❝ Le Capitole ouvre ses portes : réjouissez-vous, le sort vous a été favorable ! ❞
Si pour certains, avoir été tiré au sort pour participer à la visite du Capitole était un grand honneur et que pour d’autres, le coup du destin était un vrai calvaire, je ne savais pas vraiment où me situer. Évidement, je détestais le système, les Pacificateurs et leurs méthodes barbares et dépourvues d’éthique, mais devais-je me montrer aussi étroite d’esprit ? J’avais été surprise que mon nom soit appelé. Dans le District 4, je n’étais personne. Une petite pêcheuse qui vendait son poisson sur le marché le matin et faisait le tour des maisons l’après-midi pour faire le ménage et gagner un peu d’argent. Nous étions des centaines à vivoter ainsi. Je me fondais parfaitement bien dans l’ombre, dans l’anonymat, sans éveiller le moindre soupçons. Peut-être était-ce pour cela que j’étais encore en vie à ce jour. Faire partie des rebelles demandait discrétion et prudence, deux qualités dont je n’étais heureusement pas dénuée. J’étais quelque mot maladroite et un peu naïve sur les bords, mais cela n’empêchait rien. Alors, pourquoi moi plutôt qu’une autre ? Je n’en savais rien. Le fait était que je devais me rendre au Capitole sans discuter en compagnie d’autres habitants de mon District.
De mes yeux d’insurgée, j’avais vu cette visite comme une aubaine. Voilà qui pourrait m’être utile. Récolter des informations, laisser trainer mes oreilles et surtout, bien ouvrir l’oeil. Tout cela profiterait à la cause que je défendais. Mais, de mes yeux de jeune adulte terrorisée, je ne percevais que la grandeur de la ville et l’excentricité des Capitoliens. La démesure et l’effroi. Le respect et la crainte. J’avais mis les pieds dans l’endroit le plus adulé et détesté de Panem. Je ne pouvais empêcher mes genoux de flageoler et mes prunelles de s’écarquiller. J’avais adoré cette ville et ce gouvernement durant des années, sous l’influence de mon père. Maintenant, je n’arrivais plus à me séparer de l’image des Tributs effrayés ayant fait le même chemin que nous.
Nous avions un emploi du temps. Tout était bien minuté, organisé à la perfection. Les autorités, dans une maestria frisant le divin, nous avaient fait naviguer nos petits groupes d’un bout à l’autre de la ville, sous les regards curieux des habitants. Nous ne croisions jamais les autres districts. Le 14 novembre, de 10h à 18h, nous allions visiter l’Arène des 67ème Hunger Games. Etape que je craignais le plus. Je ne me rappelle plus vraiment de cette saison des Jeux de la Faim. La vainqueur, par contre, m’était restée en tête puisqu’il venait du District Onze, un des plus pauvres.
Après nous être préparés, on nous conduisit à l’Arène en hoovercraft. Être là me faisait me sentir mal à l’aise. Plantée au milieu de l’Arène, droite comme un piquet, je n’osais faire le moindre geste. J’avais l’impression d’avoir été larguée sur un champs de mine et que le plus infime geste me serait fatal. J’avais l’impression d’être moi-même victime des désirs morbides du Capitole. J’avais l’impression que les autres autours de moi allaient courir vers la Corne d’Abondance avant de m’étriper. Je camouflais le tremblement de mes mains sous ma veste et toisais les autres, avec de grands yeux effrayés.
Aife, à ma droite, ne semblait elle même pas au mieux de sa forme. Comme tous, d’ailleurs. Oui, mais elle était une ancienne gagnante et elle avait tout se battre pour sa vie face à d’autres adolescents. Elle connaissait l’arène et la peur qui en découlait. Nous nous connaissions depuis un moment déjà et je m’occupais aujourd’hui de son ménage. Passez la serpillère dans sa belle et grande maison était un plaisir. Mais depuis les Jeux, elle n’avait plus jamais été la même. Autrefois souriante et joviale, elle s’était renfermée et parlait peu. Sa transformation m’avait brisée le coeur et j’avais beau essayer de la faire parler pour la soulager du fardeau invisible qui pesait sur ses épaules, rien n’y faisait. Elle se renfermait comme une huître.
Le guide nous présenta l'endroit et déblatéra de façon incessante. A côté de moi, Aige ne cillait pas. J'hésitais un moment à l’interpeler. Avais-je le droit de parler ? Elle semblait plongée dans ses pensées et loin de moi l’idée de la déranger, je ne voulais pas l’effrayer. Timidement, je posais mes doigts sur son avant-bras.
_Aife ? lui demandais-je doucement.
Tout va bien ?Elle n’avait pas l’air dans son assiette, mais je ne devais pas être mal non plus. Toute cette mascarade me dérangeait. Je n’aimais pas me savoir sur un sol où du sang avait couler. Où des jeunes avaient expirés dans la souffrance sous les assauts des concurrents adverses. Je n’étais pas préparée à ça. Mais Aife devait le ressentir plus que quiconque ici. Une bourrasque me fit frissonner.
_Qu’est ce qu’il y a comme vent ici...J’attendis son consentement en la regardant droit dans les yeux avant de me tourner vers les autres invités du Capitole qui, comme nous, découvraient cet environnement sordide.
_Vous pensez qu'on peut bouger ? demandais-je à tout le monde et personne à la fois.
Ou faut-il attendre que l'hôte ait fini de réciter son texte ?J'avais parlé à voix basse, de peur de me faire rabrouer. J'espérais qu'au moins mon voisin de gauche m'ait entendue.