Elle tira une nouvelle bouffée sur sa cigarette. Les pieds sur la table de jardin, assise sur la terrasse en bois de sa maison elle contemplait la ville en contrebas. Elle aimait cette période de l’année, quand les jours s’allongeaient et que la température commençait à augmenter. Ce n’était qu’un plaisir de courte durée, bientôt les jeux arriveraient apportant avec eux les cris et les pleurs, la douleur et la mort. Elle soupira longuement. Plus que quelques semaines à présent et elle ferrait une nouvelle fois ses bagages pour le Capitol. Elle enfilerait son costume de mentor et jouerait le jeu des sourires forcés et des manipulations. Elle verrait surement mourir ses tributs et rentrerait avec deux cercueils, une année comme une autre. Elle écrasa sa cigarette dans le cendrier en inox déjà bien rempli de mégots.

Silk n’avait pas grand-chose à faire de ses journées. À vrai dire, elle passait la plupart du temps à noircir carnet sur carnet de stratégies pour les jeux ou de pensées diverses. Quand elle était suffisamment sobre ou qu’elle avait envie de sortir de son lit. Durant les premières années suivant sa victoire, elle avait tenté de se trouver une activité pour s’occuper, elle n’était pas douée en couture, ni en dessin, pas plus en musique. Elle n’était bonne qu’à une chose et le Capitol l’avait bien compris.

Elle alluma une nouvelle cigarette et s’apprêtait à rentrer quand des voix attirèrent son attention sur le chemin en contrebas. Il n’y avait jamais personne dans le village des vainqueurs et elle ne recevait quasiment aucune visite. S’il s’agissait d’enfants un peu trop curieux, ils se feraient bien vite attraper par un pacificateur, si c’était des voleurs, ils risquaient d’être déçus du voyage. Les autres maisons ne renfermaient aucune richesse, rien d’autre que des meubles prenant la poussière depuis des années. Curieuse, elle jeta un coup d’œil par-dessus la rambarde. Elle haussa en sourcil interrogateur à la vue d’Adonis accompagner d’un homme qu’elle n’avait encore jamais vu. Elle resta ainsi quelques instants, fumant sa cigarette et tentant de capter des bribes de conversation. L’homme envisageait de rester dans une des maisons du village ? Elle était pourtant sûre de ne pas avoir entendu parler d’un vainqueur d’un autre district qui viendrait s’installer ici. L’homme n’avait pas l’air d’en être un non plus, elle ne le reconnaissait pas, mais certains des vainqueurs avaient choisi une autre voix que celle du mentorat. Il avait certainement le physique adéquat, mais sa manière de se déplacer et de se comporter n’avait rien de celle d’une personne qui aurait mis ne serait-ce qu’un orteil dans l’arène. À vrai dire, son accent était celui du Capitol.


« Je pense que vous voudriez vérifier qu’il n’y a personne dans ces logements, non ? Vous allez avoir besoin de vos deux mains pour cela, si vous deviez tirer sur quelqu’un. »

Un sourire moqueur étira ses lèvres à l’idée de voir Adonis jouer les gardes du corps pour un homme du Capitol. Malgré son attachement au régime, elle pouvait tout à fait imaginer à quel point la situation devait lui déplaire.

« Vous savez, il n’y a que moi ici et je ne mords que quand on me provoque. »

Elle jeta sa cigarette et descendit rapidement les marches de son perron pour rejoindre les deux hommes. Elle était sûre à présent que l’inconnu venait du Capitol, un coup d’œil à ses vêtements neufs et bien taillés était suffisant pour s’en rendre compte. Elle baissa les yeux sur son short en jean usé et sa chemise trop grande pour elle et pensa rapidement à aller se changer avant d'y renoncer. Sa curiosité commençait vraiment à la titiller et elle jeta un coup d’œil interrogatif à la mine sombre d’Adonis avant de lui faire un clin d’œil discret. Elle tendit la main vers l’homme, souriant chaudement.

« Je m’appelle Silk. Bienvenue au district 8. »

Le dos droit et un sourire figé sur ses lèvres, elle venait de passer en mode Capitol. La Silk charmante et docile qui plaisait tant aux habitants de la grande ville.
Elle fronça cependant les sourcils en voyant la petite coupure sur la joue du Capitolien. D’une main douce, elle lui pivota légèrement le visage afin de contempler de plus près la blessure.


« Comment vous êtes fait çà ? Le soldat Nightsprings n’a même pas réussi à vous protéger d’une branche d’arbre ? »

Aux côtés du styliste, le Pacificateur avança calmement jusqu'au Village des Vainqueurs, bagages en mains. Il avait prit soin d'éviter les endroits quelque peu mal fréquentés. L'incident avec le gamin et ses pierres ne devaient absolument pas se reproduire. De plus, Adonis avait peur que Raphaël ressorte son appareil photo. Une image peut faire bien plus de dégâts qu'un simple caillou. Cela pourrait ruiner la carrière d'Adonis tout comme celle de Raphaël. Le Gouvernement pourrait leurs faire bien pire que les virer, après tout. Transformés en Muets, servant le Capitol et ses habitants. Ou bien être exécutés. Offrir l'exécution en spectacle morbide pour les habitants, peut-être. Ils serviraient d'exemple. Bien sur, on ne dirait pas le pourquoi du comment. On resterait évasif. Mais on les exécuterait sûrement en rebelles. Et c'était impensable pour le Pacificateur d'être assimilé aux rebelles. Il avait travaillé trop dur pour que toutes ces années de dur labeur soit réduit en cendres pour une poignée de clichés. Malgré le fait qu'il marchait aux côtés de Raphaël pour le protéger, il en serrait les dents de rage, affichant un visage dur et énervé. Finalement, ils arrivèrent au Village des Vainqueurs. Adonis avait l'habitude de passer par-là. C'était à lui que l'on demandait le plus souvent de faire des rondes dans ce secteur. Il le connaissait comme sa poche. Et il connaissait la maison de Silk bien mieux encore. Il y avait passé tellement de temps... Et puis, il aimait ce coin. C'était calme, tranquille. Les enfants ne venaient pas s'amuser ici. Preston leurs faisait un peu peur. Elle incarnait quelque chose qu'ils avaient du mal à cerner, à comprendre et à assimiler. Les parents aussi avaient en quelque sorte peur d'elle. La plupart pensait qu'elle n'était que la prostituée du Capitol, prête à rapporter tous les faits et gestes d'une personne qui pourrait s'avérer être rebelle. Elle n'était pas comme ça. Et elle prenait soin de chacun des habitants du District 8 mieux que n'importe qui. Tant mieux que les gens la craignaient, au moins, ils la laissaient tranquille. Et cette place aussi. Une vague de sérénité l'envahit au moment même où il pénétra les lieux. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Il était détendu. Il blâmait la femme qui habitait les lieux, pour ça.

Adonis cligna plusieurs fois des yeux avant de s'apercevoir que Raphaël Pheles était face à lui, mains tendues, attendant patiemment de pouvoir récupérer ses affaires. Le Pacificateur secoua vivement la tête pour se ressaisir avant de faire la transition :

«  - Hmm oui, désolé. Nous sommes arrivés. Voici le Village des Vainqueurs. ».

L'homme qui jouait les gardes du corps rapprochés haussa un sourcil. Personne ne se baladait ici, personne n'oserait de toute façon. Personne n'entrerait dans l'une des maisons. Elles étaient inhabitées. Des maisons fantômes, attendant avec impatience qu'un jeune habitant du District 8 gagne de nouveau les Jeux. Il n'y avait rien à voler dans ces maisons sagement alignées. Rien, à part la poussière. Elle s'accumulait lentement. Doucement. Sûrement. Adonis finit par lever les yeux au ciel en soupirant à son tour. Il attrapa la lampe torche qui était accrochée à sa ceinture de sécurité grâce à un mousqueton et sortit son baretta de son étui. Son arme pointée sur la porte d'entrée, il positionna la lampe torche juste au-dessous pour s'en servir d'appui. Le Pacificateur était prêt à entrer dans la maison comme on le lui avait apprit lors des opérations quand une voix féminine s'éleva. Il fit la moue puis grimaça avant de finalement rentrer son arme à feu et raccrocher sa lampe torche :

«  - T'aurais pas pu le dire avant ? Ça m'aurait évité de passer pour un imbécile. Même si je sais que tu adores me voir couvert de ridicule... ».

Blasé, Adonis se retourna pour observer Silk. Elle descendit les escaliers de sa petite terrasse et les rejoignit. Il esquissa un bref sourire. C'était toujours agréable de la voir, même si souvent, leurs discussions se terminaient en pugilat. Ou en combat singulier. Le Pacificateur jeta un bref regard sur les vêtements de Preston, s'attardant bien évidemment sur le short qu'elle portait, dévoilant parfaitement ses formes. Malgré les affaires qu'elle portait, son visage était figé en un rictus qu'il avait vu peu souvent. Ce sourire, elle le lui avait montré quelques fois, mais c'était uniquement pour se moquer des gens du Capitol ou de la femme de son amant. Ce sourire n 'était pas naturel, et il le savait. C'était drôle, de voir la Silk Preston made in Capitol. Cela la changeait totalement. Comme si son short se transformait en somptueuse robe à paillettes. Comme si ses cheveux ébouriffés et mal coiffés se relevaient en chignon. Comme si ses vieilles chaussures devenaient escarpins. Adonis finit par croiser les bras. Il aurait tout le temps de se foutre de sa gueule et de se venger de ses petites remarques narquoises. Il tourna la tête en se raclant la gorge :

«  - Monsieur Pheles m'a assuré que ce n'était rien... ».

Le Pacificateur regarda le styliste droit dans les yeux, insistant.

«  - Mais il faut tout de même nettoyer ça... ».

Adonis décroisa les bras, un peu plus détendu que quelques minutes plutôt. C'était impressionnant cette façon qu'elle avait de le mettre à l'aise, de le changer totalement. Il ne paraissait plus froid ou distant. Il faisait parti d'un tout, lorsqu'elle était là. Il ne savait comment l'expliquer, mais elle avait ce pouvoir. Un pouvoir qu'il aurait bien bridé...

«  - Monsieur Pheles, je vais vous accompagner à l'intérieur, nous verrons s'il n'y a pas de quoi désinfecter tout ça. Vous pourrez vous reposer. Si vous le voulez bien, j'utiliserais la ligne de la maison que vous occuperez pour appeler la mairie et prévenir que vous logerez ici. ».

Le Pacificateur soupira. Il détestait d'avance ce qu'il allait dire, surtout devant Silk, mais c'était son travail. C'était son devoir de Pacificateur de demander cela. Il s'en mordait presque la langue...

«  - Auriez-vous besoin que je m'installe dans votre maison pour votre sécurité, ou dans l'une des maisons à côté ? Je sais que Mademoiselle Preston serait ravie de monter la garde devant chez vous, mais je doute que cela soit suffisant... ».

Oui, il regrettait déjà d'avoir demandé ça. Mais, le devoir avant tout... Adonis jeta un regard noir à Silk, un regard qu'il espérait qui l'empêcherait de parler...

Bien sûr qu’elle adorait voir Adonis dans une situation comme celle-ci. Jouer les commandos dans une maison vide pour assurer la sois disant sécurité d’un touriste du Capitol qui ne craignait au final pas grand-chose. Il n’y avait pas beaucoup de moyens de se divertir dans ce trou. Voir Adonis humilié faisait partie de ses préférés, en seconde position après terroriser les enfants du coin.

C’était encore plus drôle de le voir se proposer de jouer les chevaliers servants. Bien sûr, c’était son métier et il n’avait certainement pas le choix, mais ce petit spectacle était sans doutes le meilleur moment de la journée de Silk, voire de sa semaine en réfléchissant bien. Elle dû se mordre l’intérieur des joues pour ne pas laisser échapper un rire moqueur qui aurait certainement fait mauvais genre devant un invité du Capitol. Elle se contenta de sourire le plus largement possible, prenant une voix affectée.

« Oh je suis certaine, Monsieur Pheles, que le soldat Nightsprings serait pourtant plus qu’heureux de passer la nuit chez vous. Assurer votre sécurité est, je n’en doute pas, son objectif principal durant la durée de votre séjour. Il serait peut-être judicieux de le laisser occuper le canapé ou la chambre d’ami. »

Et laisser Silk prendre les paris sur combien de temps avant qu’Adonis étrangle le Capitolien ou finisse dans son lit. Ce n’était un secret pour personne qu’Adonis avait du mal à garder son pantalon boutonné très longtemps. Certains avaient un talent pour la discussion. Ça n’était pas le cas d’Adonis. Ses talents étaient plus… concrets ? Et si Pheles ne voulait pas du Pacificateur chez lui, elle pourrait toujours l’héberger, en tout bien tout honneur bien sûr.

« Le maire peut bien attendre encore quelques minutes n’est-ce pas ? Vous feriez mieux de désinfecter la plaie tout de même. Bien que je ne doute pas que les médecins du Capitol soient capables réparer çà en quelques secondes il serait dommage de ramener ce genre de souvenir du district 8 n’est-ce pas ? Entrez donc, je dois avoir quelque chose pour ça. Ça nous donnera l’occasion de discuter de votre venue dans le district et de faire connaissance, qu’en pensez-vous ? »

Elle lui sourit. Elle était extrêmement curieuse de connaitre la raison qui pouvait bien motiver quelqu’un du Capitol à venir se perdre nulle part ailleurs que dans district 8. Le district 8, ses usines lugubres, ses murs de bétons, son air irrespirable et son odeur pestilentielle lorsque venait le moment de la teinture. Une vraie carte postale en somme. Elle se tourna légèrement vers Adonis et son sourire se transforma en un rictus légèrement sarcastique. Elle s’amusait beaucoup de la situation, après tout les sources de distractions étaient limitées.

« Le Soldat Nightsprings est bien entendu convié, à la condition qu’il enlève ses chaussures sales et qu’il se tienne correctement. »


Elle se retint de lui tirer la langue avant de commencer à monter les marches de sa maison. Il y avait au final deux solutions à ce petit jeu. Adonis pouvait s’amuser ou il pouvait mal réagir et le lui faire payer plus tard. Dans tous les cas, le jeu en valait la chandelle.

Désolée d'avoir été aussi longue Je n'avais pas vu ta réponse. C'est un peu court et pas terrible, je me rattraperai la prochaine fois !