Le second jour fut bien mieux que le premier. J'ai commencé par prendre le cours de survie, où j'ai rencontré mon clône dans cette histoire, c'est-à-dire la fille du Sept. Une petite blonde, à peu près aussi grande que moi, qui m'a gentiment appris à faire un feu. En échange, je lui ai donné quelques trucs pour se nourrir, et j'ai passé le test haut la main. Je crois même que l'instructeur m'appréciait bien, c'est pour dire.

Par contre, j'ai royalement échoué le second atelier. Les plantes, pour dire. J'en connaissais déjà quelques unes, mais dès que je suis arrivée, j'ai rapidement compris que c'était au-delà de mes capacités. Ça demandait une mémoire incroyable, et, le pire, il me fallait rester assise et concentrer pendant deux longues heures, sans rien faire pour m'occuper les mains. Inutile de vous préciser que je n'ai absolument rien appris. La seule chose que j'ai pu retenir, c'est que la menthe draine l'infection et les toxines. Super. Au moins je sais ça. Je suis tout de même en colère avec moi-même, surtout que j'avais déjà des bases et que j'ai quand même trouvé le moyen d'échouer lamentablement.

C'est pourquoi je suis actuellement au stand d'escrime. Je me tue à maîtriser le plus possible cette arme, qui me donne suffisamment d'allonge et qui n'est pas trop ardue à comprendre. J'y donne tant d'énergie que je suis encore à frapper le mannequin alors que presque tous les tributs sont rentrés dans leurs appartement pour le souper. Je calme un peu mes coups. Je ne suis pas si mauvaise. Après tout, j'y ai donné l'énergie du désespoir. Autour de moi, c'est bien calme. La fille du Deux s'amuse avec un couteau. Celle du Cinq élabore des méthodes de médecine. Et puis je repère Ezea, au loin, faisant je ne sais quoi. J'ai un léger sourire, puis je me reconcentre sur ma formation.

Je continue mes coups. L'instructrice est partie depuis de longues minutes. Je crois qu'elle a abandonné en me voyant aussi faible. Si mes coups ne sont pas d'une force incroyable, je tente désormais de compenser en visant précisément et en faisant bon usage de ma rapidité et de mon agilité.

Au bout de quelques minutes, je suis épuisée, et de toute façon un Muet -des gens plutôt sinistres je dois dire- vient éteindre les lumières, pendant que les instructeurs nous hèlent de rentrer dans nos appartements. Je range mon épée à contrecoeur puis me dirige vers les ascenceurs. Je me passe une main dans les cheveux, collante de sueur, et je suis brusquement interceptée. Je reconnais par ses cheveux roux et son visage de renard la fille du Deux.

- Alors District Quatre, tu ne souhaites pas bénéficier de notre protection et avoir une chance de gagner? Après tout, c'est la tradition.

-J'y réfléchirai, je siffle en la bousculant.

Non mais pour qui elle se prend à la fin. J'aurais envie de les rejoindre, j'y serais allée de mon plein gré. À moins que mon attitude solitaire ne me donne un air mystérieux. Peut-être que je lui cache un talent mortel -ce qui n'est pas faux. M'enfin. Et puis, mon attitude vindicative doit l'avoir intriguée. Tant mieux.

Je me dirige vers les ascenceurs. J'appuie sur le bouton "monter", qui s'éclaire d'un bleu tendre, puis attend la machine. Les filles du Deux et du Cinq se glissent dans le premier qui passe et ferment aussitôt les portes. « Charmant » je pense.

Le second arrive une minute plus tard, et j'y pénètre précipitamment avant qu'on ne me bloque l'accès une autre fois. Juste avant le départ, je vois un jeune homme y rentrer en vitesse. Ezea. Il a les mains verdâtres, sûrement le résultat d'un atelier botanique ou de camouflage. Je lui adresse un petit sourire moqueur.

- Alors, t'as été sauvagement attaqué par une salade? La pauvre, t'aurais dû lui donner une chance.

are we gonna pretend we
want to kill each other?

Je ne parvenais à rien. Trop préoccupé par des pensées harassantes, tout ce que j'entreprenais se soldait par un échec. Et ce camouflage le confirmait. J'étais censé me fondre dans un environnement végétal, en teignant ma peau de couleurs vertes, qu'il fallait allier par moments à du bleu pour jouer sur les trompes l'œil. Sauf que tout ce que j'obtenais, c'était une espèce de pâte verdâtre qui jaunissait au contact de mon épiderme. Génial. C'est certain que si je reproduisais ce maquillage dans l'arène, mon allure de jonquille fanée allait faire fuir mes ennemis. Pourtant, je n'étais pas si mauvais en camouflage. Hier, quand je m'étais rendu à cet atelier, j'étais parvenu à me transformer en un bout de bois saisissant de réalisme. Le moniteur m'avait encouragé énergiquement, m'assurant que j'étais très doué. Cependant, aujourd'hui, il semblait plutôt dégoûté par ce que j'avais réalisé. « Tu veux réessayer ? » me proposa-t-il d'ailleurs, cependant qu'un autre tribut, celui du district Un, quittait l'atelier sans même un salut. Je jetai un rapide coup d'œil derrière moi, et eus la mauvaise surprise de m'apercevoir que tous les autres tributs avaient imité le garçon du Un et avaient quitté la salle, à l'exception de la carrière du Deux, de la fillette du Cinq et de... Sagitta. Je me détendis imperceptiblement en l'observant s'essayer à l'escrime, quelques mètres plus loin. Cette vision me donna d'ailleurs une inextinguible envie de rire – il fallait dire que la tribut du Quatre n'était vraiment pas douée. Ses faiblesses la rendaient quelque peu appréciable. Ce sentiment était étrange, mais ça devait être dû à la fatigue. Oui, la fatigue.

Fronçant les sourcils, je me détournai sans plus attendre pour faire face au moniteur qui attendait toujours sa réponse. « Non, je crois que je vais m'arrêter ici. On ne va sans doute pas tarder à devoir repartir, et je préférerais nettoyer un peu tout ce truc gluant. Mais merci quand même. » Je gratifiai le brave homme d'un petit sourire, auquel il répondit par un haussement d'épaules. J'employai les minutes qui suivirent à faire disparaître la pâte jaunâtre qui s'accrochait à ma peau tel un parasite poisseux. A un moment, un employé nous pria de rejoindre nos étages, signalant la fin du deuxième jour d'entraînement. Déjà ! Tout passait vraiment trop vite. Je n'avais pas vraiment eu l'impression de progresser durant les deux dernières journées. Le seul point positif était les connaissances que j'avais pu faire ici – même si, au final, ces rencontres ne me seraient pas bénéfiques. Quand la peau de mes bras et de mon torse eut repris une teinte humaine, j'enfilai mon chandail frappé du chiffre « 11 » et me dirigeai vers les ascenseurs.

J'étais le dernier à quitter un atelier, mais j'eus le temps d'apercevoir la carrière du Deux accoster Sagitta avec une certaine agressivité. Elles échangèrent quelques mots avant que la tribut du Quatre fasse faux-bond à une carrière frustrée et vindicative. J'observai avec un certain amusement le minois de cette dernière prendre une délicate teinte pivoine. Elle resta quelques secondes circonspecte, comme si Sagitta lui avait annoncé l'imminence de son mariage avec Fenugreek, le très séduisant tribut du Six. Quelles paroles les deux adolescentes avaient-elles pu échanger ? Au moins, la fille du Quatre ne m'avait pas menti : elle n'avait rien à voir avec les carrières. La tribut du district Deux se détourna enfin et s'engouffra dans le premier ascenseur venu, à la suite de la fillette du Cinq. Ne restaient donc plus que Sagitta et moi-même – je déglutis difficilement. Quand un second ascenseur ouvrit ses portes, nous l'empruntâmes aussitôt, laissant le centre d'entraînement désert. « Alors, t'as été sauvagement attaqué par une salade ? Me héla Sagitta, moqueuse, alors que l'ascenseur entamait son ascension. La pauvre, t'aurais dû lui donner une chance. » Je soupirai avec déception en observant mes mains encore tâchées de jaune, tristes témoins du désastre colorisé que j'avais orchestré. Sagitta pouvait bien parler, elle qui escrimait avec le talent d'une fourchette. Je décidai d'ailleurs de lui faire profiter de mes songes, et lui adressai un sourire mutin. « J'aime pas trop les légumes. Ils me font un peu penser à toi quand tu t'essaies à l'escrime, si tu vois c'que je veux dire. » Bon, au moins, elle était un peu plus talentueuse que Viha. Je ne savais vraiment pas ce que ma co-tribut allait faire pour récolter un bon score, demain. Et à y penser, moi non plus, je n'avais pas encore réfléchi à ce que j'allais montrer aux Juges. Méditatif, j'interrogeai Sagitta : « Tu as déjà pensé à ce que tu allais leur montrer, demain, à l'évaluation ? » Après tout, je commençais à avoir confiance en cette fille. Était-ce réciproque ?

-J'aime pas trop les légumes. Ils me font un peu penser à toi quand tu t'essaies à l'escrime, si tu vois c'que je veux dire.

Je lâche un petit rire. Il n'a pas tort. J'avais à peu près autant de talent et de grâce qu'un mollusque, ce qui est plutôt marrant quand on pense que je viens du district de la pêche. Un jour, quelqu'un m'a fait remarquer que malgré mes talents de fruit de mer, j'aurais mieux fait de naître dans le Sept, là où la forêt est à perte de vue. Cette personne -je ne me souviens plus qui- avait bien raison. M'enfin. J'écrase le bouton frappé du chiffre quatre sur le panneau, et celui-ci s'illumine d'une lueur rouge.

- Oh si tu savais, je réponds. Les concombres peuvent s'avérer absolument redoutables lorsque menacés. Regarde par toi-même (je lui montre une de mes cicatrices de pêche sur ma main droite) ; absolument voraces comme créatures.

Les portes de verre se referment; le sol nous quitte subitement, nous propulsant dans les airs. Les quelques instructeurs flânant encore au Centre deviennent rapidement aussi minuscules que des grains de sel. Une telle proximité, isolation avec le jeune homme me rend un peu mal à l'aise, tendue. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'aurais envie de me cacher derrière le panneau transparent, ce qui est particulièrement judicieux comme réflexe, le verre étant un excellent moyen de disparaître.

- Tu as déjà pensé à ce que tu allais leur montrer, demain, à l'évaluation ? demande-t-il.

Je lui jette un coup d'oeil moqueur. Il sait bien que je ne lui révélerai pas, à moins qu'il ne me prenne pour la dernière des imbéciles. Si je fus trompée par la nature de mon frère que je connais depuis toujours, je ne peux plus vraiment me confier si facilement avec lui, que j'ai rencontré il y a à peine quelques jours. J'admire un instant le décor du Centre d'Entraînement défiler alors que nous passons le troisième étage.

- Oh, probablement jouer au légume en brandissant quelque chose de particulièrement pratique. Du genre, je sais pas, une chaise. Je lui souris de toutes mes dents. Et sûrement leur dévoiler mes talents cachés.

La porte s'ouvre. Je vois le petit salon où mon équipe est rassemblée pour manger. Ils ne semblent pas me remarquer. Et je dois avouer ne pas trouver la compagnie d'Ezea particulièrement désagréable. Certes, il y a ce sentiment chiant, mais au moins, je peux parler sans scènes de larmes ni conseils potentiellement fatals.

- Allez, j'annonce chaleureusement. Je t'accompagne jusqu'à ton étage. J'ai pas tout de suite envie de rentrer, de toute façon. On mange des champignons ce soir, je crois. Ceux du Capitole sont infects.

Spoiler:

through the same
secret door

Une telle promiscuité n'était peut-être pas la meilleure chose à instaurer si je désirais me débarrasser de Sagitta. Mais après tout, la tribut du Quatre était sympathique, et il ne me restait plus que quelques jours à vivre. Alors pourquoi aurais-je dû me montrer désagréable alors que je n'en éprouvais pas l'envie ? Et puis, ce n'était pas comme si nous étions alliés. Je partageais juste un trajet en ascenseur avec elle. Une dizaine de secondes, à peine. Ça n'avait rien d'alarmant. Surtout qu'ici, au moins, personne ne pouvait nous observer et jaser à notre sujet. Nous pouvions donc nous autoriser quelques boutades à l'utilité douteuse. La compagnie de cette adolescente était rafraîchissante et me faisait oublier – temporairement, du moins - l'atmosphère morbide qui régnait sur le centre d'entraînement depuis notre arrivée. C'est peut-être pour cela que je la côtoyais : pour qu'elle me distraie et m'apaise. Je préférais observer son sourire et sa nonchalance plutôt que les visages tantôt effrayés, tantôt vindicatifs des autres tributs. Je préférais écouter son rire cristallin et ses piques cyniques plutôt que les menaces sanglantes de mes adversaires. Sagitta était une sorte d'échappatoire. Était-ce un leurre que je m'infligeais ? Pire ; ce que je ressentais était-il réciproque ? Cette jeune fille me faisait-elle assez confiance pour ne pas se méfier de moi ? Tout était trop prématuré. Je ne la connaissais même pas, alors comment pouvais-je la considérer comme bénéfique ? Je me sentais idiot.

Sagitta, après avoir appuyé sur un bouton numéroté du chiffre « Quatre », me lança un regard amusé. « Oh si tu savais... Les concombres peuvent s'avérer absolument redoutables lorsque menacés. Regarde par toi-même ; absolument voraces comme créatures. » Elle m'indiqua des cicatrices que je n'avais pas encore remarquées et qui jalonnaient sa peau à plusieurs endroits. Il y en avait plusieurs sur ses bras. Ce n'était pas très joli, mais ça lui donnait un air un peu effrayant – et étant donné la taille peu imposante de cette jeune fille, ce n'était pas de trop. Oui, Sagitta était vraiment petite. C'était la première chose qui m'était venue à l'esprit quand mon regard avait croisé sa silhouette, lors du visionnage des Moissons. Elle ne me paraissait alors être âgée que d'une quinzaine d'années, et je n'avais pas misé cher sur sa survie dans les Jeux.

Je me rappelai alors de quelque chose qui aurait dû me heurter plus tôt. Sagitta s'était portée volontaire, à la moisson. Et ça aussi, ça m'avait choqué. Pourquoi donc avait-elle sciemment choisi d'aller à la mort, cette fille à l'allure d'enfant ? Il allait falloir que je lui en parle ultérieurement. Mais pour l'instant, j'étais trop occupé à reluquer ses cicatrice imparfaites. Je me dotai d'une expression faussement impressionnée et m'exclamai : « Ouh, je vois, madame est une guerrière. » Je me retins de rire en croisant son regard, et pour changer de conversation, je l'interrogeai sur l'évaluation du lendemain. C'était idiot de la questionner sur quelque chose que nous étions censés garder secret, mais c'était la première chose qui m'était venue à l'esprit. Alors que l'ascenseur nous propulsait dans les étages supérieurs, j'observai avec intérêt la créature qui me lorgnait comme si je faisais preuve d'un peu trop d'audace. « Oh, probablement jouer au légume en brandissant quelque chose de particulièrement pratique, me répondit-elle. Du genre, je sais pas, une chaise. Et sûrement leur dévoiler mes talents cachés. » Elle ne me révélerait donc rien. C'était une preuve d'intelligence, mais ça me frustrait légèrement. Je plissai les yeux en faisant mine d'être particulièrement sceptique. « Ah, parce que tu en as... ? Minaudai-je. J'me demande quels ils sont. Laisse-moi réfléchir, tu viens du district de la pêche... Euh, tu vas leur fabriquer des hameçons ? » Je pinçai les lèvres, amusé. Les hameçons étaient utiles, mais je doutais sincèrement qu'ils impressionnassent les Juges. D'ailleurs, cela me faisait songer qu'à la corne d'abondance, il allait impérativement falloir que j'en dérobe – si, du moins, il y avait du poisson dans l'arène. Et j'espérais sincèrement que ce soit le cas, car c'était mon unique source de nourriture assurée.

Avant que j'aie le temps de réagir, un petit tintement strident se fit entendre. L'ascenseur s'était arrêté en douceur, et les portes s'ouvraient désormais sur l'étage du District Quatre. Au loin, dans une salle-à-manger identique à la nôtre, je reconnus le co-tribut de Sagitta qui se sustentait aux côtés d'adultes qui devaient être ses mentors. Ma discussion avec la jeune fille avait été plus courte que je l'avais présagé. Je lançai un regard neutre à cette dernière, et cependant que je m'attendais à des aurevoirs polis, elle me lança : « Allez ! Je t'accompagne jusqu'à ton étage. J'ai pas tout de suite envie de rentrer, de toute façon. On mange des champignons ce soir, je crois. Ceux du Capitole sont infects. » Je ne pus m'empêcher d'écarquiller les yeux alors qu'elle appuyait sur un bouton pour refermer les portes de l'ascenseur. Étions-nous autorisés à faire cela ? Les tributs n'étaient pas censés être cordiaux les uns envers les autres. Sagitta était peut-être un peu trop aimable, mais cela ne me déplaisait pas. Bien au contraire.

« Tu sais que si quelqu'un nous voyait actuellement, lui dis-je avec un petit sourire, il penserait que nous sommes alliés. » J'appuyai sur un bouton frappé du chiffre « Onze » et l'ascenseur s'éleva à nouveau à travers les étages. Je fronçai les sourcils et m'adossai à l'une des parois transparentes de la cabine. Je doutais que ce que nous faisions allait nous être profitable, à l'avenir. Viha, ma seule et unique alliée mais aussi mon amie, portait un regard vénéneux sur la fille du Quatre. Et cela uniquement de ma faute. Je le confiai à Sagitta dans un murmure méditatif : « D'ailleurs, je crois que Viha, ma co-tribut, n'apprécie pas du tout notre bonne entente. »

through the same
secret door

« Désolée de te décevoir mon gars, mais à part en étant capable de modeler le métal à ma volonté, je vois pas comment je pourrais fabriquer un quelconque hameçon. Tu voudrais pas plutôt dire tisser un filet? C'est vachement plus pratique et facile, en tout cas. » Ah, oui, un filet. Dans le Quatre, ils devaient avoir les moyens d'en fabriquer en grand nombre, permettant ainsi la pêche en large quantité. Cette idée me laissait un goût âpre au fond de la gorge, mais bon. Je ne pouvais les blâmer ; après tout, la pêche était leur spécialité. Quoiqu'il en fut, dans le Onze, le chanvre était bien trop onéreux pour qu'on pût se permettre d'en acquérir pour la confection d'un filet. Quand j'allais au lac, je me contentais d'arracher un fil d'acier ou d'un quelconque autre matériau. Lors, je fabriquais un hameçon à l'aide d'une technique que j'avais expérimentée seul, puis je m'adonnais à la pêche, armé d'une canne que je renouvelais tous les deux ou trois mois. Ces outils ne me coûtaient rien du tout et étaient efficaces. Mais, bien évidemment, ils devaient paraître ridicules à Sagitta qui, elle, vivait dans l'un des districts les plus aisés de Panem. Je pris un air soucieux et répondis : « M'étonnerait qu'ils nous livrent un filet de pêche à la corne d'abondance. Ce serait trop facile. Sauf si c'est une arène où le poisson prolifère en abondance, mais bon, ce serait trop beau. Alors demain, si tu as le moindre talent de pêcheuse, renseigne-toi sur les hameçons, ça te sera utile. » Je ne lui avais pas dit pas cela avec prétention, mais je me doutais que sa nature acide la pousserait à me rembarrer. Pourtant, j'étais sincère et mes conseils – car c'en étaient ! - n'étaient pas si idiots, à la réflexion. Je me souvenais avoir aperçu des filets dans quelques éditions des Jeux, mais pas dans toutes.

Alors que l'ascenseur venait de nous faire prisonniers pour la seconde fois en moins d'une minute, je confiai à Sagitta les doutes que devaient avoir les autres tributs sur notre relation.
Ce à quoi elle réagit en prenant un air séducteur qui me donna envie de rire. « Pas faux. Quoi qu'avec notre disparition d'hier, je serais moins étonnée qu'ils nous prennent pour des amants éperdus. » Son regard aguicheur lui donnait un air tout à fait ridicule qui me fit hausser les sourcils. Je me dotai cependant du même sourire charmeur et, sans lâcher des yeux la tribut du Quatre, lui glissai : « Hmm hm. Intéressant. » Nous étions pathétiques. Dans quelques jours, nous allions devoir nous entretuer, et actuellement nous ne pensions qu'à faire semblant de flirter l'un avec l'autre. Cette situation, si désespérante fut-elle, me fit sourire. Un sujet moins léger vint néanmoins assombrir le flux de mes pensées. Viha. Qu'allait-elle penser de tout cela ? J'en parlai à Sagitta, et elle ne trouva rien de mieux à faire que d'éclater de rire. Je fronçai les sourcils. « Bah c'est son problème. Imagine, on est vraiment alliés, la tête qu'elle ferait ! » La tête de Viha si elle découvrait une telle chose ? Je ne préférais pas l'imaginer. Ma co-tribut et moi nous étions promis de ne rester qu'à deux dans l'arène. Et je supposais qu'elle interpréterait une alliance avec Sagitta comme une trahison. Quoique... Après tout, je savais que ce n'était que pour s'assurer ma protection que la jeune fille du Onze allait rester avec moi. Même si nous étions amis, son seul but était de gagner les Hunger Games. Alors je pouvais lui imposer mes conditions, non ? Mais avais-je réellement envie de m'alourdir du fardeau d'une autre alliée ? Cela avait ses avantages et ses inconvénients... Il fallait que j'y médite au calme, mais le visage délicat de Sagitta me faisait légèrement faiblir. « Tu penses sérieusement qu'on devrait s'allier, Sagitta ? La questionnai-je en adoptant un ton solennel. Enfin, j'veux dire ; c'est pas comme si on était des ennemis normaux. Et tu dois sans doute, comme tu l'as dit, avoir des talents cachés. A deux, on pourrait sans doute être très forts. » Je m'arrêtai. Il ne fallait pas qu'elle croie que je tombais sous son charme ou qu'elle avait toute ma confiance. Le leurre n'était pas permis dans notre relation. « Mais si, dans l'arène, je suis obligé de te tuer, je le ferai, lui assurai-je. Ne doute pas là-dessus. » Dans quel genre de situation étais-je en train de m'aventurer ? Jusqu'alors, je ne m'étais pourtant pas cru masochiste. Les choses semblaient avoir évolué.

through the same
secret door

Une alliance. Je venais de lui proposer une alliance. Quel genre de tribut étais-je ? Il me semblait oublier qui j'étais vraiment ; oublier toutes les promesses et les interdictions que je m'étais faites. Pourtant, le regard de Sagitta m'empêchait de réellement m'en vouloir. Elle semblait si sincère... Si humaine... J'avais besoin d'humanité. Même Viha, avec toute sa hargne et sa cruelle détermination, ne pouvait m'offrir cette dose de bonté que je recherchais désespérément chez l'être humain. Alors je me contentais de fixer le joli visage de Sagitta sans réagir. J'analysais ses traits qui, je le remarquais pour la première fois, étaient assez délicats. Elle n'était pas désagréable à regarder. C'était plutôt le contraire ; je ne pouvais m'arracher à la contemplation de sa peau et de sa chevelure d'ébène qui, sous l'éclairage de l'ascenseur, se teintait de reflets mordorés. Je m'arrêtai soudain. Qu'étais-je en train de faire ? Je détournai le regard, presque gêné. Sa voix, heureusement, m'indiqua qu'elle n'avait rien remarqué. « Bah... Ça pourrait être... envisageable. » Mince. Je crois que j'avais espéré une réponse négative. J'aurais espéré qu'elle me morigène, qu'elle me rappelle que nous allions tous être contraints de mourir... Mais non. Elle m'encourageait dans cet acte de déchéance que je lui avais proposé amicalement. Dans le but de me rassurer, je lui assurai cependant qu'une fois dans l'arène, je n'allais pas hésiter à la tuer si j'y étais contraint. Un rictus légèrement vexé déforma ses traits cependant qu'elle sifflait : « Oh, c'est si gentil, me voilà rassurée. » J'aurais voulu qu'elle pense réellement ce qu'elle venait de me dire. Ma précédente déclaration m'avait personnellement apaisé. Oui, j'étais capable de la tuer. Oui, j'allais pouvoir le faire. Mais alors pourquoi tentais-je de m'en persuader ? Sagitta, elle, semblait être frustrée par mes propos. Elle m'entraînait vers l'erreur. Je la détestais.

Une gêne palpable s'était emparée de nous. J'étais partagé entre l'incompréhension et la rage. Comment cette jeune fille pouvait-elle se permettre de me faire douter de moi même ? Ça me faisait paniquer. J'aurais voulu la quitter tout de suite, mais nous n'avions pas encore atteint le onzième niveau de l'immeuble. « De toute façon je ne peux pas trahir Aloysius. » Je compris instantanément qu'elle parlait de son co-tribut. Elle semblait être aussi proche de lui que je l'étais de Viha, voire davantage. Aujourd'hui, je les avais souvent aperçus ensemble. Et elle prévoyait donc d'en faire son unique allié, et de refuser ma proposition. Soit. Ç'aurait dû me combler, mais nonobstant, je ne pouvais m'empêcher de ressentir une sorte de frustration qui ne fut pas étanchée par l'arrivée de l'ascenseur au onzième étage. Je ne pouvais tout de même pas la quitter ainsi ! Le regard qu'elle m'adressait, subtil mélange de gêne et d'excuses informulées, faisait monter un étrange sentiment au creux de ma gorge. Quelque chose comme... Non. Allons, je ne pouvais être attendri par cette tribut ! C'était idiot. Mais pourtant, j'avais l'irrépressible envie de la serrer dans mes bras et d'enlacer son corps si frêle. Dans quel but ? Pour la consoler de quoi ? Je n'en savais rien. Mais cette moue contrite la rendait réellement mignonne, et ça me tuait. J'aurais amplement préféré qu'elle soit un laideron, ou du moins qu'elle soit dotée d'une carrure de bûcheronne à la retraite. Quoiqu'il en soit, j'avais envie de faire disparaître ce malaise qui nous rongeait. Plus le temps passait, et plus le besoin d'apaiser cette jeune fille montait en moi. Je finis par balayer mon silence d'un froncement de sourcil suivi d'un regard perçant. « Arrête de me regarder comme ça ! Tu es intelligente ; tu sais très bien qu'il n'y aura qu'un seul vainqueur. Et contrairement aux autres tributs, je ne te menace pas de mort. Je te propose une alliance, pour qu'on puisse essayer de survivre le plus longtemps possible dans l'arène en s'entraidant. Peut-être qu'un de nous deux peut gagner. On devrait essayer... » Ma voix s'était brisée dans ce qui semblait être une supplication, ou du moins une proposition réfléchie. Je m'apprêtais à poser ma main sur son épaule pour établir un contact décent entre nous quand soudain, je m'arrêtai. J'hésitai, mon regard plongé dans celui, fascinant, de Sagitta. Tout en elle respirait la fraîcheur, la délicatesse, la fragilité et l'inédit. Je ne la vis soudain plus comme une tribut, mais comme une simple adolescente.

Je devais me stopper tant qu'il en était encore temps. Une tension empreinte de douceur était en train de monter entre nous, qui était plus qu'amicale. Soudain, je me détournai vers la porte de l'ascenseur et lui assurai d'une voix déterminée : « Mais bon, après tout, tu as raison. Reste avec ton co-tribut, et je resterai avec Viha. Ce sera largement plus simple. Après tout, c'est ce que le Capitole veut que nous soyons, non ? Des ennemis. Merci de leur donner raison. » J'allais à nouveau la vexer, et ce serait mieux comme ça. Il ne devait rien y avoir entre Sagitta et moi. Nous étions des ennemis. Point. Avant de me décider à ouvrir la porte, je tournai une dernière fois mon visage vers Sagitta. « Bonne soirée, » lui dis-je d'une voix tranchante, sans oser vraiment la regarder de peur de flancher.