Au loin, le ciel se colorait d'orange et de rose. Le train fendait la campagne tel un missile lancé à pleine puissance vers sa cible. Derrière la vite, Gemma suivait du regard les courbes des montagnes qu'elle apercevait à l'Ouest. Dans quelques heures, ils les auraient traversées et atteindraient le lieu de tous les rêves et de tous les possibles, le Capitole. Puis tout s'enchaînerait. Défilé, entraînements, scores, interviews, … Elle allait tout revivre. Chaque étape la rapprocherait davantage de l'ouverture de l'Arène. Et dans à peine quelques semaines, elle serait de retour chez elle. Il était étrange de voir les choses ainsi. Les Jeux avaient toujours constitué un mythe à ses yeux. Lorsqu'elle était jeune, elle avait beau les considérer comme nécessaires en tant qu'institution, subsistait cette peur, cette angoisse tenace face à l'éventualité d'être tirée au sort. Leur violence la touchait plus qu'elle n'osait se l'avouer. Il avait fallu qu'elle soit sélectionnée et qu'elle les remporte pour qu'enfin la vision qu'elle avait des Jeux de la Faim évolue. Ils avaient alors incarné tout à la fois sa fierté d'avoir gagné, de s'être glissée dans ce monde auquel elle rêvait tant, et le traumatisme consécutif à ce qu'elle avait vécu.
En ce jour, pourtant, elle parvenait à considérer les Jeux avec un certain pragmatisme. Coupée du monde, assise nonchalamment dans l'un des fauteuils, elle profitait de cette sérénité si peu coutumière. Oubliées ses responsabilités, oubliés les tributs dont elle devrait bientôt s'occuper. Face à elle-même, Gemma réussissait à contenir son appréhension de la suite.

Pour le moment, tout se passait bien. Tout le monde s'était séparé à son entrée dans le train, puis le repas avait été annoncé. Celui-ci s'était déroulé dans un silence quasi-complet des plus reposants. Aucune crise n'avait éclaté, les tributs s'étaient tenus relativement bien. Gemma se demandait combien de temps une telle situation pouvait durer.
Car il était certain qu'un calme pareil était anormal. Tôt ou tard, l'équilibre serait brisé.

C'était des Jeux dont on parlait. Rien ne se passait jamais comme prévu. Tout était spectacle et terreur, théâtre et rebondissements. Gemma ne pourrait jamais être sereine. Mais l'illusion était si douce qu'elle se laissa bercer. Indifférente à tout ce qui pouvait se passer autour d'elle, elle laissa ses vides pensées vagabonder dans le paysage qui s'offrait à elle de l'autre côté de la vitre, sans remarquer qu'elle n'était plus tout à fait seule dans le wagon.

Le repas s'était fait dans un silence d'or. Kylian lui, n'avait pas beaucoup mangé. La nourriture capitolienne avait beau être très bonne -trop bonne comparé à ce qu'il mangeait d'habitude- elle remplissait rapidement l'estomac. De plus, le jeune homme n'avait pas l'habitude de manger à une heure pareille. Chez eux, ils mangeaient quand il rentrait de l'usine, après avoir fait généralement une ou deux heures d'heures supplémentaires. Le soleil était déjà bas quand ils se mettaient à table, et il faisait nuit quand ils en sortaient. Il avait pensé que ce repas serait une bonne occasion de discuter un peu des jeux à venir avec les mentors et l'hôtesse, mais une fois assis sur sa chaise, il n'avait osé pipé mot. Il avait bien senti que personne n'était d'humeur à discuter, et surtout pas des jeux. Kylian avait déploré cette attitude de la part de ses convives de tables, qui auraient pû faire preuve d'un peu plus de bonne volonté. Il n'avait toutefois rien dit lui-même, ne souhaitant pas entrer dans les mauvaises grâces de sa mentor. Il se promit quand même qu'après le repas, il irait la voir, et qu'ils discuteraient, qu'elle le veuille ou non.
Il avait quitté la table le premier en laissant son assiette vide sur la table -il avait voulu débarrasser lui-même, mais les servants lui chipèrent ses couverts, rendant sa tâche impossible-, puis il était retourné dans sa chambre, où la perspective d'une bonne douche l’enchanta. Il avait passé de longues minutes sous l'eau chaude, oubliant quelques instants où il se trouvait pour simplement apprécier ce que le Capitole lui offrait. Au départ, il se sentit quelque peu honteux de profiter ainsi de ce luxe auquel il n'était pas habitué, alors que le reste de sa famille se douchait probablement sous des gouttelettes d'eau froide, mais il se détendit rapidement, chassant ce genre de pensées pour simplement penser à … à rien. Il se crut dans un rêve, un rêve qui s'éternisa jusqu'à ce qu'il en ait assez, et qu'il sortit, propre comme un sous neuf. Il s'habillant d'un simple t-shirt noir et d'un pantalon de survêtement gris, qu'il trouva dans la garde-robe de sa cabine.

Propre, vêtu de vêtements légers et le ventre plein, il se sentait étrangement détendu. C'est donc serein qu'il quitta sa chambre pour se diriger vers le wagon principal. Malgré le contre-temps, il n'avait pas oublié la promesse qu'il s'était faite. Il ne savait pas exactement combien de temps il avait passé sous l'eau, mais il savait avec certitude que le repas était terminé depuis pas mal de temps déjà, puisqu'il avait entendu Claire rejoindre sa chambre. Et effectivement, le wagon était silencieux. La table était débarrassée, et les servants s'étaient évaporés. Le seul son qui régnait dans la pièce était le bruit du train, qui filait vers sa destination. Un son reposant et agréable.
C'est bien un peu plus loin dans cette pièce qu'il aperçut Gemma. Elle était assise, la tête appuyée contre la vitre qu'elle fixait, l'air pensive, presque sereine. La voir en chair et en os était étrange, pour Kylian qui, jusqu'ici, l'avait généralement vu à travers un écran. Il se souvenait parfaitement des soixante-seizième jeux de la faim et de ses agissements. Il se souvenait qu'il n'avait pas eu chair de sa peau, mais qu'elle avait su avec le temps tirer son épingle du jeu, et réussie à l'étonner. Une note médiocre, un destin quasi-scellé, face à des adversaires plus ou moins redoutables, personne n'aurait parié sur elle, et pourtant, elle s'était révélée être une tribut redoutable et sans pitié. Oui, il se souvenait parfaitement de Gemma Mubstin, et il était heureux qu'elle soit son mentor.
De tous les vainqueurs du six, elle semblait la plus saine. Richard était fou, c'était bien connu, et Pepper n'était pas douce. Mais Gemma elle, semblait beaucoup plus détachée, et d'une certaine façon, ça le rassurait. Il préférait avoir une mentor avec la tête froide.

Il s'avança, décida, contourna les sièges. « Bonsoir » dit-il, assez fort pour qu'elle le remarque. Il venait, il le savait, de l'interrompre dans ses pensées, mais n'en fut pas désolée. Il ne s'excusa d'ailleurs pas du dérangement, et s'installa sans ménagement en face d'elle. Il avait adopté son masque habituel, impassible. Ses traits s'étaient durcis, et son regard se voulut plus perçant. Il observa sa mentor, la regarda dans les yeux. C'était une discussion sérieuse, il voulait montrer qu'il n'était pas venue parce qu'il y était forcé, mais parce qu'il avait envie d'apprendre, de savoir. « Que pouvez-vous me dire sur les jeux ? » demanda-t-il alors qu'il venait de s'asseoir. Ce n'était pas la meilleure façon d'engager la discussion, mais Kylian n'était pas doué pour les discours, et il n'était pas non plus du genre à tourner dix mille ans autour du pot. « Je veux dire … j'ai essayé de m'imaginer l'arène, ce que ce sera, ce que je devrais faire une fois là bas. J'ai essayé de réfléchir à une stratégie à adopter, mais je ne sais pas, je ne sais rien. Or, je dois absolument être prêt le moment venu, car j'ai aucune intention de mourir là bas. »

Sa tranquillité venait de prendre fin. La réalité l'avait rattrapée. Lentement, elle se redressa dans son fauteuil pour faire face au jeune homme assis devant elle – jeune homme dont elle n'était pas certaine du nom. Les mains croisées sur les genoux, elle attendait. « Que pouvez-vous me dire sur les Jeux ? » furent les premières vraies paroles qu'elle l'entendit prononcer, les civilités antérieures ne comptant pas. L'expression de son tribut était dure, mais volontaire. Gemma le scrutait, cherchant à l'évaluer. Valait-il la peine qu'elle s'investisse ? Question stupide, car même elle avait conscience qu'elle ne pouvait faillir à son rôle de mentor. Mais rien que le fait de se la poser lui procurait satisfaction. En effet, cette fois-ci, elle avait les rennes en mains. Plus question de se plier en quatre pour convaincre ses tributs, elle avait déjà donné. En revanche, si ceux-ci venait d'eux-même la solliciter... Elle aimait considérer cela comme une preuve de la motivation du garçon, un signe qu'elle pouvait miser sur lui. Mais dans un coin de sa tête, rien que le fait de se trouver en situation de domination la faisait se délecter.

Elle ne bougea donc pas le petit doigt, et patienta. « Je veux dire … j'ai essayé de m'imaginer l'arène, ce que ce sera, ce que je devrais faire une fois là bas. J'ai essayé de réfléchir à une stratégie à adopter, mais je ne sais pas, je ne sais rien. Or, je dois absolument être prêt le moment venu, car j'ai aucune intention de mourir là bas. »

« Je suis obligée de mourir durant ces jeux. » Les mots prononcés par Cora un an exactement auparavant lui revinrent en mémoire immédiatement, comme si c'était elle qui s'était tenue devant Gemma, comme si l'année écoulée n'avait pas existé. Puis les images des deux tributs se superposèrent dans sa tête. Et enfin, elle revint à elle. Cherchant à se rebâtir une contenance, elle esquissa un sourire et s'accouda à la fenêtre. Ses yeux restaient fixés sur ceux du garçon.
Le silence perdura, jusqu'à devenir presque gênant. Enfin, elle ouvrit la bouche.

« Arrête de te poser des questions. » Commencer par mettre les choses à plat. Faire oublier ce que l'autre croyait connaître au sujet des Jeux. Tout lui réapprendre. Elle avait peut-être échoué avec Cora, mais cette fois, il n'en était pas question. « Ne pense pas arène, ne pense pas stratégie. » L'arène était encore loin, et peu importerait l'environnement où les Jeux se dérouleraient. C'était de la poudre aux yeux, tout comme l'idée de stratégie. Tout n'était en réalité question que de survie, de force mentale. Gagner nécessitait de se connaître soi-même, de se dépasser. Il fallait prendre conscience de ses forces, de ses capacités, mais surtout de ses opportunités. Être fort ne suffisait pas. Cette force devait prendre vie, s'affirmer. Il s'agissait moins d'être que d'agir. Mais pour agir,il fallait être convaincu du bien fondé de ses gestes, ce qu'une stratégie pouvait compromettre. Car une stratégie est un masque, d'une certaine manière. Ce n'est pas par là qu'il faut commencer. Gemma comptait bien le lui faire comprendre.
Elle ne réalisa pas sur le moment le naturel avec lequel elle avait retrouvé ses réflexes de mentor, ou plutôt, de victime des Jeux. Il ne lui avait fallu guère de temps pour que les principes de bases qu'elle avait retenus de son expérience lui reviennent. Les conseils se succédaient dans son esprit telles des évidences. Tout allait de soi, tout se tenait, et il n'existait nulle alternative.

« Pense à toi. Pense à ce que tu peux faire, mais surtout à ce que tu seras capable de faire en situation. Ne pas vouloir mourir est déjà une bonne chose, mais il faut être prêt à tuer. » Elle avait dit la même chose à Cora, mais Gemma espérait que cette fois ses paroles rencontreraient un écho chez l'autre. La faiblesse n'est qu'une impression, tant qu'elle n'affecte pas la volonté. « N'oublie jamais que c'est là le cœur des Jeux : devoir tuer, pouvoir tuer, vouloir tuer. Savoir saisir les occasions. » Mais là, Gemma craignait de s'avancer trop. Il n'était pas encore temps d'évoquer les Jeux proprement dits. Le plus important pour le moment était de se concentrer sur leur préparation. « Garde ça en tête à chaque moment qui te sépare de ton entrée dans l'arène : ces tributs, tu devras les tuer.» Il fallait qu'il comprenne.

Le silence s'éternisait, et la patience de Kylian s'effritait doucement. Le visage toujours impassible, il regardait Gemma en se demandant à quoi elle jouait. N'avait-elle pas envie de l'aider ? Se demanda-t-il en ne la quittant pas des yeux. Compte-elle jouer son rôle ? Il n'appréciait pas qu'elle l'ignore royalement de cette façon, après tout, il n'avait pas de temps à perdre en futilité du genre. Si la jeune gagnante n'avait pas envie de remplir sa part du contrat, qu'elle le lui dise directement et il irait quémander Pepper à la place. Il était à deux doigts de se lever et de s'énerver, la patience n'ayant jamais été sa principale qualité, quand sa mentor se décida à lui accorder de l'attention : « Arrête de te poser des questions. » dit-elle. Kylian se détendit, son masque d'impassibilité se fissura pour laisser apparaître une expression de septicité. Arrête de te poser des questions, se répéta-t-il, alors qu'était-il censé faire ? Ce n'était pas vraiment ce qu'il souhaitait entendre, ce n'était pas ce genre de conseil qu'il était devenu demander. Il fronça les sourcils, serra les dents. « Ne pense pas arène, ne pense pas stratégie. » Il ne voyait pas vraiment où Gemma voulait en venir. A quoi devait-il penser dans ce cas, si ce n'était à ça ? Il ne pouvait quand même pas entrer dans l'arène sans savoir quoi faire, il avait besoin de pistes, de plans, de conseil, pour ne pas être complètement perdu. Il avait des tas de questions : valait-il mieux aller à la Corne, ou ne pas prendre de risques ? Valait-il mieux chercher la confrontation, ou la fuir ? Valait-il mieux lier des alliances, ou se la jouer solo ? Des tas de questions qui lui semblaient importantes, qui étaient juste au bout de se lèvres, prêtes à sauter hors de sa bouche, mais il se retint. Il savait que Gemma refuserait d'y répondre. Ne pense pas stratégie, se répéta-t-il. Ce n'était pas la discussion qu'il s'était imaginé mais soit. Il laissa toutes ces questions en suspend dans un coin de sa tête. Son corps se détendit sur son siège, mais les traits de son visage se durcirent pour reconstruire son masque d'impassibilité. Attentif, il écouta ce que Gemma avait à lui dire :
« Pense à toi. Pense à ce que tu peux faire, mais surtout à ce que tu seras capable de faire en situation. Ne pas vouloir mourir est déjà une bonne chose, mais il faut être prêt à tuer. » … Mais il faut être prêt à tuer. Ces quelques mots flottèrent dans l'air un moment, résonnèrent dans la tête de Kylian qui avait du mal à les assimiler. Tuer. Contre toute attente, il n'avait pas pensé à ça. Il avait réfléchi à la survie, mais l'idée de tuer qui que ce soit ne lui était encore jamais venu en tête. C'était pourtant idiot, il connaissait les jeux, il les regardait chaque année, il en connaissait les règles et le but, il savait parfaitement ce qu'on attendait de lui … alors pourquoi n'y avait-il pas pensé ? Ce brusque retour à la réalité fut douloureux, Kylian avait l'impression que le train lui était passé dessus. La bouche entre-ouverte, il ne dit rien, profondément bouleversé par les mots qui venaient de se jeter hors des lèvres de sa mentor. Il faut être prêt à tuer.

Tuer, assassiner, commettre un meurtre …
il le devrait peut-être. Probablement …
… très certainement s'il voulait espérer survivre.

Il se sentit craquer, une boule au ventre au creux de l'estomac, des perles de larmes au bord des cils. Le regard perdu dans le vide, il chercha son collier, s'y raccrocha comme à une bouée de sauvetage. Ce geste lui donna la force de faire face. Sa famille lui avait toujours donné la force de faire face, et aujourd'hui plus que jamais. Ils n'étaient peut-être pas là physiquement, mais le collier autour de son cou les symbolisait, et en le touchant, il pouvait presque sentir la douce main de sa mère sur sa joue lors des adieux. Il refoula ses larmes, le nœud dans son estomac se desserra et il redressa le regard vers la vainqueur. « N'oublie jamais que c'est là le cœur des Jeux : devoir tuer, pouvoir tuer, vouloir tuer. Savoir saisir les occasions. Garde ça en tête à chaque moment qui te sépare de ton entrée dans l'arène : ces tributs, tu devras les tuer. » Chaque mots étaient comme des couteaux enfoncé dans sa chaire. Il ne savait pas si Gemma avait remarqué son malaise, mais si c'était le cas, elle ne lui faisait pas de cadeau, enfonçait le couteau dans la plaie. Kylian la remercia silencieusement pour cela, au moins il savait ce qui l'attendait, il était prévenu, il pourrait se faire doucement à l'idée.
Une fois que sa mentor eut finie de parler, il acquiesça. Il avait lâché son collier, et avait repris sa position initiale : impassible, dur et droit sur son siège. « Tuer … parfait. » murmura-t-il, plus pour se convaincre lui-même que Gemma. « J'en serais capable. » dit-il avec un calme presqie malsain avant d'acquiescer de nouveau. Il en serait capable, il avait peu de doutes là-dessus.
Lors des éditions précédentes, il avait vu des personnages innocentes se transformer en véritable machine à tuer. Gemma faisait parti de ceux-là, mais la liste était longue. On comptait chaque année des personnes qui n'avaient pas peur de commettre ces meurtres, mais souvent, la plupart n'en ont pas envie. On lit ça sur leur visage, chaque année, on pense que tel ou tel n'en sera pas capable.
Mais ils n'ont pas le choix. L'instinct de survie est au final plus fort que tout, et guidera vos bras, fera couler le sang, ôtera la vie. Dans l'arène, il n'y a plus d'idéaux, plus de principe, plus de notion de bien ou de mal. Il y a juste vous et les vingt-trois autres tributs qui se tiennent entre vous et la victoire. « Je les tuerais. » Pour vivre, pour lui, pour sa famille, il ferait n'importe quoi.

Finalement, il était ravi qu'ils aient éclairé ce point dès le début.

Elle regardait son tribut droit dans les yeux. Tout ce qu'elle voulait en cet instant, c'était qu'il l'écoute, qu'il comprenne. Car ce qu'elle était en train de dire résumait tout, à ses yeux. Elle l'avait dit lors de son interview, près de deux ans auparavant, et le pensait toujours : dans les Jeux, ce n'est pas contre les autres que l'on se bat, mais contre soi-même. Il ne servait à rien de savoir comment survivre, ou bien où trouver de la nourriture, sans être prêt à se battre et à tuer. C'était sans doute là que Cora avait échoué. Elle n'avait pas voulu comprendre que la volonté était reine, et qu'à se persuader de sa mort prochaine, on la provoquait soi-même.

Si bien qu'en entendant Kylian assentir à ses propos, un sourire illumina le visage de la mentor. Ce n'était pas la manifestation d'une joie grandiose, depuis longtemps contenue par des années d'incompréhension. Elle était simplement satisfaite. Finalement, la comparaison avec l'année précédente ne pouvait que faire ressortir le potentiel de cette édition-ci des Jeux. Cette fois, elle ne faillirait pas.

"Bien, bien", reprit-elle après quelques instants de silence. "Tu comprends donc aisément qu'il ne te faut en aucun cas t'attacher aux autres tributs, tes adversaires." Ce n'était pas une question. Elle prononça ces mots sur le ton de l'évidence, car c'était ce qu'ils étaient à ses yeux. Dès lors que la survie devient la priorité d'une personne, et que cette survie dépend de la mort de tous les autres, il n'est pas concevable de nouer des liens avec un tier. "Car ta vie a plus de valeur que la leur." Gemma guettait un signe trahissait le doute chez son tribut, ou un début de contestation. S'il se laissait aller à pareille réaction, c'était fini. Elle était peut-être allée loin cette fois, prenant des risques inutiles. Après tout, cette dernière phrase n'était qu'une reformulation de ce qu'elle avait dit plus haut. Ne pas vouloir mourir, être prêt à tuer, cela revient au même qu'accorder plus d'importance à sa vie qu'à celle de l'autre. Seulement, cette dernière version est plus honnête. Alors peut-être que Gemma venait-elle d'enfoncer une porte ouverte, ou bien allait-elle brusquer l'honneur de son tribut, mais c'était pour elle un risque à prendre. Car il n'existe pas pire illusion, pire absurdité que l'honneur. Et c'était là quelque chose qu'elle se devait de mettre au point.

"Tes adversaires sont des pions. Des pions qu'il te faut abattre, mais dont tu peux également te servir." Parce que leur vie ne doit rien valoir à tes yeux. Mais elle pensait avoir été suffisamment claire sur ce point. "N'aie aucun scrupule à utiliser et manipuler tes adversaires, tant que tu ne te mets pas en danger toi-même. Fais des alliances, mais à la condition de pouvoir les trahir par la suite. Tout ce qui rend tes adversaires vulnérables est bon pour toi, cela ne les rendra que plus faciles à tuer." Elle parlait parlait parlait sans lui laisser le temps de réagir. Elle aurait du, peut-être. Ecouter ses éventuelles objections avant de les démonter une par une. Mais cette tactique, elle l'avait déjà employée avec Cora, et le seul effet produit avait été de l'enfoncer plus encore dans ses incertitudes. Gemma ne commettrait pas la même erreur deux fois. Kylian devait comprendre qu'il n'y avait qu'une seule façon de gagner.