Les rayons du soleil progressaient lentement à travers la fente entre les deux rideaux, et lorsqu'il se posa sur les paupières encore fermées de Ryanne, cette dernière grimaça et se tourna, enfouissant son visage dans l'oreiller en poussant un grognement. Il était beaucoup trop tôt pour se lever, et il lui fallait encore deux bonnes heures de sommeil pour être au sommet de sa forme. Deux heures qu'elle n'aurait probablement pas étant donné que sa mère ne tarderait pas à venir la chercher. A huit heures, elle était censée être à la pâtisserie. Il était neuf heures et demie. Ryanne n'avait pas tort en pensant cela, car un quart d'heure plus tard, sa mère ouvrait la porte avec le double des clés de la petite annexe dans laquelle vivait Ryanne. Elle tambourina contre la porte de la chambre. « Debout ! Ryanne ! On a besoin de toi » qu'elle hurla. Ryanne se mit les mains sur les oreilles et grogna. « T'as intérêt à te bouger un peu. Si tu comptes ne rien faire de ta vie, il suffit de nous le dire, et on vendra la pâtisserie et tu de débrouilleras toute seule une fois qu'on sera plus là ». Cet argument suffit pour que Ryanne se lève, tout en priant le temps d'un instant pour que ce jour arrive très vite. Elle ne le pensait pas vraiment, mais quand même. Sa mère s'en alla lorsqu'elle l'entendit se lever. Ryanne fit sa toilette et s'habilla en vitesse, puis elle traversa quelques rues et rejoignit ses parents dans le commerce familial.

Lorsque midi sonna, elle crut sincèrement pouvoir prendre une pause de trois heures pour manger quelque chose et vaquer à ses occupations que personne ne comprenait vraiment. Les cours de dessin auxquels elle assistait une fois par mois avaient payé : elle était actuellement en train de créer le logo de la pâtisserie, celui qu'elle prendrait une fois que le magasin lui appartiendrait. Ses parents le lui lègueraient. Pour l'instant, elle avait préparé une planche de bois pour créer l’écriteau. Dessus figurerait le nouveau nom de la pâtisserie, et un énorme cupcake rose. Bref... Ryanne n'eut pas le droit à cette pause tant espérée. Non, lorsque midi sonna, son père posa une main sur son épaule. « On a besoin de lait, ça urge. Va en chercher s'il te plait » Wow, merci Papa. Il fallait maintenant qu'elle traverse le quartier pour ramener du lait. Il lui tendit un papier sur lequel étaient notées les quantités et tout un tas d'infos inutiles. Voyons le bon côté des choses, elle pourrait tout transporter en un seul voyage. Ryanne soupira, ce qui lui valut un regard désapprobateur de la part de son père. Puis elle fourra le billet dans la poche de son jean et sortit.

Il faisait chaud. La chaleur lui rappelait beaucoup trop de choses. Les après-midi avec Charlie, surtout. A vrai dire, tout et n'importe quoi lui rappelait Charlie. La neige, le soleil, le bouffe, les toilettes, les lits, les couteaux, les rochers, les choses qui tombaient, tout ce qui lui échappait des mains et ce qu'elle perdait. Le printemps, l'été, l'automne et l'hiver. Puis les Jeux, la chaleur lui rappelait les Jeux et les Jeux lui rappelaient Charlie. Tout ce temps perdu à se préparer pour quelque chose qui n'arriverait jamais. C'était ridicule. Même e nombre de chances qu'elles avaient pu avoir d'être tirées était ridicule. Pas de tesserae et toute une meute d'ados en chaleur volontaires pour aller se faire charcuter comme une grenouille qu'on disséquait en cours de bio. Les Jeux d'ailleurs, ils approchaient eux aussi et la moisson n'allait plus tarder. Ça se sentait dans l'air. C'était fou. Les Jeux, c'était un peu comme les menstruations de Panem, sauf que c'était à l'année. Tous les ans, au même moment, les gens de tous les districts changeaient d'attitude et d'humeur. Dans le 02 (pas comme si Ryanne avait eu l'occasion de voir ce phénomène ailleurs qu'ici), des groupes d'ados jouaient les fiers dans les rues, la tête haute, un sourire arrogant sur le visage et l'air fier. Les parents serraient les mains de leurs gosses un petit peu plus fort que les autres fois. Ils les tenaient plus près d'eux-mêmes lorsqu'ils sortaient. Ils étaient plus nombreux à les chercher à l'école, ou à leur interdire de sortir chez untel pour une fête d'anniversaire. En parlant de fête d'anniversaire. C'était fou comme on voyait peu de fêtes pour les gosses de 12 ans, et il y avait un véritable creux pendant leurs sept années suivantes. Puis on fêtait les dix-neuf ans comme si c'était l'arrivée de Dieu sur Terre. Drôle de pays.

Il faisait donc chaud, et Ryanne se dit qu'il faudrait se dépêcher au retour, car le soleil tapait comme jamais et le lait n’apprécierait pas forcément. Elle prit son temps pour traverser le quartier, puis quelqu'un attira son attention. Quelqu'un qu'elle connaissait, qu'elle connaissait bien même. Qu'elle croyait connaître, qu'elle avait connu. Qui avait sa tête collée dans la mémoire de Ryanne. Quelqu'un qu'elle ne voyait plus, mais qu'elle avait adoré un jour. Elle fixa cette personne des yeux parce que l'autre ne la voyait pas. Elle ne regardait même pas dans sa direction. Ryanne était complètement aveugle à ce que la jeune fille faisait. Elle voyait juste son profil qui n'avait pas tant changé, et ses cheveux bruns foncés et ondulés qu'elle avait un jour peignés. Lorsque la fille leva les yeux et tourna la tête, sans doute pour balayer les rues du regard -geste tout à fait normal...- Ryanne baissa les yeux vers la chaussée, regardant de façon étrange ses chaussures. Elle fit comme si elle ne l'avait pas vu, mais leurs regards s'étaient croisés pourtant, et la discrétion ce jour-là n'était pas son fort. Elle se mordilla la lèvre en priant pour que l'autre ne dise rien, ne sachant même pas pourquoi elle réagissait de la sorte.