Il pleuvait à seaux lorsque Zoé ouvrit la porte de sa maison. Le tonnerre ne grondait plus depuis quelques temps, mais cela ne voulait pas dire qu'il allait arrêter de pleuvoir. La jeune femme hésita quelques instants sur le seuil, puis elle claqua la porte et se mit à courir. En moins d'une minute, son pantalon fut trempé et ses chaussures se remplirent d'eau. Heureusement, elle avait pris le blouson en cuir de Maxime. Il était trop grand pour elle, mais il la protégeait efficacement de la pluie et il avait une capuche. Zoé essayait d'éviter les flaques, mais ce n'était pas facile, surtout parce qu'elle surveillait les alentours en même temps. Pas qu'il y ait beaucoup de gens dehors par ce temps, mais elle ne voulait pas prendre le risque de se cogner à un pacificateur. Elle prit la direction de la forêt et ne s'arrêta qu'une fois qu'elle fut à la hauteur de la dernière rangée de maisons. Un coup d'oeil à droite puis à gauche lui apprit qu'il n'y avait personne dehors. La jeune femme connaissait les habitudes des pacificateurs qui patrouillaient toujours devant la forêt le soir, et elle savait qu'en ce moment ils étaient de l'autre coté, assez loin pour qu'ils ne la voient pas. Elle piqua un sprint. En deux temps trois mouvements, elle se hissa sur la clôture et se laissa tomber de l'autre coté. Cela faisait longtemps qu'il n'y avait plus d'électricité sur le fil, et les pacificateurs avaient été trop bêtes ou négligents pour le couvrir de barbelés. Sous les arbres, ce n'était pas mieux et Zoé devait tout le temps écarter ses cheveux trempés de son visage. Elle jura tout bas.

La journée avait bien commencé, mais vers midi, un des filets de pêche s'était déchiré. Le patron de Zoé n'avait pas été content, et il avait décidé qu'elle et une autre fille devraient rester plus longtemps pour le réparer. Une fois cette tâche ennuyeuse faite, elle s'était rendue en courant à la maison du maire. Elle aidait souvent sa mère à nettoyer et à cuisiner là-bas. Bien entendu, elle avait été en retard, et l'horrible femme du maire l'avait frappée au visage. Zoé avait dû se retenir très fort pour ne pas faire la même chose, elle s'était mordu la langue jusqu'au sang pour s'empêcher de lui hurler dessus, ce qui lui aurait au moins valu une dizaine de coups de fouet. Jusque 7 heures du soir, plus longtemps que d'habitude, Zoé avait nettoyé et astiqué et rangé les jouets des gosses gâtés du maire, qui étaient sans cesse venus la déranger. Après, elle avait été voir Théo. Ce n'était pas une obligation, plutôt un besoin, une envie de le voir, de lui parler... Avant de sonner à la maison des Smith, elle avait regardé son reflet dans une vitre et elle avait soupiré en voyant les noeuds dans ses cheveux et en sentant l'odeur de poisson, de sel et de désinfectant qui lui collait à la peau.Elle avait parlé avec Ellen , la mère de June. Cette dernière était justement partie faire des courses, mais les deux meilleures amies se verraient ce soir, pour pêcher en fraude. Et puis, Zoé préférait toujours être seule avec Théo, même si ça la rendait horriblement mal à l'aise.
Après une heure, Zoé était rentrée à la maison, où sa mère l'attendait avec un repas de poisson et de pain aux algues qu'elle engloutit en quelques minutes avant de partir.

Elle n'était pas loin de la plage quand il cessa enfin de pleuvoir. Elle soupira, regarda autour d'elle et se lança au petit trot sur le chemin sabloneux qui menait aux rochers et aux grottes. La grotte où June et elle -et avant elles leurs pères- pêchaient en fraude était bien cachée. Lorsque Zoé y arriva, elle siffla quelques notes. Un même sifflement lui répondit, de loin. Elle vérifia que son sac était bien fermé puis déplaça un petit rocher et prit la corde qu'il y avait en-dessous. Elle l'attacha à sa taille et se mit à descendre prudemment entre les rochers, dans ce trou dans le sol. Elle s'écorcha le genou dans sa hâte. Enfin, elle fut en bas. Comme chaque fois, la grotte l'émerveilla. Elle était petite, plus petite que la maison de Zoé, et pas très haute. Quand la mer était agitée, la grotte se trouvait parfois entièrement sous l'eau et elle devenait alors un piège dangereux. Pourtant, elle avait un avantage inestimable: on pouvait y pêcher sans être vu et les poissons adoraient venir se cacher entre les rochers mousseux dans l'ombre de la grotte. June était déjà là, assise sur une pierre. Elle avait déjà sorti le matériel de pêche. Zoé se laissa tomber à coté d'elle en souriant.

“ Salut June, comment ça va ?”