ses pensées les plus profondes. Chaque parcelle de sa peau ne souhaitait qu'une chose, revenir au près des bizarreries du Capitole. Revoir tous ces gens qui portait trop de couleur. Qui ne s'occupait que de leur manucure ou de la couleur de leurs sourcils et de leurs cheveux, femmes comme hommes. Si on lui avait aujourd'hui demandé de quitter le District Un et tout l'ennui qu'il procurait au jeune homme, ce dernier aurait couru le plus rapidement jusqu'aux portes de la cité qui l'a vu naître. Cependant, il aurait regretté une chose, une seule. Les filles qu'ils pouvaient amener dans son lit. Elles rêvaient toutes, l'une plus que l'autre, d'être dans les draps d'un Pacificateur. Drake leur offrait cette possibilité. Il en aurait sûrement regretter une de plus que les autres... Kalixte. Une carrière de dix-sept ans. Mais ça, il ne se l'avouerait jamais à lui même. Et la première personne qui oserait lui souffler cette idée, prendrait un coup de poing et finirait direct sur la Grande Place.

Enfin, il y eut une occupation. Drake était près des limites du District, pour arrêter les quelques rebelles qui voulaient fuir, et renvoyer chez eux, ceux qui voulaient rentrer.

« J'entendais des craquements dans un arbre derrière moi. Une bête, comme il en passait quinze fois par jour. Je partis faire un petit tour un peu plus loin. Quelques minutes plus tard, en revenant à la minuscule zone qui m'était confiée, je vis une jeune fille assise par terre, un sac à dos près d'elle. Alors je m'approchai calmement, sereinement, sans ne rien laisser paraître sur mon visage. J'avais mon arme en travers de mon torse, la tenant fermement, prêt à m'en servir s'il s'avérait qu'elle soit rebelle. Ça m'étonnerai qu'elle se jette sur moi tout de suite, elle se massait les chevilles et ne semblait pas encore avoir eut connaissance de ma présence. Alors je toussai avec de dire d'une voix ferme :

- Qui êtes vous ? Que faîtes vous ici ? Je suppose que vous n'êtes pas du District Un, vu vos vêtements et votre sac à dos.

Oui, je la vouvoyais et je ne savais pas très bien pourquoi. J'étais calme aussi, ce qui ne devrait pas être le cas. Le pire c'est qu'elle était encore là devant moi, alors que j'aurais déjà du la refaire passer par dessus le barbelé électrifié. »

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C'était bien le jour pour te faire mal. Tu t'en voulais d'avoir agit si bêtement. Dans ton district cela n'aurait bien évidemment posé aucun problème, mais ici ? Et si quelqu'un se pointait et te trouvait là  ? Tu étais bonne pour le fouet, ou pire. Cette idée te fit frissonner. Tu n'avais jamais réellement goûté à la violence physique qu'octroyaient les pacificateurs de ton district, la peau de ton dos restait vierge de toute cicatrice. Ce voyage allait-il y graver la première ?

Tu te massais la cheville quand le craquement de l'herbe t'avait fait lever la tête. Ton sang n'avait fait qu'un tour. Tu ne devez pas te faire prendre. Pas ici. Pas maintenant. Tu pouvais dors et déjà imaginer la peine qui te tomberait dessus alors. Tu fermais les paupières très fort comme si ce geste pouvait quelques secondes te rendre invisible. Raté. Un toussotement résonna dans ton dos et tu te levais. Tu détestais te trouver en position de faiblesse, ce qui vu ta taille arrivait bien souvent.

«Qui êtes vous ? Que faîtes vous ici ? Je suppose que vous n'êtes pas du District Un, vu vos vêtements et votre sac à dos.» Tu étais faite comme un rat, plantée devant un de ces pacificateurs immenses au regard plein d'arrogance.
Restant muette quelques secondes, réfléchissant à une réponse crédible, tu avalas doucement ta salive. « Je m'appelle Ayden. » Tu gagnais du temps. Les mots se bousculaient dans ta tête mais ne semblait jamais s'assembler. Aucune excuse ne voulait sortir de ta bouche et tu te tenais là, bêtement. « Je heum... je me suis tordue la cheville. » Tu te mordillais la lèvre et regardais de droite à gauche. S'il t'avait voulu du mal il l'aurait déjà fait, n'est-ce pas ? C'est ce que tu te répétais en boucle dans l'espoir de te calmer. « C'est quoi votre nom ? » Comme si tu avais besoin de le savoir.
Cette rencontre te mettait mal à l'aise. Te faire prendre ne t'étais arrivée que très rarement. Être dotée de deux chromosomes X t'avait toujours aidé dans ce genre de situation. Allais-tu être obligée de t'en servir à nouveau ? Comment allais-tu te tirer de ce pétrin ?

Ta cheville te faisait mal. Te tenir sur tes deux jambes droite comme un I n'aidait pas à soulager la douleur. Tu aurais voulu t'asseoir mais ton orgueil t'en empêchait. Saleté. Tu devais faire bien piètre figure face à l'homme. À croire qu'ils acceptaient de nos jours les pacificateurs selon leurs physiques. « Vous pouvez ranger votre arme, je n'compte pas vous sauter dessus. » lanças-tu après un moment. Tu essayais de rester calme, de contrôler ta voix. Tu ne pouvais te permettre de lui montrer ta peur. Peur qui, il fallait le reconnaître te tordait l'estomac. Les muscles tendus, la mâchoire serrée, tu attendais le verdict.

Ayden & Drake

« Cette jeune fille serait la seule distraction qui me serais offerte de la journée. Que pourrais-je bien faire d'elle ? La passer sur la place publique, à la vue de tous les habitants du District qui seraient attirés par ses hurlements déchirants de douleur. C'était le traitement normal, celui que j'étais censé lui infliger. Celui qui était réservé aux gens qui venaient dans le District Un sans y avoir été invité. Elle m'indiqua son prénom, me fit part de son mal de cheville, et me demanda mon nom. J'hésitai. Est-ce-que je devais être gentil pour qu'elle soit plus docile lorsque je l'amènerai au pilier de la place ? Ou est-ce-que je devais de suite lui montrer mes intentions et être un Pacificateur, comme un autre, qui applique bêtement la loi ? Je regardai autour de moi quelques instants, personne n'était là.

-T'as sauté de l'arbre ? dis-je en la surplombant encore de toute ma hauteur.

Elle se leva mais semblait gênée par quelque chose. Une douleur ? Le fait qu'elle soit en position faible ? Ayden me dit d'une voix qu'elle voulait mesurée, que je pouvais ranger mon arme, elle ne me sauterait pas dessus. Je partis d'un grand rire.

- Évidemment que tu ne vas pas me sauter dessus, j'aurais bien vite fait de te mettre à terre et puis avec ta cheville douloureuse tu aurais du mal à prendre appui pour tenter de me mettre dos au sol !

Je gardai toujours mon arme près de moi avant d'opter pour la solution de la gentillesse. Alors je la fis asseoir en m'agenouillant en même temps qu'elle.

- Bon, montre moi ta cheville, avant de laisser une pause. Je m'appelle Drake. Qu'est-ce-que tu fais réellement ici ?

Je doutais réellement qu'elle soit venue parce qu'elle avait mal à la cheville. De quel district venait-elle ? Du Deux ? Non impossible, elle était beaucoup trop faible. Si elle venait du Deux, elle ne se serait pas blessé en sautant d'un arbre après l'entraînement qu'elle était censé subir. Alors peut-être du Trois ou du Quatre ? En réalité, elle pouvait venir de n'importe quel District. Même si je pensais plutôt un quartier proche du Un, elle semblait encore propre et n'avait pas du parcourir beaucoup de kilomètres vu l'état de ses vêtements. Tant de suppositions se bousculaient dans ma tête. »

Il s'était approché de toi. Il n'avait pas l'air hostile, plus du moins. Tu essayais de respirer calmement, pestant intérieurement contre ta mauvaise chute. Bordel, ce genre de conneries ne t'arrivaient jamais en temps normal, pourquoi fallait-il que cela te tombe dessus aujourd'hui ? «Oui, j'ai mal calculé mon coup.» Ta voix se brisa, tu aurais tout donné pour plonger ta cheville dans une bassine d'eau froide. Il ne souhaitait visiblement pas lâcher son arme mais ta remarque le fit rire. Tu baissas les yeux, prenant le parti de faire de même. Tu étais dans la mouise, dans une de ces positions de faiblesse dont on ne sait sortir, et tu te marrais. Étaient-ce tes nerfs qui commençaient à craquer ? La fatigue jointe à la douleur ? Sans doute un mélange de tout ça.
À ta grande surprise, au lieu d'agir comme tout pacificateur l'aurait fait dans cette situation, l'homme te fit asseoir, s'agenouillant à quelques centimètres de toi. Il avait l'air de vouloir t'aider et une lueur d'espoir s'alluma dans ta tête. Tu étendis ta jambe en la direction de Drake -car c'est comme cela qu'il s'appelait- et relever ton pantalon. C'était enflé et une petite trace violette commençait à apparaître au niveau du tendon d'Achille. «Ça ressemble à une entorse.» Ton optimisme était en voie de se faire la malle, comme ça, d'un coup. Une entorse n'allait pas te faciliter la vie, bien au contraire. Comment allais-tu rentrer avec ça ? Le district Quatre n'était si loin mais tout de même, tu n'allais pas tenir la marche jusque là ! Tes yeux commençaient à te piquer. Tu te sentais prise au piège, bien plus que d'habitude. Qu'est-ce-que tu fais réellement ici ? Tu respiras profondément, tentant de cacher cette passe de faiblesse dont tu faisais l'objet. «Je voulais juste récupérer de quoi boire et manger.» Tu entrepris de le regarder dans les yeux, espérant que cela aiderait rendre ton discours un tantinet plus vrai, moins grave. «Après je repars, c'est promis. J'avais juste besoin de marcher, de quitter... enfin, tu vois. » Tu ne dois pas trop en dire, pas t'étaler. Tu dois rester discrète, te protéger. Toujours. «Merci de m'aider. » Après une courte pause, tu repris : «Qu'est ce que tu veux en retour ? » Tu n'étais pas dupe, le pacificateur ne pouvait pas t'aider sans rien demander. C'était toujours comme cela.