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 All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL

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MessageSujet: All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL   All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Icon_minitimeDim 29 Jan - 17:37

All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Tylerposey03-365cb52936


L'air ne trouvait plus mes poumons enflammés par mes respirations accélérées, provoquant une douleur insupportable au niveau de ma poitrine. Mon coeur frappait comme un déchaîné contre mes côtes, cherchant désespérément à sortir de son nid, à s'effondrer au sol et agonir jusqu'à son dernier battement. Jamais je n'avais ressenti autant de tristesse, de colère et de confusion. J'étais perdu. Plongé dans un trou noir, je tombais dans un puits sans fond dépourvu d'oxygène, dépourvu de tout espoir. Mes jambes avaient peine à supporter mon poids alors qu'ils effectuaient cette même course hâtive au travers des arbres fanés qui défilaient autour de moi. Je ne voulais pas m'arrêter. Je n'y parvenais pas. Tout ce qui le pouvais, c'était la fatigue, lorsque tout énergie ait déserté mon corps définitivement. Comment retrouverais-je mon chemin vers le district ? C'était le dernier de mes soucis. Je ne voulais plus y retourner. Je voulais fuir, trouver un baume à cette souffrance qui m'empêchait de respirer, de penser, de vivre. Je désirais m'enfoncer de plus en plus loin dans cette forêt triste et nostalgique, me perdre jusqu'à ne plus jamais retrouver la civilisation de Panem. Je ne voulais plus de ce gouvernement, je ne voulais plus souffrir par la perte d'un être cher, je voulais être en paix. Vivre seul, mourir seul... Jamais je ne retournerais là-bas.

♦ ♦ ♦

« Maël ! » interpella une voix qui se perdit dans les airs. Mais je parvins tout de même à l’intercepter de ma position, ce qui m'obligea à me relever. J'avais reconnu le ton pressé de mon frère aîné. Je me dirigeai d'un pas rapide vers la maisonnée où je croyais être la provenance de la voix et j'y retrouvai enfin Keagan à l'entrée de la maison. Je lui lançai un regard interrogateur alors que lui m'observait d'un air que je perçus comme anxieux. « C'est Ever. » Cette simple déclaration eu l'effet d'un coup de marteau sur mon crâne. Je me précipitai à l'intérieur, bousculant presque mon aîné sur mon chemin, trouvant la petite pièce qui nous servait de salon. Tout le monde était là, toute la famille. Lorsque j'entrai dans la pièce, leurs regards se posèrent instinctivement sur ma personne. Je n'en fis rien. Mes yeux se rivèrent aussitôt sur le téléviseur allumé où deux jeunes filles dans une forêt se faisaient face. Je demeurai debout sur mes deux jambes, serrant les poings de chaque côté de mon corps afin de contrôler mes tremblements. Le silence pesait dans la pièce alors que seules les voix des deux tributs dans l'arène se faisaient entendre. Ever. Ma plus fidèle amie, celle avec qui j'avais tout partagé, tout vécu. Elle se retrouvait face au tribut du onzième district. Malgré moi, j'avais suivi tous les évènements des Jeux, inquiet du sort de ma douce amie. Heureusement, elle était parvenue à survivre jusqu'à ce jour. Je craignais le pire... J'avais été témoin des agissements d'Alexiane et je craignais qu'Ever ne soit pas à la hauteur... Sentant mon anxiété s'amplifié, je pris finalement place sur le fauteuil où ma petite soeur, Marlene, était installée. J'assistai à tout. À leur brève conversation, à l'arrivée inopportune d'une mutation du Capitole, à la fuite d'Alexiane, le combat d'Ever contre l'Amazone... Son discours d'espoir... Et puis... Et puis... C'était la fin. Tout s'était écroulé autour de moi. Mon monde perdait de sa couleur, ne laissant qu'un goût fade et amer. Je quittai la pièce presque aussi précipitamment que j'étais arrivé et personne ne me retint. Ils ne se doutaient guère que je partirais sur un coup de tête, que je croyais n'avoir plus rien à perdre maintenant qu'Ever avait quitté ce monde.

♦ ♦ ♦

Je n'en pouvais plus. Mes pas ralentirent alors que mes poumons brûlaient à l'intérieur. Bientôt, mes genoux flanchèrent. Je demeurai un long moment au sol, apprivoisant cette douleur qui me lacérait le coeur. Mais rien ne m'apaisait. Je ne parvenais oas à libérer cette peine, ne faisant que subir cette atroce douleur dans ma poitrine. Aucune larme ne semblait vouloir être versée. Tout se bousculait dans ma tête... Diverses émotions contradictoires se succédaient, m'empêchant de voir clair sur mon propre état d'esprit. Je tentai de calmer ma respiration anormalement fébrile et, une fois atténuée, je me relevai tranquillement sur mes jambes flageolantes. Le paysage vacillait devant mes yeux. Je devins instable sur mes pieds et je titubai sur le côté, m'obligeant à m'appuyer sur un tronc d'arbre afin de garder mon équilibre. Je fermai durement les paupières, sentant mon pouls battre contre mes tempes. Je me tournai doucement vers l'arbre, compressant mon front sur l'écorce rugueuse. Les yeux clos, des images recommençaient à me hanter... L'image d'Ever assassiné... Une colère noire monta en moi et je serrai la mâchoire, tentant de la contenir. Mais je n'y parvenais plus. Un cri rauque exprimant toute ma souffrance fit vibrer mes cordes vocales alors que mon poing venait s'ancrer contre l'arbre à plusieurs reprises. Jusqu'à ce que la douleur soit plus forte que mon coeur en agonis...
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MessageSujet: Re: All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL   All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Icon_minitimeLun 30 Jan - 22:30

All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Tumblr_lxghl0AdgC1r5ruse

    Ça s'est passé à des centaines, peut-être des milliers de kilomètres de-là. Cet endroit n'existe peut-être même pas, cela peut très bien être un... un monde parallèle dans lequel ils se retrouvent en hallucinations, et par je ne sais trop quel moyen on peut voir ce qu'ils croient y vivre. Peut-être ne meurent-ils même pas, simplement le fait-on croire. Qui sait s'ils ne se réveillent pas tous dans un lit d'hôpital à la blancheur effrayante de perfection, leur corps dénué de la moindre souffrance, leur esprit simplement embrouillé ? Ou plutôt leur esprit hanté pour toujours par des visions et des cauchemars. Cette solution est peut-être pire. Au fond, le gagnant est certainement celui qui souffre le plus dans l'histoire. Le seul à devoir vivre avec la culpabilité face à ses gestes et aux regards des proches de ses victimes. Le seul à subir la haine des autres et de soi-même, la célébrité étouffante et tout ce qui va avec. Le seul à survivre, avec certes, la gloire et la richesse, mais surtout le seul à être devenu un autre, et sans doute pas celui qu’il voulait devenir.

    Mais il ne sert à rien d’y penser. Je ne connais même pas cette fille. Tout ce que je sais d’elle, je l’ai vu dans ce fichu reportage sur les derniers survivants. Elle ne m’a pas laissé d’impression particulière, je ne me suis pas retrouvée en elle, je ne lui ai pas accordé plus d’importance qu’à tous les autres. Pourquoi sa mort m’affecte tant ? Pourquoi leur mort, à tous, m’affecte tant ? Pourquoi, chaque fois que ce fichu canon retentit, j’ai l’impression que mon cœur cède, qu’à tout instant il va me lâcher, que le canon va de nouveau retentir, et cette fois pour moi ? C’est une sensation terrifiante, et incompréhensible. Qui s’intensifie chaque fois que le nombre de tributs diminue. Comme si mon cœur n’attendait que la victoire pour accélérer soudainement, pour saluer le grand gagnant, tellement plus courageux et méritant que moi, et m’abandonner soudain. Misérable et méprisable.

    La forêt est belle et claire aujourd’hui. Le vert des arbres est si lumineux qu’il en paraît irréel. Irréel dans un sens où l’on voit bien que ce n’est pas l’homme qui l’a créé, pas comme toutes ces affreuses perruques, teintures et vêtements verts que portent les gens du capitole. Ce vert-là, c’est la nature dans toute sa splendeur, sa magnificence. Sa gloire. L’odeur des pins me remonte un peu le moral, j’ai presque l’impression que mon cœur recommence à battre à un rythme normal. Mon souffle est calme et mesuré, je n’ai jamais été très bonne à la course mais je suis capable de marcher sur de longues distances sans m’essouffler. Mes pas me conduisent là où je veux aller sans que j’aie besoin de les guider. Là où je vais quand j’ai besoin d’une solitude plus profonde que celle que m’offre la bibliothèque, à la frontière de mon monde. Seule la forêt est capable de m’offrir l’isolement dont j’ai besoin, ses clairières aux airs de contes de fées le jour et de sacrifices maudits la nuit, ses ruisseaux tumultueux et délicieusement bruyants, ses rayons de soleil réconfortants dessinant mon ombre sur le sol parsemé de feuilles. Je parviens sans mal à destination, les pacificateurs ne trainent jamais dans le coin. Il n’y a ici personne à traquer, ni chasseurs ni gibiers. Tout ce qu’on y trouve c’est le silence, quelques arbres clairsemés et un vieux grillage qui fait peine à voir. Il a beau être plutôt haut, n’importe quel gamin sachant un tant soit peu grimper aux arbres serait capable de passer au-dessus. L’endroit n’est pas particulièrement beau et agréable, je préfère quand les arbres sont plus grands, plus forts, plus majestueux, mais c’est l’endroit le plus tranquille du district et en été il y fait presque bon d’y vivre. Je grimpe avec facilité en haut d’un charme doté de nombreuses branches pour me glisser sur la plus solide du frêle pin qui borde le grillage. Je m’adosse au tronc, les jambes remontées contre moi. La position n’est pas très confortable, et mon équilibre est pour le moins instable, mais j’ai une vue imprenable sur le district 10. Il n’y a rien d’intéressant à y voir. Mais ce district, c’est comme un autre monde. Quelque chose de différent. Il a beau se trouver à quelques centimètres de moi, il me paraît aussi lointain que…

    Il semble sur le point de s’évanouir, à bout de souffle, le teint rougi par l’effort. Effort est sans doute un faible mot pour décrire ce qu’il vient de vivre. Il parvient encore à faire quelques pas avant de s’écrouler au sol. Je n’avais jamais vu le moindre habitant ici auparavant. Je fronce les sourcils, m’efforçant de me cacher au mieux derrière les quelques branches du pin. Deux choses m’agacent profondément. Tout d’abord, le fait que je sois incapable de me mettre à l’abri sans risquer d’attirer son attention, alors que ce garçon est certainement un fou furieux au bord de la crise de nerfs. Qui s’est certainement imaginé poursuivi par les démons de son passé. Et ensuite, la certitude que je le connais. Je ne supporte pas que ma mémoire me fasse défaut, car ça n’arrive que rarement. Pendant ce qui me semble une éternité, je m’efforce de me rappeler où j’ai bien pu voir ce garçon du 10, qui a déjà la carrure d’un homme. Ce n’est pas un habitant du 7, ni un du Capitole, ni un pacificateur, ni un tribut. Ce n’est que lorsqu’il se relève, titube de nouveau et parvient à rester sur ses pieds en s’appuyant à un arbre à moins de deux mètres de moi que je le reconnais. Il s’appelle Maël. C’est le meilleur ami d’Ever, la fille qui s’est fait tuer aujourd’hui, qui m’a conduit ici involontairement. Je l’ai vue dans le reportage sur les derniers tributs, je m’en suis même rappelée tout à l’heure. Je me mords la lèvre, soudainement prise de compassion, sentiment que je ne ressens que rarement. Si déjà moi j’ai l’impression que mon cœur s’arrête en la voyant mourir, qu’en est-il de lui, qui l’a connue toute sa vie ? Il se met à hurler, d’une voix presque gutturale, en tapant de son poing contre l’hêtre qui me fait face. Je me surprends à frissonner. Que suis-je censée faire ? Le rejoindre, pour l’empêcher de se briser les doigts, au risque de me faire moi-même briser la nuque ? Après tout, il semble complètement… dément. Lui hurler d’arrêter ? Essayer de le réconforter ? Je ne le connais même pas. Peut-être la meilleure chose à faire est-elle de partir, aussi discrètement que possible, pour…

    -Tu sais, ce n’est pas en hurlant à la mort, en évacuant ta colère sur ce pauvre arbre ou en ameutant tous les pacificateurs du coin que tu pourras la faire revenir. Ni même la rejoindre.
    Les mots se sont échappés, et je ne saurai dire si je les regrette. Etrangement, mon ton était dénué de sarcasme. C’était une simple… constatation. Mêlée de compassion. Avec un peu de chance, il ne l’aura même pas entendu, perdu dans sa folie. Dans sa colère, sa haine et son chagrin, dans son émotion et son envie de vengeance. De sang.

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MessageSujet: Re: All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL   All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Icon_minitimeDim 4 Mar - 16:14

All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Tylerposey03-365cb52936

Pourquoi étais-je si bouleversé cette fois-ci? Il ne s'agissait certainement pas de la première fois que les Jeux de la Faim m'enlevait un ami, de la famille, quelqu'un de chère à mes yeux. J'avais déjà été victime de cette barbarie imposée par Snow et j'avais souffert, je ne le niais guère. La première fois, mon cousin, Ephraim, avait été pigé. Étant une famille unie, nous nous côtoyons beaucoup à l'époque alors que je venais tout juste d'avoir dix ans. C'était la première année que je compris réellement l'impact des Hunger Games sur le monde. La toute première fois que je me sentie touché par eux. Suite à cette perte, je m'édifiai un masque, n'arrivant pas à concevoir qu'un membre de ma propre famille avait péri une lance lui transperçant l'abdomen. De visionner ce meurtre au travers d'un écran vitre rendant la chose encore plus irréelle. J'étais conscient de ce dont j'avais été témoin, mais ma tête n'arrivait pas à procéder l'information, m'empêchant de ressentir véritablement ma douleur. Et ensuite, l'année qui suivit le décès de mon cousin, ce fut le tour d'un de mes plus proches amis. Cette fois, je devais avouer que le chagrin me frappa de plein fouet et que je souffris davantage que l'année précédente. Et maintenant... Maintenant c'était le tour d'Ever. Peut-être était-ce simplement l'accumulation de désarroi et de colère qui me faisait réagir aussi fortement à sa mort ou encore le fait que nous avions été beaucoup plus que de simples amis à une époque, mais ma tête bouillait, mon coeur explosait. Je ne voyais plus clair, j'avais enfreint les règles du District en franchissant la limite de la forêt, en m'enfonçant profondément entre les arbres. Jamais je ne m'étais aventuré aussi loin... Jamais je n'avais enfreint la moindre loi! Et me voilà, dévasté et rageur, contre un tronc d'arbre qui se colorait peu à peu de mon sang. J'étais aveuglé par mes émotions, par ce flot de douleur qui lacérait chaque parcelle de mon être. Mon poing s'enfonçait à répétition contre l'écorce robuste, sentant mes phalanges craquées, se fissurées. Une brûlure m'enflammait la peau et malgré tout, je ne pouvais arrêter mon geste tant et aussi longtemps que cette douleur psychologique, émotionnelle, ne disparaissait pas.

Je croyais être seul. Je m'étais moi-même isolé du monde extérieur, un Pacificateur pourrait se pointer que jamais je ne le remarquerais. Mais quelqu'un m'avait rejoint. Et c'était sa voix qui surplomba le son rythmé de mon poing contre l'arbre qui m'éveilla au monde extérieur. « Tu sais, ce n’est pas en hurlant à la mort, en évacuant ta colère sur ce pauvre arbre ou en ameutant tous les pacificateurs du coin que tu pourras la faire revenir. Ni même la rejoindre. » Cette détonation me fit automatiquement sursauter, me décalant légèrement de mon arbre. Ma main demeura tout de même appuyée contre celui-ci, ignorant si mes jambes supporteraient encore longtemps mon poids alors que je me sentais toujours aussi faible. Mon regard scruta les environs à la recherche de la source de cette voix, mais je ne distinguai rien à mon niveau. Je levai les yeux vers le ciel et je l'aperçus. Une jeune femme aux cheveux doré, tout là-haut perchée sur une branche. En premier lieu, mes sourcils se froncèrent légèrement, ma respiration s'étant de nouveau affolée. Qui était-elle? Que faisait-elle en haut d'un arbre? Elle m'observait? Une fois ma surprise légèrement atténuée, je pus ensuite analyser les paroles qu'elle m'avait adressé. Elle me faisait des reproches? Savait-elle réellement pourquoi je hurlais et me mutilais ou prenait-elle un plaisir malsain à se mêler des affaires d'autrui? Je me renfrogna sur moi-même et abaissa mon regard, comme pour lui démontrer que sa présence m'importunait. « Si tu pouvais te mêler de ce qui te regarde, ce serait apprécié. » Les mots m'avaient échappé. Qui était cet homme qui avait pris possession de mon corps? Tout ça ne me ressemblait pas. Les crises de larmes, les hurlements de désespoir, les paroles haineuses, la mutilation. Mon poing était demeuré serré, ne parvenant plus à dérouler mes doigts. Le regard bas, j'observai ma main ensanglanté alors que la douleur devenait vive. Je grimaçai à cette constatation et me sentit soudainement... stupide. Ce n'était pas moi. Je n'avais jamais été aussi impulsif. Et maintenant que je m'étais en quelque sorte éveillé à la réalité, je sentis une fatigue immense m'envahir. Toute cette agitation avait drainé mon énergie. J'élevai brièvement un regard vers l'inconnue là-haut, sans chercher à comprendre de quoi j'avais l'air ou à qui j'avait affaire. « Je suis désolé.. » D'un mouvement lasse, je m'adossai à l'arbre et me laissai glisser jusqu'à ce que je puisse m'asseoir au sol. Et sans bouger, je désirais me fondre dans la nature. Je voulais tout simplement rester là, dans l'herbe, et attendre que les journées passent.
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MessageSujet: Re: All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL   All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Icon_minitimeMar 6 Mar - 15:09

All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Tumblr_lxghl0AdgC1r5ruse

    Il sursaute. Il paraît tellement jeune. Tellement fragile, prisonnier de son désespoir. C'est étrange comme la souffrance peut révéler la vraie nature des gens. Mes mots interrompent son automutilation. La main sanglante, les jambes tremblantes, il me cherche des yeux. Me trouve, perchée dans mon arbre. Nos regards se croisent, et j'ai l'impression que ses grands yeux sombres m'invitent dans ses pensées. Ses expressions, sa respiration, tout permet d'accentuer la transparence de ses opinions. J'ai l'impression d'être entrée dans son esprit et de réfléchir au même rythme que lui. De lire ses questions, l'avis qu'il se forge sur moi. Il est encore perdu dans son monde. Et contrairement à toutes ces personnes à qui l'on parle à longueur de journée, il ne cache pas ses sentiments. Il n'en a peut-être même pas conscience. Il finit par détourner le regard, et je cligne des yeux quelques secondes, surprise. J'ai envie de m'y replonger. C'est tellement rare qu'une personne offre ses pensées d'une manière aussi vraie. Aussi claire.
    -Si tu pouvais te mêler de ce qui te regarde, ce serait apprécié.
    J'esquisse un sourire triste. Il a raison. Je n'ai rien à faire ici. Sa douleur ne m'appartient pas, je n'ai pas le droit de troubler sa solitude. J'ai envie de lui parler. Lui expliquer que je suis incapable de comprendre ce qu'il vit, que je n'ai aucun droit de comparer mon passé à sa souffrance présente. Mais que je suis consciente que souvent, on a beau se montrer haineux envers les autres et chercher à être seul, on se sent abandonné si il n'y pas quelqu'un pour s'occuper de nous. Que je ne connais personne qui soit capable de se confronter à soi-même sans l'aide d'un autre. J'ai envie de lui dire autre chose aussi. Quelque chose de plus simple. Que je ne peux tout simplement pas le laisser là, la main en sang. Le coeur sur le point d'exploser d'être tant malmené. Ce serait non-assistance à personne en danger, et surtout, ce serait lâche. Je le suis déjà bien trop souvent.
    Je ne dis rien. Je n'en ai pas le droit. Il observe sa main blessée, et une grimace déforme quelques secondes les traits de son visage. Alors qu'il lève les yeux vers moi, je remarque que la lueur de folie dans ses yeux s'est ternie. C'est peut-être pire, de voir ces iris sans chaleur et sans vie. Il paraît presque à l'agonie, écrasé par le poids de la fatigue.
    -Je suis désolé... dit-il d'une voix aussi éteinte que son regard, en s'asseyant à terre, dos à son arbre.

    Je ferme les yeux, et blottis ma tête entre mes genoux. Mes bras entourent mes jambes, comme dans un geste protecteur contre le monde extérieur. Contre ce monde qui nous détruit tous de l'intérieur. J'ai mal à la tête. J'aimerais m'endormir sur cet arbre, faire comme ce Maël, rester contre mon arbre, et laisser le temps passé. Regarder les feuilles émeraude bruisser sous la brise d'été, le ciel se teinter de couleurs chaudes avant l'arrivée de la nuit froide, les fruits rouges conquérir le vert des buissons. Je me redresse brusquement, les yeux fixés sur les premières framboises qui mûrissent sous un arbre proche. Mon subconscient est allé plus vite que mes pensées. J'ai pensé fruits rouges, j'ai réagi. Pourquoi ? Je fronce les sourcils, sans perdre du regard le rose gourmand des fruits. Bon. Réfléchissons. Framboise. Qu'est-ce qu'on associe à framboise ? Nourriture. Manger. Manger, pour vivre, pour être en forme. Nourriture gourmande. Pour réconforter. Qui serais-je susceptible de réconforter ? Maël. Mais ce n'est pas en lui donnant des framboises qu'il va repartir en forme vers son district et enterrer le souvenir d'Ever sous les racines d'un arbre. Dans les livres, comme dans la vraie vie, que font les gens pour réconforter une personne venant de perdre un être proche ? Il lui racontent des débilités sentimentales. "Il sera toujours présent, toujours avec nous. Il est là dans notre coeur. Elle pense à nous, là où elle est maintenant. Sois fort pour elle." Et à part ça ? Ils le prennent dans leurs bras. S'efforcent de lui changer les idées en faisant une activité divertissante. Lui donnent du chocolat. Chocolat ? Nourriture gourmande. Framboise. C'est l'association d'idées la plus ridicule que je n'aie jamais eu. Je quitte le pin pour revenir sur le charme qui m'a permis de monter là-haut, et saute à terre rapidement. Ma jupe s'envole brièvement, et je prend pour la première fois conscience de ma tenue. Une blouse blanche et légère rentrée dans une jupe plissée. L'uniforme parfait pour faire bonne impression lorsqu'on travaille dans une bibliothèque, mais pas l'idéal pour une course dans les bois. Je n'ai pas eu le temps de me changer, étant partie sur un coup de tête. Bah. Quelle importance ? Sans plus me préoccuper de ma tenue, je me précipite vers les framboises. Elles ne sont pas encore très mures. Je regarde autour de moi, et repère plus loin quelques myrtilles. Je tourne la tête vers Maël, toujours contre son arbre. Il ne risque pas de partir bien loin vu son état, mais je lui lance au cas où :
    -Je reviens tout de suite !
    Les myrtilles sont violettes à souhait. Je lève les yeux vers les arbres qui m'entourent, trouve celui qu'il me faut, et grimpe sur les premières branches en quelques mouvements rapides. Je lui arrache une grande feuille. Elle fera l'affaire pour servir de sac. Je me précipite vers les myrtilles.

    Je suis plus excitée qu'un feu follet. Je m'efforce de ne pas trop m'éloigner, à la recherche des précieux fruits rouges. Airelles, cassis, mûres, groseilles, fraises, je cours, tournoie, remplis des feuilles. Cinq minutes se sont écoulées et je repars, cinq sachets de fortune à la main. Comme fermer des feuilles est une mission plutôt difficile, à chacun de mes pas tombent quelques petites baies. Je baisse les yeux vers le sol, tourne la tête et découvre la traînée gourmande qui serpente entre les hauts arbres. Le paysage est digne d'un conte de fées, avec les frondaisons au vert éclatant, les doux rayons de soleil qui caressent l'écorce des arbres et la myriade de petits points colorés qui rompt la monotonie de la terre. Suis-je la fée de ce conte ? Je ne peux m'empêcher de rire à cette idée saugrenue et continue mon chemin. Lorsque je retrouve le grillage il ne me reste que la moitié de ma cueillette. Maël est toujours là. En même temps, je vois mal comment il aurait pu en être autrement. Je m'approche du grillage, et profite d'un trou au bas de celui-ci pour glisser mes feuilles dans la zone du district 10. Puis j'observe la grille. N'importe qui pourrait sans mal grimper dessus. Enfin, n'importe qui ayant plus de 3 ans, moins de 70, et avec ses quatre membres en état de marche. Il dépasse à peine les deux mètres, mais paraît tellement fragile que j'ai peur qu'il cède sous mon poids. Et si quelqu'un tombe dessus, on comprendrait que des gens sont passés par là, la zone serait plus protégée, et bla et bla et bla, je peux dire adieu à mon coin de tranquillité. Le pin sur lequel j'étais perchée tout à l'heure est le plus proche du grillage. J'y grimpe derechef, fronce les sourcils devant le manque de solidité des branches, finit par m'avancer sur l'une d'elles, et saute au moment opportun. Evidemment, j’atterris de... la manière la plus gracieuse qui soit dirons-nous, manquant me fouler la cheville au passage. Après avoir rétabli mon équilibre, je prends soudainement conscience de deux choses. La première, c'est que je suis dans un autre district que le mien. Je suis une hors-la-loi. C'est une sensation plutôt excitante. La seconde, c'est que je me comporte comme une gamine aujourd'hui. Je cueille des framboises, je grimpe aux arbres, je me ridiculise. Ce n'est pas moi, et c'est agréablement plaisant.

    Je vais récupérer les feuilles, m'efforce de leur donner une apparence aussi présentable que possible, et finis par m'asseoir face à Maël. J'ai envie de l'aider. Je ne sais pas pourquoi. C'est peut-être ce "Je suis désolé". C'est tellement rare que les gens soient désolés. Ou du moins qu'ils l'avouent. C'est peut-être le fait que la mort d'Ever m'ait moi aussi affectée. C'est peut-être l'envie de retrouver ces grands yeux sombres. Je lui tends les sacs de fortune, un sourire un peu gêné aux lèvres, en disant :
    -Tiens. Ce sont des fruits des bois du district 7. Ils ne doivent pas être bien différents du 10, mais ils peuvent délier la langue des personnes qui ressentent le besoin de parler.
    Mais quelle manière habile de lui donner confiance en moi ! Décidément, je suis en forme aujourd'hui vue la subtilité de mes paroles.


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MessageSujet: Re: All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL   All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Icon_minitimeJeu 8 Mar - 15:50

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Si je pouvais simplement demeurer assis au pied de cet arbre et me laisser mourir de faim et de chagrin, je l'aurais fait. L'envie était présente et même indéniable. Je ne voyais plus aucune raison de bouger, plus aucune raison de continuer à vivre si le Capitole continuait de m'arracher, année après année, tous ceux qui m'étaient chers. Pour la première fois depuis ma naissance, je ressentis une colère sans merci envers la capitale et son Président. Si j'écoutais plus attentivement cette pulsion, peut-être commencerais-je à avoir des idées rebelles qui fleuriront dans mon esprit. Mais j'étais un habitant beaucoup trop passif pour rejoindre la supposée Rébellion qui se propageait dans les districts... Je me connaissais que trop bien et même si l'idée me traversait l'esprit aujourd'hui, je savais que demain je n'en aurais plus le courage. Et voilà un trait de ma personne qui m'exaspérait. J'étais incapable de tenir tête à qui que ce soit. Je ne possédais aucune force psychologique, aucune envie de faire du mal... C'était contre ma nature, je n'y parvenais tout simplement pas. Désespéré, je fixai longuement le vide, là-bas au loin, entre les feuillages verdoyants. Je n'avais plus aucune envie de bouger le moindre muscle, de prononcer le moindre mot. Et malgré ma transe, j'étais reconnaissant que l'inconnue perchée dans son arbre ne tente rien pour me réconforter ou m'aider. Elle demeurait tout aussi silencieuse que moi, peut-être était-elle aussi plongée dans ses songes, je ne pouvais l'apercevoir de ma position, mais j'étais soulagé de croire que j'avais un moment de répit. Un moment seul, c'était tout ce dont j'avais besoin. Un moment de pur égoïsme pendant lequel je pouvais m'apitoyer sur mon sort sans qu'on me le reproche. J'ignorais comment m'en sortir cette fois-ci... J'ignorais comment resurgir de cette peine et demeurer fort et confiant comme toutes ces fois passées où je dus faire face à la mort. Ever... Comment pourrais-je vivre sans elle? Comment pourrais-je même concevoir de poursuivre ma vie sans sa présence à mes côtés? J'avais toujours cru que l'on vivrait vieux, l'un avec l'autre... Jamais je n'aurais pu m'attendre à ce qu'elle soit envoyée dans cette arène où elle fut... trahie... et assassinée. Je sentis les larmes emplir rapidement mes yeux à ses sombres pensées et je ne pus les retenir de déferler librement le long de mon visage ravagé par la tristesse. D'un mouvement lent, je rapprochai mes jambes de mon corps, les entourant de mes bras. J'enfouis mon menton entre mes genoux alors que j'étouffais tant bien que mal ces sanglots qui m'étranglait la gorge.

Un mouvement attira malgré moi mon regard alors que j'avais presque oublié que je n'étais pas seul dans ces bois. La jeune blondinette avait sauté de son arbre et arpentait à présent les divers buissons qui l'entouraient. Mon regard se fronça à cette vision, ne percevant qu'une gamine à la recherche d'un spécimen rare entre les hautes herbes. Une gamine qui jouait. Dans un autre contexte, peut-être aurais-je été amusé de son attitude, mais à cet instant, je ne fus qu'agacé. Je détournai les yeux, retrouvant mon point invisible au loin. « Je reviens tout de suite ! » Je me fichais un peu qu'elle revienne ou non, ce qu'elle pouvait bien fabriquée de son côté du grillage, et pour être honnête, je préférerais qu'elle ne revienne pas. Ignorant sa présence qui s'éloignait de plus en plus de moi, je serrai un peu plus mes jambes contre ma poitrine alors que je prenais une grande respiration. Ma main trouva le chemin de mon visage afin de balayer quelques larmes de mes joues, mais je ne ressentis qu'une douleur vive apparaître de ce geste. Les traits crispés, mes yeux observèrent aussitôt mes phalanges rougies et meurtries par mes coups sur le tronc d'arbre. Je les observai d'un air désolé, espérant n'avoir rien de cassé. D'un mouvement lent, je tentai de bouger mes doigts afin de constater les dommages. Chaque effort était un véritable défi. Ma main était plus douloureuse que jamais et le sang encore frais me donnait la nausée. J'abandonnai rapidement mon analyse et me repositionnai entre mes genoux, observant toujours l'horizon. J'avais enfin le sentiment et l'espoir d'être seul, laissé à moi-même, car c'était tout ce dont j'avais envie à ce moment précis. Toutefois, aussi fort soit ce désir de solitude, j'entendis des pas s'approcher...

Elle était revenue. Contre toutes mes prières, elle avait retrouvé le chemin vers la bordure du district, là où je me trouvais toujours. Peut-être aurais-je dû bouger afin qu'elle ne me retrouve pas... Il était pourtant trop tard. Borné à ne pas l'observer, je ne voyais qu'une image floue du coin de l'oeil. Elle avait glissé quelque chose sous la haute clôture et s'était elle-même faufilée de l'autre côté en grimpant de nouveau à la cime d'un arbre. Elle m'avait rejoint, au District Dix. Malgré mon entêtement, je devais avoué qu'elle possédais un certain courage de quitter son District ainsi. Si elle se faisait prendre, les conséquences pouvaient être terribles... Elle récupéra ce qu'elle avait glissé sous le grillage et me rejoint presque en gambadant de joie. Ce qui ne fit qu'accroître mon agacement. Elle s'installa tout juste en face de moi, directement devant mon point mire. Je détournai aussitôt le regard, obstiné à ne pas poser les yeux sur elle. « Tiens. Ce sont des fruits des bois du district 7. Ils ne doivent pas être bien différents du 10, mais ils peuvent délier la langue des personnes qui ressentent le besoin de parler. » Des fruits? Malgré moi, je ne pus m'empêcher de jeter un oeil sur ses paquets improvisés qui débordaient de baies de toutes les couleurs. Elle était allée cueillir des fruits... pour moi? J'en étais tout simplement sans voix. Je ne parvenais pas à comprendre sa motivation, si elle le faisait seulement par gentillesse, par pitié ou parce qu'elle avait une idée derrière la tête. Finalement, mon regard trouva le sien et j'affichai un air qui exprimait autant ma surprise que mon incompréhension et mon doute. « Pourquoi? Pourquoi faire tout ça pour un inconnu? » Je n'avais guère le coeur à me confier à qui que ce soit ou de tout simplement jaser nonchalamment, mais cette jeune femme commençait sérieusement à attiser ma curiosité. Les gens des Districts étaient généralement plutôt aimable à mon égard, mais je n'avais jamais eu de contact aussi direct avec un habitant d'un District voisin. C'était une première pour moi. Et je devais avouer que j'en étais légèrement déboussolé... J'étais plutôt du genre naïf, mais pas pour le moins stupide. Son intérêt envers ma personne m'intriguait et j'aurais bien aimé savoir le fond de sa pensée.
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MessageSujet: Re: All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL   All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Icon_minitimeSam 10 Mar - 17:55

All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Tumblr_lxghl0AdgC1r5ruse

    Ses yeux se posent quelques secondes sur ma cueillette, sans qu'il daigne pour autant croiser mon regard. Au fond, je n'y accorde guère d'importance. Je suis habituée à ce que l'on m'ignore. Non, ignorer n'est pas le mot. Plutôt à ce qu'après plusieurs tentatives de conversation, on soit persuadé que je ne mérite pas grand intérêt. Je ne pense que ce soit le cas ici. Nous avons à peine échangé quelques phrases. Je manque simplement d'intérêt parce qu'il n'en trouve plus à quoi que ce soit. Le plus important, c'est qu'il sache que je suis là. Qu'il ait conscience de ma présence. Il a beau être certain que seule la solitude peut l'aider, je me dois de rester ici. Il a besoin de moi. Non, c'est faux. Il a besoin de quelqu'un. Et je dois être la seule humaine disponible dans un rayon d'un kilomètre. Je retiens un soupir, et baisse à mon tour les yeux sur les fruits des bois. Ce que j'aimerais, c'est en faire de la confiture. Sur une brioche bien chaude, tout juste sortie du four. Sucrée comme il faut. Mes parents en achètent pour les occasions spéciales, et lorsque j'étais petite, j'y avais droit tous les Dimanches. Ma grand-mère se chargeait de la confiture. A vrai dire, je ne sais pas en faire, mais j'en ai envie. La cuisine est bien loin d'être une activité pour laquelle je me révèle douée -je ne sais pas faire grand chose de mes dix doigts- mais j'aime les couleurs, les senteurs. Mais la nourriture n'est pas particulièrement diversifiée ici, les couleurs peu gourmandes et les senteurs trop estompées pour y trouver le moindre appétit. Je lève les yeux vers Maël. Et croise son regard. Tiens. Je me demande s'il mange souvent de la brioche. D'après ce que j'ai vu du reportage, sa famille n'a pas l'air particulièrement aisée. Mais sait-on jamais. Il semble surpris, méfiant même. Et ses paroles appuient son expression :
    -Pourquoi ? Pourquoi faire tout ça pour un inconnu ?
    Je ne peux m'empêcher de hausser un sourcil, et de répliquer aussitôt avec un étonnement égal au sien :
    -Tout ça ? Il ne faut pas exagérer. J'ai ramassé trois myrtilles et franchi un grillage, je ne viens pas de ress... te sauver d'une mort certaine ou quoi que ce soit.
    C'est à mon tour de détourner le regard. Je me mords la lèvre. J'ai failli dire "ressusciter ta copine". Quel manque de tact. Non, pire que ça. Ce n'aurait pas simplement été peu diplomate, ça aurait été... cruel. Je me prends de passion pour une violette de Damas. Tellement frêle, tellement claire. Aussi fragile que la confiance en ce bas-monde. Et si je veux que Maël me fasse un tant soit peu confiance, je ferais mieux d'enfermer au fin fond de mes pensées toutes les allusions mesquines susceptibles de me venir en tête. Pourquoi est-ce que je veux qu'il me fasse confiance en fait ? Pourquoi est-ce que de nouvelles interrogations viennent sans cesse m’embarrasser, non, me tourmenter ? Je devrais cesser de me poser des questions, et me contenter d'observer cette pauvre fleur en attendant de trouver quelque chose à dire.

    Une violette de Damas. Son nom est paradoxal au vu de son apparence. Il paraît tellement noble, surtout prononcé avec l'accent du Capitole. A vrai dire, ce pourrait tout à fait être celui d'une hôtesse des Hunger Games. Violette de Damas. Si mes souvenirs sont bons, j'ai lu quelque part que le "de" placé devant un nom était signe d'appartenance à l'aristocratie il y a des centaines d'années, et que Damas était la capitale d'un pays lointain nommé... Comment déjà ? Ah oui. Syrie. Un pays arabe. Les pays arabes exercent une fascination sans pareille sur ma personne. J'ai dévoré tous les romans de type Mille et une Nuits, quoi qu'il soit vrai que beaucoup d'entre eux sont plutôt d'origine indienne. Qui ne préfère pas s'évader dans l'univers d'Aladin ou d'Ali Baba, plein de magie, d'oiseaux mystiques, de cavernes secrètes et de richesses insoupçonnées, plutôt qu'affronter le monde réel ? Ceux qui ne connaissent pas les contes, c'est vrai. Maël ne les connaît sans doute pas. Non seulement on ne lit pas souvent dans les districts, mais en plus on ne trouve presque nulle part des livres aussi anciens. Je quitte du regard ma violette en prenant conscience que je n'ai toujours pas répondu à sa question. Je ne sais pas quoi dire. Je préférerai parler de lampes merveilleuses et de tapis volants, ou à limite de nobles princesses portant des noms de fleurs, plutôt que devoir inventer un mensonge pour expliquer mon comportement. J'arrache un brin d'herbe et commence à le tortiller nerveusement. Et puis au fond, pourquoi ne pas lui dire la vérité ? Il n'en mourra pas. De toute manière, il est déjà à moitié mort.
    -Je vais être sincère. Profites-en, parce que ça n'arrive pas souvent que les gens disent le fond de leurs pensées.
    Je plante mon regard dans le sien et continue d'un air aussi tranquille que possible, avec un sourire désolé :
    -Je n'ai aucune idée de la raison qui me pousse à faire "tout ça" comme tu dis. C'est vrai que tu n'es pas exactement un inconnu pour moi. Enfin, je ne t'avais jamais rencontré auparavant, mais je sais qui tu es. Et... et les raisons de... ta souffrance. On aura plus tendance à aider quelqu'un si on sait qui il est et quel est son mal. Même si on aura beau ignorer comment le guérir.
    De nouveaux brins d'herbe viennent rejoindre ma main et je commence à les tresser entre eux, à la recherche des mots. Sans trouver la force de continuer à le regarder.
    -Tu sais, je suis loin d'être quelqu'un de courageux. T'avoir rejoint de ce côté du district, c'est tout sauf une preuve de grandeur d'âme, de bravoure ou je ne sais trop quoi. Je viens souvent ici, et je sais qu'il n'y a jamais personne. S'il y avait eu un risque de se faire surprendre je... je ne sais pas si je t'aurais rejoint. Je suis quelqu'un de très égoïste. J'aimerais aider les autres si je le pouvais mais... je suis incapable de m'en donner les moyens s'il y a un choix à faire. Un choix qui pourrait présenter une menace pour ma petite personne, achevé-je avec un sourire dépité.

    Je tourne la tête vers le grillage. Je ne pense pas être capable de retourner dans mon district par le même chemin que celui emprunté pour l'aller. Il faudra que je longe le grillage jusqu'à trouver un arbre suffisamment proche et solide pour rentrer sans risquer de me fouler la cheville une nouvelle fois. Encore cette notion de risque. Et pourquoi est-ce que je veux déjà repartir ? Je m'imagine quoi, qu'en deux temps trois mouvements j'aurai accompli ma mission d'ange gardien et convaincu Maël de reprendre sa petite vie comme si rien n'était arrivé ? C'est ridicule. Je suis ridicule. J'aurais beau passer toute la journée à essayer de le réconforter, il y a de fortes chances que dès que je l'aurais perdu de vue il revienne sur sa décision et préfère rester contre son arbre à se laisser mourir de faim. L'idéal serait que je le raccompagne jusqu'à son village mais, évidemment, ça présente un de ces fichus risques. Je ne suis pas ridicule en fait. Je suis navrante. Pitoyable. Affligeante. Lamentable. Détestable. Je plains ce pauvre Maël d'être tombé sur moi. Je risque de faire pire que mieux. Je soupire et prends la décision de me présenter. Après tout, quitte à devoir m'occuper de lui, ou plutôt gâcher le moins possible sa vie, autant qu'il sache à qui il a affaire. Pour mieux se méfier ensuite.
    -Je m'appelle Lena. Enchantée de te rencontrer Maël, dis-je en tendant la main dans un geste des plus civilisés pour serrer la sienne.
    C'est lorsque mes yeux se posent sur cette dernière que je prends conscience de l'état dans lequel elle est. Je me mords la lèvre, et tends précipitamment le bras. Je saisis sa main avec autant de douceur que possible, sans lui en demander le droit. Comme je l'aurais fait si ça avait été un proche blessé. Mes doigts doivent paraître gelés sur sa peau chaude et ensanglantée. Je caresse brièvement une de ses phalanges, me demandant si elle est cassée. Je ne suis pas médecin, et mes connaissances sont bien maigres sur le sujet. Au moins, la vue du sang ne m'effraie pas. Je propose d'une voix hésitante :
    -Il faudrait sans doute nettoyer ta main pour... mieux voir si tu as quelque chose. Tu ne saurais pas s'il y a un ruisseau dans le coin ?
    Je l'interroge du regard, avant de parcourir des yeux la forêt, comme si une source d'eau allait apparaître comme par magie. J'aurais bien besoin d'une lampe merveilleuse en cet instant. Je souris à Maël à cette idée, quoi qu'il ne doive pas en comprendre la raison au vu de la situation. Je n'ai pas lâché sa main.
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MessageSujet: Re: All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL   All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Icon_minitimeLun 19 Mar - 3:47

All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Tylerposey03-365cb52936

La curiosité ne m'avait jamais pourri la vie. Je demeurais quelqu'un de plutôt terre-à-terre et de solitaire et ce que les autres pouvaient bien faire ne m'intriguaient guère. Je ne m'étais jamais vraiment questionné sur la vie dans les autres Districts, sur les autres habitants de Panem, ce qui poussaient certains à se rebeller ou à devenir Pacificateurs. Chacun avait son propre parcours, son propre bagage, et je ne cherchais pas à en savoir plus. Toutefois, malgré cette absence de curiosité, je me surprenais à être intéressé par ce personnage qui était venu à ma rencontre. Quelles étaient les chances que je puisse croiser un habitant d'un autre District dans un endroit aussi particulier que les bois? Et quelles étaient les chances que cette même personne soit touchée par ma condition? Pas que je considère l'être humain comme insensible et égoïste - malgré qu'il pouvait l'être -, mais il était surprenant de constater que quelqu'un s'en souciait. Qu'avait-elle à gagner après tout? Rien, mis à part la reconnaissance d'un simple gamin brisé de l'intérieur. Et comme j'étais las de cette vie... Je n'y voyais que du noir, que du malheur, comment pourrais-je considérer qu'une âme charitable venait apposer un baume sur ma peine pour le simple intérêt d'aider son prochain? Je n'y croyais pas. Je doutais même. Et puis, il était plutôt rare dans le dixième District de voir des habitants donnés gratuitement de la nourriture aux plus démunis. En fait, nous étions tous démunis, mis à part les Pacificateurs et ceux habitant à l'hôtel de ville. Non qu'ils étaient égoïstes et sans merci, mais tous préféraient s'occuper de sa propre famille avant tout et, comme la nourriture ne se faisait pas abondante par chez moi, nous n'avions pas le luxe d'en offrir à ceux qui ne pouvaient s'en procurer. Généralement, il fallait troquer ou payer en retour d'un de ces sacs de baies. Peut-être qu'au Sept, les baies étaient chose fréquente et qu'il était tout naturel de cueillir pour les autres, sans rien demander en retour, je n'en savais rien. La pauvreté des Districts ne permettait pas d'être aussi généreux... « Tout ça ? Il ne faut pas exagérer. J'ai ramassé trois myrtilles et franchi un grillage, je ne viens pas de ress... te sauver d'une mort certaine ou quoi que ce soit. » Peut-être ne m'avait-elle pas sauver de la mort, mais c'était déjà beaucoup à mes yeux. Certes, sauter au-dessus d'un grillage n'avait rien de particulier, mais si on considérait qu'il s'agissait d'un crime de quitter son District clandestinement et que l'on pourrait y perdre la vie, ce geste devenait beaucoup plus téméraire. Jamais je ne pourrais faire preuve d'autant de courage... J'étais faible et tellement seule. Alors oui, pour moi, tout ça, c'était déjà trop.

Alors qu'elle détournait le regard, je ne pouvais m'empêcher de l'observer, de regarder plus attentivement chacun de ses traits. Elle semblait si jeune. Et pourtant, quelque chose me disait que je n'étais pas plus vieux qu'elle. Ses yeux étaient grands et d'un bleu éclatant, me paraissant si purs et si honnêtes. Sa chevelure dorée se fonderait comme charme dans les champs de blé du vieux Phillips à l'est du District Dix. Elle était menue, très menue, me laissant présager que les conditions au Sept n'étaient pas bien supérieurs de celles du Dix. Elle n'avait rien de menaçant, bien au contraire, elle semblait sincère et authentique. Alors pourquoi m'intriguait-elle autant? Pourquoi doutais-je de sa personne? Mon esprit était brouillé par mon chagrin, par ma soudaine envie de me rebeller contre le Capitole et ses Jeux barbares. Je venais à me méfier de tout, même de ce qu'il y avait de plus inoffensif. Sans rien ajouter à son explication, je demeurai muet et songeur. Je n'étais pas satisfait de sa réponse, ma curiosité n'était toujours pas assouvie, mais je ne cherchais pas à provoquer. Si elle ne désirait pas me divulguer les raisons de sa présence, je ne pouvais lui tordre le bras pour qu'elle se plie à ma requête. Le menton toujours bien enfoncé entre mes genoux, je quittai enfin la jeune femme du regard et me perdit presque dans mes songes, retrouvant ces pensées sombres et déprimantes qui hantaient mon esprit depuis peu. Toutefois, alors que le silence perdurait, elle décida de se manifester de nouveau. « Je vais être sincère. Profites-en, parce que ça n'arrive pas souvent que les gens disent le fond de leurs pensées. » Mon regard se fronça alors que je retrouvais ses yeux électrisants. Certes, les gens préféraient mentir que de dire la vérité. Que cherchait-elle à me dire? « Je n'ai aucune idée de la raison qui me pousse à faire "tout ça" comme tu dis. C'est vrai que tu n'es pas exactement un inconnu pour moi. Enfin, je ne t'avais jamais rencontré auparavant, mais je sais qui tu es. Et... et les raisons de... ta souffrance. On aura plus tendance à aider quelqu'un si on sait qui il est et quel est son mal. Même si on aura beau ignorer comment le guérir. » Je deviens soudainement inquiet. Je la toisais avec un peu plus d'intensité, cherchant dans ma mémoire si son visage me disait quelque chose. J'avais beau fouillé, je n'arrivais pas à trouver la moindre familiarité. Comment pouvait-elle me connaître? Et pourquoi supposé qu'elle connaissait mon mal? Je cherchais, je cherchais... Et la vérité me frappa de plein fouet. Les Jeux. Mon visage n'était pas inconnu aux habitants de Panem, car il avait paru lors de quelques entrevus effectuées par le Capitole! Il m'avait mis en premier plan, me montrant comme le petit ami d'Ever, son premier amour qui devra vivre avec sa mort. Bien sûr qu'elle me connaissait. Elle avait vu comme tous combien je pouvais tenir à ma meilleure amie, combien je pouvais être affecté par son départ. Je devins subitement honteux. J'abaissai le regard, déglutissant difficilement. Je fixais à présent ses mains qui tordaient quelques brins d'herbes directement arrachés du sol. C'était une chose de souffrir en silence, mais c'en était une autre de constater que le monde entier était au parfum. Je dus faire de grands efforts afin de ne pas laisser transparaître cette peine qui poignardait mon coeur à chaque battement. « Tu sais, je suis loin d'être quelqu'un de courageux. T'avoir rejoint de ce côté du district, c'est tout sauf une preuve de grandeur d'âme, de bravoure ou je ne sais trop quoi. Je viens souvent ici, et je sais qu'il n'y a jamais personne. S'il y avait eu un risque de se faire surprendre je... je ne sais pas si je t'aurais rejoint. Je suis quelqu'un de très égoïste. J'aimerais aider les autres si je le pouvais mais... je suis incapable de m'en donner les moyens s'il y a un choix à faire. Un choix qui pourrait présenter une menace pour ma petite personne. » Elle avait tord. Elle me montrait exactement le contraire de ce qu'elle disait. Elle possédait un certain courage, je le voyais bien, mais elle ne semblait pas s'en rendre compte. Et c'était dommage, car de reconnaître cette force pourrait être un grand atout dans ce monde de fous. Pendant un instant, je crus qu'elle parlait de ma propre personne. Cette tendance à toujours faire les choix selon ce qui était le plus prudent, éviter tous les dangers. « Tu as cette envie d'aider ton prochain, mais c'est comme si quelqu'un ou quelque chose t'empêchait de le faire. Une voix dans ta tête qui te dictait quoi faire, que ça ne servait à rien d'aider si tu devais sacrifier ta propre vie. C'est frustrant... » Les mots m'avaient échappé. Ça semblait si bête à mes oreilles et je préférai me taire. Oui, c'était si frustrant de ne pas avoir le courage de se lever et tenir tête au monde. On se sentait tellement petit, tellement impuissant et inutile. Me raclant la gorge, je scellai mes lèvres et serrai un peu plus mes jambes contre ma poitrine.

Mon regard avait de nouveau fui. Je cherchais à disparaître, à me fondre dans le sol et me laisser engloutir par la terre. Mais je demeurais à la surface, avec ma honte et mon chagrin. « Je m'appelle Lena. Enchantée de te rencontrer Maël. » J'aperçus sa main s'élever en ma direction, mais elle arrêta soudain son geste. Je n'eus pas la chance de la serrer, car elle sembla porter une attention particulier à ma main blessée. Elle tendit le bras et, malgré ma réticence et mon désir de solitude toujours présente, je la laissai la prendre. D'une délicatesse infinie, elle saisit ma main et l'observa d'un air perplexe. Non, ça n'avait rien de rassurant, je devais l'avouer. Je retins une grimace de déformer mes traits, sentant toujours une douleur vive au moindre mouvement. Je craignais le pire, mais je n'avais pas envie de bouger, ni de subir l'interrogatoire de mon frère ou de mes parents. Et de toute manière, cette souffrance n'était rien comparativement à ce que je pouvais ressentir à l'intérieur. « Il faudrait sans doute nettoyer ta main pour... mieux voir si tu as quelque chose. Tu ne saurais pas s'il y a un ruisseau dans le coin ? » Je haussai distraitement les épaules, ne m'en souciant guère. Je me fichais un peu de savoir ce que j'avais bien pu infliger à mes phalanges, je pourrais certainement m'en occuper plus tard. « J'en sais rien, c'est la première fois que je m'aventure aussi loin... » dis-je d'un ton indifférent. Je n'avais jamais atteint la limite du District, donc je ne pouvais répondre convenablement à sa question. Mes épaules s'élevèrent de nouveau alors que j'affichais un air résolu. « Je m'en occuperai plus tard, ce n'est pas grave. »
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MessageSujet: Re: All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL   All I feel is black or white ▬ LENA&MAËL Icon_minitimeMer 25 Avr - 13:15

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    J'ai honte. Honte. Je hais cette émotion. Et pourtant, elle est presque synonyme de ma personne. J'ai honte de ne pas avoir aussi souvent honte de moi que je le devrais. Dans le même temps, c'est honteux que j'ai parfois honte de moi. Plutôt qu'être honteuse de celle que je suis, je ferais mieux de chercher à améliorer mon comportement honteux. L'utilisation démesurée que je fais des dérivés de honte est tout aussi honteuse. Et il est honteux que je pense bêtement à la honte plutôt qu'essayer de la chasser de mon corps. Cette façon de penser est à vrai dire plutôt ridicule. Et honteuse. La chasser de mon corps ? Aussi loin que remontent mes souvenirs, je ne pense pas avoir déjà eu des capacités d'exorciste. Je suis supposée faire quoi ? Trouver de l'eau bénite et m'en asperger, tout en entamant une litanie en latin ? Je pourrais demander à Maël de jouer le rôle du prêtre. Je suis totalement malade. Plutôt que me purger de la honte qui se répand dans mes veines, je ferais mieux de détruire les germes de la folie dans mon esprit. J'ai honte de penser à des choses aussi... dérisoires. Comme quoi, je reviens toujours au point de départ. Honte, honte, honte, j'ai honte. Honte de ce que j'ai dit à Maël. Quelle idée de raconter ma vie à un inconnu. Ça ne me ressemble pas. Et en plus d'être honteuse de ce que j'ai dit, je suis honteuse d'être ce que j'ai dit être à Maël. A savoir, quelqu'un incapable de quoi que ce soit si l'acte est dangereux. J'ai tellement honte. Honte. Émotion maudite, sors de ce corps.
    -Tu as cette envie d'aider ton prochain, mais c'est comme si quelqu'un ou quelque chose t'empêchait de le faire. Une voix dans ta tête qui te dictait quoi faire, que ça ne servait à rien d'aider si tu devais sacrifier ta propre vie. C'est frustrant...
    Il toussote avant de remonter ses jambes contre sa poitrine. A moins que je sois la dernière des imbéciles, il semble présenter tous les symptômes de quelqu'un de gêné. A croire que le démon de la honte ne m'a pas choisi comme seule et unique victime. Je ne réponds pas à ses paroles. C'est inutile. Nous n'avons plus besoin de mots pour le comprendre. Lui et moi ne sommes pas bien différents. Aussi désolants l'un que l'autre. Nous sommes de ces gens qui, témoins dans l'ombre d'un crime ou d'un acte barbare, resteraient dans la protection de l'obscurité plutôt que faire preuve de courage et tenter d'inverser la situation. Voilà que j'ai honte pour nous deux maintenant. Nous devrions former une secte. La secte des adorateurs de la Lâcheté. Je ne doute pas qu'ils seraient nombreux à venir nous rejoindre. Peut-être que lui et moi ferions d'excellents gourous, de vrais exemples dans le genre, mais j'ai conscience que nous ne sommes pas les seuls à montrer un certain talent pour... la bassesse.

    Les minutes passent. Désespérantes. Lourdes. Je les occupe à m'interroger sur la honte et la couardise, lui doit avoir replongé dans sa sombre mélancolie. Replongé. Noyé. Sauvé ? Suis-je supposée faire quelque chose, plutôt que philosopher avec moi-même ? Sans doute. Je n'ai pas d'excuse pour ne pas réagir. Aucun danger ne me menace, aucune raison ne me pousse à prier la Lâcheté. Il faut que je dise quelque chose. Quelque chose d'encourageant, de réconfortant, de... vivifiant. Quelque chose prometteur d'un futur moins sombre. Réfléchis Lena. Tu as des neurones, prouve-le. Quelque chose d'exhortant, d'animant, de stimulant...
    -Je m'appelle Lena. Enchantée de te rencontrer Maël.
    Bravo Lena. Ma première réaction est d'avoir honte de moi. Ça faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé tiens. La seconde est de me dire que j'ai quand même quelques neurones d'actif. Se présenter, c'est un bon moyen de lancer une conversation non ? Je tends donc la main comme n'importe qui de sensé le ferait. Sauf que quelqu'un de sensé ne serait pas suffisamment bête pour avoir oublié que la main qu'il compte serrer est... hors-service dirons-nous. Honte, le grand retour. Je me saisis de sa main aussi doucement que possible -ou plutôt je me précipite sur elle en essayant de cacher mon affolement sous des dehors attentionnés- et m'efforce de faire un léger diagnostic. Comme je m'appelle Lena Grant et que mon prénom est synonyme de Honte et non de Médecin Inné, c'est aussi inutile que si j'avais voulu guérir sa tristesse d'un coup de baie magique (ce que j'ai tenté). Je me contente donc de lui demander s'il n'aurait pas vu un ruisseau dans le coin, de manière à pouvoir donner meilleure allure à sa blessure. Bête comme je suis, j'oublie encore un élément important. Ce pauvre garçon a du courir à travers bois pendant peut-être des heures, aveuglé par son chagrin et sa colère. Sa préoccupation principale n'a sans doute pas été "Essayons de repérer les ruisseaux au cas où je me perdrais, comme ça je ne mourrai pas de soif en chemin ! Mieux encore, si j'ai la soudaine envie de m'automutiler et que je croise quelqu'un qui veut m'aider, il pourra ainsi nettoyer ma plaie sans problème vu que je saurai où le conduire." Je me demande sincèrement pourquoi les gens continuent de dire que je suis une fille intelligente.
    -J'en sais rien, c'est la première fois que je m'aventure aussi loin... déclare-t-il en haussant les épaules. Je m'en occuperai plus tard, ce n'est pas grave.
    J'hésite quelques secondes, puis montre à mon tour mon indifférence par un soulèvement d'épaules. Je ne vais pas le forcer à marcher pendant sans doute un long moment s'il n'en a pas envie. Et puis, je le comprends. Tant que ses doigts sont cachés derrière leur couche de sang, on ne peut pas voir exactement dans quel état ils sont. C'est comme ces femmes qui s'efforcent de masquer leur laideur derrière des fards et des couleurs. On ne peut pas voiler éternellement la vérité. Mais dans le cas de Maël, dans notre cas, plus longtemps on se tiendra éloignés de la réalité, mieux on se portera.

    Je m'efforce de trouver quelque chose à dire. Le silence ne m'a jamais trop gêné, mais j'ai un besoin irrépressible de le combler. Là, maintenant, tout de suite. Que pourrais-je raconter ? Il connaît mon prénom, sait que je suis une imbécile finie, et sa future co-gourou. Que suis-je supposée ajouter ? Je pioche dans ses baies, quoique c'est très impoli. La saveur douce et sucrée des myrtilles me ravit quelques secondes, avant de me remettre les idées en place. Ce n'est pas très impoli, c'est simplement grossier. Indécent. Honteux.
    -Je... Excuse-moi pour... mon manque de politesse. Mais... j'ai faim. dis-je avec un petit sourire désolé. Tu ne veux pas les goûter ? J'ai peur que si tu ne manges rien, tu finisses par t'évanouir. Et dans ce cas-là, ce ne sera pas seulement une question "d'impossibilité à aider son prochain", mais un problème de poids. Je serai incapable de te ramener à ton district, même en te traînant tout le long du chemin.
    J'esquisse une grimace dramatique avant de lui tendre quelques framboises.
    -Alors ?
    Ma discourtoisie aura au moins eu le mérite de lancer un sujet de conversation. Ridicule et sans intérêt, mais un sujet de conversation. Mes neurones, décidément très peu développées, sont heureusement en état de marche.


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