J'ajuste la robe libidineuse sur Eurydice. Eurydice et son corps de danseuse chétive. Son corps d'almée jouissive. Je fais tourner Andro sur lui-même. Chenille lunaire. Papillon mortuaire. Et je m'apprête à vivre. Vivre une vie d'anachorète. Une existence recluse. Une existence de muse. Terni par le glas du trépas. Soumis par le massacre et l'effroi. Simplement vêtu d'un drap ivoirin. Comme celui où gisait le fils de dieu et de ses prophètes. Là où le sang de teinte amarante faisait sonner l'écho de l'horreur. L'écho de la peur. Celui de la rancoeur.
Alors. C'est donc ça. La fin de l'histoire sans fin. Simplement l'acmé la plus indécente dans une mort provocante. Ces jeux monstrueux qui feraient mentir Darwin. Ces jeux faramineux qui feraient rougir l'absolution sanguine.
Mais je reste là imperturbable.
Je m'enterre dans ma tâche incapable.
Je suis névrosé et congruent.
Je suis drogué jusqu'au sang.
L'écoeurante effluve des pilules qui mènent au pays des rêves candides embaume mes narines. La tendre fumée du pays des merveilles me taquine. Ils rongent la chair d'une envie. D'un instinct salvateur qui se nourrit du corps et de l'esprit. Que je nourris encore un peu plus chaque jour. Je suis drogué. Je suis fou. Les volutes de chanvre m'ont fait perdre pied. Je pourris de l'intérieur, j'oublie d'en être humain. J'oublie même d'en être un monstre. Je suis pourri jusqu'à la moelle. Et ça ne fait que s'aggraver. La mine fade et larmoyante. Je ne suis plus qu'un vieux chiffon de poussière à peine essoré qui erre dans des fringues trop grands. Des fringues troués, éventrés. Des tissus disloqués comme celui qui les porte. Des haillons souillés. Profanés par un sot qui trainasse et qui s'écorche. Qui s'écroule dans les rogues remous. Qui s'entête indocile, indomptable. À qui il manque plus d'une case . Âpre enfance volée par ses démons. Je ne suis plus qu'un pion dans les jeux inénarrables des humains. Des anges et des bêtes. Je ne suis plus qu'une pièce de l'engrenage. Nécessaire mais similaire ; semblable aux autres chimères effroyables qui portent le nom d'hommes et de femmes au quotidien. Pourquoi lutter ? Pourquoi penser ? Bon dieu à quoi bon souffler. Crier. S'évader. Quand on sait que les jeux de la faim me plongeront tête la première dans les flammes furibondes du dragon. Quand Morphée me prend déjà dans ses bras, prêt à ne faire plus qu'un pas de ballet pour parvenir au chevet du nirvana. Là où vibre, vrombit, somnole le trépas. Dans un sommeil mélodieux, un repos délicat. Un jour tout finira par emporter mon âme empoisonnée ; mon coeur bousillé ; mon essence piétinée.
Pourtant je reste là haletant mais altier au moindre mouvement. Je reste là à accrocher une perle dans les cheveux d'Eurydice. À replacer quelques mèches d'ambre derrière son oreille. La défaite sonne dans les échos du vide de ma poitrine écorchée. Défaite ennemie. Défaite trop vorace.
— Vous êtes parfaits... je souffle presque. Je jappe comme un loup en détresse. J'ai besoin d'aide. J'ai besoin d'air. J'ai besoin qu'on harponne mes deux poignets. Qu'on me tire des enfers. Des enfers insipides. Putrides. Comme des égouts. Demain, ils seront mort. Deux gosses. Eurydice. Andro. Demain je ne les reverrai plus. Plus jamais. Eurydice. Andro. Demain. Et c'est l'heure. Quand on voit Caesar apparaître à l'écran. Celui des loges. Fringuant rien d'intrigant. Des cheveux violets. Des sourcils violets. Un costume pailleté. Une essence écervelée. Caesar.
Et puis je pars.
Je fuis.
Sans un adieu.
Sans un sourire.
Simplement avec deux yeux pour geindre. Deux oreilles pour entendre la souffrance qu'ils hurlent religieusement. Une bouche pour gémir. Deux bras pour frémir. Deux jambes pour partir.
Alors je pars. Môme téméraire et résolu qui s'avoue invaincu, inusable, têtu. Je m'écroule parmi les autres. Parmi la foule. Et je mets à nu mon corps las. Mes organes de glace. La silhouette lactescente se plonge dolente. Elle s'embourbe dans un océan éteint. Elle se love dans le velours feutré du fauteuil. Vierge de tout péché le temps d'un souffle, le temps d'un spasme. Le temps d'une vie irréelle, immorale, qui l'écarte loin de cet entre-deux monde perverti de l'intérieur.
— Commençons sans attendre ! jubile Caesar. Là sur scène, dans le public. On lit apertement sur les visages. On lit sur les lèvres. Toute l'allégresse qu'elles présagent. Toute l'avidité quand s'installe la petite blonde du Un. Et je ris. Je ris de frustration enfantine. Je ris et d'autres se retournent sur moi. Mais à quoi bon. Je me moque bien des autres. Les autres tributs. Je connais déjà deux cadavres. Ça me ronge. Ça me brûle. De l'intérieur. Là, au creux de l'écartelé coeur. En connaître vingt-deux de plus m'assassinerait. Ils resteront deux enfants damnés. Là. Dans l'écho du testament de ma mémoire. De son héritage névrosé. De ses vices secrets. Esprit confus. Esprit vendu au prix salaud des cauchemars nocturnes. Duperies taciturnes. Cauchemar acides. Cauchemars suicides.
Accueillez chaleureusement Eurydice Rowenark ! un éclat de joie. Un timbre qui m'abat. Je me plonge un peu plus profond dans mon siège. Comme on s'enfonce dans une épave. Comme l'ancre vient flirter avec les fonds marins d'un océan d'ouragans. Mais elle est belle. Elle amuse la galerie. Elle brille. Dans la robe que j'ai faite. La robe que j'ai bâtie. Comme l'empereur bâtit son empire. Comme le tyran détruit ses ennemis.
Andro avait l'air d'un prince de la forêt. Le coeur se soumet à ce charme candide. Ce charme sordide. Le sourire ment. Le sourire s'incline sur un visage un peu trop fade. Le sourire ravive l'éclat dans les prunelles pleurnichardes.
Oui Bloom a fait un excellent travail. je me lève. Brusque. Incongru. Indécent. Je manque d'arracher le bras de ma voisine. Au maquillage dégoûtant. Parce qu'au fond rien de plus ne compte pour moi. Sinon moi-même. J'applaudis. J'ovationne. La princesse naïve qui couronne mon succès. Tandis que tous la raille. Tous la gaussent. Tous la pointe du bout des doigts. Une larme fuit. Salée comme une eau sauvage. Elle s'échoue au coin de ma pommette. Parce que cette fille me sauve. Encore. Encore une fois. Et parce que ma mère avait raison. Je peux enterrer mon image de déraison. D'autres m'applaudissent. Et ils voilent le cours de ma folie. Personne ne remarque que je ne suis pas moi. Personne ne remarque mon appel de foi. Personne ne remarque mon trépas. Et puis. Je ploie à nouveau. Je m'éboule. Érodé par le temps. Par une torpeur passagère filant comme le vent. Mes démons me serinent de partir. Mais je reste. Par fatigue. Par flemme ou extasie. Pour Andro. Puis ceux qui suivent. Jusqu'au district Neuf. Et puis un nom. Un seul.
Dis-moi, cet habitant du Neuf, qui avait été désigné. Maxwell, c'est ça ? Vous aviez l'air de vous connaître. et je reste pendu. Pendu aux lèvres du jeune Joshua. Un rédempteur. Un sauveur. Un pauvre fou qui se suicide. Pour mon plus grand bonheur. Le seul. L'unique depuis des lustres.
Maxwell est vivant.
Maxwell restera vivant pour l'éternel.
Maxwell ne peut plus être tiré au sort.
Il ne le sera plus jamais.
Et je m'enferme. Me claustre dans les douces paroles qu'il a murmuré au bord du train. Je m'enferme oui. Dans son souvenir spectral. Dans sa présence magistrale. Et je me souviens. Son charme enivré. Ses doigts enfiévrés. Sa vénusté enténébrée.
Maxwell est vivant.
Maxwell restera vivant pour l'éternel.
Maxwell ne peut plus être tiré au sort.
Il ne le sera plus jamais.© Gasmask