Troisième jour des entraînements des tributs. Soir. La journée s’était passée calmement. J’ai flâné dans les rues du Capitole à la recherche de quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas. Je ne sais même pas si j’ai su à un moment donné, en fait. J’ai tourné à gauche, puis à droite plusieurs embranchements plus loin, regardant les enseignes des magasins, des créateurs, des bijouteries et autres lieux chics. De toute façon, on ne voit que ça, ici, des lieux chics. Alors j’ai marché, encore et encore, jusqu’au fond des allées, sans en trouver, de fond. Des fois, les seuls murs qui étaient visibles, en dehors de ceux des rues, c’étaient ceux des impasses. Car un commerce avait ouvert au milieu. Et c’est tout ; le Capitole était un habitat bien trop grand, sophistiqué, pollué et vide de sens pour quelqu’un comme moi venant de la belle verdure brûlée du bois.

Le soir s’annonçait. L’avant-dernière nuit qu’Eurydice et Andro passeront dans des lits luxueux attendaient calmement de caresser leurs joues d’enfants. Des enfants qui n’en étaient plus, sortis du tendre jeune âge pour être propulsés vulgairement, obligatoirement et violemment – mais surtout vainement – dans un monde d’adultes, dans un monde de tueurs. Chaque nuit le sommeil est dur à trouver. Voici deux jours. Je me suis levé vers la cuisine chercher un verre rempli d’eau. Revenant, avalant une première gorgée, alors qu’il était posé sur mes lèvres, touchant quasiment mes incisives, mon ouïe s’était marié de caresses à des chuchotements. Mon pied a fait un pas en arrière, se positionnant à côté d’une porte entrouverte. « Tu me le diras, si je te ralentis trop, hein, dis ? Et si je suis trop nulle... Parce que je veux pas que tu sois en danger à cause de moi. Toi tu as Boyle, et puis ton père... Moi je n'ai personne. C'est pas très grave, si je meurs, tu sais. » Le regard au sol, le choc, l’énervement, le sang chaud en ébullition, le souffle saccadé, le poing serrant le verre qui menaçait de craquer.

Je me rappelle les paroles de la jeune blonde et les nerfs implosent dans ma chambre. Mon pied frappe l’armoire qui s’écroule et je m’y décharge de haine jusqu’à le faire écraser contre le mur, frappant des poings sur ce dernier, insultant à tout bout de champ, agrippant la lampe de chevet sur la table basse qui vole jusqu’au miroir de la coiffeuse qui se brise sous mon reflet fou. Fou ? Non. Finalement, ce n’est pas de la folie, mais surtout de la tristesse. Je m’assieds sur mon lit, la tête dans les bras, les coudes sur les genoux, regardant le sol, reprenant mon souffle, fatigué de ce qui peut arriver à de tels enfants innocents, me rappelant moi et mes peurs, anciennes et actuelles, qu’au final, si moi je n’avais pas eu peur – du moins c’est ce que je croyais parce que finalement ce qui me faisait tuer et chasser c’était bien la peur elle-même – ce n’était pas le cas de tout le monde. Un léger bruit derrière la porte entrouverte. « Bloom !? ». Je me laisse rapidement et tire la poignée. Rien. Mon imagination ?

Mon regard est attiré par l’horloge. Les résultats vont tomber. Je sors de ma chambre, dévale les quelques escaliers jusqu’au salon, y trouvant les tristement vivants Andro et Eurydice. « Hey ! Vous allez bien ? » questionné-je plein d’un sourire hypocrite, désireux de ne pas les inquiéter plus que ce qu’il n’en faut. Pourtant, intérieurement, je pense que cet acte relève plus de l’égoïsme que de la protection : le jour où ils seront dans l’arène, ils me détesteront de ne pas leur avoir craché toute la vérité salement au visage. Et ça me fera mal. Très mal. Comme tous les ans, comme tous les jours, comme toutes les nuits. Bientôt ce seront eux qui m’empêcheront de trouver le sommeil. Mais qu’importe. Voici huit ans que je ne vis que comme ça.

Spoiler:

Les jours d'entraînement avaient été intenses et pourtant, il avait l'impression que ce n'était pas assez. Dans tous les cas, rien au monde ne serait suffisant pour les préparer à l'arène. Même si Ethan n'en avait pas concrètement parlé, Andro le savait. Eurydice se rendait-elle compte de ce qu'ils allaient devoir affronter ? Il n'en était pas très sûr. Il avait gardé un œil distrait sur elle lors des entraînements : elle avait parlé à des gens, elle avait tout fait pour utiliser les ateliers et s'y était mise à fond, c'était indéniable. Mais après la grosse discussion qu'ils avaient eu le premier soir... Andro soupira longuement, assis dans le canapé, à attendre les résultats. Après tout, même si elle ne se rendait pas bien compte, cela ne changeait rien pour lui et de ce qu'il avait en tête depuis le début. Il leva les yeux, un peu ailleurs, alors que la blonde vint le rejoindre. Il sourit un peu. Il était totalement angoissé pour sa note. Il s'était démené lors de l'évaluation et avait donné son maximum. S'il se retrouvait avec une sale note, son égo en prendrait un coup. Et la réalité le rattraperait pour lui prouver qu'il n'était pas assez fort. Qu'il ne pourrait en rien la protéger. Installés côté à côte, il garda le silence. Il ne savait pas trop quoi dire ni quoi faire et ils avaient si peu de temps. Le garçon se passa une main sur le visage avant de tourner la tête vivement. Il y avait du bruit, comme si on bougeait des meubles ou qu'il y avait une bagarre.

Andro tourna la tête pour regarder Eurydice, les yeux ronds comme un hibou, sans comprendre. Il haussa les épaules. Il n'y avait personne d'autre dans ces appartements que l'équipe du D7. Personne d'autre. Ethan et Bloom étaient en train de s'étriper ? C'était tout de même peu probable. Et puis, aussitôt que le bruit apparut, il disparut. Plus rien. Le silence. A nouveau, il haussa les épaules en regardant Eurydice et il murmura :

" - Bizarre. ".

Il s'enfonça dans le fauteuil et fixa la poste de télévision. Ce que tout ça pouvait être long... Et en même temps, tout allait tellement vite. Il fit craquer ses doigts, pensif. Faites que j'ai une bonne note, faites que j'ai une bonne note... J'aurais peut-être des sponsors et ça aidera Eurydice. Il le faut, allez... Ethan arriva enfin, comme une fleur, à sourire béatement. Les lèvres entrouvertes, Andro le fixa avec appréhension. S'ils allaient bien ? Non, ils n'allaient pas bien :

" - Euh... Ouais ? ".

Les yeux rivés sur son mentor, lui aussi ne pouvait que faire semblant :

" - On attend nos notes, quoi. ".

Sa tête se tourna vers l'écran dans un gros soupir. Il fallait que les notes soient bonnes. Au moins la moyenne. Ou plus. L'écran s'alluma enfin avec le sceau du Capitole en plein milieu. Angoissé, il posa sa main sur celle d'Eurydice et lança un regard faiblard en direction d'Ethan. Si j'ai une sale note, on est foutu, pas vrai ?

ANDRO & ETHAN & EURYDICE
VOLUME VI, CHAPITRE 03 (ANNONCE DES SCORES)

Tour à tour la semaine s'étirait en longueur puis filait à toute allure, et sans qu'Eurydice ne comprenne vraiment comment ils en étaient arrivés à la fin de la période d'entrainement. La fin d'une corvée, mais le début proche d'un calvaire, avec l'arène qui chaque heure, chaque minute se rapprochait un peu plus. La blonde était sortie dépitée de son passage devant les juges, osant à peine croiser le regard d'Andro lorsqu'elle l'avait retrouvé, pas plus que celui d'Ethan, tant elle avait peur d'y lire une déception qui serait probablement méritée. Elle n'avait pas pensé à dire au revoir en quittant la salle et elle était persuadée que les juges sanctionneraient son manque de politesse, plus que tout le reste. Elle espérait ne pas avoir la plus mauvaise note, elle n'était pas très difficile, elle se contenterait d'une note même basse pourvu qu'elle ne soit pas la plus nulle ... Les plus nuls mourraient presque toujours en premier, et Eurydice voulait faire honneur à son district au moins une heure ou deux, rien de plus. Lovée dans le canapé, près d'Andro et les jambes repliées contre sa poitrine, elle observait d'un œil morne les spots publicitaires qui passaient à la télévision, le genre de spots qui ne passaient jamais sur les écrans du reste de Panem parce qu'aucun habitant même dans les districts riches n'auraient les moyens de s'offrir les produits présentés. Un fracas aussi énorme que soudain l'avait finalement sortie de sa torpeur, et jetant un regard inquiet vers Andro Eurydice avait attendu en silence, comme si elle s'attendait à voir surgir quelqu'un ou quelque chose.

Seul Ethan était finalement apparu, un immense sourire sur le visage, la blonde bien trop gourde pour le trouver forcé ou factice. Malgré tout elle l'avait suivi des yeux avec hésitation ; S'il ne faisait pas de commentaire sur le vacarme de tout à l'heure, c'était forcément qu'il en était l'auteur ... Et pourtant il n'avait pas l'air contrarié. « Hey ! Vous allez bien ? » Leur avait-il même lancé, l'air de rien, Andro lui adressant un regard un peu dubitatif avant de répondre hasardeusement « Euh ... Ouais ? On attend nos notes, quoi. » Ils attendaient, oui. Eurydice avait l'impression de ne faire que cela depuis qu'elle était a Capitole, attendre. « Est-ce que tout va bien ? » avait malgré tout tenté la jeune fille d'une petite voix, à moitié couverte par l'hymne de Panem et son emblème apparaissant à l'écran. Elle avait légèrement sursauté en sentant la main d'Andro se poser sur la sienne avant d'en apprécier la chaleur, et de finalement entrelacer leurs doigts. Elle angoissait et elle se sentait stupide, ce n'était pas comme si elle pouvait espérer une bonne surprise ... Elle craignait surtout la colère probable d'Ethan, ou la déception d'Andro lorsqu'ils auraient sa note sous les yeux. A moins que ce ne soit la note d'Andro, qui ne la mette dans un tel état de stress ?

District un pour commencer, Eurydice écoutant attentivement tandis qu'il était question d'Ivory, le blond ayant accepté de l'aider durant les ateliers et lui apparaissant donc bien loin de l'image de tribut sanguinaire auquel ce district les avait tous habitués. Une autre qu'elle se serait sans doute méfiée, mais Eurydice elle peinait à déceler le mensonge de la vérité. District deux et la meilleure note pour sa tribut féminine, district trois et la petite Pearl qu'Andro semblait avoir pris en affection, la blonde n'y voyant là qu'une preuve supplémentaire du bon cœur que possédait son co-tribut. District quatre et ses deux tributs qui faisaient peur à Eurydice, le garçon donnant déjà l'impression de se contenir pour ne pas écorcher vif tout le monde durant les entrainements et la fille à qui il semblait manquer plusieurs cases. « C'est à nous ... » Lui échappant d'un ton presque plaintif, Eurydice avait resserré instinctivement ses doigts autour de ceux d'Andro tandis que leurs visages apparaissaient à l'écran. Il était beau, Andro. « Oh, j'étais sûre que tu aurais une bonne note ! » s'était-elle alors exclamée tandis que le sept attribué au jeune homme s'affichait à l'écran. « Je suis trooop fière de toi ! » Ce n'était certes pas le neuf ou le dix obtenu par les districts un et deux, mais pour eux non-carrières c'était une note tout à fait honorable, comme le confirmait d'ailleurs les commentaires télévisés à ce sujet. Un air de profonde surprise avait pourtant pris la jeune fille lorsque sa propre note était apparue. Six. Autrement dit la moyenne. Confuse, elle avait presque eu la sensation d'être prise en faute et avait tenté de se justifier d'une voix chevrotante « Mais je n'ai pas triché ... Je vous jure je n'ai pas triché ! Tu me crois, hein ? » Son regard inquiet questionnait Andro. Elle aurait pu se réjouir, mais probablement aussi étonnée qu'eux de cette note qui ne semblait pas lui correspondre elle avait bien trop peur d'être prise en faute.