and the mouse meets the cat.
PRUDENCE & LINCOLN

Il était là, paisible, les mains glissées au plus profond de ses poches, à attendre le délit. À attendre qu'un des habitants du district trois ose faire quelque chose, accomplir une action interdite. Il espérait secrètement que cela arrive, car il n'aimait pas faire des rondes pour rien. Il aimait quand il y avait un peu d'action, un peu de sang. Lui, cruel ? Affreusement passionné par son métier plutôt. Il y avait des jours où la flemme le gagnait, et il ne faisait pas tellement attention à ce qui se passait autour de lui. Et d'autres où au contraire, il était à l'affût, prêt à traquer la moindre erreur qu'un de ces civils aurait le malheur de commettre. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. C'était là tout ce qu'il fallait tirer de son métier. C'était cette triste philosophie qui berçait sa profession. Mais c'était avant tout comme ça, et personne n'y changerait rien, alors à quoi bon pleurer là-dessus, hein ? Il était fier de son métier car, même s'il avait rejoint les rangs des pacificateurs plutôt par défaut qu'autre chose, il s'était vraiment retrouvé, dans ses missions. C'était la seule chose qu'il était capable de faire de manière correcte. Ou presque. Les mains liées de manière invisible dans le dos, il reprenait donc son bout de chemin. Il continuait ces tours inutiles, à balayer du regard l'allée commerçante, à détailler chacun des citoyens. Est-ce qu'un seul allait se décider à désobéir ? Sérieusement, la situation devenait cruellement ennuyante pour le pacificateur qui depuis deux heures déjà, n'avait rien fait à part marcher droit, et surveiller. Même pas une petite altercation. Même pas un petit mot de trop, soufflé malencontreusement par un des habitants de Panem. D'un ennui, cet après-midi était d'un ennui mortel. Mais, il se devait de l'accepter ; c'était juste une autre facette de sa profession. La plus ennuyante qu'il lui ait été donné d'explorer, certes. Mais il ne pouvait rien faire à part obéir aux ordres et autres demandes du haut commandement. Cet après-midi là, son rôle consistait à surveiller les commerces d'un oeil attentif. Il s'exécutait alors, comme d'habitude.

Un curieux sourire se dessinait sur ses lèvres. Peut-être car Lincoln était un peu plus heureux que d'habitude. Peut-être car il était dans un de ces - rares - bons jours qu'il pouvait connaître de temps à autres. Il y avait des fois comme ça, où il se sentait bien, sans raison apparente pourtant. Il s'était levé du bon pied, rien n'était venu le contrarier jusque là. Même les civils avaient décidé d'être bons et obéissants aujourd'hui. C'en devenait affolant. À regarder à droite puis à gauche, il finit bien par l'apercevoir, son opportunité. Sa chance. Elle. Une jeune femme, à qui il donnait la vingtaine, voir un peu moins même. Elle avait une longue chevelure rousse, qui se mouvaient de manière désordonnée lorsqu'elle bougeait un peu la tête. À première vue, elle avait l'air totalement innocente. Mais non, quelque chose avait interpellé le cadet Hyde-Earnshaw. Le petit détail qui changeait du tout au tout ; sa main, de manière détournée, avait attrapé un petit objet sur un étalage. Un collier peut-être, ou autre chose. Notre pacificateur n'avait pas eu le temps de détailler la chose précisément, il avait juste remarqué son éclat un peu lointain. Le tout petit détail qui allait changer la donne pour la rousse.

Toujours aussi calme, Lincoln se contentait d'approcher doucement. Il ne voulait pas se faire remarquer, il ne voulait pas qu'elle comprenne qu'elle avait été prise sur le fait. Pas encore. Pas tout de suite. Mais comment passer inaperçu au milieu de la foule, avec cet uniforme immaculé qu'était le sien ? Bonne question. Il avançait juste, continuant à feindre l'indifférence, comme il savait si bien le faire. Enfin un peu d'action dans cette journée trop terne, ce n'était pas trop tôt. Il était hors de question qu'il laisse passer une telle occasion, alors, il se devait de faire les choses bien. Et sa manière d'agir à lui, n'avait pas grand chose en commun avec celle employée normalement ; crier en plein milieu de la place à qui voudrait bien l'entendre qu'une pauvre gamine avait volé, non, trop peu pour lui. Il préférait faire les choses de manière bien plus subtile. Attendre que le mouton s'éloigne de la bergerie, avant de s'en prendre à lui. C'est alors que continuant son petit manège, il attendait qu'elle s'en aille. Du moins, qu'elle s'éloigne un peu des commerces. Ce qu'elle ne tarda pas à faire d'ailleurs, certainement pressée de retourner exposer sa trouvaille chez elle, ou autre. Ça, ce n'était pas ses affaires. Lui emboîtant le pas tout en restant à quelques maigres mètres derrière elle, il la suivait. Il n'avait aucune idée de s'il l'avait repéré ou pas, mais de toute façon, il savait qu'il avait la main, dans ce genre de petits jeux. C'est un peu en retrait sur l'allée commerçante qu'il interpella la gamine à la chevelure de feu. Enfin. « Hé, toi là, arrête-toi un instant. » Il se rapprocha encore, jusqu'à arriver non loin d'elle. Désignant du menton les poches de la jeune femme, il reprit, plus sèchement. « Tu sais pas que le vol est interdit à Panem ? Allez, donne-moi ce que tu viens de prendre. » Elle pouvait prendre la fuite. Elle pouvait tenter ce qu'elle voulait. Elle pouvait obtempérer, et l'ignorer. Une chose était néanmoins sûre ; il ne comptait pas la lâcher.

moriarty & angel dust

Jour de marché au district trois. Prudence s’était faite belle, comme toujours. Elle avait peigné pendant de longues minutes sa longue chevelure rousse jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement démêlée. Elle avait ajouté une fleur printanière dans ses cheveux et revêtu sa belle robe verte. Elle était d’avis que le meilleur moyen de passer inaperçu, c’était justement d’attirer le regard. De toute manière, on la remarquait quoi qu’elle fasse avec ses cheveux de feu, alors autant se donner à fond.

Ce jour-là, Prudence n’avait pas d’objectif précis, elle s’ennuyait, tout simplement. Elle aurait presque pu aller travailler pour s’occuper, mais son père lui avait demandé de prendre son jour de repos. Adrian n’était pas là, sans doute au chevet qu’un quelconque malade, les plus jeunes à l’école... En un mot, Prudence était seule pour la journée et ne comptait pas rester enfermée.

Dans sa robe du dimanche, elle marchait au hasard dans les rues, offrant de grands sourires à ceux qui passaient par là. Séduire, charmer, attendrir, c’était comme une seconde nature pour elle, elle ne se posait même pas de question sur le sujet. À croire qu’elle était faite pour ça. Pour mentir aussi, mais ça, c’était une toute autre histoire. En attendant de trouver quelqu’un à entourlouper, Prudence faisait la belle. Elle aimait sentir les regards sur elle, surtout ceux des hommes. Ça lui donnait de l’importance et un certain pouvoir, selon elle. Mais comme beaucoup de jeunes filles de son âge, Prudence paradait plus qu’elle n’agissait. Elle ne se rendait pas compte que cela risquait de lui jouer des tours un jour. À trop minauder et jouer les allumeuses, elle finirait peut-être par se laisser prendre à son propre jeu.

Alors qu’elle longeait les étalages, Prudence observait les objets distraitement, offrant des sourires aux marchants, s’arrêtant parfois pour prendre aimablement de leurs nouvelles. Certains se méfiaient d’elle, elle écartait leurs soupçons en battant des paupières. C’était aussi simple que ça. Elle faisait toujours extrêmement attention. Jamais le même étalage, pas plus d’une fois par jour, des petites choses.

Oui, Prudence volait. Des petits rien qui ne servaient à rien. Pas grand chose. C’était davantage pour l’adrénaline que pour une réelle utilisation. Pour tester ses limites, pour le plaisir de braver l’interdit. Elle adorait ça.

Elle avait repéré un petit bijou sur la droite. Une babiole dorée à mettre dans ses cheveux roux. Elle entama la discussion avec le marchant, rit en secouant ses boucles cuivrés. En quelques secondes, la breloque avait disparu dans sa manche et personne ne s’était rendue compte de rien. Aussitôt son larcin exécuté, Prudence prit congés et s’en alla dans une autre allée. Elle glissa son butin dans sa poche et continua son petit tour.

Mais alors qu’elle allait bifurquer dans une ruelle à droite, une voix l’interpella. Merde. Tentant de ne pas sembler perturber le moins du monde, Prudence se tourna et passa une main dans ses cheveux avec un grand sourire. C’était ce pacificateur, celui avec un jumeau coincé. Vu le ton employé, elle se doutait que c’était bel et bien le vainqueur des Hunger Games à qui elle avait affaire et non pas l’autre qu’elle aimait titiller quand elle s’ennuyait. Dommage.

– Bonjour, puis-je faire quelque chose pour vous ? demanda Prudence en battant des paupières.

En l’entendant dire que le vol était prohibé à Panem, la jeune fille ouvrit de grands yeux étonnés et fit une petite moue qui se voulait innocente. Ce n’était pas la première fois qu’elle se retrouvait dans une telle situation, elle savait exactement ce qu’elle allait faire.

– Mais je sais bien cela, monsieur. Je n’ai rien pris, regardez. déclara-t-elle en sortant le contenu de ses poches à savoir un mouchoir, quelques piécettes de bronze, un crayon et son petit bijou. Vous voyez ? Je ne comprends pas pourquoi vous me demandez cela. Si vous voulez un prétexte pour m’entraîner ailleurs, il suffit de demander, vous savez ? Je suis très docile... risqua-t-elle en caressant négligemment sa gorge laiteuse.