« Ah ! elle est bien bonne celle-là ! » L'homme rit, suivit bientôt par ses compagnons. Toi, tu te caches derrière un mur, ton cœur battant à tout rompre.
Braddock. Ton pire cauchemars. Tu le connais depuis un bon moment déjà, et à chaque fois, sa voix ne manque pas de te faire cet effet là. Rien que de penser à ce qu'il t'a fait la derrière fois que vous vous êtes retrouvés tout les deux... Tu frissonnes. Ta respiration est saccadée, tes muscles tendu, comme prêts à prendre la fuite, ta bouche est sèche. Effrayé comme un animal face à un chasseur. Cachée dans l'ombre, comme une enfant, du haut de tes trente-trois ans.
Le vent balaye tes mèches blondes sur ton visage, et tes tremblement avec. Tu prends une inspiration, tentant de calmer ton pouls. Il suffit juste d'être discrète... Allez Rea, courage ! Tu jettes un regard furtif derrière ton refuge, et soupire de soulagement. Les Pacificateurs s'en vont dans la direction opposée à la tienne, complètement inconscients de la crise de panique qui a faillit te prendre toute entière. Tant mieux. Tu ne voulais pas rater ton rendez-vous avec Rémy.
Cela fait un moment que tu ne t'es pas retrouver seule avec ta vieille amie, et sa compagnie te manque. Il n'y a pas si longtemps de ça, vous étiez presque toujours fourrés ensemble, toi, Rémy, et Oron. Mais aujourd'hui... aujourd'hui tout ça est du passé. Vous avez changé, tout les trois. Vous vous êtes séparés, sans le vouloir, sans pouvoir rien y changer. Depuis, tu ne peux plus les voir que séparément, et rarement. Et ça, ça t'attriste.
Tu sors de ton trou, discrètement, et remonte rapidement la rue. Quelques enfants jouent encore dehors, malgré la nuit qui tombe, mais tu n'y prêtes pas attention, trop occupée à vérifier derrière toi que ton némésis ne t'a pas flairée. Rien que la pensée de cette homme te rends incroyablement stressée. Toi qui est normalement si joviale ! Tu secoues la tête, tentant de te remettre dans la bonne humeur qui précédait la vue de cet horrible porc, et affiches un sourire sur ton jolie visage. Ton père te disait toujours que sourire rendait heureux, après tout. Ça pouvait marcher, certaines fois, certes. Mais tu avais vite apprit que ce n'était pas le cas avec tout le monde. Faire sourire Oron, par exemple, était un acte qui tenait du miracle ces derniers temps ! Bien sûr, c'était un peu de ta faute. La dernière fois que tu avais fait un tour dans le D13, tu avais été incapable de ramener à ton ami -ami...- quoique ce soit qui appartenait à sa sœur. Ça t'avait juste été impossible, Rémy ne t'avait pas lâchée du regard de la soirée. Oh, il avait bien essayé de ne pas trop paraître déçu, mais tu le connaissais bien. Tu avais bien remarqué que quelque chose n'allait pas, que son regard s'était éteins. Ça avait été dur pour toi, tu avais pris l'habitude de voir son regard s'illuminer à ta vue, rien qu'à savoir que tu étais son seul lien avec sa sœur, que tu étais la seule qui pouvait lui rapporter quelques souvenirs, quelques parts de son ancienne vie. Cette fois, si des étoiles avaient illuminés ses yeux en te voyant, la lueur avait disparu lorsque tu lui avais annoncé la mauvaise nouvelle. Tu te souviens t'être détestée à cette minute, t'être promis que la prochaine fois, tu lui ramènerai quelque chose. Quelque chose de gros, quelque chose d'important. Rémy aurait été l'idéal bien sûr, mais ç'aurait été un peu dur de la cacher dans ta poche. N'empêche... Rien que d'imaginer la réaction d'Oron si tu pouvais lui redonner sa sœur, ton cœur bat la chamade, rosissant tes joues, mettant un sourire honnête sur ton visage. Tu gagnerais. Tu l'aurais, à coup sûr. Peut-être. Il cesserait d'être une grosse tête de mule, et il s'autoriserait à t'aimer. Peut-être. Si seulement. Mais tu ne pouvais pas lui donner sa sœur, c'était impossible. Alors, tu lui donnerai une lettre. Une poterie aussi peut-être. Ou une photo. Ou même les trois. Tu jettes un coup d’œil au sac tu portes sur ton épaule, jaugeant sa capacité du regard. Oui, il devrait pouvoir contenir les trois.
Tu souris, heureuse, ayant complètement oublié ta frayeur de tout à l'heure, et te précipite vers la porte de ton amie. Tu toques, rapidement, et n'attends même pas sa réponse avant de te laisser entrer toi-même. « Rémy ? »

L'hiver était venu, et il restait, sérieusement ancré sur Panem, comme s'il n'y avait pas assez de problèmes en ce moment. Tu avais regardé la neige qui tombait dehors, sans bouger de derrière la fenêtre. Tu ne sortais plus tellement souvent, et surtout pas toute seule. Tu avais passé la journée à te perdre dans des souvenirs d'un moment où tu étais plus heureuse, et mieux entourée. Oh, tu ne pouvais pas te plaindre, il y avait heureusement quelques personnes dans le District 6 qui valaient le coup, notamment Morea. Où était-elle, tiens ? Tu étais censée la voir aujourd'hui, mais vous n'aviez pas vraiment fixé d'heure : de toute façon, elle savait bien que tu ne bougerais pas de chez toi. La neige et les souvenirs t'avaient amenée à te poser dans un fauteuil et rédiger une énième lettre à Oron, une de celles qu'il ne lirait jamais parce qu'il était mort. Et puis tu t'étais arrêtée en plein milieu et tu t'étais pratiquement endormie sur la lettre, dans ton fauteuil, les bras posés sur les accoudoirs, tes jambes bioniques au sol.

C'était lorsqu'on avait toqué à la porte que tu étais sortie de ton sommeil alors que la porte s'ouvrait. La nuit était en train de tomber au dehors, et la pièce était plongé dans une sorte de pénombre encore claire, la lumière n'ayant pas été allumée. « Rémy ? » Tu relevas la tête vers Morea, puisque tu avais reconnu sa voix. Un sourire illumina ton visage et tu lui fis signe de s'approcher. « Je suis là, Rea. J'me suis endormie., et d'ajouter, Attends deux minutes. » Et te penchant, tu posas la lettre sur la table basse, et ramassas une de tes jambes pour les rattacher à ses cuisses. Tu te penchas de nouveau, attachas la seconde, et tu finis par te lever en t'appuyant sur les accoudoirs. Rodée à ce genre d'exercices, tu avais mis deux minutes à tout rattacher et tu pus assez rapidement serrer Morea dans tes bras, alors qu'elle avait eu le temps de refermer la porte et de poser son sac. Ses cheveux sentaient bon l'extérieur. Tu t'avanças ensuite lentement vers la cuisinière à gaz, où tu posas une bouilloire en métal préalablement remplie d'eau. « Je fais chauffer de l'eau, installe-toi en attendant. » Le feu allumé sous la bouilloire, tu revins t'installer sur l'accoudoir du fauteuil (ça serait plus simple de te relever quand il le faudrait). « Tout va bien en ce moment, ma jolie ? Qu'est-ce que tu me racontes de beau ? »

Rea était une bouffée d'air pur pour toi. Elle l'avait toujours été. Elle le serait sans doute toujours. C'était une des dernières à être encore là près de toi. Il y avait aussi Richard, mais il était difficile à atteindre, et tu avais l'impression que vous vous étiez éloignés depuis la tournée du vainqueur (mais c'était sans doute une mauvaise impression, enfin tu l'espérais). Rea avait été là à chaque moment, et ce depuis que vous étiez toutes petites. Était-ce la proximité des prénoms ? Sans doute. Mais aussi parce que vous aviez grandi plus ou moins ensemble, à quelques années d'écart certes, mais les années ne changeaient pas grand chose quand on était un gosse du D6, à part peut-être le risque d'être tiré comme tribut. Parfois, vous parliez d'Oron, mais le sujet dérivait souvent, comme si elle avait peur de trop te blesser, ou qu'elle-même ne voulait pas en parler parce que c'était encore douloureux pour elle, dix ans après. Tu ne savais pas tellement quoi en penser, tu savais simplement que c'était un sujet sensible sans en connaître la véritable cause. Parfois vous faisiez de la poterie aussi. Vu l'heure, la poterie serait remise à demain, mais sans doute allait-elle rester dîner, et cette idée te réjouissait. Tu avais terriblement besoin de voir des gens, de te changer les idées notamment, d'arrêter de ruminer des pensées qui te revenaient à chaque chute de neige. La lettre à moitié commencée trônait toujours sur la table basse, ton regard posé dessus. « Tu crois que je suis folle, à toujours écrire à Oron alors qu'il ne les lira jamais ? » La bouilloire se mit à siffler au moment où elle aurait pu répondre, et tu te levais (lentement et avec précautions bien sûr) pour ôter la bouilloire du feu. Et, appuyée au plan de travail, tu te tournais de nouveau vers Morea : « Tu disais ? »