eglenver ephasia blackheart

❝ WHO AM I LIVING FOR? ❞

about games and relative.

➺ COMMENT VOIS-TU TA MORT ?

Dans l'idéal, Epha aurait aimé suivre les traces de ses frères aînés et devenir pacificatrice. Lors, elle aurait voulu mourir au combat, jeune de préférence, pour ne pas que son corps ait à subir les affres du temps. C'aurait été une vie et une mort de rêve. Mais les Hunger Games ont gâché cela – comme tant d'autres choses. Elle a l'impression que son âme est restée coincée dans l'arène, que son corps ne se meut plus que par une volonté extérieure. Et plutôt que d'être le pantin du Capitole, elle préférerait mourir tout de suite, là, maintenant, n'importe où. Elle a pensé au suicide, mais elle n'en a pas le courage, et puis, les agents qu'on lui a imposés la suivent partout et l'en empêcheraient. Elle est condamnée à poursuivre sa vie inutile mais n'y a pas goût. Toute sorte de mort serait préférable. Rien ne l'effraie, désormais.

➺ AS-TU DES PROCHES QUI ONT PARTICIPÉ AUX JEUX ?

Il faut sans doute répondre à cette question de manière logique et donc, concernant les Blackheart, chronologique. Le premier des membres de la famille à s'être rendu célèbre par une victoire a été Hercule, le père d'Ephasia, lors de la vingt-cinquième édition des Jeux. Hercule, oui – un prénom grandiloquent pour un homme des plus présomptueux. A seize ans, il était fils de maire et sans doute l'adolescent le plus haï du Deux ; agaçant par ses manières effrontées et suffisantes. Et pour la première édition d'expiation, les consignes avaient été claires : les habitants devaient nommer eux-mêmes leurs tributs. Hercule fut donc rapidement désigné, et se révéla rivaliser de sournoiserie et d'intelligence au sein l'arène. Il remporta les Hunger Games en à peine six jours, devenant une sorte d'icône au Capitole. Il enchaîna alors les contrats divers et variés, s'impliqua dans la vie politique de Panem, eut sans doute recours à toutes les prostituées du Capitole, et finit par se stabiliser à l'approche de la cinquantaine. Là, il se posa dans son district d'origine et épousa une fille sans histoire, avec qui il eut trois enfants ; les jumeaux Skylar et Prométhéor, puis la petite Ephasia. Mais comme cela arrive souvent à Panem, on ne voulut pas laisser si rapidement sombrer dans l'oubli la star qu'était devenue Hercule. Ainsi, lorsqu'Ephasia eût atteint l'âge requis pour participer aux Jeux, nomma-t-on de deux des enfants d'Hercule – en l'occurence, Skylar et la fillette – pour la même édition des Hunger Games. L'affaire fit grand bruit et occupa les esprits pendant un certain temps. Tous les spectateurs s'attendaient à un holocaste familial des plus tragiques, mais la surprise fut de taille quand la jeune et innocente Ephasia poignarda son frère aîné en finale. Le Capitole n'aurait pas pu espérer mieux ; on parla des Blackheart pendant de longs mois, laissant dans l'ombre les affaires politiques gênantes.

➺ APPRÉCIES-TU LE VISIONNAGE DES JEUX ?

Est-ce une réponse satisfaisante si l'on constate qu'Ephasia n'a pas désiré assumer son rôle de mentor lors des deux précédentes éditions, préférant à la place se terrer chez elle, plongée dans un mutisme irrémédiable ? La peur de revivre sa propre horreur lui glace le sang. Elle ne veut pas avoir à s'occuper de ces tributs, généralement plus âgés qu'elle, qui finiront sans aucun doute dans des cercueils. Ils la débectent autant qu'elle se débecte elle-même, et elle craint le moment où le Capitole lui demandera clairement d'assumer ses fonctions.

➺ QUE PENSES-TU DE LA RÉVOLTE ET DES REBELLES ? CROIS-TU A LEUR EXISTENCE ?

A dire vrai, l'adolescente se contrefiche des affaires politiques de Panem. Elle n'est pas consciente que les rebelles pourraient lui permettre de goûter à nouveau au bonheur, que tout cela ne lui est pas si étranger qu'elle le pense. Evidemment, si les districts étaient libérés de l'emprise du Capitole, cela lui serait entièrement bénéficiaire. Elle ne serait plus entravée par la surveillance ininterrompue des agents qui lui ont été prescrits, elle pourrait tenter de retrouver une vie sociale loin de la célébrité qu'on essaie de lui attacher. Mais elle n'en a pas conscience et préfère rester loin de tout ça, tant sur le plan physique qu'idéologique.

➺ QUE PENSES-TU DE L'ORGANISATION DE PANEM (DISTRICTS/CAPITOLE) ?

Epha n'a pas été dotée d'un tempérament révolutionnaire. Enfant déjà, elle s'accommodait parfaitement à sa vie. Un pauvre resterait pauvre, un riche resterait riche. C'était le destin, et on devait l'assumer sans tenter d'en transgresser les règles. Il faut sans doute préciser qu'elle n'avait pas encore toute la logique nécessaire pour se former un jugement propre, et que ses pensées se calquaient majoritairement sur celles de sa famille. Elle appréciait son petit confort et les avantages que lui offraient le fait d'être née dans un foyer aisé. Aujourd'hui, après ce qu'elle a vécu dans l'arène, elle pourrait peut-être remettre en cause la politique que mène Panem. Mais pour cela, il faudrait qu'un électrochoc la sorte de la longue période de dépression dans laquelle elle a sombré.

JE VIENS D'UN MILIEU favorisé, AINSI, POUR MOI, LA NOURRITURE est abondante. J'EXERCE LES MÉTIERS DE peintre & mentor ET POUR TOUT VOUS DIRE, J'aime le premier mais pas le second. JE SUIS DANS LE 2ÈME DISTRICT. MÊME SI JE N'AI QUE 15 ans, J' ai déjà PARTICIPE AUX HUNGER GAMES. ENFIN, J'ATTESTE QU'EN CRÉANT CE PERSONNAGE, J'ACCEPTE DE LE LIVRER À LA BARBARIE DES JEUX S'IL EST TIRÉ AU SORT.

tell us your story.

chapter 1 : the golden age is over.

Dans ses rêves, elle revit tout. Elle sait que c'est d'une banalité déconcertante, que la plupart des gagnants cauchemardent de la même manière. Mais malheureusement, elle fait partie de ceux qui n'arrivent pas à se défaire de leurs démons, qui ne parviennent pas à vivre leur vie à l'abri de leurs macabres réminiscences. C'est son histoire, avec ses sentiments, des choses que les spectateurs, même à travers leur écran de télévision, n'ont pas pu percevoir.

Tout a commencé quand elle avait douze ans. Sa famille se portait vraisemblablement bien – du moins, aussi bien qu'elle le pouvait. Son père, évidemment, passait le plus clair de son temps aux côtés de ses nombreuses maîtresses, ou à s'alcooliser avec ses amis. Il avait toujours fonctionné ainsi. Sa mère, de près de trente ans sa cadette, faisait de son mieux pour feindre le bonheur. Ce qui lui importait, c'était que ses trois enfants aillent bien. Et pour cela, elle ne pouvait révéler à la face du monde la détresse déconcertante qui la rongeait, la répugnance et la crainte que lui inspirait son mari, les idées anti-Capitole qui lui traversaient parfois l'esprit, tout ce fardeau qu'elle masquait sous un sourire qui en trompait plus d'un. C'était le contrepoids de la célébrité. Et Epha, bien que ne se laissant pas berner par sa génitrice, faisait comme si de rien n'était. L'équilibre était précaire, elle ne devait rien bouleverser. C'était peut-être égoïste, mais les enfants sont égoïstes, et son quotidien lui plaisait. Même si elle était dotée d'une lucidité précoce, elle se protégeait sous l'étendard de l'enfance. C'était ainsi.
Pour rien au monde elle n'aurait voulu sacrifier son cocon de bonheur ; les après-midis ensoleillées passées à courir dans les carrières d'ocre après Skylar et Prométhéor, les vagabondages dans les montagnes, les journées d'école fastidieuses passées aux côtés d'amies qu'elle savait hypocrites. Elle aimait tout cela. Ce qu'elle préférait, c'était aller s'entraîner avec ses frères aînés sous le regard placide des pacificateurs. Elle n'avait pas encore l'âge requis pour se préparer à combattre, mais puisqu'elle était la fille d'Hercule Blackheart, on l'autorisait à quelques exercices que les jumeaux s'arrangeaient pour rendre amusants. Plus tard, ils seraient tous les trois dans la même brigade, ils se l'étaient dit. Et même si son futur l'attirait, son présent lui semblait encore plus précieux. Elle profitait de la moindre seconde qui s'offrait à elle, comme si elle s'attendait au destin funeste qui était le sien. Comme si elle savait déjà.

Le jour de la soixante-quatorzième moisson, les trois Blackheart se pointèrent sur la Grand Place du district Deux en avance. Leurs costumes, taillés sur mesure, étaient à la mode du Capitole, tout comme leurs coiffures et leur maquillage. Le tout avait été confié aux soins de leurs nombreux domestiques – le rendu était impressionnant, et c'était l'objectif. Car Prométhéor et Skylar allaient peut-être enfin faire leur grande entrée dans la vie médiatique de Panem. Du moins, c'était ce qu'ils désiraient. A seize ans, les deux jumeaux avaient acquis une maîtrise experte des armes et un esprit de survie hors norme. Cette édition des Hunger Games était la leur – ou plutôt celle de l'un d'entre eux. Et chacun des deux savait pertinemment que si c'était son frère qui se voyait sélectionné, il ne pourrait s'empêcher d'être aussi jaloux de lui qu'il serait heureux. C'était quelque chose de tacite qui n'entachait en rien l'amour qu'ils avaient l'un pour l'autre.
Epha, elle, tenait office d'apparat. Sa robe pourpre et ses cheveux noirs tirés en arrière ajoutaient une touche de légèreté au tableau offert par la fratrie. Elle n'était pas encore prête pour les Jeux, ce n'était que sa première moisson ; si elle se tenait là à présent, ce n'était que par formalité. Mais, tout de même, cette situation lui donnait une impression d'importance. Le regard fier que ses frères posaient sur elle l'emplissait d'un délectable sentiment de solennité.
Lorsque la cérémonie débuta, elle ne rata aucun mot de l'hôtesse. Elle analysa chaque parole, voulant s'imprimer le discours en lettres d'or dans son esprit. La vidéo du Capitole fit grimper l'adrénaline aux creux de ses veines. Tout son petit être frémissait d'impatience, en attente de ce qui serait peut-être une sorte d'accomplissement pour l'un de ses frères. Quand l'hôtesse déclara qu'elle allait désigner le tribut féminin du District 2, Ephasia fit quelque chose d'absolument logique, se dit-elle ; elle s'imagina monter sur le podium en tant que tribut. Toutefois, elle évinça cette idée d'un petit sursaut amusé : c'était tout bonnement ridicule.

Pourtant, lorsque l'hôtesse prononça le prénom et le nom dudit tribut, ce ne fut l'imagination de la fillette qui fonctionna. Elle fut stupéfaite. Le temps sembla s'arrêter, elle baissa les yeux, vit ses doigts pâles, se dit qu'elle avait dû confondre rêve et réalité, car non, on ne pouvait pas l'appeler, pas elle, pas Ephasia Blackheart. Non, ça ne pouvait être vrai. Il y eut quelques secondes de flottement, où les gens se retournèrent sur sa petite silhouette vermillon, puis un cri fusa dans la foule des spectateurs. Epha aurait reconnu ce cri entre mille ; c'était celui, déchirant, de sa mère. Elle comprit alors qu'elle ne rêvait pas, qu'on venait bien de la désigner elle, la petite fille sans aucun tessera, et qui ne s'était jamais réellement préparée pour des Jeux trop féroces pour elle. Sans qu'elle puisse réfléchir, des larmes lui montèrent aux yeux, cependant que ses joues adoptaient la même teinte que sa robe. Elle refoula le sanglot qui menaçait de s'échapper de sa gorge, et décida d'avancer vers l'estrade, puisque c'est ce que l'on attendait d'elle.
Le trop plein d'émotions qui la saisirent alors l'empêchèrent de remarquer tout ce qui se déroulait autour d'elle, tandis que sa fine silhouette de gamine se plaçait aux côtés de l'hôtesse. Sa mère s'était tue et semblait ailleurs. L'épouse Blackheart prenait conscience du complot qui s'était lentement refermé sur ses enfants, sur la chair de sa chair. Un complot sans doute mis au point il y a de nombreuses années, mais qui lui semblait trop brutal, puisqu'elle n'avait pas été préparée à cette chute. Tout semblait s'écrouler. Comment avait-on pu l'exclure de cela ? Comment avait-on pu s'attaquer aux enfants qu'elle avait mis au monde sans lui en parler ? Son époux, lui, était simplement choqué. Le même genre de choc qui l'aurait saisi si on lui avait subtilisé son assiette. Prométhéor et Skylar, quant à eux, étaient interdits. Ils venaient de comprendre eux-aussi ce qui les attendait, ce qu'allait devoir accomplir l'un d'entre eux, même s'ils ne voulaient pas réellement y croire. Ils avaient froncé les sourcils, et en cet instant, refoulaient le vœu qu'ils avaient formulé depuis leur tendre enfance. Non, ils ne voulaient plus participer aux Hunger Games, pas aujourd'hui. Ils se trouvaient idiots d'avoir espéré cela depuis toujours, et ne pouvaient détacher leur regard de la vision qui se présentait à eux, celle de leur petite sœur, si fébrile, devenue tribut à tout juste douze ans. La lâcheté s'empara d'eux : Skylar voulut que ce soit son frère et non lui, et ce souhait trouva une réciprocité chez Prométhéor.

Mais les Blackheart comprirent que le piège du Capitole était bien réel lorsque Skylar fut désigné pour rejoindre sa cadette sur le podium. Il s'avança vers elle comme un spectre, ne sachant pas de quelle manière il était convenu de réagir. On venait de le charger de tuer sa sœur. Cette information ne parvenait pas à se faire une place dans son esprit. Prométhéor joignit ses hurlements à ceux de sa mère. Comment pouvait-on s'acharner sur leur famille si violemment ? Plus tard, ils saluèrent pour la dernière fois au moins l'un des deux adolescents. Chacun savait pertinemment qu'il s'agissait d'Epha.

chapter 2 : your blood is all i see.

Au Capitole, une fois que les divers cérémonials officiels furent passés, les Blackheart se joignirent à l'entraînement. Ici encore, les regards ne se détachaient pas d'eux. L'affaire faisait grand bruit à Panem. Deux enfants du vainqueur de la première Expiation concourant pour la même édition des Jeux, ce n'était pas commun. Les autres tributs s'interrogeaient sur la stratégie qu'ils allaient choisir d'adopter, d'autant plus que Skylar faisait office de grand favori auprès des sponsors – le tableau majestueux que le frère et la sœur avaient offert lors du défilé n'avait fait qu'asseoir leur notoriété. Les tributs des districts Un et Quatre les abordèrent donc rapidement pour établir une alliance. Skylar accepta, à l'unique condition d'insérer sa jeune cadette au sein du groupe. Le marché fut conclu.
Epha ne savait quoi penser de tout ça, elle était de toute manière trop bouleversée pour vouloir s'opposer à quoi que ce soit. Elle faisait confiance à son aîné. Le soir, elle et Skylar discutaient beaucoup. Ils pestaient contre le Capitole, se confiaient leur amour mutuel, ne s'avouaient jamais à voix haute qu'ils craignaient de devoir tuer l'autre. Ils profitaient de leurs derniers instants de sérénité à deux. Leurs mentors, deux jeunes femmes, ne leur étaient pas d'une grande utilité malgré leurs conseils avisés. Les Blackheart étaient issus d'un district de Carrière, et Skylar était bien meilleur professeur que ces deux anciennes gagnantes. La journée, il apprenait à Epha à manier l'épée, à confectionner des nœuds ou à faire un feu. Il ne s'occupait jamais de lui et se montrait plus que généreux. Il était un parangon de modestie et de dévotion à lui seul – Epha lui en demeurerait pour toujours reconnaissante. Les autres tributs assistaient à tout cela sans comprendre, l'amour fraternel leur paraissant totalement ridicule au sein d'une épreuve telle que les Hunger Games. Skylar – puisqu'il s'agissait du principal intéressé – savait que sa sœur ne survivrait pas aux Jeux. Il avait mis du temps à bien vouloir se l'avouer, mais désormais, l'idée s'était incrustée en lui, et si elle le rongeait, elle le forçait à montrer la meilleure facette de lui-même. Et par le biais de toutes ces preuves d'affection, il lui disait adieu. Il ne voulait rien avoir à se reprocher.

Epha obtint un cinq au passage devant les Juges, ce qui n'était pas si déplorable au vu de ses faibles capacités. Skylar décrocha un Onze, le meilleur score des vingt-quatre tributs. Les deux jeunes gens passèrent leur dernière soirée ensemble, allongés sur le canapé du salon de l'étage attribué au district Deux. Ils ne dormirent pas.
Le lendemain matin, ils furent équipés pour leur entrée dans l'arène. Après qu'on leur eût inséré un mouchard au creux du bras droit, on leur imposa de revêtir un simple t-shirt blanc, ainsi qu'un pantalon de toile marron et des chaussures de marche. Rien ne laissait deviner l'environnement qui les attendait là-haut. Tout se déroula très vite. Lorsqu'on les plaça dans les tubes hermétiques qui allaient les mener à l'arène, Epha eut tout juste le temps de penser à sa famille restée au district Deux, à sa mère si fragile mais pourtant si forte, à Prométhéor. Elle eut aussi l'occasion de prier pour ne pas mourir dans le bain de sang. A vrai dire, peut-être aurait-ce été mieux pour la survie de Skylar, puisque c'est lui qui allait devoir se battre pour la victoire ? Pour une fois, elle ne savait pas.

Soixante secondes pesantes lui furent offertes à la sortie du tube. La fillette put découvrir l'arène qui avait été confectionnée par les Juges cette année, mais ce qu'elle remarqua en premier, ce fut la chaleur suffocante qui régnait ici, et la lumière agressive d'un soleil de plomb. Une fournaise. Elle savait déjà que la température allait être leur pire ennemie au cours de ces Jeux.
Lorsqu'elle se fut acclimatée, Ephasia laissa son regard errer sur le paysage de désolation qui s'étendait à perte de vue : un cercle d'eau entourant la corne et placé à un rayon d'une trentaine de mètres, et au-delà, des dunes de sable à perte de vue. Des mirages, à l'horizon, ne faisaient qu'accentuer l'impression d'infinité que laissait transparaître le paysage. Il serait aisé de repérer ou de tuer quelqu'un dans cet environnement, le désert n'offrant aucune véritable cachette à un être humain.
Lorsque le temps imparti fut écoulé, elle respecta ce que lui avait conseillé son frère : elle courut jusqu'à la corne le plus vite possible et se saisit d'une épée et d'un bouclier avant de se planter au couvert de son aîné. Il était apparemment convenu que les carrières allaient la protéger tout en éliminant le plus d'adversaires possibles – elle espérait qu'aucun d'eux ne décide de la trahir. Tout se déroula dans un capharnaüm monstrueux ; le brouhaha tonnait, les gerbes de sang giclaient, le sable remué formant une sorte de brouillard opaque. Epha vivait la scène sans chercher à la comprendre, car elle ne s'était pas préparée à toute cette effusion de violence. Elle savait toutefois qu'elle ne devait pas fermer les yeux, qu'elle devait rester concentrée : le danger était bien présent, et le tremblement frénétique de ses mains d'enfant n'allaient rien y changer.
A un moment, les alentours de la corne commencèrent à se vider des tributs. La plupart avaient déguerpi, les autres étaient morts. Skylar, dont les mains rougeoyaient du sang de plusieurs victimes qu'Epha avait ignorées, attira sa sœur jusqu'à lui, et lui indiqua deux tributs placés près du cercle d'eau entourant la corne. Les deux adolescents essayaient de traverser à la nage sans y parvenir, manquant sans doute d'expérience. La fillette sut alors ce que son frère attendait d'elle. Elle avait confiance en lui, et s'élança à sa suite après avoir resserré ses phalanges sur son épée. Elle ne devait rien craindre : elle était dans les Hunger Games, il n'y avait pas de place pour la réflexion. Il lui fallait agir.
C'était le tribut masculin du Dix et le tribut féminin du Douze. Skylar s'occupa de l'homme, qu'il tua rapidement grâce à son arc. Epha n'eut pas le temps d'avoir peur pour sa vie : elle se précipita vers sa victime plongée dans le ruisseau, et lui assena un coup d'épée dans l'épaule avant qu'elle ait le temps de réagir. L'eau se mêla de pourpre, mais Ephasia ne craignait pas la vue du sang. Elle donna un nouveau coup d'épée – la tribut du Douze lâcha la berge, et son corps convulsa avant de s'immobiliser à la surface de l'eau. Epha décida de ne pas avoir de remords. Elle ne connaissait pas cette fille, c'était la loi de l'arène. Elle était fière de ce qu'elle avait fait. Son frère et elle ne s’étreignirent tout de même pas ; ce n'était pas quelque chose à faire alors qu'ils venaient d'assassiner deux innocents. Mais ils se comprenaient.
Quelques minutes plus tard, les carrières se réunirent près de la corne d'abondance. Leur troupe était composée de sept adolescents. Il y avait tout d'abord les tributs du Un ; Fleur, une fille brune à l'air mesquin, et Callum, un garçon de quatorze ans sans caractérisation particulière. Venaient ensuite eux-mêmes, Epha et Skylar, puis les tributs du Quatre ; Zita, une immense adolescente blonde, et Scylla, un garçon très imposant. Le dernier tribut, Amark, était celui du district Sept. Il avait été imposé par les tributs du Quatre, qui s'étaient trouvés séduits par le score de Dix qu'il avait obtenu à l'entraînement. Bref. Tous ces tributs inconnus effrayaient Epha, qui n'avait aucune confiance en eux. Ils s'arrangèrent toutefois pour détendre l'atmosphère à grand renfort de boutades diverses, comme si ce début de Hunger Games était des plus sympathiques. Ils plaisantaient tout en rassemblant les provisions et en échangeant des informations sur eux-mêmes. Skylar bavardait beaucoup avec les tributs du Un, Fleur et Callum, mais ceux-ci se montraient plus froids. Tout à coup, le canon les interrompit. Il résonna onze fois.
Plus tard dans la journée, le canon allait résonner deux nouvelles fois. Ils n'étaient donc plus que onze, dont sept carrières... Leur alliance n'allait sans doute pas persister très longtemps. Le soir, Epha confia ses craintes à son frère, qui les calma en la serrant contre lui.

Trois jours passèrent sans que rien ne vienne troubler l'air sec et lourd de l'arène. Les Juges devaient penser que les conflits allaient arriver d'eux-mêmes, puisque les conditions climatiques étaient demeurées semblables (du moins au dessus de la corne d'abondance, puisque aucun des carrières ne savait précisément ce qu'il y avait au delà des dunes désertiques qu'ils pouvaient apercevoir). Ces journées furent rythmées par les éclats de voix de Zita, la fille blonde du Quatre, qui était très susceptible et impulsive. Skylar et Epha se découvrirent rapidement une affection pour Amark, le tribut du Sept, qui leur raconta son quotidien au sein des forêts de son district. Il était aussi calme et posé qu'eux, et ne cessait de les surprendre de bonhomie. Les tributs du Un, Fleur et Callum, restaient discrets – manigançaient-ils quelque chose ? - tandis que Scylla, l'ami de Zita, s'exerçait sans cesse au lancer de haches, ce qui n'avait rien de très rassurant. Les carrières avaient eu le temps de se répartir les rôles ; ainsi savaient-ils qui devait remplir les gourdes au ruisseau, qui était chargé de préparer les repas, etc.
Un soir, Amark avait émis une hypothèse des plus intelligentes. Et si ce ruisseau qui entourait la corne était le seul point d'eau de l'arène ? Cela aurait forcé les tributs à revenir près des carrières, et donc à se frotter au combat... Cependant, les dires du tribut du Sept avaient été suspendus par un impressionnant jeter de T-shirt de Zita, qui semblait se contreficher d'exhiber sa poitrine imposante au nez d'une fillette de douze ans. Cela, toutefois, n'était pas pour déplaire aux quatre représentants de la gente masculine qui constituaient l'alliance ; c'est pourquoi personne n'avait cherché à argumenter la thèse d'Amark.

Cette thèse trouva écho le quatrième jour, où on vit deux points noirs se former à l'horizon peu après que le soleil eût atteint son zénith. Ces points grossirent progressivement, et l'on put finalement apercevoir deux silhouettes, l'une plus menue que l'autre, avancer péniblement vers la corne. A un moment, les deux tributs visiteurs stoppèrent leur évolution, comme s'ils hésitaient. Ils devaient se douter qu'ils se jetaient dans la gueule du loup. Mais si c'était pour eux le seul moyen de trouver de l'eau... Les carrières se préparèrent à l'attaque. Celle-ci ne tarda pas à poindre : dès que les tributs eurent atteint le ruisseau, Amark, Scylla et Skylar jaillirent de la corne d'abondance, droit vers eux. Les deux pauvres proies rebroussèrent chemin mais, harassées par trois jours dans le désert sans eau, tombèrent sous les coups des carrières. Les trois jeunes hommes revinrent victorieux de leur chasse – ils venaient de tuer les deux représentants du district Cinq. Ne subsistaient donc plus que neuf tributs. Ayant établi une liste mentale, Epha devina que leurs deux prochaines victimes allaient être le garçon du Trois et la fille du Dix. Cette dernière, prénommée Sophia, n'était âgée que de treize ans, Epha l'avait d'ailleurs remarquée pour cela à l'entraînement. C'était un miracle qu'elle ne soit toujours pas morte, avec son score de trois au passage devant les Juges..

Le soir, les carrières festoyèrent gaiement. Ils semblaient avoir enfin trouvé une cohésion providentielle. Même Callum et Fleur, les tributs du Un, esquissèrent un léger sourire. Epha resta muette la plupart du temps ; elle n'osait pas s'imposer au milieu de tous ces tributs trop âgés. En présence d'adolescents de son âge, elle aurait peut-être cherché à montrer sa présence. Mais elle se savait être la plus jeune et la plus faible. La meilleure tactique était donc de rester effacée.

Sophia, la jeune tribut du Dix, ne tarda pas à apparaître. Le lendemain matin, alors que l'aube du cinquième jour dans l'arène dardait une lumière rougeâtre sur l'horizon, on vit sa silhouette progresser vers la corne. Elle non plus n'avait pas dû s'abreuver depuis l'ouverture des Hunger Games, au vu de son allure épuisée. Alors qu'Epha s'attendait à entendre ses coéquipiers débattre au sujet de qui allait tuer la petite fille, c'est vers elle qu'on se tourna. Elle blêmit. Scylla, de sa voix d'adulte, lui annonça qu'il fallait qu'elle se montre utile. Même si elle participait à la vie du camp, elle était beaucoup moins nécessaire que les autres. Et il fallait désormais qu'elle en paye le prix.
Skylar n'osait s'opposer aux dires du tribut roux du Quatre, d'autant plus que Zita assistait à l'altercation sans se détacher de la hache qu'elle emportait partout avec elle. Tant pis, Ephasia allait devoir s'attaquer à Sophia. Était-ce une technique pour que les deux fillettes meurent sous les coups l'une de l'autre, étant de force égale, en leur offrant une distraction non négligeable ? Epha songea à cela, mais décida de montrer aux carrières qu'elle était plus forte qu'ils le pensaient.
Lorsque la tribut du Dix eût atteint la rivière, Ephasia s'élança vers elle, accrochée fermement à deux poignards qu'elle savait manier plutôt bien. Son adversaire était en train de boire tout son saoul dans le cours d'eau, ne cherchant pas à s'enfuir. Son regard semblait lointain, comme si ces journées passées seule dans le désert l'avaient rendue folle. Epha n'eut aucun mal à s'attaquer à elle : elle la plaqua au sol, s'apprêta à l'égorger. Mais soudain, Sophia sembla revenir à elle. Ses prunelles se teintèrent d'une once de lucidité, d'humanité. Epha ne sut comment réagir. Ce fut une seconde d'hésitation superficielle. Sophia se débattit et sortit un couteau de sa poche. Elle le planta dans le dos de la tribut du Deux. Epha, cependant qu'un hurlement lui échappait et que mille étoiles dansaient devant ses yeux, laissa glisser son poignard contre la gorge de la fillette qu'elle compressait sur le sable. Un liquide chaud jaillit contre son visage, mais elle ne le sentit pas – elle s'effondra au côté de Sophia. Un coup de canon résonna. Elle pouvait néanmoins entendre les battements de son cœur à rythme régulier.

Lorsqu'elle se réveilla, Skylar était penché au dessus d'elle. Il faisait nuit. Elle avait très mal au dos, là où Sophia l'avait poignardée – c'est la première chose qu'elle sentit. « C'est bien. Tu l'as tuée. Tout va bien. » lui dit son frère en souriant. Il la serra contre lui, comme si tout était normal, comme s'ils n'étaient pas aux Hunger Games, comme si les carrières n'allaient pas tarder à imploser. « Un sponsor a envoyé un parachute pour toi. Mais ta blessure n'est pas profonde. Si tu t'es évanouie, c'est juste car tu n'as pas l'habitude de souffrir. » Skylar rit, et Epha lui répondit qu'il n'était qu'un débile. Elle ne savait pas pourquoi un sponsor avait voulu la garder en vie. Elle ne savait même pas pourquoi elle faisait partie des huit derniers tributs vivants.
A la lisière de son champ de vision, elle aperçut un feu de camp auquel participaient tous les autres carrières. Zita parlait à voix haute, en assumant un rôle de chef du groupe autoproclamé. Elle était pleine de charisme. Amark, Fleur, Callum et Scylla l'écoutaient avec fascination. « Nous partirons demain matin avant l'aurore. Nous emporterons chacun trois gourdes d'eau, ainsi qu'un sac à dos. Sauf Epha, qui euh.. est en convalescence. Nous avancerons droit vers le nord – Callum se chargera de nous guider dans la bonne direction. Nous devons à tout prix trouver le mec du Trois, peu importe où il se trouve. » Epha eut envie de rire, mais elle se souvint qu'elle n'était pas sensée écouter la conversation. Elle trouvait Zita ridicule. Occire le tribut du Trois comme une alliance soudée, pour ensuite s'entretuer comme des bêtes... Ça la répugnait. Elle ne savait pas où tout cela allait mener. Elle se rendormit sous la voûte céleste, les flammes faisant jouer mille nuance d'or sur la chevelure de son frère qui, tendrement, veillait sur elle. Morphée était un soulagement.

L'expédition dura au total trois jours. Elle fut éprouvante, et ils crurent ne jamais en voir le terme. Le soleil était étouffant - la poitrine de Zita ne connaissait même plus le mot « t-shirt » -, et l'eau manquait cruellement. Leurs pérégrinations étaient parfois interrompues par des tempêtes de sable des plus désagréables. A trois reprises, des créatures s'attaquèrent à eux : scorpions, serpents, ou chacals ; Scylla et Fleur en tirèrent quelques égratignures. Cette longue marche permit malgré tout de faire cicatriser la blessure d'Epha qui, comme l'avait annoncé Skylar, n'était pas si grave. Les tensions commençaient à s'accumuler entre les membres du groupe, surtout entre Fleur et Zita (tout le monde étant particulièrement fatigué par l'absence de découverte), lorsque la silhouette de hautes montagnes se dessina à l'horizon. Les cris enthousiastes furent nombreux. Cette masse grisâtre était pleine de promesses, et l'altitude leur offrirait peut-être une fraicheur non négligeable ; Epha commençait à ne plus pouvoir supporter la chaleur. Elle en avait même pleuré vers midi, le septième jour. C'était exténuant, ça la paralysait, elle avait l'impression que ça la transperçait et la clouait au sol. Elle haïssait ce ciel trop bleu, ce sable trop brûlant.

La petite troupe rejoignit la barrière rocheuse dans la soirée, et y établit un campement. Elle eut le bonheur d'y trouver plusieurs petites sources d'eau, ce qui expliquait la disparition du tribut du Trois. Le garçon tant recherché devait donc se trouver quelque part dans les parages, ce qui rendait le sourire aux autres mais terrifiait Epha. Elle se cramponna donc sous sa couverture la majeure partie du temps. Ses souhaits n'avaient pas été vains ; la température était ici plus clémente.
Alors que tout le monde se prélassait près du campement et que Callum était parti chercher du bois, un hurlement déchira le silence nocturne. Skylar et Scylla se précipitèrent vers l'endroit où Callum avait disparu. En un instant, la quiétude de cette soirée avait volé en éclats. « J'ai l'impression que c'est la fin. » chuchota Amark d'un air mélancolique à l'oreille d'Epha. En effet, cette scène avait un goût assez déplaisant, entre Fleur et Zita qui trépignaient d'impatience, et trois des carrières masculins partis s'affronter à un danger inconnu. Des bruits de combat résonnèrent pendant de nombreuses minutes avant qu'un coup de canon se fasse entendre, suivi quelques secondes plus tard d'un second. Le pouls d'Epha s’accéléra. Elle priait pour que Skylar fasse partie des deux survivants. Dans tous les cas, cette soirée dans les montagnes marquait la fin de l'alliance des carrières, puisque le tribut du Trois avait dû être tué.
Quelques instants passèrent avant que Scylla et Skylar ne réapparaissent, soulevant le corps de Callum dans leurs bras. Fleur émit un hurlement bouleversant en se jetant sur lui, le corps secoué de sanglots. Cette marque d'humanité de la part d'une fille paraissant si froide et inexpressive choqua Epha. Elle repensa alors aux deux filles qu'elle avait tuées et qu'elle ne connaissait même pas, Sophia et le tribut du Douze. Des familles avaient dû les pleurer, car elles avaient eu une vie et des personnes qui les avaient aimées, comme Fleur aimait Callum.
Mais si elle faisait tout ça, c'était pour Skylar. Elle ne pouvait se reprocher de vouloir sauver son frère.

Un silence pesant tomba alors sur le campement. Personne n'osait se prononcer sur ce qu'il advenait de faire. Ils n'étaient plus que six. Six carrières, et un seul serait déclaré vainqueur. Le temps passa, ils s'allongèrent, mais Epha savait que personne ne voulait réellement dormir. Les gémissements de Fleur baignaient la scène d'une aura inquiétante. Ils étaient tous devenus des ennemis, et leur alliance n'était plus qu'une bombe à retardement. Après que deux heures environ se fussent écoulées, elle rampa vers son frère. Elle lui adressa un regard, et ils se comprirent aussitôt. Oui, ils devaient fuir au plus vite. Ils avaient eu la bonne idée de s'allonger assez loin des autres, près d'un sentier décrivant une courbe à l'abri des regards. Epha aurait voulu prévenir Amark, mais il était trop éloigné d'eux désormais. Et puis, même si c'était difficile à avouer, au moins, son frère et elle n'auraient pas à le tuer.
Rapidement, les Blackheart se faufilèrent sur le sentier en tentant de rester le plus discret possible, et lors, se mirent à courir. Leur vie en dépendait. Quelques secondes s'écoulèrent avant que des cris surviennent derrière eux. On avait remarqué leur disparition. Leurs noms furent prononcés, mais Epha ne chercha pas à en savoir davantage. Même si son dos lui faisait mal, elle devait continuer de progresser. Ils virèrent sur leur droite, puis sur leur gauche, progressant sans cesse vers les hauteurs. Ils craignaient d'être suivis, mais soudain, ils débouchèrent sur un promontoire rocheux au moment même où un coup de canon résonnait. En contrebas, ils pouvaient voir l'endroit où leur campement avait été établi un peu plus tôt dans la soirée, qui ressemblait désormais davantage à un champ de bataille. Le corps de Fleur gisait dans une large mare de sang, son bras droit reposant un peu plus loin que le reste de son cadavre. Les tributs du Un n'étaient plus. Zita et Scylla se confrontaient désormais avec hargne à Amark. Deux contre un, et pourtant, rien n'était joué. Scylla devait amèrement regretter avoir voulu du tribut du Sept dans son alliance. Les Blackheart priaient pour qu'Amark vienne à bout des deux adolescents du Quatre ; s'ils ne gagnaient pas eux-mêmes, Amark était celui qu'ils auraient préféré voir sortir vainqueur des soixante-quatorzième Hunger Games.
Malheureusement, un coup bien placé de Scylla sectionna la carotide du brave garçon des forêts. Ses jambes cédèrent sous son poids, et il s'effondra en à peine cinq secondes. Un nouveau coup de canon retentit, suivi par un cri de bonheur assez inapproprié de la part de Zita. Elle serra son coéquipier dans ses bras, l'enlaçant avec force, comme s'ils avaient déjà gagné les Jeux. Dégoûtés, le frère et la sœur Blackheart traînèrent leur chevelure de jais loin du promontoire rocheux, sachant pertinemment qui étaient leurs ennemis, à présent.

Ils marchèrent toute la nuit durant. Une fois qu'ils jugèrent être assez éloignés de l'endroit du campement des carrières, ils s'arrêtèrent pour dormir quelques heures, épuisés. Désormais, ils devaient se faire le plus discret possible ; ils savaient que c'étaient les tributs du Quatre qui menaient la danse, et non eux-mêmes. Zita et Scylla étaient bien plus puissants qu'eux. Âgés de respectivement dix-sept et dix-huit ans, leur force physique écrasait largement celle des Blackheart, qui se trouvaient handicapés par la jeunesse d'Epha. De plus, ils étaient davantage habitués à la sécheresse, leur district étant situé bien plus au sud que le Deux. Peu importe, Epha et Skylar possédaient une qualité que beaucoup n'avaient jamais expérimenté dans l'arène : celle de la cohésion et de la confiance totale.
Mais lorsqu'ils se réveillèrent, ils furent confrontés à une déplaisante constatation. Au moment où Epha voulut aller remplir sa gourde, elle s'aperçut que les sources s'étaient taries. La montagne n'était plus hospitalière. Des éboulements commençaient à survenir çà et là. Au moment où Skylar en parlait à sa cadette, une partie d'un flanc rocheux s'affaissa sur eux – le frère Blackheart ne fut que légèrement touché. Mais ils avaient compris où les Juges voulaient en venir ; s'ils ne déguerpissaient pas de cette partie de l'arène, alors ils allaient mourir dans d'atroces conditions. Les spectateurs devaient avoir hâte que le combat final ait lieu. Quatre tributs de carrière opposés en binômes, ça s'était rarement vu. Et même si toute cette machination agaçait Skylar au plus au point, il décida de répondre à l'injonction implicite des Juges, et força sa cadette à quitter les montagnes.
A nouveau, ils mirent trois jours à rejoindre la corne. Durant ce laps de temps, les Juges leur envoyèrent à deux reprises des meutes de scorpions, histoire de distraire le public. Les Blackheart s'en tirèrent avec de nombreuses infections aussitôt soignées par les parachutes des sponsors. Au moins, ces derniers semblaient être nombreux à les soutenir. Il faut dire que Skylar, depuis son entrée dans l'arène, avait toujours rivalisé d'ingéniosité. De plus, leur lien fraternel attendrissait sans doute le public. Comme si les règles des Hunger Games pouvaient les autoriser à gagner tous les deux ! La dernière nuit, Epha voulut aborder ce sujet avec son aîné. Trop d'interrogations l'avaient taraudées durant ces onze jours dans l'arène sans qu'elle ait osé en parler à son frère. Et s'ils parvenaient à tuer Zita et Scylla, comment allaient-ils faire ? Skylar montra alors ses premiers signes de faiblesse. Il ne voulut pas répondre et se montra des plus secs. L'idée de tuer sa sœur lui semblait inimaginable. Pourtant, il ne désirait pas non plus que ce soit l'un des tributs du Quatre qui la tue... Et il ne voulait pas perdre non plus. Il ne savait pas comment réagir. Il espérait que le destin allait lui venir en aide. Les caméras purent pour la première fois se nourrir de ses larmes alors que le jeune homme s'était détourné de sa sœur.

Le lendemain, à l'aube, les Blackheart élaborèrent leur plan. Ils étaient à une demi-journée de marche environ de la corne d'abondance, où devaient déjà se trouver Zita et Scylla. Ceux-ci les pensaient probablement assoiffés, puisqu'ils ne savaient pas qu'un sponsor avait envoyé deux bouteilles d'eau aux tributs du Deux lorsqu'ils en avaient eu besoin. Epha allait donc devoir faire diversion en marchant droit vers le ruisseau encerclant la corne – comme Sophia l'avait fait une semaine exactement auparavant. L'astuce consistait à ce qu'elle tienne une silhouette humaine contre elle ; Zita et Scylla penseraient à Skylar. (En réalité, ce serait un amas de sac-à-dos divers que le jeune homme du Deux avait mis plusieurs dizaines de minutes à confectionner. Le résultat était assez satisfaisant.) Pendant ce temps-là, Skylar contournerait la corne. Il attaquerait alors les tributs du Quatre par l'arrière pendant que ceux-ci seraient en train de progresser vers Epha. Il fallait désormais espérer qu'aucun des deux tributs n'ait de problème, et qu'ils soient parfaitement coordonnés.
Vers midi, ils se décidèrent à se séparer. La tension était palpable, et ils avaient le cœur lourd. Chacun savait pertinnemment que c'était leurs derniers instants de quiétude à deux. « Tout va bien se passer. » assura Skylar en esquissant un sourire qu'Epha savait forcé. Elle lui répondit : « Aie confiance en moi. » Le plus âgés des deux serra la silhouette frêle de sa cadette dans ses bras, puis, sans un mot de plus, se détourna vers l'ouest. Epha devait attendre quelques temps avant de se mettre en route. Elle put admirer la silhouette de son frère s'éloigner d'elle, pour finalement devenir un petit point noir perdu au milieu des mirages. Sa gorge était nouée, et cela n'avait rien à voir avec la température assommante qui régnait dans le désert.

Quand elle se décida à partir, elle s'aperçut que le bonhomme conçu par Skylar était loin d'être pratique à manœuvrer. Il était terriblement lourd sur le sable, et elle devait avoir recours à toute sa force musculaire pour le faire progresser à ses côtés. Au moins, la supercherie passerait mieux : son allure la faisait passer pour très fatiguée. Au détour d'une dune, elle put enfin apprécier la vision de la corne d'abondance, au loin, que le soleil faisait miroiter. Allez, plus que quelques minutes. C'était le grand final. Elle sentait la mort planer au dessus d'elle.

Elle atteignit le ruisseau et ne releva pas la tête. Si elle devait être tuée, alors elle voulait que cela se fasse rapidement. Mais elle avait foi en son frère. Et cela porta ses fruits. Soudain, un cri féminin troubla le silence pesant qui écrasait les alentours, jusqu'alors rythmé par quelques rafales de vent tiède. Ephasia se redressa, le pantin désarticulé appuyé lourdement contre elle. Elle put voir que Zita, totalement dénudée, avait reçu une flèche dans la cuisse. Les tributs du Quatre se trouvaient à une vingtaine de mètres d'elle, et Skylar était positionné un peu plus loin. Scylla s'attaqua à lui tandis que Zita faisait voleter sa longue chevelure blonde en direction d'Epha. Celle-ci plongea alors son corps dans l'eau et progressa au fond de la rivière. Elle sentit que quelqu'un d'autre la rejoignait dans le lit aqueux. Elle ferma les yeux ; que devait-elle faire, désormais ? Elle n'était pas préparée à combattre. Peut-être devait-elle se laisser faire par les armes de Zita, et laisser gagner l'un de ses trois adversaires. Elle se laissa porter par le courant des bas-fonds. Tout semblait avoir disparu.
Une hache se planta dans son mollet, parvenant à fendre sa chair rigidifiée par l'eau froide. Son cri strident fut étouffé, mais cela n'atténua pas la douleur lancinante qui l'avait saisie. C'était pire que tout ce qu'elle avait vécu. Pire encore que le poignard de Sophia dans son dos. Elle ne voulait pas mourir si faible, elle voulait... Elle perdit le contrôle.
Elle se retourna et, aveuglée, s’agrippa à Zita. Elle l'encercla de tout son corps, attachant ses jambes autour de son bassin, plongeant ses doigts dans le visage parfait de la jeune femme. Et cependant qu'un second coup de hache lui perforait le flanc droit, elle referma l'étau de ses mains sur la tête de la blonde et la frappa contre les rochers qui les entouraient. Un goût métallique s'imprégna de l'eau environnante. L'air venait à manquer, Epha était épuisée, elle ne savait pas si elle avait tuée Zita, non, celle-ci se débattait toujours... La fillette remonta à la surface. Elle se hissa sur la rive, et courut jusqu'à la corne d'abondance, ses deux blessures lui faisant un mal de chien. « SKYLAR ! SKYLAR ! » hurla-t-elle, son champ de vision obstrué par le soleil trop éclatant. Elle tomba au sol ; du sable se colla à tous ses membres, à ses blessures, à sa peau, en formant une sorte de masque brunâtre. Elle pleurait désormais. Un coup de canon résonna : elle espérait que ce soit Zita, ou Scylla, ou... Non. « SKYLAR ! » Tout n'était que douleur. Elle ne savait même plus ce qu'elle faisait. Elle resta là, recroquevillée, et au bout d'un temps, dut se confronter à la scène de violence qui se déroulait sous ses yeux. Zita était sortie de la rivière et, le crâne et le buste ensanglantés par les coups engendrés par Epha, s'affrontait à mains nues à un Skylar blessé à de multiples endroits. Scylla, quant à lui, gisait sous la corne d'abondance iridescente. Epha se releva fébrilement et, sortant un poignard de sa poche, se jeta dans la mêlée. Elle atteignit Zita à l'épaule, celle-ci hurla une nouvelle fois. Skylar était tombé sur le côté, peut-être évanoui – il ne pouvait pas être mort. Epha plongea son regard dans celui de Zita, si bleu, si beau, qui n'avait plus rien d'humain. La jeune femme s'exclama : « Petite pute ! » Epha n'avait pas remarqué que la blonde tenait encore une hache dans sa main.
Cette hache, en guise de vengeance, fut plantée dans le visage de la fillette. Dans son œil gauche. Tout devint noir – au sens littéral du terme. Epha venait de perdre un œil. Mais elle était dans les Hunger Games, elle devait s'en sortir, elle devait faire payer ça à la tribut du Quatre. Elle lui immobilisa le bras et s'acharna à la poignarder, à ensanglanter cette poitrine que la blonde avait pris tant de plaisir à exhiber durant les Jeux.

Un coup de canon retentit, et Epha sut qu'il s'agissait de Zita. Elle se laissa glisser aux côtés de son frère, en reprenant son souffle à grandes happées. Ils étaient venus à bout des tributs du Quatre. C'est tout ce qui comptait pour elle. Tant pis si elle s'était muée en bête sauvage, si elle avait perdu un œil ; elle était vivante. Et Skylar aussi. Ce dernier, terriblement affaibli, se redressa. Elle le suivit du regard. Il se plaça au dessus d'elle, et, soudain, brandit son épée en souriant.

Elle ne réfléchit pas. Elle le poignarda en plein cœur.

Plus tard, en se remémorant la scène, Ephasia comprendrait que Skylar avait simplement voulu la serrer dans ses bras. Que par ce geste, il s'était apprêté à lâcher son épée. Elle comprendrait qu'elle avait agit trop rapidement. Que son frère n'aurait pour rien au monde voulu la tuer. Plus tard, elle comprendrait que depuis le début, il avait voulu la faire gagner elle. Qu'il n'avait jamais eu l'espoir de remporter ces Jeux. Et tout ce dont elle se souviendrait, ce serait son regard, vide, la fixant sans comprendre. Son regard autrefois si rayonnant. Ce même regard dans lequel elle s'était plongée lorsqu'elle lui avait demandé de lui faire confiance.
Et elle n'éprouverait pas de dégoût pour elle-même. Ni de haine. Non, il s'agirait d'un sentiment bien pire.

Elle gagna les soixante-quatorzième Hunger Games ainsi. A moitié évanouie, les bras lourds du corps de la personne qu'elle chérissait le plus au monde, sous un ciel céruléen des plus radieux.

chapter 3 : blinding.

Epha n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle a assumé la tournée de la victoire en tant que fantôme, tout le monde la considérant comme une perverse ayant caché son jeu durant tous les Hunger Games. Comme si elle avait pu préméditer de tuer Skylar. Prométhéor pense la même chose, et c'est ça le pire. Elle dégoûte même sa famille. Sa mère a été tuée par le Capitole car elle devenait trop gênante. Seul Hercule semble fier de sa fille – il est certain que la relève est assurée.
Elle ne sort plus de chez elle. Elle a désormais une peur bleue du soleil et du sable, ce qui en fait rire plus d'un. A quinze ans, plus de deux années après avoir gagné les Jeux, elle a déjà tout essayé pour tenter de se sentir vivante à nouveau. L'alcool, la drogue, le sexe, ça ne lui fait rien du tout. Mais chacun sait pertinemment qu'elle n'est pas une dépravée ; le statut de pauvre déchet brisé par le Capitole lui va très bien. Elle est tout de même crainte, car il lui arrive encore parfois de faire des crises de nerfs la rendant très dangereuse. Officiellement, c'est pour cela qu'on lui a collé plusieurs pacificateurs pour veiller sur elle. Officieusement, elle sait qu'on veut l'empêcher de se tuer. Pourtant, tout vaudrait mieux que l'existence qu'elle mène désormais.

Ses toiles se vendent à prix d'or. Au Capitole, on dit que c'est ce qui se fait de mieux dans l'expression de l'horreur.

Spoiler:

Ooooh, ma cycybou chérie. Merci beaucoup !
Et si, en vérité, je transpose tous mes fantasmes au sein (oui, SEIN, SEIN ) de mes personnages féminins.
LES BLACKHEART FTW !

GEMSTONE| Merci mon chameau!

KAS| Ah zut, j'avais oublié avoir déjà nommé un sujet ainsi. PEU IMPORTE FLORENCE C'EST LA VIE. Merci beaucoup à toi (tu mériterais d'être fouettée ) et c'est bien évidemment okay pour le lien, je ne m'imaginais pas aller au Deux en t'ignorant, de toute manière.

Thanks dear

Merci Maddox!

ciim3r jteùUh ke4ff" bbeii. ()