Flash Back 1.

(c) AMIANTE

If only. Those must be the two saddest words in the world.
Noâ & Talasi

Cela faisait des heures qu'elle fixait le plafond de ce qui lui servait de maison. Cette fois encore le sommeil lui avait échappé. Comme toujours avant la moisson, elle ne fermait pas l’œil de la nuit, tournant sans cesse entre ses draps. Et comme chaque fois, elle abandonnait au bout de deux heures, passant le reste de la nuit à se torturer pour rien. Cette moisson était sa dernière. Elle hallucinait d'être encore là et de pouvoir dire qu'il lui restait cette dernière journée à passer avant d'être enfin libérée de ce poids. Mais elle n'y croyait pas. Cette fois, son nom allait tomber. Cela faisait déjà bien trop longtemps que le sort l'avait épargnée, elle qui accumulait plus de bouts de papier que la majorité des filles en âge d'être sélectionnée pour les jeux. Elle devait détenir un record. Et puis, elle avait cette impression qu'un malheur allait s'abattre sur elle, un nœud dans l'estomac. Voyant le soleil poindre dans le ciel grâce à un trou dans sa toiture, la jeune femme se décida enfin à sortir de son lit. Après les préparatifs habituels, elle mit les pieds dehors. Il faisait encore noire. Le district était encore endormi...tous redoutait cette journée. Certains devaient prier pour qu'elle soit choisie. Les mains dans les poches, elle arpenta les rues désertes de La Veine, essayant de s'ôter ce mauvais pressentiment de la tête. Elle détestait cette ambiance oppressante, les gens avaient peur et restaient terrés chez eux jusqu'à l'annonce où ils rejoignaient enfin la place drapés dans leur plus beaux atours...comme si cela pouvait les aider.

Malgré les portes et les volets fermés, elle devinait sans peine les scènes qui se jouaient à l'intérieur. Les derniers instants passés en famille, les mots d'amour, les promesses, les larmes, toutes ces choses qui ne servaient rien parce que tous les tributs finissaient toujours par être fauchés...et leur perte n'en était que plus douloureuse. Sentant la panique s'insinuer lentement en elle, elle pressa le pas, toujours un peu plus vite pour finir par courir jusqu'au grillage. Elle avait besoin de s'évader, de respirer. Il n'y avait que dans les bois qu'elle pouvait se calmer. Les mains tremblantes, elle passa le grillage, s'enfonçant entre les arbres sans s'arrêter de courir. Loin, toujours plus loin de ce district pourri qui finira par avoir sa peau. Elle avait besoin de mettre de la distance entre la moisson, les bons sentiments et les pleurs qui allaient avec et elle. Ce ne fut que lorsqu'elle entendit le flux de la rivière qu'elle s'arrêta, s'accroupissant au bord du ruisseau, elle passa de l'eau sur son visage. Reprenant peu à peu ses esprits, elle finit enfin par se rendre compte qu'elle avait dépassé le lieu de rendez-vous avec Noâ depuis longtemps. C'était sa dernière moisson à lui aussi mais elle préférait ne pas y penser. Elle ne gâcherait pas les instants passés avec lui avec ses stupides idées noires. Retournant sur ses pas, elle fit un crochet pour attraper son arc et son couteau avant d'arriver enfin devant le vieil arbre où ils s'étaient rencontrés tous les deux. L'air maussade, elle constata qu'il n'y avait pas de trace de son ami...quand elle fut surprise par un "bouh". Sans réfléchir, elle pointa son arc vers le jeune homme qui avait voulu lui faire une farce...Fronçant les sourcils, elle finit par abaisser son arme quand elle comprit que ce n'était que lui. "Nan mais ça va pas, j'aurais pu te tuer." Vexée, elle attrapa un caillou qu'elle lui lança violemment dessus. "Crétin de cochon pendu ! Stupide Moâ", dit-elle en accentuant volontairement son erreur sur son prénom. C'était sa façon à elle de lui dire qu'elle était contente de le voir.

If only. Those must be the two saddest words in the world.
Noâ & Talasi

Elle le regardait descendre et elle se détendit un peu. Être en sa présence la calmait. Noâ était le seul à avoir ce pouvoir-là. Il lui suffisait de se tenir à côté d'elle pour qu'elle s'apaise.  Et alors qu'elle ne le lâchait pas des yeux, elle finit par se rendre compter qu'elle le fixait depuis trop longtemps pour que ce soit naturel. Arrête ça, t'es ridicule ! Il va pas disparaître. Esquissant un sourire discret à ses pensées, elle détourna enfin le regard profitant du calme que leur offraient les lieux. La forêt avait été leur seul refuge toutes ces années. Elle avait la certitude que sans elle, elle n'aurait jamais pu survivre aussi longtemps. Elle ne s'était jamais sentie chez elle qu'entre ses vieux arbres, sous leur feuillage qui lui avaient tant de fois servie de refuge. Elle voulait graver ces bois dans sa mémoire...l'idée qu'elle ne pourrait jamais plus arpenter les chemins sinueux de son havre de paix la terrorisait. Elle voulait tout graver dans sa mémoire, de l'odeur si particulière de la pluie lorsqu'elle tombait,  aux couleurs que prenait le ciel au lever du soleil....et bien sûr le visage des rares personnes qu'elle appréciaient dans ce district.

La voix presque enjoué de Noâ la ramena sur Terre. Sa petite sœur voulait manger du lapin. Talasi avait toujours apprécié la petite Lily. Peut-être parce qu'elle était l'une des rares à ne pas avoir peur d'elle, ou peut-être simplement parce qu'elle était la sœur de son ami. L'optimisme de la jeune fille lui mettait du baume au cœur mais cela ne suffisait pas à effacer la menace qui planait sur eux. Le silence gênant qui s'installait en était la preuve. Noâ devait penser à la même chose qu'elle. Le sort n'était pas en leur faveur ; ils avaient accumulé trop de petits papiers à leurs noms pour garder espoir. Elle avait la certitude qu'elle n'échapperait pas à ce tirage, elle s'y était résignée...pourtant l'idée que Noâ soit tiré au sort la terrorisait. Il ne méritait pas ça ; il avait une famille à nourrir, des gens qui tenaient à lui et il était quelqu'un de bien...Et que feraient-ils s'ils étaient tous les deux tirés au sort ? S'affronteraient-ils dans l'arène ? Balayant cette pensée, elle décida de jouer la comédie...peut-être arriverait-elle à tromper la mort qui venait pour eux. "On va pas décevoir la princesse dans ce cas."

Voyant que son ami se mettait en chasse, Talasi s'éloigna doucement ne désirant pas le gêner. Elle pouvait toujours faire le tour de ses collets histoire de voir si des lapins n'y étaient pas piégés. C'est avec un sourire aux lèvres qu'elle découvrit la petite bête emmaillotée dans le filet. Sans perdre de temps, elle alla récolter sa prise, ses mains tremblant toujours un peu. La récolte fut plutôt bonne, un lapin, deux écureuils...chargés de ses prises, elle retourna auprès de Noâ. "Devine qui va avoir une surprise ?!", lança-t-elle au jeune homme en lui tendant le lapin. S'asseyant sur la racine d'un arbre, elle laissa à nouveau son esprit vagabonder...Si elle partait aux jeux, les choses seraient simples. Elle n'avait personne à protéger, rien à léguer, elle disparaîtrait dans l'indifférence générale, les Pacificateurs seraient même contents...mais Noâ...Noâ avait sa mère, sa sœur...et cette fille qu'elle préférait éviter...une certaine Gaëlle. Il ne pouvait pas être tiré au sort...c'était impossible, impensable. Et il y avait Bliss, Bliss et son frère... "Tu sais qu'on doit être les vedettes de cette moisson ? Ils ont sûrement tous parié sur nos têtes." Elle ignorait pourquoi elle avait dit une chose pareille, elle ne voulait pas gâcher l'ambiance avec ces histoires. Pourtant, c'était probablement la vérité. Certains se servaient des jeux pour s'enrichir en pariant sur les probables tributs. La moitié des Pacificateurs devaient avoir parié sur elle. Soupirant doucement, elle leva la tête vers le ciel, dissimulé par les branchages. "Je sais qu'on devrait pas parler de ça...mais je voulais simplement te dire que, si jamais t'étais...enfin, tu vois...si le sort ne t'était pas favorable...je laisserais pas ta famille mourir de faim." Gaëlle les aiderait aussi très probablement et sûrement mieux qu'elle mais elle avait au moins la certitude de pouvoir nourrir la famille de Noâ et elle le voulait qu'il le sache.

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Noâ & Talasi

Noâ ne perdit pas de temps quand elle lui tendit ses prises. Il les attrapa, sourire aux lèvres, et les déposa sur un tas de feuilles. En comptant les deux dindons qu'il venait de capturer, il y avait de quoi se mijoter un bon repas. Peut-être même pourraient-ils vendre l'une ou l'autre de leurs récoltes pour accompagner le dîner. Ce fameux dîner auquel ils n'auraient probablement pas la chance de participer. Dans le meilleur des cas, elle serait absente de cette réunion familiale et Noâ serait sain et sauf. Elle serait partie au moins avec la satisfaction d'avoir fait plaisir à la petite Lily. Dans le pire des cas, Noâ était pioché et son monde s'effondrait. Il restait aussi une dernière option ; qu'ils soient tous les deux les tributs du douze. Une fine équipe...mais elle préférait savoir son seul ami en sécurité qu'à ses côtés. Elle ne pourrait de toute façon pas le tuer. Et alors qu'il prenait place en face d'elle, elle se surprit à nouveau à le fixer intensément. Noâ. Le seul garçon du district pour qui elle avait un tant soi peu de respect. Le seul à qui elle faisait confiance au point de se dévoiler. C'était simple, il était le seul à l'avoir vu rire. Et elle se souvenait de ces jours malheureux où il la défendait bec et ongles face aux attaques des autres ; à toutes ces fois où il n'avait pas hésité une seule seconde à abandonner la compagnie de personnes plus fréquentables, simplement pour une partie de chasse avec elle. Elle le reconnaîtrait parmi mille ; elle pourrait le dessiner les yeux fermés. Des ses cheveux en bataille d'un blond cendré à ses yeux brun noisette...

Il lui était donc facile de remarquer son regard fuyant. Noâ évitait son regard. Pensif, il avait gardé le silence après les paroles prononcées par la jeune femme, lui condescendant à peine le fantôme d'un sourire. Elle se sentait légèrement coupable d'avoir brisé l'accord tacite qu'il avait signé il y a quelques années de ça. Cet accord qui stipulait qu'ils n'avaient pas à parler de la moisson, le jour de cette dernière. Pourtant, cette fois avait été différente. Ils ne pouvaient pas continuer à jouer les aveugles face à la mort qui les attendait. Sans doute avait-il lui aussi compris la nécessité de cette discussion. Il ironisa sur sa remarque..et il avait raison. Si l'un des deux adolescents étaient tirés au sort, certains en tiraient de grands bénéfices. Et pour cette raison, elle les détestait. N'avaient-ils aucun scrupule à parier sur la vie des malheureux qui risquaient une mort certaine dans ces jeux de la faim ? "On devrait toucher des intérêts là-dessus, qu'ils ne soient pas les seuls à en profiter." Sauf qu'ils ne verraient jamais la couleur de cet argent sale. C'était une chose qu'ils savaient tous les deux mais cela ne l'empêcha pas d'en rire. Autant le faire tant qu'ils le pouvaient.

Alors qu'il se décidait enfin à la regarder dans les yeux, elle ne parvint pas à déchiffrer les émotions qu'elle lisait dans ses prunelles aux couleurs changeantes. Elle tomba des nues quand il reprit enfin la parole. Se porter volontaire pour elle ? Pour l'accompagner dans un périple où seul l'un des deux pouvaient revenir ? Elle pouffa de rire, littéralement. Ça devait être une blague...mais Noâ n'était pas du genre à rire sur ce sujet. Et l'air sérieux qu'il ne quitta pas un instant lui confirma ses craintes. C'était idiot, elle ne pouvait pas le laisser faire ça. Enervée, elle se releva d'un bond sans cesser de le fixer, ses yeux lançant des éclairs. "Il est hors de question que je te laisse faire cette bêtise. Ça s'appelle du suicide. Tu peux pas faire ça. Tu as Lily, ta mère, tu peux pas les laisser toutes seules ! Et franchement, imagine qu'on y arrive, qu'on soit les deux derniers Tributs en lice, je n'ai aucune envie de te tuer, et je le ferais jamais. J'ai plus de chance de survivre sans toi dans l'arène. Tu peux pas faire ça à Lily, d'accord ? Ta mère est pas en état de s'occuper d'elle. Si le sort t'est favorable, tu n'as aucune raison d'aller défier la mort si stupidement." Elle s'emportait pour rien et cela devait être l'une des rares fois où elle alignait autant de phrases à la suite de l'autre mais laisser Noâ s'engager dans une histoire pareille lui était impossible. Elle préférait mourir que d'avoir à le tuer car si ce schéma se réalisait vraiment, il valait mieux pour tout le monde que le jeune homme rentre victorieux au district, pour Lily, pour sa mère, pour Gaëlle et même pour Bliss.

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If only. Those must be the two saddest words in the world.
Noâ & Talasi

La colère et l'incompréhension se lisaient dans les prunelles sombres de la jeune femme. Elle tenait trop à son ami pour le voir sacrifier sa vie sur un coup de tête. Elle comprenait, bien sûr. Elle savait qu'une fois sur place elle aurait du mal à se contrôler elle-même. Si Noâ était tiré au sort...mais il serait trop tard pour qu'elle le rejoigne. L'identité de la tribut féminine du district était toujours connue avec celle du garçon. Les dames d'abord. Pourtant, elle savait que son esprit serait aussi confus que l'était celui du jeune homme ; qu'elle n'arriverait pas à le laisser partir sans tenter quelque chose. Mais la différence était là. Noâ avait le poids de la survie de sa famille sur ses épaules ; il ne pouvait pas tout envoyer bouler comme ça. Ce ne serait plus deux morts que l'on compterait mais quatre. Lily, sa mère, lui-même et elle.

A l'instant, elle aimerait le frapper pour avoir dit une chose si stupide mais elle se retint en le voyant se lever. Il la dépassa, et elle devinait qu'il fixait le district au loin. Ce fut pourtant la surprise qu'elle ressentit à sa réponse. Elle avait raison. Oui. Comme toujours avait-elle envie d'ajouter. Les traits de son visage se décrispèrent toutefois et elle desserra ses poings en signe de soulagement. Elle savait que Noâ était têtu et elle était réellement surprise d'avoir pu le convaincre si facilement...mais elle préféra profiter de sa victoire même factice. Elle devait garder ses forces pour plus tard, pour un combat qu'elle n'était pas sûre de gagner. Mais Noâ lui posa une question étrange. Que ferait le Capitole si les deux Tributs restant refusaient de s’entre-tuer ? Elle n'en savait rien. Elle n'arrivait même pas à y croire ; les jeux changeaient les gens...même le plus inoffensif des gamins pouvait se transformer en tueur. Et elle repensa à Asha, la gagnante du douze. Celle qui serait probablement leur mentor...

Perdue dans ses pensées, elle n'a pas le temps de répondre à son ami que ce dernier lui annonce qu'ils devraient rentrer. Il a raison, probablement mais elle met du temps à réagir. Elle a à peine le temps de le regarder filer, rejoindre sa petite sœur, peut-être pour partager ses derniers instants en famille. Il lui faudra plusieurs minutes pour reprendre ses esprits et à son tour quitter la forêt. Lançant un dernier regard au refuge qu'elle a toujours considéré comme sa maison.