« Laisse-les y aller seuls Katty… » « Mais… pourquoi ? » Je fais mine de ne pas comprendre mais, la vérité est que je sais parfaitement pourquoi je ne peux pas accompagner mes frères aux abords du fleuve. Seuls les jeunes garçons sont tenus de passer ce rituel, celui de sauter dans les eaux glacés pour prouver leur courage et leurs capacités physiques. Mes frères, âgés tous deux de 18 ans, vont y faire un tour cet après midi et, maman essaye de me dissuader de les accompagner depuis que je me suis levée. Je n’ai même pas eu besoin de lui avouer mon envie d’y aller, elle semblait le savoir rien qu’en me voyant les questionner sans arrêt. Je ne vois pas pourquoi les filles ne prouveraient pas leur bravoure face à celle des garçons. Ont-ils peur de se faire ridiculiser ? Nous pourrions parfaitement nager le même nombre de longueurs, avec le même souffle saccadé ; nous pourrions parfaitement sauter et ramener des poissons pour nos familles, tout comme ces ‘pêcheurs’ du district 10. Finissant mon bouillant, je pose le bol dans l’évier et baise le front de ma mère. Elle me murmure quelque chose mais, je ne fais pas assez attention pour en comprendre le sens. Condor et Sam sont déjà partis, il y a tout juste dix minutes et, je n’ai pas envie de rater le début de leur cérémonie. Enfin… si l’on peut appeler ça ainsi. Après tout, il n’y aura que leurs amis et quelques adultes pour sécuriser les environs. Ce serait dommage que les quelques garçons prêts à passer à l’âge adulte finissent noyés au fond du fleuve. Cela dit, s’ils se noient, ils seront sans aucun doute une honte pour leurs familles. Mes frères se sont souvent entrainés à nager, à faire des plongeons pour être à la hauteur donc, je ne m’en fais pas vraiment pour eux. Toutefois, je suis curieuse de voir de quoi sont capables les autres garçons présents aujourd’hui. Ma besace est à l’extérieur, près de la porte d’entrée. Je la prends en passant et cours en direction du fleuve. J’y suis déjà allé aussi mais, en cachette, bien entendu. J’ai suivi mes frères pendant leurs entrainements, tout comme aujourd’hui. Guettant le moindre signe de vie, je fais attention à ne pas me faire repérer et, même si je dois m’arrêter à mi-chemin pour reprendre mon souffle, cela ne me fais pas perdre une miette de la cérémonie. J’arrive juste à temps pour voir un type se préparer à sauter. Débarrassé de son t-shirt, il se tient de bout des pieds, prêt à franchir les eaux du fleuve à tout moment. Je retiens ma respiration -du haut de mon arbre- pendant qu’un énorme splash me confirme qu’il vient de sauter. Samuel se prépare à son tour, attendant impatiemment que son prédécesseur ressorte des eaux, avec ou sans poisson à la main. A sa vue, un sourire illumine mon visage. De la fierté : voilà ce que je ressens. Oubliée, mon envie de les surpasser. Je ne souhaite qu’une chose : que Sam et Condor s’en sortent bien, que notre père soit fier d’eux à son tour.
Un bruit de feuilles mortes qui se froissent m’oblige à me retourner. « Pssss ! » Dans mon arbre perchée, j’agite une main en direction du cerf qui renifle l’air. « Va-t-en de là ! » lui murmure ma voix mielleuse. Je n’ai pas envie qu’il me fasse repérer mais, surtout, je n’ai pas envie qu’il se fasse tuer. Lorsqu’il lève les yeux vers moi, il se passe une fraction de seconde avant qu’il ne parte en courant. Voilà qui est mieux. Je reviens à mon centre d’attention mais, malheureusement, le cerf m’a empêché de voir mon frère sauter. Je ne vois pas Condor non plus. Mince, ne me dites pas qu’il a déjà sauté aussi ?! Un autre bruit de craquement de branches attire mon attention. Décidément, ce cerf commence à m’énerver gentiment… Me retournant à nouveau, je le cherche des yeux mais, je ne le trouve pas. Etrange. Il ne serait tout de même pas revenu là où il a croisé quelqu’un, si ? Je décide de descendre de mon arbre pour vérifier si je n’ai pas été suivie ou, pire, découverte. Qu’est-ce qu’on penserait de moi si l’on me voyait guetter toute une bande de gars moitié-nus, hein ? Certes, cela n’est en rien désagréable mais, je ne peux m’empêcher de penser à Shawn et à son heure de gloire. Lui aussi, il est passé par ce rituel. J’aurais aimé être là pour le voir honorer son honneur et sa famille. Dire que je suis venu pour voir mes frères et, que je les ai ratés. Pff… Je suis vraiment trop nulle ! Un autre bruit de feuilles mortes. « Cette fois, ça suffit ! » Je tourne sur moi-même à toute vitesse. « Qui est là ? » Samuel sort de derrière un tronc, tout sourire et, tout dégoulinant d’eau. « Alors… ? J’étais comment ? » J’hésite à lui mentir mais… « J’étais sur que tu nous suivrais. » …je n’ai pas envie de lui faire de la peine. « Très bien, je suis vraiment fière de toi. » Il me prend dans ses bras et, je me retrouve aussi mouillée que lui ou, du moins, presque. Il me relâche alors. « Tiens… regarde qui est là ? » Icare s’approche de nous doucement. Je lui fais mon regard qui veut dire ‘sans commentaires’ tout en essayant d’essayer mes cheveux trempés. C'était donc lui qui faisait tout ce bruit ? Samuel s’éloigne vers son groupe d’amis, qui n’ont pas tous fini leur rituel. Lorsque mon meilleur ami arrive près de moi, je me poste à ses côtés et lui fais du coude. « Toi aussi, t’y auras droit l’année prochaine... » Au loin, les garçons deviennent des jeunes hommes les uns après les autres et, je remarque un truc aussi curieux que complètement dégueulasse : ils crachent tous en sortant de l’eau. Sans m’en rendre compte, j’avance de quelques pas pour mieux voir, entrainant Icare avec moi par le bras. « Imagine, tu te réveilles et ton pote c'est un lama ? » Avec tout ce que l’on entend dire à propos de modifications génétiques du capitole, cette possibilité me fait vraiment froid dans le dos. « Ou… pire ! Imagine un lama avec des nageoires de poisson… Breurk ! »