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« Je vais aux fils, murmure-t-elle à mesure qu’elle traverse les rues glacées du district 12. Je vais aux fils. »

C’est comme une rengaine qu’elle s’insuffle pour se donner un peu de courage. Qui sait, peut-être que ce soir les fils seront allumés et qu’elle n’aura plus qu’à s’approcher pour que tout finisse enfin. Les mineurs la découvriraient demain matin sur le chemin du travail et un pacificateur finirait par la faire décrocher ne supportant pas la vue de cette misère qu’ils entretenaient. Peut-être chercherait-on à la ramener à sa famille, peut-être pas. C’est du pareil au même, elle était seule, et il n’y aurait personne pour récupérer son cadavre. Elle finirait dans l’une de ses fosses où l’on enterrait les inconnus, les sans domiciles et tous ceux bien trop pauvres pour se payer des funérailles décentes.

Sixtine serra son vieux châle troué sur ses épaules et continua de marcher droit devant elle. Elle était presque sure que le vieil qui était passé à côté d’elle sur le trottoir l’avait entendue, mais elle n’avait pas tenté de l’arrêter et, soyons honnête, Sixtine n’aurait pas écouté. La nuit tombait rapidement et elle se fraya un chemin entre les badauds qui  rentraient chez eux. Même si elle avait repéré la route pour se rendre jusqu’à l’extrémité du district dans la matinée, elle avait encore peur de se perdre tant cette partie du 12 lui était inconnue. Trop riche, trop heureuse, trop Capitolienne pour chez eux. Le maire, le pharmacien, le boulanger, les instituteurs, ils vivaient tous dans le coin, dans leurs belles maisons de pierre.

Sur la route, Sixtine croisa le chemin de la vieille institutrice qu’elle aurait dû avoir. Elle la reconnut presque immédiatement avec sa perruque mal ajustée et son drôle de maquillage. Ce n’était pas aussi excessif que ce qu’on pouvait à la télé, mais très inhabituel pour le coin. Elle portait des vieilles cartes sous le bras et pendant un instant Sixtine songea à l’arrêter, à lui demander si elle se souvenait de cette gamine qu’elle avait presque chassé de l’école à coup de savate parce qu’on ne prenait pas les bâtards et les filles et fils de pute à l’école. Un exemple du Capitole et de sa générosité.

« C’est quoi une pute ? »

Sixtine avait cinq ans la première fois qu’elle avait demandé. Sa sœur aînée, Perline, avait soupiré secouer sa tête avec virulence sur son petit cou, elle l’avait secouée si fort qu’on aurait presque cru qu’elle allait finir par se casser la nuque.

« Tu ne devrais pas écouter ce que les gens disent, sache que maman fait juste son maximum pour que nous ayons de quoi manger.
- Mais c’est quoi une pute ? Les gens sont méchants avec elle et ils nous regardent tous de travers.
- C’est une femme qui est payé pour faire des choses avec des hommes. Des femmes aussi parfois. N’importe qui en fait.
- Pour jouer ? C’est bien, non ?
- Pour des jeux d’adulte, Sixtine. Des jeux immoraux et violents. Du sexe.»

Sixtine était jeune, mais elle se souvenait encore du ton froid que sa sœur avait employé avec elle. Elle n’avait pas compris la signification du dernier mot, mais elle sentait que c’était quelque chose de mal et de grave. Partout elle entendait dire que Perline serait la prochaine, que bientôt elle aurait treize ans et que c’était déjà bien assez vieux pour commencer à faire le trottoir. Parfois, leur mère les prenait à part, laissant les garçons se débrouiller, pour leur apprendre « les choses de la vie ». Sixtine était encore un peu jeune pour ça, mais autant faire d’une pierre deux coups : si jamais elle survivait assez longtemps, il faudrait bien qu’elle ramène un peu d’argent au foyer. Peut-être même qu’elle aurait un peu de succès avec sa chevelure rouge et sa peau pâle, c’était malheureux à dire mais les hommes étaient friands de ce qui sortait un peu de l’ordinaire du district.

Perline ressemblait beaucoup à leur mère avec ses cheveux bruns en bataille et sa peau naturellement halé. En réalité, les différents membres de la fraterie se ressemblaient tous beaucoup, heureusement que la plupart n’avait pas vécu en même temps. Il y avait toujours eu beaucoup d’enfant dans la « maison » du bout du district, quartier est. Il faut dire que Sixtine et sa famille n’étaient pas les seuls à vivre ici, il y avait deux autres femmes avec des gamins qui braillaient tout le temps. Les femmes passaient à une  allure folle, disparaissant subitement dès qu’elles ne ramenaient plus assez de monnaie. Il fallait bien payer le loyer et son bout de trottoir, rien n’est jamais vraiment gratuit, même le plus vieux métier du monde.

La mère de Sixtine travaillait beaucoup, ça étonnait tout le monde vu qu’elle n’était plus toute jeune, mais la nourriture avait toujours manqué sur la table. Sixtine avait presque toujours eu cette sensation de faim qui lui tiraillait l’estomac de part en part, c’était pour tout le monde pareil alors personne n’en parlait. A table, ils essayaient toujours de faire un partage équitable de leurs denrées, mais cela finissait presque systématiquement en combat de coqs où les plus forts s’en sortaient avec la plus grosse part. Fratrie ou pas. Les Hunger Games, Sixtine avait tendance à dire qu’elle les vivait tous les jours. Et même avec une bouchée supplémentaire, rares étaient ceux qui survivaient longtemps à une telle malnutrition.

La faim avait emporté beaucoup de ses frères et sœurs, la plupart d’ailleurs. Elle se souvenait de Christian qui n’était pas beaucoup plus vieux qu’elle et qui était parti alors qu’il n’avait que sept ans, de Luc qui en avait cinq ou de Julianne a tout juste dix-huit mois. Il n’avait pas le même père, ils étaient tous le fruit d’une relation sans amour avec un client différent, mais chaque mort était un crève-cœur pour Sixtine. Mais peut-être pas autant que les fois où elle avait perdu Perline et Alban.

La première avait été tuée par un client complètement bourré qui lui avait fracassé la tête sur les pavés. Même aujourd’hui, Sixtine continuait de croiser le meurtrier de sa sœur dans leur quartier : ami de l’un des pacificateurs en charge, il n’avait jamais été inquiété.
Le deuxième avait été moissonné pour les 67e Hunger Games alors qu’il n’avait que douze ans. C’est stupide, mais après avoir perdu tant de frère et sœur, Sixtine commençait à peine à s’attacher à ce gamin, croyant qu’il survivrait plus longtemps. Elle se revoyait encore crier, l’appeler le jour de la moisson et murmurer dans le vide « je suis volontaire ». Pas assez fort, et pas possible de toute manière. Il n’avait pas tenu une journée dans l’Arène.  

Etait-ce à ce moment-là qu’elle avait commencé à les détester eux, au Capitole ? Où était-ce déjà bien avant ? Elle ne savait pas, elle s’en fichait éperdument, c’était juste inscrit dans ses veines. Elle aurait voulu les détruire, se porter volontaire aux prochains Jeux et montrer à Panem la rage d’un district que l’on étouffe et que l’on saigne. Mais elle était bien trop peureuse pour courir à une mort certaine ou trop attaché à sa propre survie.

« Il faut que tu m’aides, Sixtine.
- Non, maman, je…
- Demain, tu iras à la mine leur dire que tu ne viendras plus et tu iras récupérer ta paye. Et le soir, je te présenterai Kazram. Tu verras, il sera gentil avec toi.
- Non ! Je ne suis pas comme toi !
- Regarde-moi Sixtine, je ne peux plus continuer ainsi, tu dois y aller à ma place ! Il y a le loyer et les gens à payer, on va être expulsé sinon et tu sais bien qu’avec les deux petits on ne peut pas se le permettre ! hurla-t-elle en serrant le dernier né contre elle.
- J’ai quatorze ans, maman…
- Et ? »

Sa mère n’avait pas menti, Kazram avait été gentil avec elle si bien qu’il était resté l’un de ses clients réguliers jusqu’à ce qu’elle décide de s’enfuir. Elle se souvient très nettement de la première fois, du premier soir, de la douleur, du sang et des larmes. Elle s’était habitué à les voir lui passer dessus, à sentir leurs odeurs répugnantes, à subir leurs envies les plus malsaines et leur violence à peine contenue.

Il n’y en avait pas un qu’elle avait aimé. Oh beaucoup s’était plu à croire qu’ils avaient les faveurs de la rouquine, mais c’était bien mal la connaître. Elle ne relevait pas ses cheveux, ne prenait pas telle ou telle position ou ne revêtait pas tel ou tel habit par pur plaisir, elle écoutait ces hommes et leur accordait ce que leurs épouses leurs refusaient. Elle devenait la femme qui attendait, nue, sur le canapé, le retour de son homme ou celle qui subissait les coups de leurs jeux pervers.

Même des années après avoir commencé, il lui arrivait encore de pleurer le soir. Elle serait sa plus jeune sœur contre elle et laissait ses larmes couler en regardant sa mère alitée au beau milieu du salon. Elle ne s’était jamais vraiment remise de la mort d’Alban au Jeux et Sixtine avait tendance que toutes les autres morts lui était revenues de plein fouet. Elle qui n’avait jamais paru touché par la mort de ses enfants, que finalement elle n’aimait pas, faisait bien pâle figure. Quelque part, elle devait bien tenir à eux. Sa mère avait fini par mourir un soir, comme ça, sans bruit. Morte de fatigue, de chagrin, et d’une vie trop dure. La jeune fille s’était elle-même chargé d’amener son corps à la fosse pour que sa petite sœur ne tombe pas sur ce spectacle et ait une dernière image plus positive qu’un cadavre rachitique posé sur un monceau d’autres cadavres rachitiques.

C’est en devant entretenir les deux gamins restants que Sixtine comprit le poids que la fratrie avait été pour sa mère. Payer le loyer, les hommes en noir qui faisaient tourner le bordel et leur assuraient un peu de boulot, nourrir et habiller des enfants en pleine croissance. Elle avait dû multiplier les tesserae pour pouvoir joindre les deux bouts et avoir de quoi manger. Elle rognait souvent sur sa propre part pour la mettre dans l’assiette des petits, les siens ou ceux des autres familles qui vivaient avec eux. Son frère ramenait un peu d’argent de la mine, mais son état de santé s’était tellement dégradé dans les souterrains que son maigre salaire était vite dilapidé en médicaments bon marché.

Cette année-là, son nom avait été inscrit plus d’une cinquantaine de fois dans l’urne des Jeux. Elle croyait vraiment qu’elle n’y échapperait pas. C’était sa dernière année. Elle sentait encore son cœur battre à tout rompre, son ventre se nouer, sa gorge sèche. L’ambassadrice du Capitole claironnait sur son podium, elle tendit la main dans l’urne, lut rapidement le nom sans rien dire et leva les yeux dans un faux suspens. Sixtine fut jalouse un instant, elle n’avait pas été à l’école, elle ne savait pas lire après tout, quand soudain l’autre ouvrit la bouche. Ca y est ! Elle allait le dire, son nom. Elle pensa aux petits qui allaient se retrouver seuls et serait probablement mort d’ici un an et ferma les yeux. Allez dit-le.

« Olympe Harrington ! »

Sixtine eut le souffle coupé. Ce n’était pas elle. Elle observa une gamine plus jeune qu’elle grimper maladroitement sur le podium et se sentit presque coupable de l’envoyer à l’abattoir, à sa place. Elle s’extirpa avec difficulté de la foule des gamines qui attendaient là que leurs parents viennent les récupérer et sentit une main se refermer rapidement sur son bras. Une autre main la cintra à la taille et elle sentit une haleine poivrée lui piquer le nez.

« Tu vois chaton, je t’avais promis que ce ne serait pas toi. »

Sixtine plissa les yeux et reconnu Desnia un pacificateur fraichement arrivé au district 12 qui l’avait prise en grippe. Il laissa ses mains glisser sur ses hanches et posa sa tête dans le creux de sa nuque. Cet homme lui faisait peur, peut-être plus que les autres hommes qu’elle côtoyait, il y avait quelque chose de profondément mauvais et de malsain dans son regard et dans sa façon de parler.

« Tu pourrais me remercier chaton, cinquante noms à faire disparaitre tu ne pas rendus la tâche facile.
- Tu mens. Ça ne se passe pas comme ça.
- Hum, naïve petite fille, murmura-t-il en passant une main dans ses cheveux. J’ai du boulot pour toi, les gens du Capitole là, elle cherche quelqu’un pour se distraire avant de partir. Tu devrais y aller, la misère du 12 est excitante et ils payent bien.
- Non, je ne fais pas ce genre de chose.
- Bien sûr, et moi je suis le président Snow. Une pute est une pute chaton, peu importe qui elle met dans son lit. Pense plutôt à ton petit frère qui n’aura pas à aller à la mine pendant une semaine, ça c’est une bonne motivation, non ? »

Elle grogna.

« Et passe me voir en rentrant. »

Desnia n’avait pas tout à fait tort, la misère était excitante et ils l’avaient adorée. Sixtine se souvenait encore des mains de l’hôtesse sur sa peau au moment où elle la déshabillait, ses lèvres contre les siennes ou la moindre de ses exclamations. « Si seulement je pouvais être si maigre moi aussi », « mon dieu, ces cheveux !  J’achèterai une perruque de la même couleur en rentrant ». Sixtine aurait pu répondre qu’elle était si maigre car elle mourrait de faim et, que si elle y tenait, elle pouvait bien lui vendre ses cheveux pour faire une perruque. Mais elle se tut car le moment était spécial. Ce n’était pas un client ordinaire qui la retournait, relevait sa robe et effectuait sa besogne en vitesse. L’hôtesse laissait ses mains la découvrir avec beaucoup de douceur et elle fit trainer l’action un très long moment. Sixtine ne fut pas la première à quitter la chambre, elle se roula dans les draps, dans le luxe simpliste que le 12 avait à offrir pour ses invités de marque et planqua la bourse bien remplie qu’on lui avait laissée sous les épaisseurs de sa robe.

« Polly, Yvan ! Regardez ce que j’ai ramené ! »

Elle laissa tomber les victuailles qu’elle tenait entre ses bras sur la table et resta un moment interloquée devant le peu de réaction de sa fratrie. Elle fronça les sourcils d’un air réprobateur jusqu’au moment où elle l’aperçut dans un coin de la pièce. Desnia.

« Enfin rentrée, j’ai presque attendu.
- Qu’est-ce que vous voulez ?
- Ma part, dit-il en indiquant le petit sac qui tintait contre sa hanche, et un remerciement correct pour la moisson. Quid d’une invitation à dîner ? »

Il s’approcha et Sixtine tira une grosse poignée de pièces qu’elle lui fourra dans la main. Il râla et en extirpa une deuxième bien plus fournie. La jeune fille se contint pour ne rien dire en sentant le vide excessif contre sa hanche et se recula rapidement. Elle détestait cette proximité.

« C’est notre argent !  avait hurlé la petite Polly avant de frapper le pacificateur avec l’une de ses petites jambes.
- Polly, non !
- Sale gamine ! »

Sixtine eut à peine le temps de réagir que Desnia avait saisi sa sœur par le col et la secouait violemment en l’air avant de la plaquer brutalement contre le mur. Sixtine entendit très clairement les os de Polly se briser à chaque contact avec le mur. Elle était incapable de bouger, de respirer, de dire quelque chose, à peine cherchait-elle Yvan du bout de la main. Elle ne le trouva pas, elle le chercha des yeux et l’aperçut derrière Desnia en train d’abattre un manche à balai sur son dos. Le coup ne fut pas assez fort pour le faire vaciller, mais il lâcha prise et se détourna de la gamine.

« Yvan, dégage, vas-t-en ! »

Sixtine hurla et le saisit par l’épaule avant que Desnia ne mette la main sur lui. Elle le fit sortir de la maison aussi vite qu’elle put et elle espéra qu’il courrait assez vite pour se mettre à l’abri. Desnia essaya de la rattraper, mais elle fit barrage devant la porte et elle réussit à le retenir quelques instants.

« Tu cherches les problèmes chaton, murmura-t-il presque à bout de souffle.
- Laisse-le tranquille, répondit-elle d’une voix tremblante, c’est qu’un gamin, il avait peur !
- Il devrait. »

Desnia regarda la petite Polly qui gisait au sol, probablement morte, et pinça ses lèvres l’une contre l’autre comme pour se contenir.

« Tu l’as aidé.
- Non, je…
- Tu as laissé cette espèce de bâtard me frapper et prendre la fuite. »

Il s’avança et l’attrapa par la gorge avant qu’elle ait eu le temps de faire un mouvement. Elle essaya de lui faire lâcher prise, mais elle n’avait pas assez de force et de plus en plus de mal à respirer.

« Chaton, chaton, chaton, c’est mal tu sais et regarde ce que tu me fais faire.
- Je…
- Tttt, tais-toi. En fait, c’est mieux comme ça, j’en avais assez de cette marmaille. On va être bien tous les deux, on va jouer. Et tu seras gentille, hein ? Hein, tu seras gentille ? »

Sixtine secoua la tête vivement en espérant qu’il desserre sa prise sur sa gorge.

« Brave fille, murmura-t-il finalement en lui plantant un baiser sur les lèvres. J’ai des plans pour nous, tu sais. Il parait que tu es très douée pour comprendre les hommes et leurs envies, il parait aussi que beaucoup de ces messieurs parlent sur l’oreiller. C’est vrai ? »

Desnia relâcha la pression sur son cou et Sixtine déglutit difficilement.

« Réponds !
- Oui, enfin, ce sont que des choses sans importance.
- Tu es stupide. Tout compte dans les jeux de pouvoir. »

Desnia l’embrassa à nouveau et commença à défaire les liens qui maintenaient sa robe en place. Sixtine essaya de le repousser avec ses mains, ils ne pouvaient pas faire ça ici, pas comme ça. Pas avec Polly mourante là-bas. Elle ne voulait pas.

« Non !
- Non ? »

Desnia retrouva sa prise sur sa gorge et laissa ses autres doigts caresser la joue de Sixtine alors qu’il parlait.

« Dis-moi chaton, tu crois que les hommes ici voudront d’une pute qui connait tous leurs secrets ? Ça fait peur, c’est bien le genre de vermine qui irait parler à leurs femmes. Et est-ce que tu crois qu’ils voudront d’une fille dont la famille a attaqué violemment, très violemment, un pacificateur venu leur offrir de quoi manger ? Allez, réponds, vas-y !
- Non.
- Et dis-moi tous ces gens qui vivent avec vous, ils sont là, à l’étage et est-ce qu’ils seraient venus aider ? Non. Tu es seule, alors laisse-moi t’aider. »

Elle avait fui cette nuit-là. Elle l’avait regardé replacer son ceinturon, se demandant s’il allait encore s’en servir pour lui « apprendre la vie » ou s’il partait vraiment. Dès qu’elle eut tourné le verrou, elle se précipita dans ce qui leur servait alors de salle de bains pour nettoyer les traces de sang qu’elle avait un peu partout. Effacer son odeur, sa puanteur. Elle prit un vieux sac et y fourra quelques vêtements et la nourriture qu’elle avait ramenée.

Elle s’en alla en ignorant Polly qui respirait encore et l’appelait. Elle ne pouvait pas. Polly mourait, Sixtine en était persuadée. Il l’avait brisée en tous petits morceaux. Elle ne pouvait pas se permettre de rester, c’était peut-être sa seule occasion. C’était égoïste car sa sœur avait besoin d’elle, mais Polly n’était pas destinée à survivre, alors qu’elle si.  

Sixtine avait couru aussi loin qu’elle le pouvait. Elle ne pourrait jamais s’enfuir du district, mais au moins elle pouvait s’éloigner de son quartier et de la zone d’affectation de Desnia le plus possible. Elle avait vagabondé plusieurs mois dans les rues du district sans aucun autre but que se faire la plus petite possible.

Et ce soir, elle allait aux fils, parce qu’elle n’avait rien que des visages qui la hantent, trop de regrets et aucun avenir vers lequel se tourner.

Sixtine avait faim. Elle mâchonna sa lèvre intérieure en substitut d’un repas qu’elle n’aurait pas et continua jusqu’à apercevoir les barbelés.

« Enfin. »

Elle tendit la main devant elle et accrocha le premier fil à sa hauteur.

« Non ! Non ! »

Sixtine cria de rage, il n’y avait pas de courant.