kids just need to play

58th HG, 2294 — entraînement des tributs

Tes yeux sont fixés dans le vague. Cet entraînement ne t'intéresse pas. Tu t'en fous. Tu t'en fous de ces jeunes qui mourront, de ces gamins que tu ne connais pas, plus, que tu n'as pas envie de connaître. Tu ronges l'ongle de ton pouce, tu le fais claquer, tu sens les regards désapprobateurs des Pacificateurs dans ton dos. Comme si tu en avais quelque chose à faire. Tu n'en as strictement rien à foutre. Tous savent que tu es mentor parce que tu y es obligé, parce qu'on t'a dit que c'était ton devoir d'ancien gagnant. En d'autres termes, si tu voulais t'en sauver, t'avais juste à crever comme tous les autres. Bien plus simple. Tu fermes tes yeux. Les cris, la sueur, la mort, tu en as marre. Tu aurais vraiment mieux fait de mourir, il y a maintenant cinq ans de cela. Ce sont les cinquante-huitième Jeux de la Faim, les tiens sont bel et bien passés, oubliés dans l'esprit des autres.

Tant mieux.

Un de tes tributs, dont tu ne te rappelles pas le nom, s'effondre au sol pendant sa course à obstacles. Pas un regard de compassion de ta part, pas un encouragement, juste tes yeux désintéressés qui se détournent pour se poser sur les autres mentors. Tu te demandes s'ils y prennent un quelconque plaisir, eux. S'ils s'amusent. S'ils trouvent ça drôle. Tu penses que non. Ils ont vécu la même chose que toi, après tout. Tu ne peux pas être le seul à encore entendre les cris de ceux qui sont morts, à tout revoir dans ta tête la nuit, à tenter d'oublier frénétiquement en te perdant dans l'alcool, la drogue, les médicaments, tout. Tu tâtes d'ailleurs tes poches. Tu as emmené de quoi te distraire, si tu t'ennuyais.
Tu t'ennuies.
Du coin de l'oeil, tu repères un autre mentor qui a l'air ennuyé. Weiser. Dix-sept ans. Il a gagné il y a deux ans. Fort physiquement, grand, bâti. Plus que toi, même à désormais vingt-trois ans. Ton silence t'a amincit, mais tu as gardé ton oeil vif, ton regard impassible et infaillible. Tu as rasé tes cheveux en bataille, tu fumes plus que de raison, tu as l'air fatigué, au bout du rouleau, mais tu restes Snake. Prêt à attaquer s'il le faut. Tu te lèves vivement et vas vers l'autre pour lui murmurer à l'oreille, de ta voix basse :

« Laisse-les crever et viens fumer. »

Pas un sourire et tu quittes la salle, sans regarder si l'autre te suit effectivement. S'il ne vient pas, c'est son problème. Toi, tu as un joint à rouler et fumer, à partager s'il le veut bien, après tout tu le lui as offert avec beaucoup de gentillesse hm. Et sinon... ça en fera plus pour toi. Tu pousses une porte et te retrouves derrière l'immense bâtiment dans lequel vous étiez enfermé, dans une ruelle où pas un chat risque de passer. Tant mieux. Un regard derrière toi.
Il t'a suivi.

Impassible, il regardait les écrans des jeux de la faim qui débutaient à peine. Le rideau se leva sur la nouvelle arène des jeux de la faim et ses 24 figurants. Le compte à rebours était lancé.

Quatre, c'était le nombre désolant de tributs mort sous sa coupe; et le cinquième s'écroula après seulement quelques secondes de jeux, lui arrachant à peine un sourcillement. "Je lui avait dit de pas se précipiter comme un abrutit"… grogna-t-il entre ses dents, amère. Celui qui avait lui même été son mentor posa sa main sur son épaule. "Ils ne peuvent pas tous gagner…" Haussant les épaules, Sergei reposa sa tête en arrière. Visiblement, c'est pas cette année que le district 9 aurait un nouveau vainqueur.

Le visage du jeune roux qu'il avait accompagné jusque ici pour mourir s'afficha dans le ciel de l'arène en compagnie de trois autres. Deux ans qu'il devait revivre les jeux. Deux ans qu'il envoyait à l'échafaud des "gamins" comme il l'avait été autrefois. Comme si gagner les Hunger Games n'était finalement qu'une torture de plus. "Tu as survécut ? c'est bien… maintenant vis avec. Regarde toi chaque matins avec les yeux de ceux dont tu as détruit la vie, regarde toi comme un gagnant."

Mais un gagnant de quoi ?

Aurait-il préféré mourir là bas ? non. Pouvait-il vivre avec sa victoire ? non. Comme exutoire de cette sale réalité dégueulasse, il avait trouvé l'alcool. Ou plutôt c'est l'alcool qui l'avait trouvé.

« Laisse-les crever et viens fumer. »

C'était "Snake", un vainqueur du district trois de quelques années son ainé. Il avait l'air au moins aussi emballé d'être là que lui. Sa carrure presque chétive et son air maladif était en contraste avec l'idée que l'on pouvait se faire d'un vainqueur, mais étrangement Sergei comprenait. Il ne lui en fallut pas plus pour quitter sa place. Au regard consterné de son "mentor", il répondit d'un sourire caustique. "Je te parie un verre qu'on est libres ce soir…". L'homme grisonnant retint à peine le soupire déçu qui s'échappa de ses lèvres.

Sergei était-il devenu dur, égoïste ? peut-être… indifférent ? sans doute. Culpabilisait-il de laisser seule au monde une fillette de 13 ans ? Un peu. Mais la vérité c'est que quand bien même les sponsors auraient été généreux, quand bien même il lui aurait fournit un lance missiles, cette petite était condamnée. Pourquoi ? Parce que les Hunger Games, c'est la jungle. Tôt ou tard, elle et son mètre 50 pour 40 kilos tout mouillés croiseraient dans l'arène un type comme lui ou comme tous ceux présents dans cette salle : des vainqueurs, et ils la tueraient. Il avait essayé de bien faire, à ses premiers jeux, il avait tenté de les sauver… Il s'était bien vite rendu compte que l'espoir ou la persévérance n'avait pas grand chose à voir avec tout ça. Et savoir que quoi qui arrive, même si un tribut du 9 gagnait, l'autre était forcément condamné, c'était un peu comme savourer une victoire dans la défaite. Pourquoi avait-il survécut, lui ? Qu'est-ce qui différenciaient tous ceux dans cette salle de ceux qui étaient morts ? Il l'ignorait. Sans doute une rage de survivre ou un certain détachement vis à vis de la vie. Aux Hunger Games il n'avait promis à personne de revenir vivant, sans aucune dette ni aucune promesse en l'air il avait été libre de mourir, ou non.

Il devait conserver cet esprit là. N'avoir aucune dette envers ses tributs, ne pas s'attacher à eux comme il ne s'était entiché de personne jusque là.

"Alors toi c'est Snake, c'est ça ?" adossé au mur froid de la ruelle dans laquelle ils avaient déserté, il recracha en une volute grisâtre la fumée odorante, le faisant un instant cracher ses poumons. "Sans vouloir t'offenser c'est vraiment merdique comme nom…" Glissant contre la pierre rêche, écorchant ses épaules découvertes, il se laissa tomber le cul sur le sol, repoussant sa nuque en arrière pour mieux savourer l'escapade.

"Ras le cul de cette merde…" lâcha-t-il dans un soupire. "Je lui donne pas une heure à l'autre gamine, et pourtant sa petite tronche de mioche paumée me hantera toute ma vie". Lentement, il se sentit décoller légèrement du sol, comme si la fumée l'emportait avec elle. Il n'aurait pas dit non, au moins il aurait eu un moyen efficace pour se tirer d'ici.

Il n'avait pas vraiment envie de causer des jeux, c'était probablement la raison pour laquelle il n'était pas resté avec tous les autres. Mais de quoi pouvait-il bien parler d'autre avec ce gars là ? Il compris après quelques instants qu'il ne le voyait que comme un "vainqueur", rien de plus, comme s'il n'était rien d'autre. Pensait-on la même chose de lui ? "Elles sont mignonnes les filles du 3 ?", demanda-t-il, un sourire amusé au coin des lèvres.

Tu t'appuies contre le mur de briques et sors l'herbe de tes poches, ainsi que du papier à rouler. Tu ne regardes même pas Weiser. Tu hausses les épaules lorsqu'il critique ton surnom. Tu ne l'as pas choisi, tu aurais pu avoir pire, tu t'y es fait. Peut-être que lorsque tu as fait les Jeux, tu avais cet air plus redoutable que maintenant. Tout ce que tu as gardé des jeux, outre ta carrure musculeuse même si tu ne dépasseras jamais la taille du jeune homme avec qui tu es actuellement, c'est ton regard scrutateur et tranquille. Ta voix, aussi, enrouée, basse et rauque. Tu as perdu tes joues d'enfant, ta tignasse folle, ton teint relativement en santé, mais tu n'en as rien à faire. Il était bien le temps que tu quittes l'enfance, de toute façon, et tu préfères avoir l'air d'un drogué qu'un gamin, à ce stade-ci de ta vie. Tu fais le joint rapidement, serré, et sors un briquet de tes poches pour l'allumer et en prendre une bonne bouffée avant de le tendre à Weiser.
Tu souffles la fumée au-dessus de ta tête en fermant les yeux.
Peach était du district neuf, comme lui. Une image, vive. Sa gorge tranchée, ses yeux ouverts sur le ciel bleu de Panem. Tu secoues la tête, pour chasser cette image, rouvres les yeux. Tu hoches un peu la tête aux mots de l'autre garçon. Toi aussi tu as en tête les visages de ceux qui sont morts, ceux de ton district que tu n'as pu apporter à la victoire parce que tu n'en avais strictement rien à foutre. Mentor. Tu leur en foutrais, du mentorat.

« On s'y fait jamais. »

Tu t'assis aux côtés de l'autre vainqueur et lui reprit le joint, pour en prendre une autre bouffée. Tu préfères être ici qu'à l'intérieur, tu es déjà amplement moins tendu, et pas seulement à cause de la drogue qui va tranquillement commencer à faire effet. Les briques du mur sont froides contre ton dos pâle, râpeuses, la fumée qui s'échappe d'entre tes lèvres épaisse, lourde. Tu ricanes en entendant sa question, posée avec un sourire malicieux. Des jolies filles. Un sourire goguenard étire tes propres lèvres. Tu as ta petite popularité, tes aventures au gré de tes humeurs, mais tu dois avouer que ce n'est pas à quoi que tu penses en proirité.

« Pas mal. Pas trop maigres, disons, y'en a des bonnes. Un regard à Weiser, tes doigts minces qui lui tendent le joint nonchalamment. J'suis jamais allé dans le neuf. Enfin, sauf une fois. Y'en a des mignonnes, ou elles sont toutes comme ta gamine à l'intérieur ? »

Soit maigre, toute en os. Tu te rappelles de Peach et de son corps mince, presque maigre également, fourbu par le travail dans les champs, mais résistant, agile malgré tout. Parler de filles te fait penser à Bell et Peach, tu ne cesses de penser à elles, mais aussi à ta soeur. Elle a l'âge de Weiser. Elle a pourtant l'air bien plus jeune. La maladie. Ne pas y penser, juste fumer, juste appuyer ta tête contre le mur de brique. Tes yeux, d'un bleu translucide, se sont allumés. La vie te laisse le regard morne, mort, vide, la drogue, l'irréel, te fait sourire, te redonne une vivacité que tu caches aux yeux des Capitoliens. Ils ne savent pas qui tu es, ils ne l'ont jamais. Un sourire mince sur tes lèvres, tu étends tes longues jambes au sol.

« Tu vas faire quoi, quand tu vas arrêter cette connerie ? »

Tu es faible tu es fourbe tu es fou
Tu es froid tu es faux tu t’en fous

L'herbe qu'il fumait tranquillement, sans trop en voler à son partenaire de "jeux", provoquait peu à peu une sensation agréable de chatouillement dans son estomac. C'était sa première fois, mais il se garda bien de le dire à Snake qui n'aurait pas hésité à se foutre de lui. Il avait envie de rire, de rire pour rien. Le sort des 24 jeunes qui risquaient leur vie à quelques kilomètres de là lui semblait soudainement dérisoire, voir futile. Egoïstement, il s'en foutait qu'ils crèvent tous. Après tout mourir là bas était peut-être moins triste que d'y survivre. Au moins, tout s'arrêtait; l'horreur, la colère, cette envie constante de gerber… Si le paradis que décrivaient les anciens peuples de Panem n'existait pas, tout finissait par du noir, basta. C'était autrement moins triste ou pitoyable que ce qu'ils vivaient là lui et Snake. Il repensa à sa conne de soeur un instant, se demandant si finalement c'était pas elle qui avait gagné.

Être vainqueur permettait de vivre confortablement, il ne pouvait pas le nier. Sa nouvelle maison, surplombant les forêt massives du district 9 était luxueuse, il n'avait jamais faim, ni froid, ni soif, ni rien. En revanche sa carcasse à lui était devenue inhospitalière. Les jeu l'emmerdait, les gens l'emmerdait eux et leur gestes plein de sollicitude. Sollicitude, mon cul !
Depuis deux ans, Weiser avait changé. Sa musculature sèche trahissait une alimentation étourdie, son air tantôt flegmatique tantôt effaré accusait son aspiration pour la boisson, une barbe naissante appuyait l'aspect négligé de ses cheveux noirs en bataille. Si Snake n'était pas vraiment comparable à un serpent; Sergei, lui, ressemblait à un vieux lion défraichit.

Une sensation bizarre l'écrasait de l'intérieur; le besoin irrépressible d'être libre, de faire ce qu'il veut et d'en avoir rien à carrer du reste. Il avait passé les quinze premières années de sa vie à s'efforcer de grandir trop vite. Même en allant chercher loin dans ses souvenirs, jamais il n'eu le souvenir d'avoir joué avec Ramona. Chez les Weiser, ceux qui voulaient survivre n'avaient pas le temps de jouer. Mais maintenant qu'il avait atteint son but ultime (ou tout du moins celui qu'on lui avait choisi) maintenant qu'il avait "gagné", quel était son but ?

Il avait besoin d'être un gosse, juste une fois dans sa vie.

"Elles sont mignonnes, du moins celles qui sont pas trop pauvres et qui mangent à leur faim." La petite dans l'arène n'avait pas de chance; que des sœurs, le père était mort depuis quelques années, personne pour chasser. La mère tannait des peaux, mais avec la concurrence du district du textile, elle n'était pas prête de faire fortune; et avouons-le il est plus difficile de bouffer quand on ne sait faire que des couvertures en peau. Ramona n'avait pas la même carrure, elle est… elle était grande et athlétique, l'entrainement du père ne laissait pas place à la faiblesse. "Je crois que les plus laides logent au Capitole, de toute façon." dit-il en repensant à la vilaine bonne femme à la peau orange qui lui avait servit leur petit déjeuner ce matin. Cette vision le fit éclater de rire, son air grotesque, son embonpoint ridicule que beaucoup du district 9 aurait aimé avoir, ses petits yeux de merlan frit qui s'était posé sur eux… il se noya dans son hilarité sans qu'il ne puisse s'arrêter, assit là sur le sol tel un dément. Tirant un autre taff du joint, sans doute le responsable de tout ça, il le repassa à son comparse, ne masquant plus son allégresse.

"J'en ai aucune idée. T'en sais quelque chose toi ?", il n'y avait pas réfléchit, il ne préférait pas. Y penser c'était risquer de prendre conscience qu'il n'avait rien à faire de ses os. Queudal.

"Tu sais quoi ? on s'en branle. J'ai envie de jouer…" un sourire carnassier fendit son air fatigué, il se leva d'un bond, perdit un peu l'équilibre et se rattrapant sur le mur. Il parlait d'une voix rauque, d'un ton railleur "Tu vois le gringalet de pacificateur là bas ?" dit-il en désignant un homme plus loin, âgé d'une vingtaine d'année tout au plus. "Jte parie que t'oses pas aller demander si le perche de Snow est aussi fripé que sa gueule, un lèche cul du capitole comme lui doit bien le savoir, nan ?" Il s'interrompit dans son délire mesquin, hilare, pour poursuivre en ricanant "et dit lui que tu te tapes sa gonzesse !"